Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20140714


Dossier : IMM-3323-13

Référence : 2014 CF 692

[Traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 14 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

KEERTHANAN SIVAKUMAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de Leonard Favreau, commissaire à la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi). La Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur, concluant que celui-ci n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

I.                   Question en litige

[2]               La question en litige en l’espèce est celle de savoir si la décision de la Commission était déraisonnable.

II.                Contexte

[3]               Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka d’origine tamoule. Il est né le 15 septembre 1990 à Velenai, dans la province du Nord.

[4]               Selon l’exposé circonstancié du Formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur, celui‑ci craint les forces armées, la police et les groupes militaires progouvernementaux du Sri Lanka. Le demandeur a commencé à avoir les problèmes qui ont conduit à cette crainte en octobre 1991, lorsqu’il a été déplacé avec sa famille à Jaffna suite à des activités militaires menées par l’armée du Sri Lanka. Le père du demandeur était agriculteur et a été contraint à verser de l’argent et à fournir des denrées agricoles aux Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET).

[5]               En 1998, le demandeur et sa famille se sont enfuis en Inde car le père du demandeur craignait que les TLET ne recrutent ses enfants au Sri Lanka. Le demandeur et sa famille sont restés à Chennai, en Inde, sans statut. Le demandeur a travaillé comme technicien en réparation d’ordinateurs de 2008 à 2009.

[6]               En avril 2009, la police indienne a arrêté, battu et détenu le demandeur au poste de police Thuraipakkam à Chennai au motif qu’il était soupçonné d’appartenir aux TLET. La police l’a accusé d’aider les TLET en leur remettant un disque compact contenant de l’information sur l’assassinat de Tamouls au nord du Sri Lanka en 2008 et 2009. Le demandeur croit que la police avait de tels soupçons en raison de sa réputation locale de technicien en réparation d’ordinateurs. Son père a versé un pot‑de‑vin à la police pour obtenir sa libération après deux jours de détention.

[7]               Après la libération du demandeur, la police a continué de le harceler. Des policiers ont menacé de le déporter s’il ne divulguait pas de l’information au sujet des TLET. Le père du demandeur a continué de verser de l’argent à la police pour que son fils ne soit pas arrêté.

[8]               Après des tentatives infructueuses de quitter le pays, le demandeur a demandé un passeport d’urgence et s’est envolé vers le Sri Lanka le 23 juin 2010. Toutefois, à son arrivée, la police s’est demandée pourquoi il rentrait au Sri Lanka sans sa famille. Le demandeur a été détenu pendant trois jours jusqu’à ce que son oncle verse de l’argent pour obtenir sa libération.

[9]               Le demandeur est resté chez un ami de son oncle à Vavuniya. En octobre 2010, un groupe de personnes non identifiées s’est présenté à la résidence du demandeur et ont questionné l’ami de son oncle afin de savoir si le demandeur appartenait aux TLET. L’ami de l’oncle a nié que le demandeur était associé aux TLET. Le même groupe est revenu le lendemain pour arrêter le demandeur. Celui‑ci s’est enfui et s’est rendu à Colombo, où il est resté avec son oncle jusqu’à ce que des dispositions soient prises pour qu’il quitte le pays. Le demandeur a quitté Colombo le 1er novembre 2010 et est arrivé au Canada en passant par Dubaï, le Brésil, le Venezuela, Panama, le Guatemala, le Mexique et les États‑Unis. Il a demandé l’asile le 15 avril 2011.

[10]           La question déterminante pour la Commission était la crédibilité.

[11]           Dans l’appréciation du comportement du demandeur, la Commission a souligné qu’il avait dix années de scolarité et qu’il travaillait comme technicien en réparation d’ordinateurs, qu’il avait transité seul par plusieurs pays pour venir au Canada et qu’il avait paru cultivé et calme pendant son témoignage.

[12]           La Commission a tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité du fait que le demandeur avait affirmé que la police indienne l’avait accusé de fournir des denrées alimentaires, des médicaments et d’autres articles pour appuyer les activités menées par les TLET au Sri Lanka et d’avoir des liens avec l’organe politique des TLET, mais qu’il avait omis cet élément dans l’exposé circonstancié de son FRP. Étant donné la gravité de ces allégations, elles auraient dû figurer dans son exposé circonstancié.

[13]           La Commission a jugé invraisemblable qu’aucun des autres membres de la famille du demandeur n’ait été harcelé ou menacé par la police, étant donné que le demandeur a affirmé que toute sa famille était soupçonnée d’être affiliée aux TLET.

[14]           La Commission souligne aussi que le demandeur a modifié l’exposé circonstancié de son FRP peu avant l’audience pour faire mention du fait que le groupe de personnes non identifiées qui avait tenté de l’arrêter à Vavuniya était [traduction] « armé ». Toutefois, dans son témoignage, il a déclaré que ces personnes étaient [traduction] « munies d’armes à feu ». La Commission a tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité du fait que le demandeur n’avait pas indiqué que les personnes étaient « munies d’armes à feu » dans l’exposé circonstancié de son FRP, étant donné qu’une telle déclaration aurait accru le risque posé par le groupe. De plus, le demandeur a affirmé qu’il avait supposé que ce groupe venait l’arrêter. Toutefois, le demandeur a plus tard déclaré qu’il savait que le groupe voulait l’arrêter parce que son oncle le lui avait dit.

[15]           La Commission a tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité du fait que le demandeur avait voyagé au moyen de son propre passeport. S’il était une personne intéressant les autorités, cela lui aurait été impossible. De plus, la Commission a renvoyé aux renseignements relatifs aux conditions régnant dans le pays qui indiquent que les citoyens du Sri Lanka doivent demander un passeport sri lankais en personne.

[16]           La Commission a souligné que le témoignage du demandeur n’était pas corroboré, et, en raison de cet élément et des inférences défavorables quant à la crédibilité mentionnées plus haut, elle n’a pas cru que le témoignage du demandeur était crédible.

[17]           Même si le récit du demandeur était véridique, la Commission a conclu que l’extorsion, au Sri Lanka, représente un risque généralisé qui ne permet pas au demandeur de demander l’asile au Canada.

[18]           De la même façon, la Commission a conclu que la décision du demandeur de rentrer au Sri Lanka muni de son propre passeport mine sa crainte subjective de persécution, étant donné qu’il est improbable que le demandeur craigne la persécution de la part des autorités sri lankaises s’il était disposé à rentrer au pays de cette façon. La Commission a conclu que cet élément minait encore plus la crédibilité du demandeur.

[19]           La Commission a examiné les renseignements relatifs aux conditions régnant au Sri Lanka et a relevé que les personnes qui ne sont pas liées aux TLET ne sont plus considérées comme courant un risque selon les Principes directeurs relatifs à l’évaluation des besoins de protection internationale des demandeurs d’asile originaires du Sri Lanka du Haut‑Commissariat des Nations‑Unies pour les réfugiés. Par conséquent, la Commission a conclu que la situation du demandeur ne correspond à aucun des profils de risque applicables à une crainte de persécution au Sri Lanka et que celui‑ci ne serait pas exposé à un risque s’il rentrait au Sri Lanka du fait de son seul profil.

III.             Norme de contrôle

[20]           La norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité (Ren c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 973, aux paragraphes 12 et 13).

IV.             Analyse

[21]           Le demandeur prétend que la Commission : i) a, de façon déraisonnable, omis de prendre en compte son âge quand elle a établi que celui‑ci avait paru cultivé pendant son témoignage; ii) a, de façon déraisonnable, examiné à la loupe les éléments de preuve qu’il a fournis; iii) a omis d’apprécier le fait qu’il était exposé à un risque personnalisé d’extorsion aux termes de l’alinéa 97(1)a) de la Loi (Pathmanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 353) et a tiré cette conclusion sans renvoyer aux éléments de preuve et sans prendre en compte l’alinéa 97(1)b) de la Loi; iv) a omis de prendre en compte la question de savoir s’il méritait d’être protégé en raison de sa détention arbitraire ou du risque cumulatif de persécution; v) a tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité qui n’est pas étayée par les éléments de preuve du fait que le demandeur a pu quitter le Sri Lanka sans attirer l’attention des autorités (Wei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 694, aux paragraphes 6 à 9 et 15 et 16); vi) vu le grand nombre de préoccupations relatives à la crédibilité, la décision de la Commission est déraisonnable (Alavi Mofrad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 901, au paragraphe 11).

[22]           Malgré le fait qu’il puisse être déraisonnable que la Commission tire une inférence défavorable quant à la crédibilité du fait que le demandeur n’a pas précisé dans l’exposé circonstancié de son FRP le type d’armes dont était muni le groupe de personnes non identifiées qui a tenté de l’arrêter à Vavuniya (Akhigbe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 249, aux paragraphes 16 et 17), cette question n’est pas essentielle quant à la conclusion globale de la Commission relative à la crédibilité. Le demandeur n’a pas contesté les conclusions de la Commission selon lesquelles dans l’exposé circonstancié de son FRP et dans son témoignage contradictoire concernant la façon dont il avait appris que le groupe de personnes non identifiées à Vavuniya était venu l’arrêter, il avait omis une justification importante en ce qui concerne les raisons pour lesquelles il était soupçonné de collaborer avec les TLET. La Commission a aussi tiré des inférences défavorables quant à la crédibilité à partir de l’invraisemblance du fait que la famille du demandeur n’a jamais été harcelée par le gouvernement di Sri Lanka, en dépit du fait qu’elle pourrait être pareillement soupçonnée de collaboration avec les TLET, et du fait que le demandeur a voyagé avec son propre passeport. Ensemble, ces omissions, invraisemblances et incohérences constituent un fondement raisonnable justifiant la Commission de ne pas croire les affirmations du demandeur. Même si elle n’est pas déterminante, cette conclusion est renforcée par la conclusion non contestée de la Commission selon laquelle le demandeur n’a corroboré aucune de ses affirmations.

[23]           Les affirmations du demandeur, selon lesquelles la Commission est tenue d’effectuer une analyse aux termes de l’alinéa 97(1)a), ne sont pas fondées. Un examen de la transcription et de l’exposé circonstancié du FRP du demandeur n’a pas révélé d’omission de fond au sujet du risque de torture. Cet argument semble essentiellement reposer sur le mémoire original du demandeur concernant le contrôle judiciaire. Le demandeur, à tort, tente d’établir un parallèle entre l’extorsion et la torture.

[24]           Malgré le fait qu’elle n’était pas tenue de le faire, étant donné ses conclusions quant à la crédibilité, la Commission a aussi examiné le risque d’extorsion auquel le demandeur pourrait être exposé aux termes de l’alinéa 97(1)b) de la Loi. La Commission a raisonnablement conclu que, même si l’on devait croire les prétentions du demandeur, le risque était généralisé (PararasasingamCanada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 805, au paragraphe 22) et il ne justifiait pas que l’on accepte les prétentions du demandeur.

[25]           La Commission a aussi examiné le profil de risque cumulatif du demandeur indépendamment de ses prétentions. Elle a, raisonnablement, cité des éléments de preuve documentaire, y compris les Principes directeurs relatifs à l’évaluation des besoins de protection internationale des demandeurs d’asile originaires du Sri Lanka du Haut‑Commissariat des Nations‑Unies pour les réfugiés, pour établir que le profil cumulatif du demandeur n’exposerait pas celui‑ci à un risque, indépendamment de ses prétentions.

[26]           La Commission a, raisonnablement, rejeté la demande d’asile du demandeur au titre de l’article 96 en raison d’un manque de crédibilité. Le demandeur n’a jamais prétendu devant la Commission qu’il serait exposé à un risque de torture aux termes de l’alinéa 97(1)a), et la Commission a, raisonnablement, pris en compte son profil cumulatif et le risque généralisé d’extorsion pour rejeter la demande d’asile.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.                  La demande est rejetée;

2.                  Il n’y a pas de question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3323-13

 

INTITULÉ :

KEERTHANAN SIVAKUMAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 JUILLET 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 14 JUILLET 2014

 

COMPARUTIONS :

Micheal Crane

 

POUR LE DEMANDEUR,

KEERTHANAN SIVAKUMAR

 

Brad Bechard

 

POUR LE DÉFENDEUR,

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

KEERTHANAN SIVAKUMAR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur,

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.