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Date : 20140709


Dossier : IMM-5928-13

Référence : 2014 CF 674

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

AHMED OZBAY

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               VU une demande de contrôle judiciaire présentée à l’égard d’une décision rendue le 30 juillet 2013 par la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada;

[2]               ET VU le rejet par la SPR de la demande présentée en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 [LIPR];

[3]               ET APRÈS AVOIR entendu les parties, examiné le dossier et, de manière plus exhaustive, la demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72 de la LIPR;

[4]               La Cour conclut que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée pour les motifs qui suivent.

[5]               Le demandeur est un citoyen turc. Il a rencontré son épouse en 1994; celle-ci vivait alors avec son oncle qui, selon elle, la maltraitait. Les parents de celle-ci vivaient à ce moment-là aux États-Unis, et ont continué d’y vivre. C’est la mère du demandeur qui a accueilli la personne qui deviendrait par la suite son épouse. Cela a commencé en avril 1994. Selon le demandeur et dans une certaine mesure son épouse, il y a eu ensuite plusieurs menaces de mort et attaques contre le demandeur. Ces dernières ont été décrites comme des menaces de mort de la nature des crimes d’honneur, un phénomène connu en Turquie.

[6]               En 1996, le couple a eu une petite fille. Cette même année, le demandeur s’est rendu aux États-Unis en vue d’une part, de persuader les parents de la mère de son enfant de consentir au mariage et, d’autre part, d’obtenir un statut aux États-Unis. Même si la mère était disposée à donner son consentement, il semble que le père s’y soit entièrement opposé. Après avoir consulté un avocat américain, le demandeur a été avisé qu’il ne pouvait pas trouver asile aux États-Unis étant donné qu’il s’y était rendu muni d’un faux passeport. À la suite de la dénonciation faite par les frères de son épouse, il a été expulsé des États-Unis en décembre 2004, soit près de huit ans après son arrivée dans ce pays.

[7]               Quatorze mois plus tard, en janvier 2006, le demandeur soutient qu’un cousin de son épouse l’a attaqué et lui a donné un coup de couteau dans la main dans un café.

[8]               Le couple a eu un second enfant plus tard en 2006.

[9]               La conjointe et les deux enfants du demandeur ont obtenu la résidence permanente aux États-Unis en 2009. Il semble qu’ils aient été parrainés par le père qui avait refusé de donner son consentement au mariage. Peu de temps après en juillet 2009, la conjointe du demandeur ainsi que leurs deux enfants sont retournés en Turquie. Le 6 août 2009, le demandeur s’est marié avec la mère de ses deux enfants. Il semble que seul le consentement de la mère ait été obtenu pour que le mariage ait lieu, sachant que la cérémonie s’est tenue sans que le père en ait eu connaissance. Il semble que l’épouse et les enfants du demandeur soient retournés aux États-Unis, étant donné qu’ils se sont rendus une nouvelle fois en Turquie en juillet 2010, et dans le village où apparemment le demandeur résidait. Le 14 août 2010, l’un des cousins de l’épouse, le même qui aurait donné un coup de couteau au demandeur en janvier 2006, a tiré sur celui-ci avec une arme à feu pendant qu’il travaillait dans le champ. De toute évidence, les tirs n’ont pas atteint leur cible et le demandeur a déposé une plainte auprès des services de police, laquelle, selon lui, n’a pas fait l’objet d’un suivi.

[10]           À la suite de ce dernier incident, le demandeur a quitté son domicile le 20 août 2010, et s’est rendu chez un ami à Istanbul. Il a soutenu qu’il a changé régulièrement de résidence pour éviter qu’on le trouve. Son épouse et ses deux enfants sont repartis aux États-Unis en septembre 2010.

[11]           Étant donné que le demandeur avait déjà fait l’objet d’une mesure d’expulsion aux États-Unis en 2004, il a choisi de demander un visa canadien qu’il a obtenu le 8 décembre 2011. Une semaine plus tard, le 15 décembre 2011, le demandeur est arrivé au Canada et le 12 janvier 2012, il a demandé l’asile.

[12]           Par conséquent, en résumé, le demandeur a vécu aux États-Unis de 1996 à 2004, avant d’être renvoyé dans son pays de nationalité dans lequel il a séjourné pendant sept ans. Au cours de cette période, son épouse a vécu en Turquie jusqu’en 2009, année où elle a obtenu la résidence permanente aux États-Unis où ses parents résidaient depuis au moins 1994. Même si elle est devenue résidente permanente des États-Unis en 2009, elle est retournée à deux reprises en Turquie, dont une fois pour épouser le demandeur.

[13]           Il n’est pas contesté que, dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur n’est pas visé par l’article 96 de la LIPR parce qu’il n’y a pas de lien avec l’un des cinq motifs de la Convention. La SPR a plutôt examiné la demande sur le fondement de l’article 97.

[14]           La SPR a conclu que le demandeur manquait de crédibilité. Elle a conclu que le demandeur s’était contredit à plusieurs reprises et relativement à certains éléments fondamentaux de sa revendication; elle a également conclu que le demandeur avait tenté d’ajuster ou d’embellir son témoignage devant elle; en effet, la SPR était d’avis qu’il y avait plusieurs invraisemblances, et que le demandeur n’avait pas le comportement d’une personne qui craint pour sa vie.

[15]           À la lumière de ces conclusions, la SPR n’a pas discuté de certains autres éléments de preuve qui avaient été présentés au nom du demandeur. Selon la SPR, le manque de crédibilité suffisait pour conclure qu’il n’y avait aucune possibilité sérieuse qu’il soit personnellement soumis à la torture ou à une menace à sa vie, s’il retournait en Turquie.

[16]           Le demandeur a avancé deux arguments à l’appui de son allégation selon laquelle il y a lieu de faire droit à sa demande de contrôle judiciaire. En premier lieu, il a soutenu que la SPR n’a pas tenu compte d’une partie importante de la preuve qui tend à démontrer sa crainte de persécution. En second lieu, il a soutenu que la SPR a commis une erreur en concluant que son témoignage n’était pas crédible. L’avocat du demandeur n’a pas insisté sur la deuxième question lors de l’audience relative à la demande de contrôle judiciaire. À mon avis, l’avocat du défendeur est celui qui a passé l’essentiel de son temps à démontrer de façon convaincante que le témoignage du demandeur et son récit tout entier n’étaient pas crédibles. À tout le moins, la conclusion rendue par la SPR est raisonnable au sens où cette notion est comprise depuis l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; [2008] 1 RCS 190 :

[47]      … La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[17]           À mon avis, il était parfaitement raisonnable de conclure que la version des faits donnée par le demandeur n’était pas crédible. Les menaces de mort sous forme de crimes d’honneur en Turquie, qui auraient été proférées par l’oncle et la famille de l’épouse du demandeur, contre ce dernier et celle-ci, ne sont pas la raison pour laquelle l’épouse du demandeur a quitté la Turquie pour se rendre aux États-Unis où ses parents résidaient déjà depuis quinze ans (entre 1994 et 2009). En effet, le demandeur a séjourné aux États-Unis pendant huit ans avant d’en être expulsé en 2004. Il est resté en Turquie pendant sept ans, tandis que son épouse et ses deux enfants ont obtenu la résidence permanente aux États-Unis en 2009. Il n’existe aucun document à l’appui des incidents présumés, notamment le fait que le demandeur ait été poignardé en 2006 et qu’il se soit fait tirer dessus en 2010.

[18]           Nul ne conteste qu’il y a en Turquie des crimes et des attaques liés à l’honneur. Toutefois, cela n’appuie pas l’allégation du demandeur selon laquelle, dans son cas, c’est ce qu’il se serait passé.

[19]           Le demandeur soutient que d’autres éléments de preuve présentés à la SPR n’ont pas été pris en compte par cette dernière, ce qui, selon lui, devrait suffire pour justifier l’intervention de la présente Cour et renvoyer l’affaire pour qu’une nouvelle décision soit rendue. À mon avis, cette allégation se heurte à un obstacle insurmontable relativement à la décision de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Sellan, 2008 CAF 381 [Sellan]. À mon avis, les paragraphes 3 et 4 de la décision sont déterminants quant à l’issue de la présente affaire :

[3]        À notre avis, il faut répondre à cette question de la façon suivante : Lorsque la Commission tire une conclusion générale selon laquelle le demandeur manque de crédibilité, cette conclusion suffit pour rejeter la demande, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur. C’est au demandeur qu’il incombe de démontrer que cette preuve existe.

[4]        Ce qui nous amène à la question de savoir s’il y avait au dossier présenté à la Commission une preuve permettant d’étayer une décision favorable à l’intimée. À notre avis, il est clair que cette preuve n’était pas au dossier. Nous sommes convaincus que si le juge avait examiné le dossier, comme il était tenu de le faire, il en serait sans aucun doute arrivé à la même conclusion. Dans ces circonstances, il serait inutile de renvoyer l’affaire à la Commission.

[20]           J’ai lieu de croire que c’est le cas en l’espèce. Le récit du demandeur manquait de crédibilité. De plus, il n’est pas contesté qu’il y a en Turquie des crimes ou des attaques liés à l’honneur. Mais telle n’est pas la question. En ce qui concerne les autres éléments de preuve et plus particulièrement, ceux produits par l’épouse du demandeur, ils ont été pris en compte convenablement par la SPR. Il ressort clairement des motifs invoqués par la SPR que la version donnée par l’épouse du demandeur a été prise en considération, et la SPR a conclu qu’elle n’était pas non plus crédible. Il semble que la SPR ait critiqué son manque de crainte pendant une période de quinze ans avant son départ pour les États-Unis; malgré sa prétendue crainte, elle est non seulement restée en Turquie en dépit du fait que ses parents vivaient aux États-Unis, mais elle est également retournée à deux reprises en Turquie avec ses enfants après avoir obtenu la résidence permanente aux États-Unis. La SPR a conclu raisonnablement qu’elle ne s’était pas comportée comme quelqu’un qui craint pour sa vie.

[21]           Il appartient à la SPR de déterminer la vraisemblance des témoignages (Aguebor c (Canada) Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1993), 160 NR 315 (CAF)). Bien qu’il n’y ait aucun doute que les allégations d’un demandeur sont présumées vraies (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CA)), il va de soi que cette présomption sera réfutée par des témoignages incohérents et contradictoires, et l’improbabilité du récit en entier. Ce serait le cas « si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre » (Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776).

[22]           Le demandeur a tenté de tirer avantage de la preuve documentaire qui confirme l’existence de crimes d’honneur en Turquie et du caractère généralisé de la corruption des forces de l’ordre.

[23]           Le manque de crédibilité du demandeur et de son épouse a porté un coup fatal à la demande. La preuve documentaire générale, face à une version des faits qui n’est pas crue, ne suffira pas pour changer la situation.

[24]           La question en l’espèce n’est pas de déterminer si le demandeur est marié, ou s’il y a des crimes d’honneur dans son pays de nationalité. Il s’agit de déterminer s’il a été assujetti aux risques qu’il allègue. La SPR n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle dans son évaluation de la crédibilité des témoins et de la vraisemblance de la version des faits donnée.

[25]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Yvan Roy »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5928-13

 

INTITULÉ :

AHMED OZBAY c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

lE 2 JUIN 2014

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 JUILLET 2014

 

COMPARUTIONS :

Jason Benovoy

 

pour le DEMANDEUR

 

Adrian Bieniasiewicz

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goulet et Associés

Gatineau (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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