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Date : 20140715


Dossier : IMM-6526-13

Référence : 2014 CF 698

Ottawa (Ontario), le 15 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

KHALIDI KEZA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) d’une décision rendue le 16 juillet 2013 par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) par laquelle la Commissaire a rejeté la demande de protection du demandeur, Khalidi Keza.

[2]               Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.                   Le contexte factuel

[3]               Le demandeur M. Khalidi Keza est un citoyen burundais. Il allègue que son père était membre du parti politique burundien du Conseil national pour la défense de la démocratie/Force pour la défense de la démocratie (CNDD/FDD) et que deux jours après l’arrestation du Président du CNDD/FDD, Hussein Radjudu, le père du demandeur fut aussi arrêté le 29 avril 2007 et il ne fut plus revu.

[4]               Le demandeur allègue que le 1er mai 2007, son épouse aurait reçu une visite des agents du Service national de renseignements (SNR) alors qu’il était absent. Ces hommes sont revenus en soirée pour dire au demandeur qu’il était arrêté. Ils l’ont menotté et l’ont conduit au bureau du SNR. Il a été interrogé à propos de son occupation et d’Hussein Radjudu. Un des hommes l’a frappé et une fois par terre, lui a donné des coups de poings et des coups de pieds. Il a été enfermé dans un cachot situé dans leur bureau et libéré vers 21h00, deux jours plus tard.

[5]               Le demandeur a témoigné que le lendemain du jour où il a été libéré, suite à la première incarcération, il est retourné au SNR avec sa femme et sa mère pour vérifier s’ils pouvaient leur donner des informations sur son père.

[6]               Le 15 mai vers 2h30 du matin, le demandeur allègue avoir été arrêté à nouveau chez lui par deux agents du SNR et trois policiers. Ils l’ont menotté et ont fouillé sa maison, disant chercher des armes. Ils n’ont rien trouvé et l’ont conduit dans un camion jusqu'à leur bureau. Il a été à nouveau torturé et il a reçu des coups de pieds sur les tibias. Ils l’ont coupé avec une lame sur la main droite et ils l’ont brulé sur les bras et sur les jambes. Ils ont aussi ajouté un poids à ses testicules. Il a fini par perdre connaissance. Il a été gardé trois jours puis dans la nuit du troisième jour, vers 3h du matin, il a été conduit en ville et invité à descendre du véhicule.

[7]               Le lendemain, il s’est rendu à l’hôpital Prince Régent Charles où il a été hospitalisé pendant deux semaines. Il est revenu chez lui le 2 juin 2007, et le 15 août il a reçu une convocation du SNR. Il a pris alors la décision de fuir le pays. Il s’est refugié chez un ami et le 18 novembre 2007, il a quitté le Burundi. Quelques jours plus tard, sa mère, son épouse et ses enfants se sont rendus en Ouganda, car des agents ont continué de venir chez lui et ont violé son épouse.

[8]               Le demandeur s’est rendu aux États-Unis le 19 novembre 2007 où il a réclamé l’asile. Sa revendication a été rejetée. Le 17 juillet 2012, il a quitté les États-Unis pour le Canada.

II.                Décision en litige

[9]               La SPR a trouvé le demandeur non crédible en raison d’omissions, de contradictions et d’incohérences dans son témoignage.

[10]           Le demandeur allègue qu’il aurait attendu du 2 juin 2007, quand il est sorti de l’hôpital, jusqu’au 15 août 2007, quand il a reçu la convocation, pour décider d’aller se cacher et de quitter son pays. Pendant cette période il a continué à habiter chez lui et de se rendre au travail. Étant donné les sévices allégués et les deux arrestations subies, après la disparition de son père, la SPR ne croit pas qu’il a subi ces arrestations, car il a attendu plus de deux mois avant de recevoir une convocation pour décider de fuir son pays.

[11]           De plus, le demandeur ne détient pas l’original de sa convocation ni celui du certificat médical. Il a expliqué pendant son témoignage que cela était parce que les originaux se trouvaient aux États-Unis et le chauffeur de camion qui lui a fait traverser la frontière a perdu sa valise contenant tous ses documents d’immigration américains. Il allègue qu’il a tenté d’obtenir des copies de ces documents de son avocat américain, mais malgré les promesses faites, il ne les a toujours pas reçues. La SPR a constaté qu’il est entré au Canada le 17 juillet 2012 et qu’il a attendu jusqu’en juillet 2013 pour faire les démarches afin d’obtenir les documents originaux. Étant donné que le demandeur a été secondé par un conseil d’expérience, le tribunal a alors trouvé que le demandeur était passif dans ses efforts faits pour obtenir ses documents, ce qui mine sa crédibilité quant à son désir de déposer des documents. Vu qu’il ne pouvait pas déposer l’original de sa convocation, la SPR n’a accordé aucune valeur probante à la convocation.

[12]           La SPR a aussi constaté que lorsque le demandeur a été questionné au sujet du certificat médical quant à la façon dont il a pu obtenir ce document, il n’a pas mentionné avoir dû donner une pièce d’identité ni avoir dû débourser de l’argent pour l’obtenir, comme cela est indiqué dans la preuve documentaire. Il n’a pas pu fournir une explication convaincante pour cette omission, alors la SPR n’a accordé aucune valeur probante au certificat médical. La SPR a alors constaté qu’elle ne croyait pas que le demandeur se soit rendu chez un médecin et qu’il ait séjourné deux semaines à l’hôpital.

[13]           En ce qui concerne les démarches que le demandeur a effectuées auprès du Bureau des passeports (PAFE) pour obtenir un passeport afin de quitter le pays, le demandeur a témoigné qu’il n’a pas eu de problèmes lors de son entrevue pour le passeport, et que personne n’a essayé de l’arrêter. Il a expliqué que ces personnes ne savent pas nécessairement que le SNR le recherche. La SPR n’a pas trouvé crédible qu’il ait obtenu un passeport du PAFE sans problème s’il était recherché par l’État, et a constaté que si le demandeur a reçu une convocation après deux incarcérations, son nom ferait partie des personnes dont les déplacements sont surveillés. La SPR a donc estimé que cette incohérence minait la crédibilité du demandeur quant aux craintes alléguées.

[14]           De plus, la SPR a constaté que le demandeur a témoigné que le lendemain du jour où il a été libéré, suite à la premier incarcération, il est retourné au SNR avec sa femme et sa mère pour vérifier s’ils pouvaient leur donner des informations sur son père. La SPR a trouvé que si le demandeur a pu retourner auprès du service qui l’a arrêté et torturé deux jours après sa libération il n’a pas éprouvé une crainte réelle du SNR.

[15]           Enfin, dans son questionnaire d’immigration qu’il a signé le 27 juillet 2012, le demandeur a allégué que sa mère et son père vivait toujours à Bujumbura, tandis que dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) qu’il a déposé le 9 août 2012, il a noté que sa mère vivait en Ouganda et que son père était disparu. En conséquence, la SPR n’a pas cru que le père du demandeur ait disparu et que sa mère se soit refugiée en Ouganda. Elle a donc conclu que le demandeur n’a pas été arrêté à cause du lien entre Hussein Radjudu et son père.

[16]           Puisque la SPR n’a pas cru que le demandeur ait été arrêté et torturé, elle a accordé une faible valeur au document médical du médecin, car les marques ou blessures alléguées auraient pu être causées par d’autres événements que ceux mentionnés par le demandeur.

[17]           Vu que la SPR n’a pas trouvé le demandeur crédible pour l’essentiel de ses allégations, elle a conclu que le demandeur n’a pas établi qu’il existe une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté en vertu d’un des motifs de la Convention, ni qu’il serait personnellement exposé à un risque de torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

III.             Questions en litige

[18]           La seule question en litige est la suivante :

1.         Est-ce que la conclusion de la SPR que le demandeur ne soit pas crédible est raisonnable?

IV.             Norme de contrôle

[19]           Les conclusions de la SPR quant à la crédibilité relèvent de la norme de la raisonnabilité (voir, par exemple, Wei v Canada (Citizenship and Immigration), 2012 CF 911 au paragraphe 28; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF); Elmi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 773, au paragraphe 21; Wu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 929, au paragraphe 17).

V.                Analyse

[20]           Le demandeur soutient que le tribunal a mal évalué sa crédibilité.

[21]           En ce qui concerne les conclusions de la SPR sur la crédibilité du demandeur, il faut se rappeler que la jurisprudence a bien établi que la SPR est la mieux placée pour évaluer le témoignage du demandeur, et ses conclusions sont assujetties à la norme de la raisonnabilité (voir Aydin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1329 au paragraphe 22, du juge Near. De plus, comme la juge Kane a constaté dans Huntley v Canada (Citizenship and Immigration), 2014 FC 573 au paragraphe 37, « The Board is entitled to draw inference based on implausibility, common sense and rationality ».

[22]           Afin de pouvoir se prononcer sur le caractère raisonnable des conclusions de la SPR, il faut tenir compte de l’ensemble de la décision. Après avoir examiné le dossier et les observations des parties, j’estime que les doutes de la SPR concernant la crédibilité du demandeur l’ont menée à une conclusion qui appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[23]           En premier lieu, il est raisonnable pour le tribunal de tirer une conclusion défavorable concernant la crédibilité d’un demandeur du fait que les documents présentés en preuve n’étaient pas les documents originaux (Aydin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1329 au paragraphe 24). Comme le défendeur l’a souligné dans son mémoire, la règle 42 des Règles de la Section de protection des réfugiés veut dire que le demandeur doit transmettre les originaux de tous ses documents sans délai, sur demande écrite de la SPR ou sinon, au plus tard au début de la procédure au cours de laquelle le document sera utilisé.

[24]           L’explication que les documents ont été perdus lors de son entrée au Canada, ou que son avocat américain n’a pas collaboré avec lui en lui faisant parvenir son dossier, le tout après n’avoir rien fait pendant un an au Canada, mine sa crédibilité.

[25]           Deuxièmement, l’histoire de son père disparu et de sa mère étant obligée de quitter Bujumbura n’est pas crédible par le fait qu’il indiquait sur son questionnaire que les deux parents continuaient d’y résider toujours. Son explication de manquer de concentration manque aussi de plausibilité, faite deux semaines après son arrivé au Canada.

[26]           J’estime que tous les autres commentaires négatifs de la SPR sont également fondés dans la preuve, notamment : comment il a obtenu un certificat médical de l’hôpital au Burundi; les démarches effectuées auprès du Bureau des passeports (PAFE) pour obtenir un passeport afin de quitter le pays; qu’il aurait attendu du 2 juin 2007, quand il est sorti de l’hôpital, jusqu’au 15 août 2007 avant de décider d’aller se cacher et de quitter son pays; et qu’il est retourné au SNR avec sa femme et sa mère pour vérifier s’ils pouvaient leur donner des informations sur son père.

[27]           En conséquence, la demande de contrôle est rejetée. Il n’y a pas de question grave de portée générale exigeant la certification.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         la demande de contrôle judiciaire est rejetée; et

2.         il n’y a pas de question grave de portée générale exigeant la certification.

« Peter Annis »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6526-13

 

INTITULÉ :

KHALIDI KEZA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 juin 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 juillet 2014

 

COMPARUTIONS :

ME CLAUDETTE MENGHILE

 

Pour le demandeur

 

ME GENEVIÈVE BOURBONNAIS

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Claudette Menghile

Avocat(e)

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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