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Date : 20140722


Dossier : IMM-2928-13

Référence : 2014 CF 726

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

KAROLY ZOLTAN STABEL

ANDREA AGNES ORI

BRENDON TIBOR STABEL

KAROLY MARK STABEL

NIKOLETT MARIA STABEL

KAROLYNE STABEL

RAMONA ESZTER STABEL

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est tenue d’analyser chaque cas dans sa globalité et de façon intégrale, et d’examiner les exposés circonstanciés de chaque demandeur puis d’en faire l’analyse avec une vue d’ensemble à la lumière des éléments de preuve sur la situation dans le pays.

II.                Introduction

[2]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision en date du 19 mars 2013 par laquelle la SPR a refusé de leur reconnaître la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR].

III.             Contexte

[3]               Le demandeur principal, M. Karoly Zoltan Stabel, et sa conjointe de fait, Mme Andrea Agnes Ori, leurs deux fils, Karoly Mark et Brendon Tibor, leurs deux filles, Nikolett Maria et Ramona Eszter, et la mère du demandeur principal, Karolyne, sont des citoyens de la Hongrie qui demandent l’asile au Canada. Le demandeur principal est d’origine rom et juive, et sa conjointe de fait est Hongroise.

[4]               Le demandeur principal allègue que, entre 2005 et 2012, sa famille et lui‑même ont été victimes de nombreux actes de discrimination en raison de leur origine ethnique, dont les suivants :

a)      Être arrêté et agressé par des agents de police au motif que le demandeur principal aurait volé un véhicule qui lui appartenait (1998).

b)      Être appréhendé et agressé par des gardiens de sécurité qui proféraient des insultes à l’égard des Roms (2005).

c)      Recevoir des menaces d’individus et d’organisations au téléphone et dans les médias sociaux (de 2005 à 2012).

d)     Être impliqué dans un grave accident de voiture avec des individus qui avaient crié des insultes anti‑rom au demandeur principal (2006) et avoir leur voiture incendiée par des inconnus (2008).

e)      Être violemment agressé par des membres de la Garde hongroise (2010).

[5]               Le demandeur principal explique qu’il a décidé de quitter la Hongrie avec sa famille à la suite du dernier incident, lors duquel son fils a été blessé.

[6]               Les demandeurs sont arrivés au Canada près d’une année plus tard, le 13 septembre 2011, et ils ont présenté une demande d’asile le 3 octobre 2011.

[7]               Le 19 mars 2013, la SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs. Il s’agit de la décision visée par la demande dont est saisie la Cour.

IV.             Décision contrôlée

[8]               Dans sa décision, datée du 19 mars 2013, la SPR a rejeté la demande des demandeurs en raison de leur manque de crédibilité et de la question de la protection de l’État.

[9]               En ce qui concerne la crédibilité des demandeurs, la SPR a tout d’abord relevé un certain nombre de contradictions et d’omissions dans le témoignage et dans les observations écrites des demandeurs. Par exemple, la SPR a noté que le demandeur principal avait fourni des informations contradictoires sur la question de savoir s’il était retourné ou non au poste de police après les agressions de 2010 pour faire un suivi de l’enquête. Comme ces observations se rapportaient à la réfutation de la présomption de la protection de l’État, la SPR a accordé beaucoup moins de poids à ces parties de leur témoignage. De même, la SPR a conclu que l’argument des demandeurs selon lequel la police avait enquêté sur certains incidents uniquement parce qu’ils impliquaient des tiers innocents était purement hypothétique. La thèse selon laquelle la police n’aurait rien fait si les demandeurs avaient été les seules personnes impliquées dans l’accident n’a été corroborée par aucun élément de preuve. La SPR a également jugé préoccupant que la conjointe du demandeur principal n’ait jamais communiqué avec la police au cours des trois mois ayant suivi l’accident de voiture de son conjoint en 2006, vu la gravité de l’accident.

[10]           Par ailleurs, la SPR a jugé improbable que le demandeur principal ait pu être identifié et ciblé en tant que Rom en raison de sa seule apparence lors des incidents de 2006 et de 2008, car, selon la SPR, il aurait lui‑même précisé qu’il n’a pas l’apparence d’un Rom du fait de sa double origine ethnique (bien qu’il ne soit fait mention nulle part dans la transcription ni au dossier que le demandeur principal ait fait cette affirmation). La SPR a conclu qu’il était également improbable que les demandeurs soient menacés par des étrangers par l’entremise de la page Facebook du demandeur, étant donné que celui‑ci ignorait certains éléments clés de son compte. La SPR a conclu que cet élément de preuve avait été présenté en vue d’avantager sa demande.

[11]           La SPR a ensuite traité en détail des documents sur la situation en Hongrie et conclu que les demandeurs n’avaient pas fourni d’éléments de preuve clairs et convaincants de l’incapacité de l’État de les protéger. La SPR a reconnu que la documentation fait bel et bien état de nombreux actes d’intolérance, de discrimination et de persécution à l’encontre des Roms en Hongrie; toutefois, la SPR a souligné que des éléments de preuve convaincants montraient aussi que la Hongrie s’employait activement à régler ces problèmes, et que la police et le gouvernement étaient disposés à protéger les demandeurs à leur retour et en avaient la capacité.

V.                Question en litige

[12]           La conclusion de la SPR quant à la crédibilité est‑elle raisonnable?

VI.             Dispositions législatives pertinentes

[13]           Les dispositions pertinentes de la LIPR sont les suivantes :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,      

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

VII.          Arguments des deux parties à l’appui de leur thèse respective

[14]           Les demandeurs soutiennent que la SPR a mal interprété la preuve sur laquelle est s’est fondée pour tirer ses conclusions défavorables quant à la crédibilité. Les demandeurs font valoir que la SPR a commis une erreur en tirant une inférence défavorable d’une supposée omission de renseignements dans leur Formulaire de renseignements personnels [FRP], des renseignements qui figuraient pourtant bel et bien dans leur FRP. Les demandeurs affirment en outre que la SPR a commis une erreur en interprétant mal le témoignage du demandeur principal relatif à son accident de 2006. Les demandeurs soulignent que leur FRP montre clairement que les propos racistes tenus lors de cet incident ont été lancés au demandeur principal avant qu’il entre dans sa voiture et non après.

[15]           Les demandeurs affirment en outre que la SPR a commis une erreur dans sa décision en ne renvoyant pas aux nombreux documents personnels qu’ils ont fournis pour corroborer les nombreux incidents survenus et l’absence de la protection de l’État.

[16]           En ce qui concerne la question de la protection de l’État, les demandeurs estiment que la SPR a utilisé le mauvais critère pour déterminer si le niveau de protection était suffisant. Selon eux, la SPR n’a pas évalué la protection de l’État dans une perspective globale et dans les faits. Ils affirment que la SPR a plutôt présenté un long exposé sur les forces policières et les organisations gouvernementales, alors que de nombreux éléments de preuve documentaires montraient que l’État est incapable de protéger les citoyens roms, quelle que puisse être son intention. Les demandeurs croient que de mettre l’accent sur une partie de la preuve documentaire seulement revenait à en faire une interprétation complètement erronée. Les demandeurs estiment que la SPR était à tout le moins tenue de mentionner les éléments de preuve documentaires qui contredisaient ses conclusions, ce qui aurait montré que la protection ne leur était pas assurée, en dépit des intentions générales que pouvaient laisser supposer les efforts déployés par le gouvernement de la Hongrie. D’après les éléments de preuve, les faits sur le terrain brossent un tableau tout autre.

[17]           Le défendeur déclare que les demandeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau de montrer que la SPR avait commis une erreur en concluant que la protection de l’État leur était offerte. Le défendeur estime que la SPR a examiné les éléments de preuve à l’appui des allégations des demandeurs; cependant, la SPR les a évalués à la lumière d’autres éléments de preuve convaincants faisant état des efforts importants que la Hongrie déploie en vue d’améliorer le traitement réservé aux minorités dans le pays. Les efforts et les intentions ne constituent pas des faits concrets en soi. Il n’était pas raisonnable pour la SPR de conclure que la protection de l’État était adéquate et que les demandeurs pourraient s’en prévaloir. La preuve documentaire objective dont la SPR disposait ne corroborait pas ses conclusions.

[18]           Le défendeur affirme que le désaccord des demandeurs sur la question de la protection de l’État renvoie essentiellement à la manière dont la SPR a soupesé la preuve, ce qui ne constitue pas un fondement juridique justifiant une intervention de la Cour. Invoquant l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, le défendeur affirme que la SPR n’était pas tenue de traiter de chaque élément de preuve qui lui avait été présenté. Cette affirmation est juste; or, selon les demandeurs, la SPR n’a pas examiné la preuve – tant les éléments de preuve subjectifs que les éléments de preuve objectifs – dans son ensemble et sous tous ses aspects, de sorte que les éléments de preuve objectifs sur la situation dans le pays et les témoignages des demandeurs n’ont pas fait l’objet d’une analyse exhaustive adéquate, ce qui montre que l’affaire n’a pas été examinée dans sa globalité. Dans le cadre de l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), précité, il est exigé qu’une l’affaire soit à tout le moins examinée dans son ensemble, à la lumière de son contexte. Elle ne l’a pas été en l’espèce.

VIII.       La norme de contrôle

[19]           Il est établi dans la jurisprudence que les conclusions relatives à la crédibilité sont des conclusions de fait qui sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 46).

[20]           De même, la question de la protection de l’État est une question mixte de fait et de droit qui est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Ruszo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1004).

IX.             Analyse

[21]           Il est bien établi que le demandeur qui veut réfuter la présomption de la protection de l’État « doit produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État en question est insuffisante » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Flores Carrillo, 2008 CAF 94, [2008] 4 RCF 636, au paragraphe 30). La protection de l’État n’a pas à être parfaite, mais elle doit être suffisante; il a été démontré en l’espèce qu’elle ne l’était pas. Bien que quelques années se soient écoulées, on ne peut pas dire que la situation particulière des demandeurs puisse être considérée comme changée par suite d’une évolution de la situation dans le pays ou de la protection offerte par l’État (Kovacs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1003; Bors c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1004, 377 FTR 132).

[22]           De l’avis de la Cour, la SPR n’a pas eu raison de conclure que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État en l’espèce. La SPR a tiré des conclusions négatives quant à la crédibilité en sélectionnant des éléments de preuve étayant sa décision plutôt qu’en examinant l’affaire dans son ensemble.

[23]           Les demandeurs ont voulu se fonder sur une abondante preuve documentaire concernant le traitement général réservé aux citoyens d’origine rom en Hongrie pour appuyer leurs allégations; ils ont également fait un lien entre la situation dans le pays en cause et leur situation personnelle. Comme la Cour l’a déclaré dans la décision Alakozai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 266, 176 ACWS (3d) 821, les demandeurs avaient le fardeau d’établir un lien entre leur situation personnelle et la preuve objective, et ils l’ont fait. Les documents sur la situation dans le pays portant sur le traitement des citoyens roms en Hongrie pris isolément ne fournissent pas un fondement adéquat à une conclusion favorable (aux paragraphes 35 à 37); toutefois, les témoignages et les éléments de preuve des demandeurs, lorsqu’ils sont analysés clairement, intégralement et en profondeur, font ressortir un récit très différent. Par conséquent, la SPR a simplement examiné l’ensemble de l’affaire hors contexte et n’a pas reconnu le lien entre les éléments factuels et la situation personnelle des demandeurs telle qu’elle apparaît dans les faits donnés en preuve, comme l’ont avancé les demandeurs.

[24]           La Cour ne souscrit pas à l’affirmation de la SPR selon laquelle les allégations des demandeurs étaient fondées sur des hypothèses. Des éléments de preuve sur les conditions dans le pays font état d’actes de violence et de discrimination à l’égard des citoyens roms en Hongrie, et le demandeur principal a expliqué comment ses agresseurs avaient pu savoir qu’il était rom, ou comment la police avait omis de lui assurer une protection adéquate. Il est évident, comme le suggèrent les demandeurs, que les incidents signalés découlaient de leur ethnicité rom présumée et que la police n’était en fait intervenue lors de ces incidents que parce que de tierces parties innocentes étaient concernées. Les principaux faits qui ont trait à la preuve la plus pertinente sont consignés au dossier (dossier de la demande, à la page 187; dossier du tribunal, volume 3, aux pages 494 à 496 et 497; rapport de 2010 d’Amnesty International sur la situation en Hongrie). La Cour admet que la SPR n’a pas reconnu le grave danger encouru par les demandeurs en l’espèce (Bors, précitée, au paragraphe 67). S’agissant de la preuve relative à la situation dans le pays, l’expérience montre que la SPR a analysé inadéquatement par le passé cette situation qui perdure et qui est semblable à celle des demandeurs.

[25]           En ce qui concerne le premier point, la Cour souligne que le demandeur principal n’a pas mentionné au cours de son témoignage qu’il n’a pas l’apparence d’un Rom; il s’agit de la perception de la SPR, puisqu’il n’est pas indiqué dans le dossier qu’il avait fait une telle déclaration. La Cour est troublée qu’un commissaire de la SPR puisse supposer, en regardant une personne, que celle‑ci n’est pas rom, en raison de son apparence. Les membres de groupes ethniques n’ont pas nécessairement l’allure que laissent supposer à tort les stéréotypes; ce genre d’affirmation peut parfois sembler avoir une connotation raciste; il faut veiller avec le plus grand soin à ce qu’une telle présomption ne soit pas invoquée. Son épouse est quant à elle Hongroise, comme l’a souligné la SPR d’après les témoignages et les éléments de preuve. Il n’est pas difficile d’imaginer que tous deux aient pu être régulièrement pris pour cibles en tant que citoyens roms par des inconnus et persécutés dans les circonstances décrites, à la lumière des faits évoqués dans les documents sur la situation dans le pays et dans le témoignage des demandeurs.

[26]           En ce qui concerne le deuxième point, la preuve au dossier démontre que la police a pris des mesures lorsqu’elle a reçu certaines plaintes déposées par les demandeurs et a même arrêté certaines personnes qui leur avaient fait subir des préjudices; toutefois, la Cour n’estime pas que ces faits en soi témoignent d’une volonté de l’État d’assurer la protection des demandeurs en tant que Roms; ils montrent que ce n’est pas nécessairement le cas lorsque les autorités tiennent compte de leur désignation en tant que Roms, comme il ressort des éléments de preuve personnels et de ceux relatifs aux conditions dans le pays des demandeurs. C’est alors que les faits décrits dans leurs allégations constituent de la persécution. L’erreur commise par la SPR est d’avoir uniquement analysé les éléments de preuve relatifs à la situation générale dans le pays invoqués par le demandeur, de ne pas avoir tenu compte des témoignages personnels de tous les demandeurs qui ont présenté un exposé circonstancié à la SPR et de ne pas avoir tenu compte de la situation dans le pays dans un contexte global. Aucun changement des conditions dans le pays ne ressort du comportement des policiers à leur égard, et même si les intentions du gouvernement dans ses dispositions législatives et ses politiques publiées peuvent être différentes, la situation des demandeurs n’a pas changé pour autant. Il s’agit d’une fausse interprétation des faits dans leur contexte par la SPR.

[27]           La SPR a commis une erreur ne tenant pas compte de la « preuve personnelle » des demandeurs dans ses motifs. L’issue serait complètement différente si l’exposé circonstancié des demandeurs était examiné dans un contexte intégral et global.

[28]           Les conclusions de la SPR doivent être infirmées, car l’exposé circonstancié complet n’ayant pas été pris en compte (Hosseini c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 402, 116 ACWS (3d) 95 (TD)), bien qu’il faille présumer que la SPR a pris en compte tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés (Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 NR 317, 36 ACWS (3d) 635 (CAF); Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (QL/Lexis) (CAF)). Il est évident pour la Cour que la preuve n’a pas été prise en compte ni analysée dans sa globalité. L’exposé circonstancié du demandeur principal aurait dû être examiné en corrélation avec celui de son épouse, ainsi qu’avec celui de la mère du demandeur principal, lequel n’a pas du tout été examiné de façon distincte de celui de chacune des personnes désignées, et pris en compte adéquatement, conformément à l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, précité, pour qu’il soit établi que l’intégralité de la preuve avait été prise en compte dans sa globalité.

[29]           La SPR a conclu que les observations des demandeurs présentaient des incohérences et elle a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité parce qu’elle a mal interprété les éléments de preuve. Selon la Cour, le fait que les demandeurs ont invoqué des lacunes dans le raisonnement de la SPR est compréhensible et raisonnable. L’effet de ces lacunes est en soi suffisant pour entraîner une conclusion différente dans le cadre de cette demande. La décision de la SPR concernant la crédibilité était manifestement de nature non cumulative; elle reposait sur le fait que certains points de l’exposé circonstancié des demandeurs avaient soulevé des doutes étant donné que l’analyse ne tenait pas compte du contexte, la SPR ayant sélectionné des éléments qui corroboraient sa décision. Il est donc probable que la SPR serait parvenue à une conclusion différente sur la crédibilité générale des demandeurs si elle avait analysé l’affaire dans son contexte et examiné les exposés circonstanciés de chaque demandeur pour les combiner ensuite et en faire une interprétation globale et exhaustive. La décision de la SPR est déraisonnable et manque de transparence quant à la façon dont les demandeurs auraient en fait bénéficié d’une protection contre les crimes haineux.

X.                Conclusion

[30]           Pour tous les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la SPR pour nouvelle décision.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire du demandeur est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la SPR pour nouvelle décision. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Myra-Belle Béala De Guise

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2928-13

 

INTITULÉ :

KAROLY ZOLTAN STABEL, ANDREA AGNES ORI, BRENDON TIBOR STABEL, KAROLY MARK STABEL, NIKOLETT MARIA STABEL, KAROLYNE STABEL, RAMONA ESZTER STABEL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 JUILLET 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 JUILLET 2014

 

COMPARUTIONS :

Maureen Silcoff

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Leanne Briscoe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Silcoff, Shacter

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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