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Date : 20140709


Dossier : IMM‑6485‑13

Référence : 2014 CF 671

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 juillet 2014

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

SILVIA OLVERA ROMERO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision, en date du 19 septembre 2013, par laquelle une agente d’audience de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a, en application de l’article 108 de la Loi sur l’immigration et de la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), présenté à la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) une demande de constat de perte de l’asile (la demande de constat de perte de l’asile). La demanderesse affirme par ailleurs que l’interprétation que le ministre fait du régime législatif viole l’article 7 de la Charte canadienne des lois et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitue l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11 (la Charte).

Contexte factuel

[2]               La demanderesse est une citoyenne du Mexique. Son mari et elle sont arrivés au Canada en 1997. En mai 1999, la SPR leur a reconnu la qualité de réfugiés au sens de la Convention au motif qu’ils craignaient avec raison d’être persécutés au sens de l’article 96 de la LIPR par des individus associés au parti politique au pouvoir au Mexique. Leur fille est née au Canada en 1999. La demanderesse s’est par la suite séparée de son mari et, en juillet 2010, elle a obtenu la résidence permanente au Canada.

[3]               Le 6 août 2013, alors qu’elle revenait du Mexique en compagnie de sa fille, la demanderesse a été interrogée par une agente de l’ASFC à l’Aéroport international de Vancouver au sujet de ce voyage au Mexique et de ses voyages antérieurs. Le 19 septembre 2013, Mme Susan Barr, l’agente d’audience de l’ASCF et déléguée du ministre (l’agente d’audience ou la déléguée du ministre) a présenté en vertu de l’article 108 de la LIPR une demande de constat de perte de l’asile. La demande était notamment fondée sur le fait que la demanderesse avait informé l’agente de l’ASFC qu’elle avait obtenu un passeport mexicain après avoir obtenu le droit d’établissement, le 5 juillet 2010, que le passeport en question avait été reconduit le 8 avril 2013 et qu’il était valide jusqu’au 8 avril 2019. De plus, la demanderesse expliquait que depuis 2004, elle s’était rendue à quatre reprises au Mexique. La première fois, elle avait séjourné au Mexique de juin 2004 à 2007, à la suite de sa séparation d’avec son mari. Pendant cette période, elle avait vécu chez son frère, et sa fille fréquentait l’école au Mexique. Son second voyage remontait à juillet 2011, son troisième à mai 2013 et son quatrième à juillet 2013. Interrogée quant à savoir pourquoi elle ne craignait plus de retourner au Mexique, la demanderesse a répondu que le gouvernement mexicain avait changé et qu’elle avait maintenant le sentiment qu’elle pouvait visiter sa mère sans danger.

[4]               La demande de constat de perte de l’asile demandait à la SPR de conclure, en application du paragraphe 108(2) de la LIPR, que la demanderesse avait perdu son droit d’asile sur constat des faits mentionnés au paragraphe 108(1).

Contexte législatif

[5]               L’article 108 de la LIPR dispose :

Perte de l’asile

Cessation of Refugee Protection

Rejet

Rejection

108. (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

108. (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité;

(a) the person has voluntarily reavailed themself of the protection of their country of nationality;

b) il recouvre volontairement sa nationalité;

(b) the person has voluntarily reacquired their nationality;

c) il acquiert une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays de sa nouvelle nationalité;

(c) the person has acquired a new nationality and enjoys the protection of the country of that new nationality;

d) il retourne volontairement s’établir dans le pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré et en raison duquel il a demandé l’asile au Canada;

(d) the person has voluntarily become re‑established in the country that the person left or remained outside of and in respect of which the person claimed refugee protection in Canada; or

e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

(e) the reasons for which the person sought refugee protection have ceased to exist.

Perte de l’asile

Cessation of refugee protection

(2) L’asile visé au paragraphe 95(1) est perdu, à la demande du ministre, sur constat par la Section de protection des réfugiés, de tels des faits mentionnés au paragraphe (1).

(2) On application by the Minister, the Refugee Protection Division may determine that refugee protection referred to in subsection 95(1) has ceased for any of the reasons described in subsection (1).

Effet de la décision

Effect of decision

(3) Le constat est assimilé au rejet de la demande d’asile.

(3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected.

Exception

Exception

(4) L’alinéa (1)e) ne s’applique pas si le demandeur prouve qu’il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré.

(4) Paragraph (1)(e) does not apply to a person who establishes that there are compelling reasons arising out of previous persecution, torture, treatment or punishment for refusing to avail themselves of the protection of the country which they left, or outside of which they remained, due to such previous persecution, torture, treatment or punishment.

[6]               Les conséquences d’un constat de perte de l’asile sur les résidents permanents ont été modifiées à la suite de l’adoption de la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés (LC 2010, c 8) (la LMRER) et de la Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada (LC 2012, c 17) (la LPSIC), dont les dispositions pertinentes sont entrées en vigueur le 15 décembre 2012 en vertu du décret CP 2012‑1588. Plus précisément, aux termes de l’alinéa 46(1)c.1) de la LIPR, emporte perte du statut de résident permanent la décision de la SPR entraînant la perte de l’asile :

46. (1) Emportent perte du statut de résident permanent les faits suivants :

46. (1) A person loses permanent resident status

[…]

[…]

c.1) la décision prise, en dernier ressort, au titre du paragraphe 108(2) entraînant, sur constat des faits mentionnés à l’un des alinéas 108(1)a) à d), la perte de l’asile;

(c.1) on a final determination under subsection 108(2) that their refugee protection has ceased for any of the reasons described in paragraphs 108(1)(a) to (d); or

[…]

[…]

[7]               De plus, le paragraphe 40.1(2) de la LIPR a été modifié de manière à ce que la décision constatant la perte de l’asile emporte interdiction de territoire de la personne en cause :

40.1 (1) La décision prise, en dernier ressort, au titre du paragraphe 108(2) entraînant la perte de l’asile d’un étranger emporte son interdiction de territoire.

40.1 (1) A foreign national is inadmissible on a final determination under subsection 108(2) that their refugee protection has ceased.

(2) La décision prise, en dernier ressort, au titre du paragraphe 108(2) entraînant, sur constat des faits mentionnés à l’un des alinéas 108(1)a) à d), la perte de l’asile d’un résident permanent emporte son interdiction de territoire.

(2) A permanent resident is inadmissible on a final determination that their refugee protection has ceased for any of the reasons described in paragraphs 108(1)(a) to (d).

[8]               L’article 25 de la LIPR oblige le ministre à examiner, en tant qu’exception à l’obligation de présenter la demande depuis l’étranger, la demande de résidence permanente présentée par un étranger se trouvant au Canada dans certaines circonstances, notamment pour des motifs d’ordre humanitaire. Toutefois, cette disposition est assujettie aux exceptions énumérées au paragraphe 25(1.2), qui exige que douze mois se soient écoulés depuis le dernier rejet de la demande d’asile en vertu de l’alinéa 25(1.2)c). Cette disposition est elle‑même assujettie aux exceptions prévues au paragraphe 25(1.21), notamment à celle prévue à l’alinéa 25(1.21)b), qui prévoit que le délai de douze mois ne s’applique pas à l’étranger dont le renvoi porterait atteinte à l’intérêt supérieur d’un enfant directement touché.

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25. (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25. (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

Exceptions

Exceptions

(1.2) Le ministre ne peut étudier la demande de l’étranger faite au titre du paragraphe (1) dans les cas suivants :

(1.2) The Minister may not examine the request if

[…]

[…]

c) sous réserve du paragraphe (1.21), moins de douze mois se sont écoulés depuis le dernier rejet de la demande d’asile, le dernier prononcé de son retrait après que des éléments de preuve testimoniale de fond aient été entendus ou le dernier prononcé de son désistement par la Section de la protection des réfugiés ou la Section d’appel des réfugiés.

(c) subject to subsection (1.21), less than 12 months have passed since the foreign national’s claim for refugee protection was last rejected, determined to be withdrawn after substantive evidence was heard or determined to be abandoned by the Refugee Protection Division or the Refugee Appeal Division.

Exception à l’alinéa (1.2)c)

Exception to paragraph (1.2)(c)

(1.21) L’alinéa (1.2)c) ne s’applique pas à l’étranger si l’une ou l’autre des conditions suivantes est remplie :

(1.21) Paragraph (1.2)(c) does not apply in respect of a foreign national

[…]

[…]

b) le renvoi de l’étranger porterait atteinte à l’intérêt supérieur d’un enfant directement touché.

(b) whose removal would have an adverse effect on the best interests of a child directly affected.

Questions en litige

[9]               Suivant la demanderesse, les questions en litige sont les suivantes :

i.             L’agent manque‑t‑il à son obligation d’agir avec équité lorsqu’il ne donne pas de préavis et ne fournit pas l’occasion à l’intéressé de faire valoir son point de vue avant de présenter une demande de constat de perte de l’asile?

ii.           L’agent a‑t‑il le pouvoir discrétionnaire de tenir compte de facteurs d’ordre humanitaire avant de décider de présenter une demande de constat de perte de l’asile relativement à un résident permanent?

[10]           À la suite de la mise au rôle de la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse a déposé un avis de la question constitutionnelle dans lequel elle déclare qu’elle remet en cause la constitutionnalité, l’applicabilité et l’effet du paragraphe 108(2), de l’alinéa 46(1)c.1) et de l’article 40.1 de la LIPR. La demanderesse allègue plus précisément ce qui suit :

iii.      Si l’interprétation que le ministre fait des dispositions législatives et de l’absence de pouvoir discrétionnaire est juste, la loi est inconstitutionnelle, étant donné qu’il n’y a aucun mécanisme permettant d’examiner les atteintes causées, sur les deux plans suivants, à l’article 7 par suite de l’application de la LIPR :

a)       les conséquences psychologiques dévastatrices de la perte de la résidence permanente, notamment en cas d’application rétroactive des dispositions;

b)      la présumée incapacité de tenir compte de quelque manière que ce soit des répercussions de cette demande sur l’enfant directement touché.

[11]           Le défendeur affirme que la question à laquelle il faut répondre est celle de savoir si la demanderesse a démontré qu’elle avait été privée de son droit à l’équité procédurale. Le défendeur fait également valoir que l’avis de question constitutionnelle comporte des lacunes et qu’il devrait être annulé. De plus, le défendeur soutient que les questions ne sont ni légitimes ni susceptibles d’être tranchées par les tribunaux parce qu’elles sont prématurées.

[12]           À mon avis, on peut formuler comme suit les questions en litige :

i.        La demanderesse a‑t‑elle été privée de son droit à l’équité procédurale?

ii.      L’agent d’audience a‑t‑il le pouvoir discrétionnaire de tenir compte de facteurs d’ordre humanitaire avant de présenter une demande de constat de perte de l’asile?

iii.    L’avis de question constitutionnelle devrait‑il être annulé?

iv.    Le fait que l’agent d’audience ne peut tenir compte de facteurs d’ordre humanitaire dans le cas d’une demande de constat de perte de l’asile constitue‑t‑il une violation de l’article 7 de la Charte?

Norme de contrôle

[13]           Les parties n’ont présenté aucun argument au sujet de la norme de contrôle.

[14]           Il n’est pas nécessaire de procéder dans tous les cas à l’analyse de la norme de contrôle. Dès lors que la norme de contrôle applicable à la question dont elle est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au paragraphe 57 [Dunsmuir]; Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189 au paragraphe 18).

[15]           Les questions d’équité procédurale commandent la norme de contrôle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au paragraphe 79; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au paragraphe 43 [Khosa]).

[16]           Il est clairement établi que, lorsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie, la déférence est habituellement de mise (arrêt Dunsmuir, précité]; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61). Cette présomption a été appliquée aux décisions des ministres (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 au paragraphe 50; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Kandola, 2014 CAF 85 aux paragraphes 40, 41 et 86) ainsi qu’aux délégués du ministre (Kinsel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CAF 126 au paragraphe 26). À mon avis, cette présomption n’a pas été réfutée dans le cas qui nous occupe, compte tenu du caractère discrétionnaire de la décision en cause. Ainsi, dans les circonstances de l’espèce, l’application et l’interprétation des dispositions pertinentes de la LIPR commandent l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[17]           Le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (arrêt Dunsmuir, précité, aux paragraphes 45, 47‑48, et arrêt Khosa, précité, aux paragraphes 59, 62).

[18]           Dans le cas de la question constitutionnelle, la norme de contrôle applicable dépend de la réponse à la question de savoir si la constitutionnalité d’une loi est en cause ou si l’on affirme qu’une décision administrative viole des droits garantis par la Charte (Doré c Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 RCS 395 au paragraphe 36 [Doré]). Dans le premier cas, c’est la norme de contrôle de la décision correcte qui s’applique (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 58, et arrêt Doré, précité, au paragraphe 36), tandis que dans le second, c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique parce que la décision repose sur des faits paritucliers (arrêt Doré, précité, aux paragraphes 35, 36 et 52 à 58). Dans le cas qui nous occupe, la demanderesse conteste l’interprétation que le ministre fait de la Loi, ce qui, à mon avis, concerne la constitutionnalité d’une Loi et commande donc l’application de la norme de la décision correcte.

Modification de l’intitulé de la cause – Question préliminaire

[19]           À titre de question préliminaire, le défendeur demande à la Cour de modifier l’intitulé de l’affaire pour supprimer le ministre de la Sécurité publique comme défendeur et désigner à sa place le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration. C’est ce dernier qui est chargé de l’application de l’article 108 de la LIPR, et le ministre de la Sécurité publique était incorrectement désigné dans la demande de constat de perte de l’asile.

[20]           La demanderesse affirme également que, bien qu’elle ne s’oppose pas à l’ajout du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, elle conteste toutefois la suppression du ministre de la Sécurité publique comme partie à l’instance parce que c’est l’ASCF qui a pris la décision de présenter la demande de constat de perte de l’asile.

[21]           L’alinéa b) du Décret précisant les responsabilités respectives du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et de la ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile en vertu de la Loi, TR/2005‑120, confirme que c’est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration qui est chargé de présenter la demande de constat de perte de l’asile prévue au paragraphe 108(2). De plus, l’Instrument de désignation et de délégation de CIC sur lequel nous reviendrons plus loin en détail prévoit que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration délègue aux agents d’audience de l’ASFC le pouvoir de saisir la SPR d’une demande de constat de perte de l’asile en vertu du paragraphe 108(2) de la LIPR. Par conséquent, bien que la décision ait été prise par un agent de l’ASFC, c’est en vertu du pouvoir que lui a délégué le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration. Compte tenu de ce fait, dans l’intitulé de la cause, c’est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration qui devrait être désigné et non le ministre de la Sécurité publique, dont le nom devrait être supprimé. L’intitulé de la cause est modifié en conséquence.

Question 1 : La demanderesse a‑t‑elle été privée de son droit à l’équité procédurale?

Thèse de la demanderesse

[22]           La demanderesse affirme qu’il ressort du paragraphe 108(2), l’alinéa 46(1)c.1), du paragraphe 40.1(2) et du paragraphe 21(3) de la LIPR que, si la demande de constat de perte de l’asile est accueillie, elle perdra immédiatement son statut de résidente permanente et sera automatiquement interdite de territoire. Comme la décision rendue au sujet de la demande de constat de perte de l’asile n’a pas été prise dans le cadre d’une audience ou d’un contrôle, aucun droit d’appel ne peut être exercé en vertu du paragraphe 63(3) de la LIPR, et l’alinéa 110(2)c) l’empêche d’interjeter appel à la SPR et de demander un sursis en vertu du paragraphe 23(1). De plus, aux termes du paragraphe 108(3), le constat de la perte de l’asile de la demanderesse est assimilé au rejet d’une demande d’asile, de sorte que toutes les conséquences découlant du rejet de la demande d’asile s’appliquent également en cas de constat de perte de l’asile. Ainsi, l’intéressé doit laisser d’écouler douze mois avant de pouvoir présenter une demande de résidence permanente fondée sur des raisons d’ordre humanitaire (alinéa 25(1.2)c)), à moins que l’une des exceptions prévue au paragraphe 25(1.2)c) ne s’applique. Même alors, la Loi ne prévoit pas de sursis au renvoi après qu’une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire a été présentée et rien ne fait obstacle au renvoi immédiat en vertu du par. 48(2).

[23]           La perte de la résidence permanente entraîne également la perte du droit de travailler au Canada sans autorisation. Même si une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire est en instance et que la demanderesse peut demander un permis de travail, elle devra attendre plusieurs mois avant de l’obtenir. Ainsi, une ancienne résidente permanente bien établie comme la demanderesse se verrait forcer de quitter son emploi dans l’intervalle. La demanderesse serait également irrecevable à présenter une demande de permis de séjour temporaire aux termes du paragraphe 24(4) de la LIPR, et ne serait pas à un admissible à un examen des risques avant renvoi (ERAR) en vertu de l’alinéa 112(2)c) pendant une période de douze mois.

[24]           Vu la gravité de ces conséquences, la demanderesse affirme que le degré d’équité procédurale dont l’agente d’audience doit, en tant que déléguée du ministre, faire preuve envers elle avant de présenter une demande de constat de perte de l’asile devrait être régi par l’analyse en deux étapes proposée par notre Cour dans Hernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 429, [2006] 1 RCF 3 [Hernandez]. On pourrait ainsi définir la portée du pouvoir discrétionnaire de l’agente d’audience en fonction du cadre législatif. La demanderesse affirme que l’agente d’audience n’est pas contrainte par le par. 108(2) de présenter une demande de constat de perte de l’asile et qu’elle dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire à cet égard, comme le démontre la façon dont la disposition a été appliquée jusqu’à présent.

[25]           La demanderesse soutient également qu’au moment où les modifications en question ont été apportées à la LIPR, le ministre avait expliqué à plusieurs reprises devant le Parlement que les demandes de constat de perte de l’asile ne seraient présentées que dans des situations dans lesquelles des individus retournent s’établir dans le pays dont ils possèdent la nationalité immédiatement après avoir obtenu la résidence permanente. On peut donc en conclure que le législateur voulait qu’il existe un élément de fraude relativement à la première demande et, par conséquent, que le délégué du ministre jouisse d’un pouvoir discrétionnaire beaucoup plus vaste que celui que préconise le défendeur dans la présente instance. Par conséquent, l’ASFC ne devrait pas chercher à déterminer si la demande de constat de perte de l’asile est fondée sur le plan formel, mais bien si, dans le contexte de chaque cas précis, le fait de se réclamer à nouveau de la protection de son pays d’origine permet de façon convaincante de croire que la première demande était frauduleuse.

[26]           Le Guide de l’immigration : Exécution de la Loi (ENF) – chapitre ENF 24 – Interventions ministérielles (l’ENF‑24) renferme les politiques de CIC. Il en ressort qu’une demande de constat de perte de l’asile fondée sur le paragraphe 108(2) ne peut être présentée qu’après avoir pondéré des facteurs qui débordent le cadre du paragraphe 108(1). Le Guide n’appuie pas la thèse du défendeur suivant laquelle les agents d’audience ont d’autres pouvoirs discrétionnaires que celui de vérifier s’il existe des preuves suffisantes à première vue pour justifier la présentation d’une demande de constat de perte de l’asile.

[27]           L’ampleur de l’obligation d’agir avec équité à laquelle l’intéressé a droit doit être évaluée en fonction des facteurs énumérés dans Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux paragraphes 21 à 28 [Baker]. L’analyse des facteurs en question m’amène à conclure que cette obligation oblige notamment l’agent d’audience à accorder à l’intéressé la possibilité de faire valoir son point de vue avant de décider de présenter une demande de constat de perte de l’asile.

Thèse du défendeur

[28]           Le défendeur affirme que la demanderesse interprète mal la distinction qui existe entre le rôle de l’agent d’audience et celui que joue la SPR dans le cadre d’une instance portant sur le constat de la perte de l’asile. La LIPR prévoit explicitement que c’est la SPR, et non l’agent d’audience, qui prend la décision en ce qui concerne la constatation de la perte de l’asile. L’affirmation de la demanderesse suivant laquelle elle a droit à un préavis ainsi qu’à la possibilité de faire valoir son point de vue est par conséquent prématurée et déplacée. Les Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256 (les Règles de la SPR) prévoient le droit à une audience, à un avocat, à une communication complète ainsi que le droit de faire entendre des témoins et de présenter des éléments de preuve, le tout avant que la SPR ne rende sa décision. Par conséquent, la demanderesse bénéficiera de protections procédurales avant que ne soit prise une décision entraînant la perte pour elle de son statut de réfugiée.

[29]           De plus, l’agent d’audience n’a pas le pouvoir d’examiner des raisons d’ordre humanitaire sous le régime de la LIPR. La LIPR et la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, R.T. Can [1969] no 6 [la Convention] précisent que les raisons d’ordre humanitaire n’entrent pas en ligne de compte lorsqu’il s’agit de déterminer si le droit d’asile a cessé parce qu’il n’est plus justifié.

[30]           Le rôle de l’agent d’audience se borne, en plus de représenter le ministre devant la SPR, à remplir une formule de « demande de constat de perte de l’asile » fondée sur des éléments de preuve prima facie et sur le fait que les critères permettant de constater la perte de l’asile sont respectés. C’est la SPR, et non l’agent d’audience, qui apprécie la preuve et décide si l’intéressé a perdu son droit d’asile. Le geste consistant pour l’agent d’audience à déposer une demande de constat de perte de statut constitue tout au plus une décision préliminaire qui ne donne pas lieu à une obligation d’agir avec équité (Guay c Lafleur, [1965] RCS 12 [Guay]; Knight c Indian Head School Division No 19, [1990] 1 RCS 653 au paragraphe 26 [Knight]; arrêt Baker, précité). Même lorsqu’elle s’applique, l’obligation d’équité procédurale imposée par la common law n’exige pas de donner un préavis ou d’offrir la possibilité de faire valoir son point de vue avant que l’instance introduite devant un tribunal administratif ne soit engagée, à condition toutefois qu’il existe des protections procédurales à l’étape de la procédure du tribunal administratif (Hyundai Motor Co c Canada (Procureur général), [1987] ACF no 724 (1re inst), 14 FTR 316 [Hyundai]; Kindler c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1987] ACF no 507 (CAF), 41 DLR (4th) 78 [Kindler]; Mohammed c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] ACF no 1141 (CA), 55 DLR (4th) 321 [Mohammed]). De plus, les facteurs énumérés dans l’arrêt Baker militent contre l’imposition de l’obligation de donner un préavis et d’accorder la possibilité de faire valoir son point de vue dans le cas des demandes de constat de perte de l’asile.

[31]           La demanderesse soutient essentiellement que l’équité exige qu’elle ait la possibilité de convaincre l’agente d’audience de ne pas déposer, malgré l’existence d’éléments de preuve prima facie, de demande de constat de perte de l’asile en raison de facteurs d’ordre humanitaire compensatoires, dont l’intérêt supérieur de sa fille. Retenir cet argument saperait le régime de la LIPR, s’agissant des demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire et repose sur une mauvaise interprétation de l’ENF‑24.

[32]           Un non‑citoyen n’a pas le droit de faire valoir des raisons d’ordre humanitaire relativement à chaque processus d’immigration risquant de compromettre son statut. Ce type d’évaluation a lieu, en règle générale, dans le cadre des demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire présentées en vertu de l’article 25 de la LIPR. Les facteurs d’ordre humanitaire ne jouent aucun rôle lorsqu’il s’agit de constater la perte de l’asile en vertu de l’article 108 (Varga c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 394 au paragraphe 13 [Varga]; Medovarski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 RCS 539 au paragraphe 47 [Medovarski]). L’ENF‑24 ne permet pas non plus d’affirmer que l’agent d’audience a compétence pour se prononcer sur des raisons d’ordre humanitaire. Les facteurs qui y sont énumérés concernent les critères permettant de constater la perte de l’asile qui sont énumérés au paragraphe 108(1) et qui reprennent ceux énoncés à l’article 1C de la Convention, qui s’inspirent eux‑mêmes des balises fournies par le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés (le Guide de l’HCNUR) au sujet de l’application des critères en question. Il est donc difficile d’y voir un vaste pouvoir discrétionnaire permettant de tenir compte de facteurs n’ayant aucun rapport avec les motifs permettant de constater la perte de l’asile, tels que des raisons d’ordre humanitaire.

[33]           Le défendeur affirme que l’affaire Hernandez, précitée, portait sur des faits différents et que ce jugement a été supplanté par des décisions plus récentes (Nagalingam c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 1411 aux paragraphes 34 et 35 [Nagalingam]; Cha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126 aux paragraphes 13, 21 à 23, [2007] 1 RCF 409 [Cha]; Faci c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 693 [Faci]). Même dans le cadre de l’article 44, l’équité procédurale ne reconnaît pas le droit à un préavis ou celui de faire valoir son point de vue avant que l’agent n’établisse son rapport en vertu de l’article 44 et, dans ce contexte, les agents ne tiennent pas compte de raisons d’ordre humanitaire.

Analyse

[34]           La demanderesse soutient essentiellement que le paragraphe 108(2) confère peu ou pas de pouvoir discrétionnaire à la SPR. Dès lors qu’elle est saisie d’une demande de constat de perte de l’asile, la SPR doit, lorsqu’un des critères énumérés au paragraphe 108(1) est respecté, constater la perte de l’asile avec comme conséquence inévitable de la perte de la résidence permanente. Par conséquent, l’équité procédurale exige qu’avant d’atteindre cette étape, lorsque l’agent d’audience décide de l’opportunité de présenter ou non une demande de constat de perte de l’asile, l’intéressé soit avisé et se voie accorder la possibilité de faire valoir son point de vue. De plus, l’agent d’audience a, selon la demanderesse, un vaste pouvoir discrétionnaire qui lui permet de décider, sur la foi des renseignements ainsi recueillis et présentés, si la demande aurait dû ou non être présentée.

[35]           Pour que cet argument puisse être retenu, il faut tout d’abord qu’il existe une obligation d’agir avec équité assortie de l’obligation de donner un préavis et d’accorder la possibilité à l’intéressé de faire valoir son point de vue. Et, dans l’affirmative, l’agent d’audience doit également avoir l’obligation ou le pouvoir discrétionnaire de tenir compte de certains facteurs, y compris de raisons d’ordre humanitaire, à l’étape qui précède l’examen de la demande de constat de perte de l’asile lorsqu’il doit décider s’il convient de donner suite à cette demande.

[36]           D’entrée de jeu, il convient de signaler que l’article 108 de la LIPR, qui porte sur la perte du droit d’asile, n’a pas été modifié par la LMRER ou la LPSIC. Le paragraphe 108(2) dispose que l’asile visé au paragraphe 95(1) est perdu, à la demande du ministre, sur constat par la Section de protection des réfugiés des faits mentionnés au paragraphe 108(1). Le processus de constat de la perte de l’asile est et demeure un processus en deux étapes.

[37]           Il est important de situer l’argument d’absence d’équité procédurale de la demanderesse dans le contexte plus large du droit de la protection des réfugiés. La Convention définit le réfugié et énumère une série d’obligations auxquelles les États contractants sont assujettis envers eux (Németh c Canada (Ministre de la Justice), 2010 CSC 56, [2010] 3 RCS 281 au paragraphe 17). Le Guide du HCNUR indique, au sujet des « clauses de cessation » prévues à la section C de l’article premier (la section 1C) qu’elles sont fondées sur la considération que la protection internationale ne doit pas être accordée lorsqu’elle n’est plus nécessaire ou ne se justifie plus.

[38]           La section 1C énumère les circonstances dans lesquelles la protection ne se justifie plus :

Cette Convention cessera, dans les cas ci‑après, d’être applicable à toute personne visée par les dispositions de la section A ci‑dessus :

1 ) Si elle s’est volontairement réclamée à nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité; ou

2 ) Si, ayant perdu sa nationalité, elle l’a volontairement recouvrée; ou

3 ) Si elle a acquis une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays dont elle a acquis la nationalité; ou

4 ) Si elle est retournée volontairement s’établir dans le pays qu’elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d’être persécutée; ou

5 ) Si, les circonstances à la suite desquelles elle a été reconnue comme réfugiée ayant cessé d’exister, elle ne peut plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont elle a la nationalité;

Étant entendu, toutefois, que les dispositions du présent paragraphe ne s’appliqueront pas à tout réfugié visé au paragraphe 1 de la section A du présent article qui peut invoquer, pour refuser de se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité, des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures;

6 ) S’agissant d’une personne qui n’a pas de nationalité, si, les circonstances à la suite desquelles elle a été reconnue comme réfugiée ayant cessé d’exister, elle est en mesure de retourner dans le pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle;

Étant entendu, toutefois, que les dispositions du présent paragraphe ne s’appliqueront pas à tout réfugié visé au paragraphe 1 de la section A du présent article qui peut invoquer, pour refuser de retourner dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures.

[39]           Le Guide du HCNUR signale que les quatre premières clauses de cessation correspondent à un changement dans la situation du réfugié dont lui‑même a pris l’initiative. En revanche, les deux dernières clauses se fondent sur la considération que la protection internationale ne se justifie plus par suite de changements survenus dans le pays où l’intéressé craignait d’être persécuté, les raisons pour lesquelles l’intéressé est devenu réfugié ayant disparu. Les clauses de cessation énoncent des conditions négatives et l’énumération qui en est faite est exhaustive. Elles doivent donc s’interpréter de manière restrictive et aucune autre raison ne saurait être invoquée par voie d’analogie pour justifier le retrait du statut de réfugié.

[40]           Le Guide du HCNUR propose par ailleurs une interprétation de certaines des clauses en question. Le paragraphe 1 de la section C de l’article premier (le paragraphe 1C (1)) précise quant à lui que ses dispositions s’appliquent à un réfugié qui possède une nationalité et qui demeure hors du pays dont il a la nationalité. Le réfugié qui s’est volontairement réclamé à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité n’a plus besoin de la protection internationale. Il a montré qu’il n’était plus dans la situation de celui qui ne peut ou ne veut se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité (article 96 de la LIPR). L’application de cette clause de cessation suppose la réalisation de trois conditions : la volonté; l’intention (le réfugié doit avoir accompli intentionnellement l’acte pour lequel il s’est réclamé à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité) et le succès de cette action (le réfugié doit avoir effectivement obtenu cette protection).

[41]           Le Guide du HCNUR précise que, lorsqu’on cherche à déterminer si le statut de réfugié a été perdu dans des circonstances de cet ordre, il convient d’établir une distinction entre le fait de se réclamer à nouveau de la protection du pays considéré et des rapports occasionnels et fortuits avec les autorités de ce pays. Si un réfugié demande et obtient un passeport national ou le renouvellement de ce passeport, il sera présumé, en l’absence de preuves contraires, avoir voulu se réclamer à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité. En revanche, « l’obtention d’une autorisation de rentrer dans le pays ou d’un passeport national aux fins de retourner dans le pays sera considérée, sauf preuve contraire, comme entraînant la perte du statut de réfugié ».

[42]           Des considérations analogues s’appliquent dans le cas du paragraphe 1C (2). Alors que ce paragraphe concerne l’individu qui cesse d’être un réfugié lorsqu’il se réclame à nouveau de la protection qui s’attache à cette nationalité, le paragraphe 1C (2) concerne la perte du statut de réfugié lorsque l’individu visé recouvre la nationalité précédemment perdue.

[43]           Le paragraphe 1C (4), qui porte sur le rétablissement volontaire dans le pays où l’intéressé craignait d’être persécuté, s’applique à la fois aux réfugiés qui ont une nationalité et aux apatrides. Il s’applique aux réfugiés qui, étant retournés dans leur pays d’origine ou dans le pays où ils avaient précédemment leur résidence, n’ont pas cessé d’être des réfugiés en application des paragraphes 1C (1) ou (2) alors qu’ils se trouvaient encore dans leur pays de refuge. Le rétablissement volontaire s’entend d’un retour dans le pays de sa nationalité en vue d’y établir sa résidence permanente : « si un réfugié, muni non pas d’un passeport national mais par exemple d’un titre de voyage délivré par son pays de résidence, se rend dans son pays d’origine, pour y faire un séjour temporaire, cela ne constitue pas une volonté de s’y “établir” et n’implique pas la perte du statut de réfugié [...] ».

[44]           Les critères de cessation prévus à la section 1C sont repris au paragraphe 108(1) de la LIPR. Le mécanisme procédural par lequel la SPR évalue les renseignements fournis à l’ASFC en vue de déterminer s’il y a eu perte de l’asile au sens du paragraphe 108(1) est la demande constatant la perte de l’asile que l’agent d’audience présente en vertu du paragraphe 108(2). Les agents d’audience ont le pouvoir délégué de présenter des demandes de constat de perte de l’asile au nom du ministre en vertu de l’Instrument de désignation et de délégation de CIC.

[45]           L’article 64 des Règles de la SPR prévoit que la demande de constat de perte de l’asile que le ministre (ou son délégué) présente à la SPR doit être faite par écrit conformément à cet article des Règles. Il précise le contenu de la demande, notamment la décision recherchée ainsi que les motifs pour lesquels la SPR devrait rendre cette décision. Dans le cas qui nous occupe, la demande écrite de constat de perte de l’asile a été remplie et, conformément au paragraphe 50(4) des Règles, elle énumérait les éléments de preuve documentaire que l’agente d’audience, en sa qualité de déléguée du ministre, voulait soumettre à l’examen de la SPR, dont la déclaration solennelle de l’agente de l’ASFC qui avait interrogé la demanderesse à l’aéroport.

[46]           Dans son affidavit, Aaron Smith, conseiller principal, Direction générale des affaires des réfugiés, CIC (affidavit de M. Smith), déclare que l’agent d’audience peut recueillir des renseignements complémentaires concernant les faits pertinents quant au motif de perte de l’asile énuméré au paragraphe 108(1), notamment en interrogeant la personne concernée dans certains cas. L’agent d’audience examine ensuite les renseignements en vue de vérifier s’il existe des éléments de preuve prima facie ou des faits permettant de conclure que les critères énoncés au paragraphe 108(1) sont respectés (affidavit de M. Smith, alinéa 19a)).

[47]           C’est dans ce contexte que la question de l’équité procédurale doit être examinée.

a) Existe‑t‑il une obligation d’agir avec équité?

[48]           Le défendeur affirme que l’agent d’audience ne rend tout au plus qu’une décision préliminaire, soit celle de présenter une demande de constat de perte de l’asile. Comme la décision définitive et les droits en matière d’équité procédurale qui y sont afférents appartiennent à la SPR, il n’y a aucune obligation d’agir avec équité à l’étape de la demande de constat de perte de l’asile (arrêt Guay, précité; arrêt Knight, précité, au paragraphe 26).

[49]           Il ressort de l’examen de l’arrêt Knight, précité, invoqué par le défendeur, que cette affaire portait sur une cessation d’emploi régie par un contrat de travail et par l’Education Act. La Cour suprême du Canada a conclu que l’existence de l’obligation d’agir avec équité dépendait de la nature de la décision à rendre, des relations entre les parties et de l’effet de la décision sur les droits des individus. Elle a jugé que l’irrévocabilité de la décision était également un facteur qui devait être pris en considération et qu’« [u]ne décision de nature préliminaire ne fait naître en général aucune obligation d’agir équitablement, alors qu’une décision d’une nature plus définitive peut avoir un tel effet ».

[50]           Cependant, comme le juge Le Dain l’affirme dans l’arrêt Cardinal c Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2  RCS 643, au paragraphe 14 :

[…] Cette Cour a confirmé que, à titre de principe général de common law, une obligation de respecter l’équité dans la procédure incombe à tout organisme public qui rend des décisions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, privilèges ou biens d’une personne […]

[51]           Dans leur ouvrage Judicial Review of Administrative Action in Canada (édition à feuilles mobiles) (Toronto, Canvasback, 1998), les auteurs J.M. Brown et J.M. Evans affirment que [traduction] « le droit administratif contemporain préconise une conception très large des divers droits, privilèges et intérêts qui font intervenir le droit à l’équité procédurale » (page 7‑47). Par privilèges, on entend [traduction] « les avantages, dont l’octroi ou la révocation relèvent dans une plus ou moins large mesure du pouvoir discrétionnaire de l’organisme compétent », ce qui comprendrait l’aptitude d’un non‑citoyen à être admis au Canada (page 7‑51). Par exemple, dans une situation portant sur le refus de délivrer un certificat de sécurité, refus qui entraînait le refus d’accorder la citoyenneté et exposait l’intéressé à l’expulsion du Canada, il existe une obligation d’équité (Al Yamani c Canada (Solliciteur général), [1995] ACF no 1453 (1re inst), 129 DLR (4th) 226 (CF 1re inst). De plus, parmi les intérêts en question, il peut exister des avantages ne faisant pas légalement l’objet d’un droit, mais qui n’en sont pas moins importants (page 7‑52).

[52]           Voici ce que Brown & Evans écrivent au sujet des situations dans lesquelles il y a atteinte à un droit :

[traduction]

À une certaine époque, le droit implicite de participer à la prise de décision des organismes publics semblait se limiter aux cas où l’exercice de pouvoirs avait pour effet de trancher de façon définitive les droits des individus. Toutefois, la « révolution de l’équité » qui a transformé le droit administratif canadien au début des années 80 a élargi non seulement la catégorie de droits protégés par l’obligation d’équité, mais également le type de mesures administratives visées, de manière à englober plus que les décisions définitives qui tranchent des droits reconnus par la loi. Par exemple, les suspensions, le refus d’accorder des avantages discrétionnaires, les enquêtes, les enquêtes publiques, le renvoi à l’audience et les recommandations sont désormais susceptibles de donner lieu à l’obligation d’agir avec équité.

[Non souligné dans l’original.]

[53]           Brown & Evans affirment également que, bien que dans l’arrêt Knight, précité, la Cour suprême ait déclaré qu’une décision de nature préliminaire ne donne généralement pas lieu à une obligation d’équité, il existe de nombreuses situations dans lesquelles l’obligation s’applique effectivement à des décisions non définitives :

[traduction

Évidemment, l’administration publique ne devrait pas voir sa tâche alourdie par l’obligation d’aviser les personnes concernées et de tenir compte de leur point de vue à chaque étape du processus de la prise de décision. Par contre, la gravité, sur le plan pratique, des mesures non définitives telles que les enquêtes, les enquêtes publiques, les recommandations et les renvois à une procédure plus officielle peuvent justifier certaines garanties procédurales.

Dans certains cas, l’avantage que représente le fait d’éviter le préjudice qu’une décision préliminaire erronée est susceptible d’infliger sera supplanté par le fardeau administratif que l’obligation d’équité est susceptible d’imposer [...]

À l’inverse, il existe des circonstances dans lesquelles l’obligation d’équité est susceptible de s’appliquer. Plus précisément, toute mesure administrative qui pourrait soit influencer de façon importante la décision ultime, soit exposer l’intéressé à un autre préjudice peut donner lieu à une obligation d’équité. Évidemment, dans ces circonstances, la teneur de l’obligation dépend toujours du contexte dans lequel elle se présente.

[54]           À mon avis − et contrairement à ce que prétend le défendeur −, l’agent d’audience ne fait pas que remplir un formulaire. Il examine les faits que lui présente l’agent de l’ASFC. Et, suivant M. Smith, l’agent d’audience a le pouvoir discrétionnaire de recueillir d’autres renseignements et d’interroger l’intéressé pour décider s’il existe des éléments de preuve prima facie permettant de constater la perte de l’asile. S’il estime que c’est le cas, l’agent d’audience peut recommander le constat de la perte de l’asile, ce que l’agente d’audience a fait en l’espèce. Suivant l’interprétation que je fais de l’arrêt Knight, précité, celui‑ci n’exclut pas catégoriquement la possibilité qu’il existe une obligation d’équité procédurale dans le cas des décisions préliminaires.

[55]           Ainsi, bien qu’il soit vrai que la décision de l’agente d’audience de déposer une demande de constat de perte de l’asile est une décision préliminaire, en ce sens que c’est la SPR qui rendra la décision définitive, j’estime que, dans les circonstances, il s’agit néanmoins d’une décision administrative qui a une incidence sur les droits de la demanderesse. Il s’agit d’une décision qui est susceptible d’avoir des effets importants sur la demanderesse, car c’est la première étape du processus de demande de constat de perte de l’asile. Par conséquent, l’obligation d’agir avec équité s’applique (Smith c Canada (Procureur général), 2009 CF 228, [2010] 1 RCF 3 au paragraphe 44).

b) En quoi consiste la teneur de l’obligation d’équité en l’espèce?

[56]           Toutefois, comme la Cour l’a déclaré dans l’arrêt Baker, précité, la notion d’équité procédurale est variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas (arrêt Baker, précité, page 837; voir également l’arrêt Knight, précité, aux pages 682 et 683).

[57]           La demanderesse affirme que l’analyse en deux étapes proposée dans la décision Hernandez, précitée, dans le cas des paragraphes 44(1) et (2), devrait également s’appliquer aux paragraphes 108(1) et 108(2) de la LIPR pour préciser l’étendue du pouvoir discrétionnaire et de l’obligation d’équité exigée.

[58]           Le défendeur affirme que, même s’il existe une obligation en matière d’équité procédurale, il n’est pas nécessaire d’envoyer un avis à l’intéressé ou de lui donner la possibilité de faire valoir son point de vue avant d’entamer le processus du tribunal administratif, dès lors qu’il existe des protections procédurales à l’étape de l’examen du tribunal administratif (décision Hyundai, précitée). Je tiens à signaler que la décision Hyundai est antérieure à l’arrêt Baker. Quoi qu’il en soit, il a été jugé dans cette décision que l’opportunité d’ouvrir ou non une enquête constituait une décision préliminaire du ministre adjoint et une mesure administrative à l’égard de laquelle il lui était loisible de fixer sa propre procédure, sous réserve des exigences de la Loi. Par conséquent, aucune décision n’était rendue à cette étape au sujet des droits ou des intérêts des demandeurs.

[59]           Dans le cas qui nous occupe, on a déjà décidé d’obtenir des renseignements et, sur la foi de ces renseignements, de présenter une demande de constat de perte de l’asile. Par conséquent, j’estime, comme je l’ai déjà signalé, que les droits de la demanderesse sont visés sans toutefois avoir été jusqu’ici tranchés. Il s’agit donc toujours d’une analyse préliminaire.

[60]           Dans son affidavit, M. Smith déclare que les demandes visées au paragraphe 108(2) sont traitées conformément à la procédure habituelle du tribunal en fonction des protections procédurales prévues par la LIPR et les règles de la SPR :

[traduction

[…]

d.      Conformément aux Règles de la Section de la protection des réfugiés, l’intéressé est avisé qu’une demande a été soumise à la SPR en application du paragraphe 108(2) de la LIPR.

e.       L’intéressé est avisé des éléments de preuve et des faits qui ont été soumis à la SPR dans la demande et il peut soumettre à la SPR des éléments de preuve et des faits en réponse.

f.       Comme il a déjà été expliqué, l’agent d’audience de l’ASFC représente le ministre dans le cas des demandes présentées en vertu du paragraphe 108(2). L’intéressé a le droit d’être représenté par un avocat.

g.      La SPR tient une audience au sujet de l’application du paragraphe 108(2). L’audience a lieu conformément aux Règles de la Section de la protection des réfugiés.

h.      Les parties ont l’occasion de faire valoir leur point de vue au sujet de la preuve et des faits soumis à la SPR quant à la question de savoir si, vu l’ensemble de la preuve et les faits présentés, les critères permettant de constater la perte de l’asile qui sont énoncés au paragraphe 108(1) de la LIPR ont été respectés.

(Affidavit de M. Smith, paragraphe 19)

[…]

[…] Sous le régime de la LIPR, les commissaires de la SPR disposent des mêmes pouvoirs que les commissaires désignés en vertu de la Loi sur les enquêtes et ils peuvent prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la tenue d’une audience en bonne et due forme dans le cadre d’une demande présentée en vertu du paragraphe 108(2). De plus, à l’audience, l’intéressé a le droit de se faire entendre et de présenter des éléments de preuve et des arguments devant un décideur impartial.

(Affidavit de M. Smith), paragraphe 24)

[61]           Le défendeur affirme que cette procédure a été suivie en l’espèce et qu’elle assure à la demanderesse [traduction] « des protections procédurales solides, notamment une communication complète de la preuve, la tenue d’une audience devant un tribunal impartial et la possibilité de présenter des éléments de preuve et de faire valoir son point de vue en réponse avant qu’une décision ne soit prise au sujet de son statut au Canada ».

[62]           Le défendeur cite également les arrêts Kindler et Mohammed, précités, à l’appui de son argument que la décision qui a été rendue en l’espèce était une décision préliminaire et que la teneur de l’équité procédurale était conforme à ce type de procédure. Dans l’affaire Kindler, qui portait sur la décision prise par le ministre adjoint en vertu du paragraphe 27(3) de la Loi sur l’immigration de 1976 d’ordonner la tenue d’une enquête au sujet d’un agent d’immigration supérieur, la Cour a jugé que le ministre se prononçait uniquement sur l’opportunité de tenir une enquête s’il disposait d’éléments de preuve prima facie à cet effet. Dans l’arrêt Mohammed, la Cour a suivi l’arrêt Kindler et a conclu que, compte tenu du libellé clair de la Loi, l’agent d’immigration n’avait pas l’obligation, avant d’établir le rapport prévu au paragraphe 27(1), d’accorder à l’intéressé la possibilité de répondre aux allégations contenues dans ce rapport, étant donné qu’il ne s’agissait que de la première étape du processus d’enquête.

[63]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’une méthode similaire a été suivie dans l’affaire Baker au sujet de la teneur de l’équité procédurale.

[64]           Dans l’affaire Baker, invoquant des raisons d’ordre humanitaire, la demanderesse réclamait d’être dispensée, en vertu du paragraphe 114(2), de l’obligation de présenter sa demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada. La procédure en cause consistait en la présentation d’une demande écrite avec documents à l’appui qui était résumée par un agent d’immigration subalterne qui formulait une recommandation. Ces renseignements étaient ensuite examinés par un agent supérieur, qui était chargé de se prononcer sur les raisons d’ordre humanitaire.

[65]           La Cour suprême a énoncé un certain nombre de facteurs à prendre en compte pour déterminer le degré d’équité procédurale dont il fallait faire preuve : la nature de la décision recherchée; le régime législatif; l’importance de la décision pour la personne visée; les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; enfin, le choix de procédure que le décideur administratif a fait pour parvenir à la décision. La liste n’est pas exhaustive.

[66]           La Cour suprême a conclu qu’en raison de la nature souple de l’obligation d’équité, une participation valable peut se faire de différentes façons dans des situations différentes. De plus, la tenue d’une audience n’était pas une exigence générale pour les décisions relatives à des considérations d’ordre humanitaire et il n’était pas indispensable qu’il y ait une entrevue pour exposer à un agent d’immigration les renseignements pertinents relatifs à la demande. Dans cette affaire, le demandeur avait soumis les renseignements pertinents au décideur par l’intermédiaire de son avocat. La Cour a estimé que la possibilité qui avait été offerte à la demanderesse de produire une documentation écrite complète relativement à tous les aspects de sa demande remplissait les exigences en matière de droits de participation que commandait l’obligation d’équité. Le fait qu’il n’y avait pas eu d’audience ou d’avis d’audience ne constituait pas un manquement à l’obligation d’équité procédurale à laquelle la demanderesse avait droit dans les circonstances.

[67]           La Cour suprême a souligné que :

[…] l’idée sous‑jacente à tous ces facteurs est que les droits de participation faisant partie de l’obligation d’équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leur[s] points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur. (page 837)

[68]           Le point de départ pour appliquer les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker aux circonstances de la présente affaire est l’examen de la nature de la décision. Plus le processus administratif se rapproche du processus judiciaire, plus la protection procédurale est susceptible d’être élevée. Dans le cas qui nous occupe, la demanderesse a reconnu que la décision de présenter une demande de constat de perte de l’asile ne constituait pas une décision définitive quant à sa perte de l’asile ou à son expulsion, étant donné que cette décision doit être prise par la SPR lors d’une audience ultérieure. Elle affirme toutefois que, comme la SPR n’a aucun pouvoir discrétionnaire pour tenir compte de circonstances atténuantes et que les conséquences risquent d’être dramatiques, on devrait considérer la décision de l’agente d’audience comme une décision définitive commandant une obligation d’équité procédurale plus élevée.

[69]           Je ne suis pas d’accord avec cet argument. La décision de l’agente d’audience n’est pas une décision quasi judiciaire. Il s’agit d’une décision préliminaire fondée sur la conviction raisonnable que les faits indiquent que l’un ou plusieurs des critères énoncés au paragraphe 108(1) ont été respectés. Cette décision ne tranche pas le statut de réfugié de la demanderesse. Et, comme je l’ai déjà expliqué et comme j’y reviendrai plus loin, il est clair que le contexte légal dans lequel la décision définitive de la SPR sera rendue comprendra les facteurs pertinents dont on doit tenir compte ainsi que les conséquences de la perte de l’asile. Bien que dans de nombreux cas, l’issue finale, en l’occurrence la perte du statut de résident permanent et le renvoi, puisse s’ensuivre, je ne suis pas d’accord avec la demanderesse pour dire que cette issue est inévitable. La SPR doit se demander si le rétablissement était volontaire, intentionnel et effectif pour prendre sa décision (Nsende c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 531 aux paragraphes 13 à 19; Cabrera Cadena c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 67 aux paragraphes 19 et 20). De plus, dans les situations dans lesquelles la décision risque de nuire à l’intérêt supérieur d’un enfant et dans lesquelles on doit tenir compte de ce facteur (alinéa 25(1.21)b)), il se peut que les raisons d’ordre humanitaire l’emportent.

[70]           L’arrêt Baker décrit ce facteur ainsi que les modalités de la Loi en vertu desquels l’organisme administratif exerce ces fonctions :

[…] Le rôle que joue la décision particulière au sein du régime législatif, et d’autres indications qui s’y rapportent dans la loi aident à définir la nature de l’obligation d’équité dans le cadre d’une décision administrative précise. Par exemple, des protections procédurales plus importantes seront exigées lorsque la loi ne prévoit aucune procédure d’appel, ou lorsque la décision est déterminante quant à la question en litige et qu’il n’est plus possible de présenter d’autres demandes [...] (page 838)

[71]           Comme nous l’avons déjà expliqué, il est possible d’obtenir une audience en bonne et due forme devant la SPR ainsi que le contrôle judiciaire de la décision de la SPR. Dans ces conditions, le degré d’équité procédurale exigé dans le cas de la décision de l’agente d’audience se situe à l’extrémité inférieure du continuum. La demanderesse affirme que la décision de l’agente d’audience de présenter une demande de constat de perte de l’asile tranche le plus souvent la question de savoir si l’intéressée fera l’objet d’une mesure de renvoi. Quoi qu’il en soit, la décision de présenter une demande de constat de perte de l’asile n’est rien de plus que cela. La SPR peut conclure ou non à la perte de l’asile et une mesure de renvoi peut par la suite être prise. Mais il s’agit là d’étapes ou de décisions distinctes du processus.

[72]           Quant au troisième facteur de l’arrêt Baker, soit celui selon lequel plus la décision est importante pour la vie des personnes visées et plus ses répercussions sont grandes pour ces personnes, plus les protections procédurales requises sont rigoureuses, j’estime que, bien que la décision de présenter une demande de constat de perte de l’asile soit importante, étant donné qu’elle constitue la première étape d’un processus procédural susceptible de toucher de façon importante la demanderesse, il ne s’agit pas d’une décision qui la dépouille de son statut de résidente permanente ou qui emporte son interdiction de territoire. Par conséquent, cette décision ne justifie pas un degré plus élevé d’équité procédurale.

[73]           Suivant le quatrième facteur énoncé dans l’arrêt Baker, la reconnaissance qu’une attente légitime existe aura une incidence sur la nature de l’obligation d’équité envers la personne visée par la décision. Ainsi, si le demandeur s’attend légitimement à ce qu’une certaine procédure soit suivie, l’obligation d’équité exigera que cette procédure soit suivie :

[…] Néanmoins, la doctrine de l’attente légitime ne peut pas donner naissance à des droits matériels en dehors du domaine de la procédure. Cette doctrine, appliquée au Canada, est fondée sur le principe que les « circonstances » touchant l’équité procédurale comprennent les promesses ou pratiques habituelles des décideurs administratifs, et qu’il serait généralement injuste de leur part d’agir en contravention d’assurances données en matière de procédures, ou de revenir sur des promesses matérielles sans accorder de droits procéduraux importants. (paragraphe 26)

[74]           La demanderesse affirme que la procédure prévue à l’ENF‑24 relève de ce facteur. Dans l’affaire Hernandez, précitée, le guide auquel on renvoyait la Cour prévoyait expressément que l’on devait accorder aux intéressés la possibilité de soumettre des renseignements par écrit ou dans le cadre d’une entrevue avec un avocat. Ainsi, comme la demanderesse l’affirme, il est « logiquement impératif » qu’on lui accorde la possibilité de faire valoir son point de vue. Toutefois, la demanderesse a reconnu que l’ENF‑24 ne renferme pas de disposition semblable concernant la présentation d’arguments et qu’il ne prévoit pas non plus l’obligation de l’aviser de l’intention de présenter une demande de constat de perte de l’asile. Compte tenu de ce fait, et à défaut d’éléments de preuve permettant de penser qu’on se soit écarté en l’espèce de l’usage habituel ou que l’on ait présenté des observations qui justifieraient l’attente légitime que l’on devait aviser la demanderesse et lui accorder la possibilité de faire valoir son point de vue, j’estime que ce facteur indique que la présente situation se situe à l’extrémité inférieure du continuum en ce qui concerne les exigences en matière d’équité procédurale.

[75]           Quant au cinquième facteur énoncé dans l’arrêt Baker, à savoir les choix de procédure, il exige que les choix de procédure soient faits par l’organisme lui‑même, particulièrement quand la loi laisse au décideur la possibilité de choisir ses propres procédures, ou quand l’organisme a une expertise dans le choix des procédures appropriées dans les circonstances.

[76]           Dans le cas qui nous occupe, les mêmes circonstances que celles invoquées relativement au quatrième facteur de l’arrêt Baker et dans l’ENF‑24 entrent également en jeu. La demanderesse affirme que la procédure prévue par l’ENF‑24 ne prévoyait pas la possibilité que des demandes de constat de perte de l’asile soient présentées contre des résidents permanents. Cela est peut‑être vrai, étant donné que l’ENF‑24 n’a pas été mis à jour depuis les modifications récentes apportées à la LIPR et que l’ENF‑24 prévoit que, dans le cas d’un résident permanent, il n’est pas nécessaire de présenter une demande de constat de perte de l’asile. Toutefois, même si tel était le cas, il ne s’agit que d’un seul facteur et ce facteur n’est pas déterminant en soi.

[77]           En résumé, dans le cas qui nous occupe, la seule décision qui a été prise est celle de présenter une demande de constat de perte de l’asile. La plupart des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker favorisent une obligation d’équité procédurale plus souple. Compte tenu du fait que, dans l’affaire Baker, l’obligation d’équité procédurale se situait dans le contexte d’une décision fondée sur des raisons d’ordre humanitaire qui comportaient la prise d’une décision définitive et non simplement une recommandation, et compte tenu du fait qu’aucun préavis ou entrevue n’était exigé dans cette affaire, je ne puis conclure que les protections procédurales en question seraient exigées en l’espèce, et ce, notamment parce que la demanderesse se verra accorder une audience en bonne et due forme ainsi que la possibilité de faire valoir son point de vue lors de l’audience de la SPR, audience dont l’issue n’est pas inévitable.

[78]           Cela dit, il me semble qu’il serait prudent de la part des agents de l’ASFC d’aviser les intéressés que leurs questions visent à étayer une éventuelle demande de constat de perte de l’asile. En procédant ainsi, on permettrait à l’intéressé de répondre verbalement sur‑le‑champ et de communiquer tout renseignement pertinent. Ces renseignements pourraient éventuellement avoir pour effet d’amener l’agent d’audience à conclure qu’il n’y a pas de fondement factuel lui permettant de croire que l’un des critères énoncés au paragraphe 108 (1) a été respecté et à décider, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, de ne pas présenter de demande de constat de perte de l’asile. On pourrait ainsi à la fois épargner les ressources judiciaires et éviter des soucis inutiles aux intéressés.

[79]           Ainsi, bien que l’agente d’audience soit astreinte à une obligation d’agir avec équité, la teneur de cette obligation n’exigeait pas qu’elle donne un avis à la demanderesse ou qu’elle lui accorde la possibilité de faire valoir son point de vue avant de décider de présenter une demande de constat de perte de l’asile. Il n’y a donc pas eu manquement à l’équité procédurale à cet égard.

Question 2 : L’agent d’audience a‑t‑il le pouvoir discrétionnaire de tenir compte de raisons d’ordre humanitaire avant de présenter une demande de constat de perte de l’asile?

[80]           On trouve au tableau 5 de l’ENF‑24 une liste des facteurs dont on doit tenir compte pour une demande d’asile (article 108). On y mentionne l’existence d’une analyse en deux étapes :

 

• La personne est‑elle un résident permanent?

 

• Y a‑t‑il un motif d’interdiction de territoire qui pourrait justifier

la prise d’une mesure de renvoi ?

 

Si la réponse à la première question est «oui », il n’y a pas lieu de poursuivre la demande de perte de l’asile. Si la réponse est « non », évaluer les facteurs supplémentaires plus bas.

 

Si la réponse à la deuxième question est « oui », il y a probablement lieu de poursuivre la demande de perte d’asile. Il faut évaluer les facteurs suivants :

• Le laps de temps depuis l’arrivée au Canada et depuis que l’asile a été conféré;

• La présence de conjoint ou d’enfants qui bénéficient d’un statut au Canada;

• La fréquence et la durée des voyages au pays de nationalité;

• La preuve d’établissement dans le pays de nationalité

(p. ex. : travail, école, propriétés, famille);

• La présence de facteurs atténuants (ex: maladie d’un membre de la famille);

• La nature et la fréquence des contacts avec les autorités du pays de nationalité;

[81]           La demanderesse affirme que, comme elle est une résidente permanente, il n’était pas nécessaire, aux termes de l’ENF‑24, que l’ASFC ou l’agente d’audience poursuive son analyse plus loin que la première question, ajoutant qu’il ne lui était d’ailleurs pas loisible de le faire.

[82]           On se souviendra que l’ENF‑24 a été révisé pour la dernière fois avant que la LMRER et la LPSIC ne viennent modifier les articles 40 et 46(1) de la LIPR. Dans son affidavit, Aaron Smith explique qu’il n’appartient pas à l’ASFC en général ou à l’agent d’audience en particulier de refuser de présenter une demande de constat de perte de l’asile à la SPR malgré l’existence d’éléments de preuve priva facie et de faits démontrant que les critères énoncés au paragraphe 108(1) de la LIPR ont été respectés [traduction] « en raison de présumés facteurs compensatoires n’ayant aucun rapport avec les critères prévus au paragraphe 108(1), tels que, par exemple, des considérations générales “d’ordre humanitaire” ».

[83]           Interrogé au sujet de son affidavit, M. Smith a confirmé que l’ENF‑24 constituait toujours des lignes directrices valides et se trouvait toujours sur le site Web de l’ASFC. De plus, avant les modifications apportées à la LIPR, le résident permanent ayant fait l’objet d’une perte de l’asile ne devenait pas interdit de territoire et ne pouvait donc pas faire l’objet d’une mesure de renvoi. À mon avis, on peut raisonnablement conclure que c’est la raison pour laquelle l’ENF‑24 précisait qu’il n’était pas nécessaire de présenter une demande de constat de perte de l’asile si une personne était un résident permanent. Quant au pouvoir discrétionnaire, M. Smith a soutenu que l’agent d’audience n’avait pas de pouvoir discrétionnaire dès lors qu’une preuve prima facie avait été établie.

[84]           L’ENF‑24 précise que, s’il existe un motif d’interdiction de territoire qui rendrait possible l’obtention d’une mesure de renvoi, il y a probablement lieu de présenter une demande de constat de perte de l’asile. En tout état de cause, les facteurs énumérés doivent être évalués, ce qui implique l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire qui, à mon avis, se limite toutefois à l’évaluation des facteurs énumérés en vue d’établir si les faits donnent lieu à la conviction raisonnable que l’un ou l’autre des critères énoncés au paragraphe 108(1) a été respecté. Le pouvoir discrétionnaire prévu à l’ENF‑24 ne va pas plus loin.

[85]           Quant aux facteurs énumérés, M. Smith explique que la période de temps écoulée depuis l’arrivée du demandeur d’asile au Canada et depuis que l’asile lui a été octroyé sont des facteurs pertinents pour décider s’il y a lieu de présenter une demande de constat de perte de l’asile. Si, par exemple, une personne vient d’obtenir le statut de personne protégée et retourne peu de temps après dans le pays dont elle a la nationalité, ce facteur serait pertinent, étant donné qu’il est susceptible de démontrer que cette personne n’avait plus besoin de la protection du Canada. En revanche, lorsque l’individu se trouve au Canada depuis de nombreuses années et bénéficie toujours de la protection pour ensuite retourner dans le pays de sa nationalité, le temps qu’il a passé au Canada pourrait également constituer un facteur pertinent pour décider s’il y a lieu de présenter ou non une demande de constat de perte de l’asile.

[86]           En ce qui concerne la présence d’un conjoint ou d’enfants bénéficiant d’un statut au Canada, M. Smith a expliqué que ce facteur était pertinent pour décider s’il existait des preuves prima facie permettant de constater la perte de l’asile. Si, par exemple, une famille ou certains de ses membres sont retournés dans leur pays d’origine pour une période prolongée, on tient compte de ce facteur. De même, si un conjoint ou un membre de la famille possédant un statut demeure au Canada, ce facteur permettrait de déterminer si l’individu en question est retourné s’établir ou non dans son pays d’origine.

[87]           En résumé, suivant l’interprétation que M. Smith en fait, la LIPR et l’ENF‑24 prévoient que, si elle est mise au courant de renseignements donnant à penser que l’asile n’est plus nécessaire, l’ASFC a l’obligation d’examiner ces renseignements et de faire toute autre recherche qu’elle juge alors nécessaire et appropriée et d’évaluer ce facteur à la lumière des autres facteurs énumérés à l’ENF‑24 pour déterminer s’il existe des éléments de preuve démontrant à première vue qu’un des motifs de perte de l’asile prévus au paragraphe 108(1) existe. Dans l’affirmative, l’agent d’audience a l’obligation de présenter une demande de constat de perte de l’asile. Le seul pouvoir discrétionnaire dont dispose l’agent d’audience porte sur la nature des renseignements à recueillir à cette étape pour procéder à cet examen et pour évaluer les renseignements en question en se fondant sur les facteurs énumérés à l’ENF‑24. Cette interprétation n’est pas déraisonnable et elle est conforme au rôle de constatation des faits expliqué dans l’arrêt Cha, précité.

[88]           Cela signifie vraisemblablement que, par exemple, si un résident permanent est établi au Canada depuis de nombreuses années et que la situation dans son pays d’origine a changé dans l’intervalle au point où il n’y court plus aucun danger et qu’il y retourne ensuite pour des vacances de trois semaines pour rendre visite à sa famille, l’examen de ses renseignements et des facteurs énumérés à l’ENF‑24 pourrait se solder par la décision discrétionnaire suivant laquelle une demande de constat de perte de l’asile n’est pas justifiée, et ce, parce qu’il n’existe pas de motifs raisonnables de croire que les critères énumérés au paragraphe 108(1) ont été respectés.

[89]           La demanderesse invoque la décision Hernandez, précitée, pour soutenir que le pouvoir de l’agent d’audience devrait être interprété de façon plus large.

[90]           Dans l’affaire Hernandez, précitée, le demandeur d’asile était un résident permanent qui avait été reconnu coupable de trafic de cocaïne. Alors qu’il était incarcéré, il avait été interrogé par un agent d’immigration qui avait établi, en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR, un rapport selon lequel il était interdit de territoire pour grande criminalité. Le ministre avait renvoyé le rapport à la Section de l’immigration de la CISR pour enquête, et une mesure d’expulsion avait par la suite été prise. Lors du contrôle judiciaire, le rapport, le renvoi et la mesure d’expulsion avaient été annulés. La juge Snider a conclu que le pouvoir discrétionnaire conféré à l’agent d’immigration en vertu du paragraphe 44(1) pour se prononcer sur l’opportunité d’établir ou non un rapport, ainsi que le pouvoir discrétionnaire permettant au ministre, en vertu du paragraphe 44(2), de renvoyer ou non le rapport pour enquête étaient suffisamment larges pour que l’on tienne compte d’autres facteurs que la seule déclaration de culpabilité.

[91]           La juge Snider a fait observer que l’article 36 ne prévoyait aucun pouvoir discrétionnaire, étant donné qu’une déclaration de culpabilité se soldait toujours par une interdiction de territoire pour grande criminalité. Toutefois, le paragraphe 44(1) conférait un pouvoir discrétionnaire résiduel à l’agent d’immigration en prévoyant qu’il « peut établir un rapport circonstancié ». La juge Snider a conclu que CIC avait toujours été d’avis que les paragraphes 44(1) et 44(2) permettaient à l’agent et au délégué du ministre d’exercer leur pouvoir discrétionnaire de façon très large et de tenir compte d’autres facteurs que la déclaration de culpabilité.

[92]           À mon avis, il convient d’établir une distinction entre les faits de l’affaire Hernandez et ceux de la présente espèce, et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, l’affaire Hernandez portait, non pas sur l’article 108, mais sur l’article 44 de la LIPR. Dans le cas qui nous occupe, le paragraphe 108(1) énonce clairement les circonstances donnant lieu à la perte du droit d’asile. Ces circonstances font écho à la section 1C de la Convention et ne prévoient pas de considérations discrétionnaires ou de raisons d’ordre humanitaire. Deuxièmement, le libellé de l’article 44 indique l’existence d’un pouvoir discrétionnaire, étant donné qu’il précise que l’agent « peut » préparer un rapport et que le ministre « peut » le renvoyer pour enquête. On ne trouve pas de libellé discrétionnaire semblable à l’article 108 ou à l’ENF‑24 (décision Nagalingam, précitée, au paragraphe 28). De plus, dans l’affaire Hernandez, la Cour disposait d’éléments de preuve démontrant clairement que CIC estimait toujours, même après la modification de cette Loi, que les paragraphes 44(1) et 44(2) conféraient un vaste pouvoir discrétionnaire et permettaient de tenir compte d’autres facteurs que la déclaration de culpabilité. On ne trouve pas, dans le cas qui nous occupe, d’éléments de preuve équivalents pour ce qui est de l’article 108.

[93]           À mon avis, dès lors qu’elle était convaincue que la preuve démontrait prima facie que l’un des critères énumérés aux alinéas 108(1)a) à d) avait été respecté sur la foi des renseignements dont elle disposait, l’agente d’audience n’avait d’autre choix que de présenter une demande de constat de perte de l’asile. De plus, les facteurs énumérés à l’ENF‑24 se rapportent tous à des renseignements qui permettraient une telle appréciation. Ils ne renferment pas de facteurs étrangers et rien ne permet de penser que, par le passé, l’ASFC avait l’habitude de tenir compte d’autres facteurs que ceux énumérés à l’ENF‑24, tels que des raisons d’ordre humanitaire.

[94]           Dans l’affaire Nagalingam, précitée, le juge Boivin était également appelé à examiner l’article 44 de la LIPR. Dans cette affaire, la question en litige était celle de savoir si l’agent avait commis une erreur de droit ou manqué à son obligation d’équité procédurale en ne tenant pas compte de raisons d’ordre humanitaire ou en n’accordant pas au demandeur la possibilité de faire valoir son point de vue avant l’établissent du rapport et la directive prévoyant la tenue d’une enquête.

[95]           Le juge Boivin a pris acte de la décision Hernandez, précitée, mais a conclu que les autres précédents qu’il avait examinés appuyaient la position que les agents d’immigration et les représentants du ministre n’avaient guère la possibilité de prendre en compte des facteurs autres que les faits à l’origine de l’interdiction de territoire. Le juge Boivin s’est fondé sur l’arrêt Cha, précité, dans lequel le juge Décary de la Cour d’appel fédérale avait déclaré ce qui suit :

[37]      Je ne peux concevoir que le législateur ait mis autant de soins pour préciser, aux articles 36 et 44 de la Loi, de manière objective, les cas où les auteurs de certaines infractions bien définies commises au Canada doivent être renvoyés du pays, pour ensuite offrir la possibilité à un agent d’immigration ou à un représentant du ministre de permettre à ces personnes de rester au Canada pour des motifs autres que ceux prévus par la Loi ou le Règlement. Il n’appartient pas à l’agent d’immigration, lorsqu’il décide d’établir ou non un rapport d’interdiction de territoire pour des motifs visés par l’alinéa 36(2)a), ou au représentant du ministre lorsqu’il y donne suite, de se pencher sur des questions visées par les articles 25 (motif d’ordre humanitaire) et 112 (examen des risques avant renvoi) de la Loi [...]

[96]           Le juge Boivin a conclu que la jurisprudence favorisait une approche plus restrictive en ce qui concerne la liberté d’un agent d’immigration ou d’un délégué du ministre de prendre en compte des circonstances atténuantes ou des considérations humanitaires à l’étape de l’article 44. De plus, l’obligation d’équité ne forçait pas l’agent à recevoir des observations avant d’établir un rapport en vertu de l’article 44 et l’agent ne devait ou même ne pouvait tenir compte de raisons d’ordre humanitaire. Par conséquent, il n’y avait pas eu manquement à l’équité procédurale.

[97]           Il convient par ailleurs de signaler que, dans l’arrêt Cha, précité, la Cour d’appel fédérale a pris soin de signaler que l’affaire dont elle était saisie concernait des ressortissants étrangers et non des résidents permanents. La Cour a également fait observer qu’en raison de la présence du terme « peut », on pouvait conclure que le paragraphe 44(2) permettait au délégué du ministre d’exercer ou non le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par ce texte de prendre une mesure de renvoi. De plus, la Cour a fait observer que l’immigration était un privilège et non un droit et que les non‑citoyens ne disposaient pas du droit absolu d’entrer au pays ou d’y demeurer. Le législateur fédéral a le droit d’adopter des textes légaux prévoyant les conditions en vertu desquelles les non‑citoyens pourront entrer et demeurer au Canada. Par conséquent, la LIPR et son règlement d’application traitent les citoyens différemment des résidents permanents, qui eux‑mêmes sont traités différemment des réfugiés au sens de la Convention, qui eux‑mêmes sont également traités différemment des autres étrangers. La LIPR n’accorde aux étrangers qui sont des résidents temporaires que peu de mesures de protection sur le plan de la forme ou du fond.

[98]           À mon avis, la distinction entre les résidents permanents et les autres catégories de non‑citoyens tire peu à conséquence dans le cas qui nous occupe. Bien que la demanderesse soit une résidente permanente, l’application de l’analyse précitée de l’arrêt Baker fait en sorte que l’équité procédurale à laquelle elle a droit en l’espèce se situe à l’extrémité inférieure du continuum. De plus, la jurisprudence, y compris les décisions portant sur des résidents permanents, a tendance de façon générale à conclure que le pouvoir discrétionnaire est plus étroit que celui qui était prévu dans l’affaire Hernandez, précitée (voir également AMM c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CF 809 aux paragraphes 25 à 31, [2010] 2 RCF 291 aux paragraphes 25 à 31).

[99]           De plus – et cela est plus important – la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit dans l’arrêt Cha, précité :

[35]      Je conclus que le libellé des articles 36 et 44 de la Loi et des dispositions applicables du Règlement n’accorde aucune latitude aux agents d’immigration et aux représentants du ministre lorsqu’ils tirent des conclusions quant à l’interdiction de territoire en vertu des paragraphes 44(1) et (2) de la Loi à l’égard de personnes déclarées coupables d’infractions de grande ou de simple criminalité, sauf pour ce qui est des exceptions prévues explicitement par la Loi et le Règlement. La mission des agents d’immigration et des représentants du ministre ne consiste qu’à rechercher les faits, rien de plus, rien de moins. La situation particulière de l’intéressé, l’infraction, la déclaration de culpabilité et la peine échappent à leur examen. Lorsqu’ils estiment qu’une personne est interdite de territoire pour grande ou simple criminalité, ils ont respectivement l’obligation d’établir un rapport et d’y donner suite.

[100]       Quant à l’emploi du mot « peut », il a été jugé qu’il ne donnait pas lieu à un pouvoir discrétionnaire dans cette affaire.

[101]       Bien que la LIPR n’assortisse la présentation de la demande prévue au paragraphe 108(2) à aucune exigence particulière, compte tenu de l’ENF‑24, des alinéas 108(1)a) à d) et des dispositions de la Convention relatives à la cessation du statut et de leur interprétation, on peut raisonnablement conclure que le législateur fédéral voulait que ce pouvoir discrétionnaire soit exercé de façon raisonnable dans ce contexte. Suivant la demanderesse, les facteurs dont il y a lieu de tenir compte, y compris les raisons d’ordre humanitaire, débordent largement ce cadre et constituent une tentative d’englober des questions qui n’ont rien à voir avec celle de savoir s’il devrait y avoir perte de l’asile pour l’un des motifs énumérés au paragraphe 108(1). À mon avis, si le législateur fédéral avait eu l’intention d’imposer l’obligation de tenir compte de ces facteurs, il l’aurait dit expressément. De plus, si tel était le cas, il s’ensuivrait que le Canada continuerait à protéger des personnes en leur reconnaissant la qualité de réfugiés pour des raisons qui n’ont rien à voir avec leur statut effectif de réfugié.

[102]       Pour terminer, j’ai examiné des extraits des débats parlementaires soumis par la demanderesse à l’appui de ses arguments, mais je ne les ai pas trouvés convaincants. Ils portaient sur les modifications alors proposées à la LIPR par le projet de loi C‑31. On y trouve notamment la réponse donnée le 6 mars 2012 par le ministre après qu’il a été informé qu’il avait 30 secondes pour répondre et qu’il a abordé le cas précis d’un réfugié qui avait obtenu le statut de résident permanent pour ensuite rentrer immédiatement dans son pays d’origine. Le ministre avait alors répondu que, selon le projet de loi C‑31, une demande de constat de perte de l’asile pouvait être jointe à une demande de révocation de la résidence permanente dans les cas où un réfugié aurait obtenu le statut de résident permanent pour ensuite retourner immédiatement dans son pays d’origine. Il a poursuivi en expliquant que, si une personne avait obtenu frauduleusement le statut de personne protégée, il existait maintenant un processus simplifié permettant de révoquer à la fois sa qualité de personne à protéger et sa résidence permanente. Il ne s’ensuit pas pour autant selon moi que la fraude est la seule circonstance dans laquelle les modifications s’appliqueront.

[103]       Dans l’extrait des débats du 17 mai 2012, le ministre expliquait qu’aux termes de l’article 19 du projet de loi C‑31 (maintenant l’alinéa 46(1)c.1)), la décision entraînant la perte de l’asile emportait perte du statut de résident permanent. Cette disposition avait été modifiée de manière à ce que la perte de statut attribuable à un changement survenu dans la situation au pays d’origine n’emporte pas automatiquement perte de la résidence permanente. Le statut de résident permanent n’est perdu de façon automatique que lorsque la décision constatant la perte de l’asile que rend la CISR est le résultat des actions de l’intéressé lui‑même, notamment lorsqu’il retourne volontairement vivre dans son pays d’origine peu de temps après s’être vu reconnaître la qualité de personne à protéger.

[104]       Je ne crois pas que ces deux extraits appuient l’opinion de la demanderesse que le législateur entendait clairement que les demandes de constat de perte de l’asile ne soient présentées que dans une seule circonstance et que les agents d’audience ne puissent par conséquent pas vérifier l’existence d’un fondement formel à la demande permettant de présenter la demande de constat de perte de l’asile, mais doivent plutôt chercher à savoir si le fait de se réclamer de nouveau de la protection du pays d’origine constitue une raison convaincante de croire que la plainte initiale était frauduleuse.

[105]       De plus, bien que le recours à l’historique législatif pour déterminer l’intention du législateur soit une méthode tout à fait appropriée (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27 au paragraphe 31), le premier principe fondamental en matière d’interprétation législative exige que l’on examine le libellé explicite de la disposition. Ce n’est qu’en cas d’ambiguïté qu’il peut être nécessaire d’avoir recours à des facteurs externes pour la dissiper (R c DAI, 2012 CSC 5, [2012] RCS 149 au paragraphe 26).

[106]       Pour conclure, le pouvoir discrétionnaire de l’agente d’audience se bornait à vérifier si les facteurs énumérés à l’ENF‑24 et les renseignements recueillis permettaient raisonnablement de penser, d’après les faits, que l’un des critères permettant de constater la perte de l’asile énumérés aux alinéas 108(1)a) à d) avait été respecté. Dans l’affirmative, l’agente d’audience avait l’obligation de présenter une demande de constat de perte de l’asile. Elle n’avait pas le pouvoir discrétionnaire d’examiner d’autres facteurs que ceux prévus aux alinéas 108(1)a) à d), et elle ne pouvait notamment tenir compte de raisons d’ordre humanitaire, lesquelles sont expressément visées à l’article 25 et plus particulièrement, dans le cas qui nous occupe, au paragraphe 25(1.21). Par conséquent, l’agente d’audience n’a pas manqué à son obligation d’équité en ne tenant pas compte de raisons d’ordre humanitaire.

Question 3 : L’avis de question constitutionnelle devrait‑il être annulé?

[107]       L’avis de constitution constitutionnelle, qui a été déposé le 16 avril 2014, précise que la demanderesse a l’intention de remettre en question la constitutionnalité, l’applicabilité et l’effet du paragraphe 108(1), de l’alinéa 46(1)c.1) et de l’article 40.1 de la LIPR. La demanderesse affirme que, dans le cadre de la présente instance, le défendeur a adopté le point de vue selon lequel le ministre, l’agente d’audience et la SPR n’ont pas le pouvoir discrétionnaire de tenir compte des répercussions psychologiques déstabilisantes que la perte de la résidence permanente aura sur la demanderesse ou sur d’autres résidents permanents qui risquent de perdre le droit d’asile, ainsi que des effets dévastateurs que cette situation aura sur la fille de la demanderesse ou sur tout enfant directement touché. Si l’interprétation que le défendeur fait de la loi et de l’absence de pouvoir discrétionnaire est juste, les dispositions en question sont par conséquent inconstitutionnelles, et ce, pour ces deux raisons.

[108]       Le défendeur affirme que l’avis de question constitutionnelle devrait être annulé. La SPR n’a pas encore tenu d’audience et il n’y a pas eu encore perte du statut de résident permanent. Le défendeur affirme que l’avis de question constitutionnelle comporte des lacunes parce qu’il ne précise pas clairement en quoi les dispositions législatives contestées sont inapplicables ou inopérantes et qu’aucune réparation précise n’est sollicitée. Les arguments constitutionnels invoqués par la demanderesse soulèvent des questions au sujet de l’interprétation des dispositions et non au sujet de leur constitutionnalité (Doug Kimoto c Canada (Procureur général), 2011 CAF 291 au paragraphe 20 [Kimoto]). De plus, les arguments en question n’ont pas été soulevés dès le début. La demanderesse a attendu jusqu’à ce que l’autorisation soit accordée, que les affidavits soient déposés et que les contre‑interrogatoires aient eu lieu et que le défendeur ait déposé son mémoire complémentaire. Cette façon de procéder est inacceptable et équivaut essentiellement à l’introduction d’une demande entièrement nouvelle par la demanderesse.

[109]       À mon avis, l’argument du défendeur ne saurait être retenu. Dans l’affaire Kimoto, précitée, les avis ont été annulés parce qu’ils ne précisaient pas les dispositions que l’on affirmait inapplicables ou inopérantes, n’énuméraient aucun motif justifiant cette conclusion et ne précisaient pas la réparation sollicitée. Dans le cas qui nous occupe, l’avis mentionne explicitement le paragraphe 108(1), l’alinéa 46(1)c.1) et l’article 40.1. Il expose les faits essentiels donnant lieu au fondement juridique de la question constitutionnelle. Bien que l’avis ne précise pas explicitement la réparation sollicitée, l’article 69 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles) exige seulement que l’avis d’une question constitutionnelle soit rédigé selon la formule 69, qui ne mentionne pas d’article précisant une réparation déterminée. Et, en tout état de cause, la demanderesse affirme que les violations présumées de l’article 7 de la Charte s’appliquent à elle et à sa fille. Par conséquent, on peut raisonnablement en déduire que la demanderesse souhaite soit être soustraite pour des motifs d’ordre constitutionnel à l’application des dispositions en question, soit obtenir une déclaration d’invalidité. Dans le cas qui nous occupe, le manque de précision quant à la réparation demandée ne porte pas un coup fatal à l’avis.

[110]       Il vaut également la peine de signaler que le paragraphe 57(2) des Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, exige seulement que l’avis soit signifié au moins dix jours avant la date à laquelle la question constitutionnelle qui en fait l’objet doit être débattue, sauf ordonnance contraire de la Cour. Dans de nombreux cas, comme le présent, cette signification intervient après l’examen des questions préalables à l’audience. Il ne s’agit pas d’une situation exceptionnelle. Le défendeur n’a pas demandé d’ajournement et aucune requête officielle n’a été présentée en vertu du paragraphe 58(1) des Règles en vue de contester une irrégularité ou l’inobservation d’une disposition.

Question 4 : Le fait que l’agent d’audience ne peut tenir compte de facteurs d’ordre humanitaire dans le cas d’une demande de constat de perte de l’asile constitue‑t‑il une violation de l’article 7 de la Charte?

Thèse de la demanderesse

[111]       À l’appui de son argument constitutionnel, la demanderesse affirme que la Loi déclare que la perte de la résidence permanente est clairement une conséquence inévitable du constat tiré par la SPR en vertu des alinéas 108(1)a) à d). Les effets psychologiques dévastateurs de la perte de la résidence permanente et l’instabilité psychologique en résultant, surtout lorsqu’on applique les dispositions aux questions rétroactivement à des individus établis depuis longtemps au Canada et que l’on y ajoute la perte d’emploi, la fin des études et la menace d’un renvoi imminent du Canada, qui sont toutes des mesures imposées par l’État, constituent une violation de l’article 7 (Blencoe c Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44 aux paragraphes 55 à 57 [Blencoe]).

[112]       La demanderesse affirme également que la perte de statut et de gagne‑pain et l’atteinte à la stabilité psychologique d’une mère monoparentale auraient des conséquences sur sa fille à charge. De plus, la violation de l’article 7 constitue un aspect inévitable de la présumée incapacité de tenir compte de quelque manière que ce soit de l’intérêt supérieur de l’enfant, lequel constitue un aspect essentiel de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (Convention sur les droits de l’enfant) 20 novembre 1989, RT Can 1992, no 3, articles 3(1), 9(3) et 20(1). Les tribunaux canadiens ont fait écho à cette préoccupation en jugeant que le fait de retirer au père ou à la mère la garde de son enfant restreignait le droit du parent à la sécurité de sa personne (Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c G(J), [1999] 3 RCS 46 aux paragraphes 69 à 72 [G(J)]). Dans le cas qui nous occupe, l’agente d’audience possède effectivement le pouvoir discrétionnaire de tenir compte des répercussions de la perte de l’asile sur l’intérêt supérieur de l’enfant et, par conséquent, l’affaire devrait être tranchée en fonction des principes de droit administratif énoncés dans l’arrêt Baker, précité.

[113]       La demanderesse cite l’arrêt Medovarski, précité, et Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Chiarelli, [1992] 1 RCS 711 [Chiarelli], qui portent sur la perte de la résidence permanente pour cause de criminalité. Elle affirme que, non seulement elle n’a pas commis de crime, mais que les agissements qui risquent de lui faire perdre son statut de résidente permanente sont survenus avant l’entrée en vigueur de la LPSIC, qui prévoit cette conséquence. En l’espèce, les dispositions en question s’appliquent rétroactivement et la demanderesse n’a pas violé de façon délibérée une des conditions de sa résidence permanente, ce qui est différent des mécanismes antérieurs qui prévoyaient la perte éventuelle du statut de résident permanent. De plus, cette conséquence n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale.

Thèse du défendeur

[114]       Suivant le défendeur, la demanderesse se méprend sur sa position en ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire, puisqu’il n’affirme pas que le paragraphe 108(2) devrait être interprété comme ne conférant aucun pouvoir discrétionnaire de quelque nature que ce soit et comme exigeant qu’une demande de constat de perte de l’asile soit déposée dans chaque cas. La thèse du défendeur est plutôt que l’agent d’audience n’a pas de pouvoir discrétionnaire pour apprécier des raisons d’ordre humanitaire lorsqu’il s’agit de se prononcer sur l’opportunité de présenter ou non une demande de constat de perte de l’asile.

[115]       Le défendeur affirme par ailleurs que l’article 7 de la Charte ne s’applique pas. Le fait de se demander si la demanderesse est visée par les alinéas 108(1)a) à d) de la LIPR n’emporte pas nécessairement la prise d’une mesure de renvoi même si, ultérieurement, une mesure de renvoi fondée sur la perte du statut de résident permanent devrait être prise en vertu de l’alinéa 46(1)c.1).

[116]       Bien que la conclusion suivant laquelle la demanderesse est une personne visée aux alinéas 108(1)a), b), c) ou d) puisse se traduire par une déclaration d’interdiction de territoire, cette situation ne fait pas, elle non plus, entrer en jeu l’article 7. Ainsi, le simple fait de tenir une audience ne fait pas intervenir de droits consacrés par la Charte (Poshteh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85 au paragraphe 63 [Poshteh]; Nguyen c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 47 (CAF), 18 Imm LR (2d) 165; Barrera c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration),[1992] ACF no 1127 (CA), 99 DLR (4th) 264 [Barrera]; Martin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] ACF no 83 au paragraphe 44 (1re inst) [Martin]). Une déclaration d’interdiction de territoire sous le régime de la LIPR ne constitue pas une étape « déterminante » dans le processus d’expulsion au point de faire intervenir l’article 7 (arrêt Poshteh, précité).

[117]       De plus, même si la demanderesse était effectivement sur le point d’être expulsée, l’expulsion d’un non‑citoyen ne peut à elle seule mettre en jeu les droits garantis par l’article 7 de la Charte (arrêt Medovarski, précité, au paragraphe 46). L’arrêt Medovarski a explicitement écarté l’argument que l’article 7 s’appliquerait parce que, dans cette affaire, le demandeur était un résident de longue date du Canada et qu’il subirait par conséquent une tension psychologique imposée par l’État s’il était renvoyé du Canada (arrêt Medovarski, précité, aux paragraphes 45 à 47). La Cour d’appel fédérale a suivi et appliqué les arrêts Medovarski et Chiarelli dans les cas dans lesquels les intéressés n’avaient aucun antécédent criminel (De Guzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436).

[118]       Le défendeur affirme également que, même si l’article 7 s’appliquait, la demanderesse n’a pas démontré que des principes de justice fondamentale avaient été violés. Malgré l’importance que revêt l’intérêt supérieur de l’enfant, il ne s’agit pas d’un principe de justice fondamentale (Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c Canada (Procureur général), 2004 CSC 4, [2004] 1 RCS 76 aux paragraphes 7 à 12). De plus, ni la Charte ni la Convention sur les droits de l’enfant n’exigent que l’intérêt des enfants touchés soit examiné dans le cadre de chacune des dispositions de la LIPR (arrêt Varga, précité, au paragraphe 13). Ces facteurs n’entrent en ligne de compte que dans le cas des demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire qui sont présentées en vertu de l’article 25. En l’espèce, si la SPR devait faire droit à la demande de constat de perte de l’asile, la demanderesse pourrait présenter une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Lors de l’examen de cette demande, il serait tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. Il est bien établi en droit que la perte de la résidence permanente ne viole pas les principes de justice fondamentale et qu’il n’existe aucun droit consacré à l’article 7 de la Charte à un examen des raisons d’ordre humanitaire avant la prise d’une mesure susceptible d’entraîner la perte du statut de résident permanent (arrêt Medovarski, précité, aux paragraphes 45 à 47).

[119]       Enfin, même dans le contexte du processus de renvoi prévu à l’article 44 sur lequel la demanderesse se fonde dans son argumentation, la Loi ne confère aucun droit d’exiger que l’on tienne compte de raisons d’ordre humanitaire avant la perte de la résidence permanente. Et, même dans les cas dans lesquels les tribunaux ont laissé entendre que le représentant du ministre pouvait avoir le pouvoir discrétionnaire de tenir compte de raisons d’ordre humanitaire pour rendre sa décision en vertu du paragraphe 44(2), les tribunaux ont précisé que le représentant n’avait aucune obligation en ce sens (décision Faci, précitée, au paragraphe 63).

Analyse

[120]       À mon avis, l’article 7 de la Charte ne s’applique pas à cette étape‑ci de l’instance introduite par la demanderesse.

[121]       Il incombe à la demanderesse de démontrer que : i) l’article 7 s’applique, en ce sens qu’il y a atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne : ii) que cette atteinte est contraire aux principes de justice fondamentale (Canada (Procureur général) c Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 RCS 1101 au paragraphe 127 [Bedford]). Pour démontrer que l’article 7 s’applique, il doit exister « un lien de causalité suffisant entre l’[effet] imputable à l’État et le préjudice subi par [la demanderesse] » (arrêt Blencoe, précité; arrêt Bedford, précité, au paragraphe 75).

[122]       Dans l’arrêt Poshteh, précité, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’une première conclusion quant à l’interdiction de territoire ne faisait pas entrer en jeu l’article 7 de la Charte, puisqu’il y a plusieurs étapes à franchir avant l’expulsion :

[62]      Les principes de justice fondamentale dont parle l’article 7 de la Charte ne sont pas des notions autonomes. Ils doivent être considérés uniquement lorsqu’il est d’abord démontré qu’un individu est privé de son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. C’est la privation qui doit être conforme aux principes de justice fondamentale. (Voir par exemple l’arrêt Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, au paragraphe 47.)

[63]      Ici, ce qu’il faut décider, c’est le point de savoir si M. Poshteh est interdit de territoire au Canada en raison de son appartenance à une organisation terroriste. Selon la jurisprudence, une conclusion d’interdiction de territoire ne met pas en cause le droit conféré par l’article 7 de la Charte (voir par exemple l’arrêt Barrera c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 2 C.F. 3 (C.A.)). Plusieurs procédures pourraient encore se dérouler avant qu’il n’arrive au stade où il sera expulsé du Canada. Par exemple, M. Poshteh peut invoquer le paragraphe 34(2) pour tenter de convaincre le ministre que sa présence au Canada n’est pas préjudiciable à l’intérêt national. Par conséquent, les principes de justice fondamentale dont parle l’article 7 de la Charte n’entrent pas en jeu dans la décision qui doit être prise en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la Loi.

[123]       Voir également les décisions Barrera, Nguyen et Martin, précitées, et le jugement Soe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 671 aux paragraphes 15 à 18, dans lequel le juge Shore a tiré une conclusion similaire au sujet du stade du processus d’immigration consacré à l’examen de la recevabilité de la demande d’asile.

[124]       À mon avis, des considérations semblables s’appliquent dans le cas qui nous occupe. La décision de l’agente d’audience consiste simplement à se demander s’il existe suffisamment de renseignements pour qu’elle soit raisonnablement convaincue qu’un ou plusieurs des critères énumérés aux alinéas 108(1)a) à d) ont été respectés. Or, l’agente d’audience n’a pas décidé si la protection avait cessé, étant donné que cette décision relève de la SPR à l’issue d’une audience au cours de laquelle la demanderesse peut faire valoir son point de vue. Même si la SPR constate la perte de l’asile et que la demanderesse est par la suite interdite de territoire, la demanderesse peut présenter une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25 et de l’exception prévue à l’alinéa 25(1.21)b), et cette demande a, compte tenu de sa situation, de fortes chances d’être accueillie.

[125]       Dans l’affaire Medovarski, précitée, la question à laquelle la Cour suprême devait répondre était celle de savoir si une disposition transitoire de la LIPR retirait aux personnes censées être interdites de territoire pour grande criminalité le droit d’interjeter appel d’une mesure de renvoi devant la Section d’appel de l’immigration, à moins qu’une partie n’ait fait l’objet d’un sursis au titre de l’ancienne loi. La Cour a jugé que les principes applicables en matière d’interprétation des lois l’amenaient à conclure que le droit d’appel était perdu à défaut de sursis effectivement accordé. Les appelants, qui étaient des résidents permanents, soutenaient que cette conclusion était injuste, mais la Cour a estimé que sa conclusion demeurerait valable. Interprétées comme il se doit, les dispositions établissaient que le législateur avait voulu refuser un droit d’appel aux personnes se trouvant dans une situation analogue à celle des appelants. Compte tenu des dispositions de la LIPR et des observations formulées par le ministre lors de la présentation des nouvelles dispositions, la Cour a conclu que les dispositions en cause visaient à renvoyer du pays les criminels condamnés à une peine d’emprisonnement de plus de six mois.

[126]       La Cour suprême a rejeté les arguments tirés de la Charte et a formulé les propos suivants qui nous intéressent en l’espèce :

[45]     Enfin, les appelants avancent tous les deux des arguments fondés sur la Charte. Mme Medovarski prétend que l’art. 196 porte atteinte aux droits à la liberté et à la sécurité de sa personne que lui garantit l’art. 7. Elle soutient que l’expulsion la prive de la liberté de prendre des décisions fondamentales touchant sa vie personnelle, y compris son choix de rester avec son compagnon. Selon Mme Medovarski, la tension psychologique qui résulte de la mesure d’expulsion prise par l’État compromet la sécurité de sa personne. Elle ajoute que le processus d’extinction de son droit d’appel était inéquitable et contraire aux principes de justice fondamentale.

 

[46]               Le principe le plus fondamental du droit de l’immigration veut que les non‑citoyens n’aient pas un droit absolu d’entrer ou de demeurer au Canada : Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, p. 733. À elle seule, l’expulsion d’un non‑citoyen ne peut mettre en cause les droits à la liberté et à la sécurité garantis par l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

 

 

[47]               Même si la liberté et la sécurité de la personne étaient en jeu, l’iniquité ne suffit pas pour qu’il y ait manquement aux principes de justice fondamentale. Les motifs d’ordre humanitaire évoqués par Mme Medovarski sont pris en compte, en vertu du par. 25(1) LIPR, pour décider s’il y a lieu d’admettre un non‑citoyen au Canada. La Charte garantit le caractère équitable de cette décision : voir, par exemple, l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. De plus, la Cour a statué, dans l’arrêt Chiarelli, que les principes de justice fondamentale mentionnés à l’art. 7 n’exigent pas d’accorder la possibilité d’un appel, fondé sur des motifs de compassion, contre la décision d’expulser un résident permanent pour grande criminalité. Il faut s’attendre à ce que la loi change à l’occasion, et le ministre n’a pas amené Mme Medovarski à croire à tort que son droit d’appel survivrait à tout changement de la loi. Ainsi, pour ces motifs et ceux mentionnés précédemment, toute iniquité découlant du passage à la nouvelle loi ne constitue pas une violation de la Charte.

 

[48]               M. Esteban affirme que les valeurs de la Charte devraient sous‑tendre l’interprétation de l’art. 196. Les valeurs de la Charte sous‑tendent l’interprétation d’une loi uniquement lorsque « deux ou plusieurs interprétations plausibles, qui s’harmonisent chacune également avec l’intention du législateur, créent une ambiguïté véritable » : Canadian Oxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), [1999] 1 R.C.S. 743, par. 14. Les deux interprétations ne s’harmonisent pas chacune également avec l’intention qu’avait le législateur en adoptant la LIPR. Il n’est donc pas nécessaire de tenir compte des valeurs de la Charte en l’espèce.

[127]       L’arrêt Medovarski confirme donc que, dans les situations mettant en cause des modifications à la Loi et l’adoption de dispositions de transition, l’article 7 ne s’applique pas et que, même s’il s’appliquait, la présumée iniquité en découlant ne constitue pas un manquement aux principes de justice fondamentale. De plus, l’expulsion d’un non‑citoyen ne peut mettre en cause les droits à la liberté et à la sécurité garantis par l’article 7 de la Charte.

[128]       La demanderesse affirme également que l’alinéa 46(1) c.1) ne devrait pas s’appliquer rétroactivement, étant donné qu’il est entré en vigueur le 15 décembre 2012 et que l’essentiel des faits à l’origine de la demande de constat de perte de l’asile sont antérieurs à cette date. En particulier, la demanderesse affirme que le séjour de trois ans qu’elle a fait au Mexique de 2004 à 2007 et le fait qu’elle était de retour au Canada depuis cinq ans avant que les modifications en question à la LIPR ne soient adoptées font en sorte que l’application rétroactive de la Loi et les conséquences en découlant constituent une violation de l’article 7 de la Charte.

[129]       En principe, les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive à moins que « le texte de la loi ne le décrète expressément ou n’exige implicitement une telle interprétation » (Brosseau c Alberta Securities Commission, [1989] 1 RCS 301, à la page 318). J’estime toutefois que l’alinéa 46(1) c.1) ne s’applique pas rétroactivement et qu’il ne donne pas lieu à la présomption en question.

[130]       Dans la présente affaire, bien que l’alinéa 46(1) c.1) soit entré en vigueur le 15 décembre 2012, cette disposition prévoit clairement que la décision prise, en dernier ressort, au titre du paragraphe 108(2), et entraînant la perte de l’asile emporte perte du statut de résident permanent. Or, cette décision n’a pas encore été prise. Il s’ensuit donc nécessairement que l’alinéa 46(1) c.1) ne s’applique que lorsque la SPR a rendu sa décision. Le fait que la demanderesse se soit vu reconnaître la qualité de réfugiée ainsi que le statut de résidente permanente à une époque où les dispositions contestées n’étaient pas en vigueur ne signifie pas pour autant que les nouvelles dispositions législatives ne s’appliquent pas à elle. De plus, bien que les faits à l’origine de la conclusion de la SPR se soient produits avant que les modifications en question n’entrent en vigueur, leur effet est le même, à mon avis. En tout état de cause, certains des faits à l’origine de la demande de constat de perte de l’asile se sont produits après les modifications, étant donné que la demanderesse s’est également rendue au Mexique en mai 2013 et en juillet 2013.

[131]       Dans l’arrêt Rudolph c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 400 (CA), la Cour d’appel fédérale a déclaré que « [n]’est pas rétrospectif le texte de loi qui prévoit, à compter de son entrée en vigueur, l’inadmissibilité de certaines personnes au Canada en raison de ce qu’elles ont fait par le passé ». Par ailleurs, dans Valle Lopes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 403 (Valle Lopes), le demandeur soutenait que la SPR avait commis une erreur en appliquant rétroactivement les dispositions du paragraphe 35(1) relatives à l’interdiction de territoire. Le juge O’Keefe a rejeté cet argument et a conclu que cet article s’appliquait rétroactivement et que la présomption ne jouait pas de toute façon. Voici ce qu’il a déclaré :

[95]      Le fait que l’application de l’alinéa 35(1)a) ne modifie pas le statut juridique passé d’une personne vient appuyer l’idée que le texte n’a pas d’application rétroactive. Elle ne va pas à l’encontre d’un droit acquis, du fait que les résidents permanents ne peuvent être réputés avoir un droit « acquis » de demeurer au Canada (arrêt Chiarelli, précité, aux pages 733 et 734). L’application de l’alinéa 35(1)a) ne change rien au fait que le demandeur a vécu au Canada comme résident permanent depuis 1986. Elle n’est pas rétroactive et ne modifie pas les droits et les privilèges dont le demandeur a joui à titre de résident permanent. L’allégation porte seulement que le demandeur peut être renvoyé aujourd’hui en raison de sa participation à des crimes contre l’humanité. L’alinéa 35(1)a) s’applique à la situation actuelle du demandeur pour décider s’il peut continuer à être un résident permanent dans l’avenir.

[132]       Bien que la décision Valle Lopes, précitée, ait été rendue dans le contexte de l’implication d’un individu dans un crime, des considérations semblables s’appliquent en l’espèce, compte tenu du libellé de l’article 46(1) c.1).

[133]       La demanderesse invoque un arrêt antérieur de la Cour suprême, Blencoe, précité, à l’appui de son argument sur l’application rétroactive de la loi et les conséquences en résultant, en l’occurrence, la violation de l’article 7 de la Charte. Dans cette affaire, la Cour a reconnu que, dans le contexte criminel, l’atteinte causée par l’État à l’intégrité corporelle et le stress psychologique grave imposé par l’État pouvaient constituer une atteinte au droit à la sécurité de la personne. La Cour suprême a déclaré :

[55]      [...] Ces arrêts concernent des situations où l’État a légiféré au criminel dans le but de s’ingérer dans l’autonomie personnelle et la capacité d’une personne de maîtriser sa propre intégrité physique ou psychologique, en interdisant notamment l’aide au suicide et en réglementant l’avortement.

[134]       Tel n’est pas le cas en l’espèce. Il ne s’agit pas non plus en l’espèce d’une situation comme celle dont il était question dans l’affaire G(J), précitée, que la Cour a évoquée dans l’arrêt Blencoe, précité. Dans cette affaire, la Cour a jugé que le fait de retirer à un père ou à une mère la garde de son enfant constituait une atteinte directe de l’État à l’intégrité psychologique du parent, de sorte que l’article 7 accordait aux parents le droit à une audience équitable tout en reconnaissant qu’il existait des limites en ce qui concerne les situations dans lesquelles il y avait atteinte à l’intégrité psychologique. Ce ne sont pas toutes les mesures prises par l’État qui constituent une ingérence dans les relations entre le parent et l’enfant qui portent pour autant atteinte au droit à la sécurité de la personne du parent en question.

[135]       Lorsque, comme en l’espèce, le droit à la sécurité garanti par l’article 7 a été invoqué en raison de ses incidences sur la sécurité psychologique de l’individu, il doit exister une « tension psychologique grave causée par l’État » (R c Morgentaler, [1988] 1 RCS 30 au paragraphe 56). Dans l’arrêt Blencoe, au paragraphe 57, le juge Bastarache a déclaré, au nom de la majorité de la Cour suprême, que deux facteurs devaient être pris en compte. Le préjudice psychologique doit être causé par l’État, c’est‑à‑dire qu’il doit résulter d’un acte de l’État, et le préjudice psychologique doit être grave. À mon avis, compte tenu des circonstances de l’affaire qui m’a été soumise, la demanderesse n’a pas démontré qu’elle était victime, à la présente étape, de pareilles conséquences.

[136]       Je répète que la demande de constat de perte de l’asile, qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire, ne concerne pas la perte du statut de résident permanent, une déclaration d’interdiction de territoire, une mesure de renvoi ou la séparation d’un parent d’avec son enfant. Bien que la décision de l’agente d’audience de présenter une demande de constat de perte de l’asile soit incontestablement très stressante pour la demanderesse, j’estime qu’elle n’entre dans aucune des catégories de cas mentionnées dans l’arrêt Blencoe, précité.

[137]       Pour les mêmes raisons, je ne puis retenir l’argument de la demanderesse suivant lequel l’article 7 a été violé parce que l’agente d’audience ne pouvait tenir compte des répercussions de la demande de constat de perte de l’asile sur l’intérêt supérieur de l’enfant. La décision de l’agente d’audience de présenter la demande de constat de perte de l’asile n’a aucune incidence sur l’enfant. Cette possibilité n’existe que si la SPR décide que l’un ou l’autre des critères énumérés aux alinéas 108(1)a) à d) est satisfait. De plus, ainsi que la Cour l’a déclaré dans l’arrêt Varga, précité :

[13]      Ni la Charte ni la Convention relative aux droits de l’enfant [20 novembre 1989, [1992] R.T. Can. no 3] n’exigent que l’intérêt des enfants touchés soit examiné dans le cadre de toutes les dispositions de la LIPR : de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 3 R.C.F. 655 (C.A.F.), au paragraphe 105. Si une loi fournit une possibilité réelle d’examiner l’intérêt des enfants touchés, y compris ceux nés au Canada, comme le fait la LIPR en son paragraphe 25(1), cet intérêt n’a pas à être pris en compte dans chaque décision qui peut les toucher défavorablement. Par conséquent, le juge qui a entendu la demande a commis une erreur en interprétant trop largement les dispositions définissant la portée de la tâche incombant à l’agent d’ERAR de manière à y inclure l’obligation de prendre également en compte l’intérêt des enfants nés au Canada des intimés adultes.

[138]       Pour ces motifs, je suis d’avis que le fait que l’agente d’audience ne puisse tenir compte de raisons d’ordre humanitaire ne fait pas intervenir l’article 7 de la Charte et ne constitue pas une violation de celui‑ci.

Question certifiée

[139]       La demanderesse a soumis la question suivante en vue de sa certification :

Lorsqu’il décide s’il y a lieu de présenter une demande en vertu de l’article 108 de la LIPR, le ministre a‑t‑il le pouvoir discrétionnaire de tenir compte d’autres facteurs que ceux énumérés à l’article 108?

[140]       Le défendeur propose la question suivante :

L’équité procédurale exige‑t‑elle que l’on avise la personne protégée et qu’on lui donne la possibilité de faire valoir son point de vue devant des agents d’audience de l’ASFC concernant des présumées raisons d’ordre humanitaire ayant trait à l’intérêt supérieur de l’enfant et/ou le statut de résident permanent de l’intéressé avant qu’une demande de constat de perte de l’asile puisse être présentée en vertu du paragraphe 108(2) de la LIPR?

[141]       La Cour d’appel fédérale a récemment réitéré le critère applicable aux questions certifiées dans l’arrêt Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CAF 168 au paragraphe 9:

Il est de droit constant que, pour être certifiée, une question doit i) être déterminante quant à l’issue de l’appel, ii) transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. En corollaire, la question doit avoir été soulevée et examinée dans la décision de la cour d’instance inférieure, et elle doit découler de l’affaire, et non des motifs du juge (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637 (QL) (C.A.F.), au paragraphe 4; Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Zazai, 2004 CAF 89, aux paragraphes 11 et 12; Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2010] 1 R.C.F. 129, aux paragraphes 28, 29 et 32).

[142]       La question grave de portée générale suivante est par conséquent certifiée :

[traduction] S’agissant du paragraphe 108(2) de la LIPR et compte tenu des modifications apportées au paragraphe 46(1) et au paragraphe 40.1(2) :

a)      L’agent de l’ASCF qui a l’intention d’interroger un résident permanent et une personne protégée a‑t‑il l’obligation de l’informer de l’objet de l’entrevue, en l’occurrence l’éventuelle présentation d’une demande de constat de perte de l’asile?

b)      L’agent de l’ASCF ou l’agent d’audience, qui est le délégué du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, a‑t‑il l’obligation d’accorder à cette personne la possibilité de faire valoir son point de vue avant de présenter une demande de constat de perte de l’asile?

c)      L’agent de l’ASFC ou l’agent d’audience, qui est le délégué du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, a‑t‑il le pouvoir discrétionnaire de tenir compte de facteurs autres que ceux qui sont énumérés au paragraphe 108(1), notamment de raisons d’ordre humanitaire et de l’intérêt supérieur de l’enfant, pour décider de l’opportunité de présenter une demande de constat de perte de l’asile en vertu du paragraphe 108(2)?

 


JUGEMENT

LA COUR :

1.                  MODIFIE l’intitulé en supprimant le ministre de la Sécurité publique comme défendeur et en désignant à sa place le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration;

2.                  REJETTE la demande de contrôle judiciaire;

3.                  CERTIFIE la question grave de portée générale suivante conformément à l’alinéa 74d) de la LIPR :

[traduction] S’agissant du paragraphe 108(2) de la LIPR et compte tenu des modifications apportées au paragraphe 46(1) et au paragraph 40.1(2) :

a)      L’agent de l’ASCF qui a l’intention d’interroger un résident permanent et une personne protégée a‑t‑il l’obligation de l’informer de l’objet de l’entrevue, en l’occurrence l’éventuelle présentation d’une demande de constat de perte de l’asile?

b)      L’agent de l’ASCF ou l’agent d’audience, qui est le délégué du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, a‑t‑il l’obligation d’accorder à cette personne la possibilité de faire valoir son point de vue avant de présenter une demande de constat de perte de l’asile?

c)      L’agent de l’ASFC ou l’agent d’audience, qui est le délégué du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, a‑t‑il le pouvoir discrétionnaire de tenir compte de facteurs autres que ceux qui sont énumérés au paragraphe 108(1), notamment de raisons d’ordre humanitaire et de l’intérêt supérieur de l’enfant, pour décider de l’opportunité de présenter une demande de constat de perte de l’asile en vertu du paragraphe 108(2)?

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6485‑13

 

INTITULÉ :

SILVIA OLVERA ROMERO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 AVRIL 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

DATE DES MOTIFS :

LE 9 JUILLET 2014

COMPARUTIONS :

Peter Edelmann

 

PoUR LA DEMANDERESSE

Banafsheh Sokhansanj et Mary E. Murray

 

PoUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Edelmann & Co Law Offices

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

PoUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

PoUR LE DÉFENDEUR

 

 

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