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Date: 20140716


Dossier : IMM-1850-13

Référence : 2014 CF 706

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

CLARE HERNANDEZ LINGAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               VU une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’immigration [l’agent] en date du 8 mars 2013, dans laquelle il a été conclu qu’une mesure d’exclusion devait être prise concernant la demanderesse.

[2]               ET APRÈS avoir examiné soigneusement le dossier de requête préparé en l’espèce, ainsi que les arguments avancés par les parties qui ont été entendus le 18 juin 2014.

[3]               Pour les motifs qui suivent, il faut rejeter la demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la LIPR].

[4]               La demanderesse est entrée au Canada au mois d’août 2011 au terme d’une autorisation temporaire de travailler en tant qu’aide familiale résidente pour le compte de sa belle-sœur dans la grande région métropolitaine de Toronto. Moins de cinq mois plus tard, cependant, elle exerçait aussi un autre emploi, auprès d’un autre employeur. La demanderesse a clairement agi en contravention de l’autorisation d’emploi qui avait autorisé son arrivée au Canada. La demanderesse a déclaré dans le mémoire des arguments additionnel déposé en son nom le 20 mai dernier qu’elle [traduction] « ne contest [ait] pas le fait qu’elle a [vait] exercé un emploi pour le compte d’un autre employeur que celui qui est nommé dans son autorisation d’emploi délivrée en vertu du Programme des aides familiaux résidants (le PAFR) ».

[5]               La mesure d’exclusion a été prise en vertu du paragraphe 30(1) et de l’alinéa 41a) de la LIPR. Ces dispositions sont ainsi libellées :

Études et emploi

Work and study in Canada

30. (1) L’étranger ne peut exercer un emploi au Canada ou y étudier que sous le régime de la présente loi.

30. (1) A foreign national may not work or study in Canada unless authorized to do so under this Act.

Manquement à la loi

Non-compliance with Act

41. S’agissant de l’étranger, emportent interdiction de territoire pour manquement à la présente loi tout fait — acte ou omission — commis directement ou indirectement en contravention avec la présente loi et, s’agissant du résident permanent, le manquement à l’obligation de résidence et aux conditions imposées.

41. A person is inadmissible for failing to comply with this Act

 

(a) in the case of a foreign national, through an act or omission which contravenes, directly or indirectly, a provision of this Act; and

 

 

[6]               La demanderesse avance trois arguments :

a)                  la Section de l’immigration aurait manqué à l’équité procédurale du fait qu’elle n’a pas bien examiné le droit applicable, en faisant abstraction d’éléments de preuve pertinents;

b)                  la Section de l’immigration aurait commis une erreur du fait qu’elle a refusé d’examiner des facteurs d’ordre humanitaire;

c)                  la Section de l’immigration a manqué à l’équité procédurale par son défaut de rendre des motifs adéquats et raisonnables.

[7]               La Section de l’immigration a conclu le 8 mars, après une audience administrative tenue ce jour-là, que l’allégation selon laquelle la demanderesse est interdite de territoire au Canada par application de l’alinéa 41a) de la LIPR avait été établie à la satisfaction des membres de la formation. Il était clair que la demanderesse était arrivée au Canada le 29 août 2011 sous le régime du Programme des aides familiaux résidents, et il a été démontré qu’elle ne s’était pas conformée aux exigences de ce programme en exerçant une autre fonction au Canada. Cette conclusion s’est traduite par la prise d’une mesure d’exclusion en vertu de l’alinéa 45d) de la LIPR.

[8]               L’avocate de la demanderesse tente habilement de faire de cette question ce qu’elle ne saurait être. Il ne s’agit pas d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, et il ne revient pas à la Section de l’immigration d’examiner les éléments de preuve qui seraient pertinents quant à une demande de ce type (Wajaras c Canada [Citoyenneté et Immigration], 2009 CF 200). Plus concrètement, lorsque les conditions de l’alinéa 41a) sont remplies, la Section de l’immigration n’a d’autre choix que de prendre la mesure de renvoi. L’alinéa 45d) de la LIPR est ainsi libellé :

Décision

Decision

45. Après avoir procédé à une enquête, la Section de l’immigration rend telle des décisions suivantes :

45. The Immigration Division, at the conclusion of an admissibility hearing, shall make one of the following decisions:

d) prendre la mesure de renvoi applicable contre l’étranger non autorisé à entrer au Canada et dont il n’est pas prouvé qu’il n’est pas interdit de territoire, ou contre l’étranger autorisé à y entrer ou le résident permanent sur preuve qu’il est interdit de territoire.

(d) make the applicable removal order against a foreign national who has not been authorized to enter Canada, if it is not satisfied that the foreign national is not inadmissible, or against a foreign national who has been authorized to enter Canada or a permanent resident, if it is satisfied that the foreign national or the permanent resident is inadmissible.

[9]               Comme on le sait, l’emploi du mot anglais « shall », comme celui de l’indicatif en français, revêt un sens technique. La Loi d’interprétation, LRC (1985), ch I-21 précise ce qui suit, à l’article 11 :

Expression des notions

“Shall” and “may”

11. L’obligation s’exprime essentiellement par l’indicatif présent du verbe porteur de sens principal et, à l’occasion, par des verbes ou expressions comportant cette notion. L’octroi de pouvoirs, de droits, d’autorisations ou de facultés s’exprime essentiellement par le verbe « pouvoir » et, à l’occasion, par des expressions comportant ces notions.

11. The expression “shall” is to be construed as imperative and the expression “may” as permissive.

[10]           En conséquence, il n’y a eu ni manquement ni erreur d’un point de vue procédural du fait que les facteurs d’ordre humanitaire n’ont pas été examinés. De plus, les motifs rendus étaient amplement suffisants pour permettre à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision qui a été rendue (Newfoundland and Labrador Nurses » Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador [Conseil du Trésor], 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708) :

[14]      Je ne suis pas d’avis que, considéré dans son ensemble, l’arrêt Dunsmuir signifie que l’« insuffisance » des motifs permet à elle seule de casser une décision, ou que les cours de révision doivent effectuer deux analyses distinctes, l’une portant sur les motifs et l’autre, sur le résultat (Donald J. M. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada [feuilles mobiles], §§12:5330 et 12:5510). Il s’agit d’un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles. Il me semble que c’est ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir en invitant les cours de révision à se demander si « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » (par. 47).

[16] Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1973 CanLII 191 [CSC],] [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391). En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

[11]           La demanderesse a cherché à faire fi, d’une quelconque manière, de l’effet combiné du paragraphe 30(1) et des alinéas 41a) et 45d) de la LIPR en soutenant que le décideur en l’espèce n’avait pas examiné une demande de rétablissement de son statut de résidente temporaire, présentée conformément à l’article 182 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement]. L’article est ainsi libellé :

Rétablissement

Restoration

182. Sur demande faite par le visiteur, le travailleur ou l’étudiant dans les quatre-vingt-dix jours suivant la perte de son statut de résident temporaire parce qu’il ne s’est pas conformé à l’une des conditions prévues à l’alinéa 185a), aux sous-alinéas 185 b) (i) à (iii) ou à l’alinéa 185c), l’agent rétablit ce statut si, à l’issue d’un contrôle, il est établi que l’intéressé satisfait aux exigences initiales de sa période de séjour, qu’il s’est conformé à toute autre condition imposée à cette occasion et qu’il ne fait pas l’objet d’une déclaration visée au paragraphe 22.1 (1) de la Loi.

182. On application made by a visitor, worker or student within 90 days after losing temporary resident status as a result of failing to comply with a condition imposed under paragraph 185(a), any of subparagraphs 185(b)(i) to (iii) or paragraph 185(c), an officer shall restore that status if, following an examination, it is established that the visitor, worker or student meets the initial requirements for their stay, has not failed to comply with any other conditions imposed and is not the subject of a declaration made under subsection 22.1(1) of the Act.

[12]           La demanderesse semble prétendre que le décideur, malgré le libellé clair de l’article 45 de la LIPR, devait examiner l’article 182 du Règlement parce que cet article a pour effet de remédier à l’interdiction de territoire.

[13]           En l’espèce, l’autorisation d’emploi aurait expiré le 1er décembre 2012. En effet, le renouvellement de l’autorisation avait déjà été refusé le 2 novembre 2012. Sans le préciser, la demanderesse laisse entendre que l’article 182 aurait un effet rétroactif. La demanderesse, non seulement laisse entendre qu’il faut traiter les mesures législatives subordonnées telles que le Règlement de la même façon que la loi elle-même, mais voit aussi à l’article 182 du Règlement quelque chose qui ne s’y trouve pas.

[14]           Il est utile de mentionner l’enchaînement des faits. Le 26 septembre 2012, la demanderesse a été déclarée contrevenir à la LIPR en exerçant un emploi non autorisé. La demanderesse a été informée le 22 octobre 2012 qu’une enquête aurait lieu en vertu de l’article 44 de la LIPR. Le 2 novembre 2012, le renouvellement de son autorisation d’emploi, laquelle devait expirer le 1er décembre 2012, a été refusé. Trois jours avant l’expiration de cette autorisation d’emploi, le 28 novembre 2012, une demande de rétablissement de l’autorisation a été présentée. Cette demande a été faite conformément à l’article 182 du Règlement, qui permet le rétablissement du statut de résident permanent.

[15]           L’acceptation d’une demande fondée sur l’article 182 a pour effet de rétablir le statut (le formulaire rempli par la demanderesse fait mention du rétablissement d’une autorisation d’exercer l’emploi d’aide familiale résidente), de sorte que ce qui était perdu (le statut) est restitué pour l’avenir. Le Canadian Oxford Dictionary (The Canadian Oxford Dictionary, 2001, au mot « restore ») décrit le mot « restore » ainsi : « bring back », « reinstate » ou « put back », ce qui concorde avec le mot français employé à l’article 182 (selon Le Petit Robert [Le Nouveau Petit Robert, 1993, au mot « rétablir »], le mot « rétablir » signifie « établir de nouveau », « faire exister de nouveau » ou « remettre en vigueur », ce qui se rend littéralement en anglais par « establish anew », « to make to exist anew » ou « put back in effect »). Le rétablissement n’a pas d’effet rétroactif. Il ne remédie à aucune situation et ne le fait pas rétroactivement. En l’espèce, l’autorisation d’emploi n’a pas été renouvelée, ce qui signifie que, dans la situation idéale, le statut aurait été rétabli pour la période du 28 novembre 2012 au 1er décembre 2012, date de l’expiration prévue de l’autorisation d’emploi initiale advenant son non-renouvellement (article 47 de la LIPR), si la demande fondée sur l’article 182 avait été acceptée. Je ne vois pas comment ni pourquoi le décideur, en fonction des faits de l’espèce, ne devait attendre l’issue d’une demande de rétablissement qui aurait pu faire rétablir un statut de résidente temporaire pour trois jours encore.

[16]           De plus, la demanderesse n’a jamais expliqué l’incidence possible du rétablissement de son statut de résidente temporaire par un agent d’immigration sur la décision de la Section de l’immigration, dont les pouvoirs se limitent à la prise d’une décision sur l’interdiction de territoire en raison d’une contravention à la LIPR, en l’espèce, l’interdiction visant les étrangers d’exercer un emploi sans être autorisés à le faire. Le rétablissement par un seul agent d’immigration du statut de résidente temporaire ne change en rien le fait qu’il y a eu contravention à la LIPR, ce qui emporte une conclusion d’interdiction de territoire de la part de la Section de l’immigration. Essentiellement, les deux procédures s’appliquent indépendamment l’une de l’autre et ne sont pas en opposition.

[17]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1850-13

 

INTITULÉ :

CLARE HERNANDEZ LINGAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 juin 2014

 

ORDONNANCE ET MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 JUILLET 2014

 

COMPARUTIONS :

Me Maria Deanna P. Santos

 

Pour la demanderesse

 

Me Charles Julian Jubenville

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Markham (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Me William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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