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Date : 20140707


Dossier : IMM-6752-13

Référence : 2014 CF 659

Ottawa (Ontario), le 7 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Simon Noël

ENTRE :

WALEED KANDEL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR] à l’encontre d’une décision rendue le 17 octobre 2013 par Angela Papadakis, agente principale d’immigration [l’Agente] de Citoyenneté et Immigration Canada [CIC], rejetant la demande d’examen des risques avant renvoi [demande ERAR] du demandeur.

II.                Faits

[2]               Citoyen égyptien et musulman d’origine, le demandeur est né le 5 janvier 1975.

[3]               En février 2013, le demandeur a quitté l’Égypte pour la Russie. Il a présenté une demande d’asile dans ce pays, qui lui fut refusée, et il s’est converti au christianisme en juin 2013.

[4]               Ayant reçu l’ordre de quitter la Russie en août 2013, le demandeur est arrivé au Canada le 11 septembre 2013 au moyen de faux documents. Une mesure d’exclusion fut prise à son égard le jour même.

[5]               Le demandeur a présenté sa demande ERAR le 16 septembre 2013. Après avoir examiné la preuve présentée et y avoir constaté d’importantes irrégularités, l’Agente a convoqué le demandeur à une audience, qui s’est tenue le 1er octobre 2013. En plus d’avoir questionné le demandeur, l’Agente a téléphoné à Inna Kharlamova-Grigoryeva [Inna], une amie du demandeur, pour la questionner au sujet du dossier du demandeur et d’un affidavit produit par celle-ci.

[6]               Parmi les allégations du demandeur dans sa demande ERAR, notons, entre autres éléments, qu’il est homosexuel depuis son adolescence et que, plus récemment, il aurait entretenu une relation homosexuelle avec un prénommé Hany et que tous les deux auraient été attaqués le 24 décembre 2012 par les Frères musulmans. Hany serait décédé des suites de cette attaque. Il a également fait valoir que sa conversion au christianisme l’exposait à un danger en Égypte notamment en raison de l’influence de sa sœur, comédienne égyptienne prétendument connue, et du conjoint de celle-ci, qui est juge.

[7]               La demande ERAR fut refusée le 17 octobre 2013.

[8]               Le demandeur faisait l’objet d’une mesure d’expulsion, mais le Comité des droits de l’homme des Nations unies, appelé à intervenir par le demandeur, a demandé au Canada de ne pas exécuter cette mesure d’expulsion en attendant le traitement définitif de son dossier.

III.             Décision contestée

[9]               L’Agente était d’avis que le témoignage du demandeur renfermait de nombreuses incohérences et contradictions et que celui-ci n’avait pas produit suffisamment de preuve crédible à l’appui de sa demande. Cette dernière s’appuyait sur deux motifs : l’orientation sexuelle du demandeur et sa conversion au christianisme. Ainsi, l’Agente a conclu que le demandeur n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il entretenait une relation homosexuelle avec Hany et qu’il avait été attaqué le 24 décembre 2012 par les Frères musulmans. De plus, l’Agente a conclu que le demandeur n’a pas été en mesure d’établir que sa conversion au christianisme l’expose à un quelconque risque aux mains de sa famille. En bref, l’Agente a conclu que le demandeur n’avait pas produit suffisamment de preuve – testimoniale ou autre – pour appuyer ses prétentions et que, par conséquent, il ne s’était pas acquitté de son fardeau de preuve pour l’application des articles 96 et 97 de la LIPR.

IV.             Question en litige

[10]           Le demandeur invite la Cour à répondre à deux questions en litige en plus d’examiner la raisonnabilité de la décision dans son ensemble. Le demandeur a donc soumis les questions en litige suivantes :

  1. L’Agente a-t-elle omis d’entreprendre une analyse et de conclure quant à l’un des fondements de la demande de protection, soit l’orientation sexuelle du demandeur?
  2. L’Agente a-t-elle omis de considérer le risque objectif qu’encourrait le demandeur en tant qu’apostat, considérant que sa conversion a été prouvée selon la prépondérance des probabilités?

[11]           Pour sa part, le défendeur estime que la Cour devrait limiter son examen au caractère raisonnable de la décision. Je ne partage pas cet avis : les problèmes allégués sont suffisamment précis pour que l’on s’attarde non seulement à la raisonnabilité de la décision, mais aux différents éléments contestés.

[12]           Cela dit, je suis d’avis qu’il convient de reformuler les questions du demandeur pour qu’elles reflètent davantage les procédures entreprises par celui-ci. En fait, la question en litige revient à savoir si l’Agente a erré en rejetant la demande ERAR du demandeur, et cette demande ERAR du demandeur faisait état de deux motifs : « [TRADUCTION] mon orientation sexuelle; ma religion (je me suis converti de l’islam au christianisme en Russie en juin 2013) » (demande ERAR, dossier du demandeur, à la page 43).

[13]           L’orientation sexuelle étant bel et bien au cœur de la demande ERAR, l’Agente ne pouvait l’ignorer, et c’est pourquoi cet élément devra faire l’objet d’une analyse distincte en l’espèce. De plus, bien que le demandeur parle de son statut d’apostat dans son affidavit au soutien de sa demande ERAR, la présente Cour ne peut conclure qu’il s’agit d’un motif de la demande; le second motif à l’appui de la demande ERAR est la religion/la conversion du demandeur. Le demandeur estime que l’Agente a omis de traiter de l’apostasie du demandeur, mais c’est à bon droit qu’elle s’est limitée aux motifs invoqués. Par conséquent, je ne crois pas qu’il faille aborder la question précise de l’apostasie et que l’analyse du présent contrôle judiciaire devrait porter sur la religion/la conversion. Ainsi, je reformulerais les questions en litige du demandeur de la façon suivante :

  1. L’Agente a-t-elle omis d’entreprendre une analyse et de conclure à l’égard de l’un des fondements de la demande ERAR, soit l’orientation sexuelle du demandeur?
  2. L’Agente a-t-elle erré en concluant que le demandeur n’était pas exposé à un risque en raison de sa conversion au christianisme?
  3. La décision de l’Agente est-elle, d’une manière générale, raisonnable?

Pour les raisons énoncées plus loin, il ne sera pas nécessaire de répondre aux deux dernières questions.

V.                Norme de contrôle

[14]           Tout comme elles ne convenaient pas des questions en litige à trancher en l’instance, les parties ne s’entendent pas sur la norme de contrôle à appliquer. Bien que nous ne répondions pas aux deux dernières questions en litige, il est d’intérêt de les commenter.

[15]           Mon collègue le juge Zinn a abordé la première question en l’espèce, qui concerne l’orientation sexuelle du demandeur, dans Fosu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1135, [2008] ACF no 1418. Toujours dans cette décision, selon le juge Zinn, la question du refus de trancher quant à l’orientation sexuelle du demandeur pouvait ouvrir la porte aux deux normes de contrôle; ce refus de conclure de la part du décideur peut effectivement être perçu comme un défaut d’exercer sa compétence (norme de la décision correcte) ou comme une décision abusive et arbitraire (norme de la décision raisonnable) :

[13]      […] Compte tenu des conclusions qui suivent, je n’ai pas à traiter de la question de savoir si l’omission de traiter la question de l’orientation sexuelle du demandeur constitue un défaut d’exercice de compétence. Il est très exceptionnel qu’un commissaire ne tire expressément aucune conclusion quant à savoir si le demandeur appartient au groupe social à l’égard duquel il fonde sa demande d’asile. Il se peut que l’omission de tirer une telle conclusion constitue une erreur de droit, car il s’agit du principal fondement de la demande. À ce titre, on peut estimer que la norme applicable est la décision correcte. Toutefois, on peut également faire valoir que la décision de refuser de tirer cette conclusion de fait est abusive et arbitraire et ne résisterait pas à une analyse suivant la norme de la décision raisonnable.

[16]           Je suis d’avis que le fait pour un décideur de ne pas statuer à l’égard d’un motif constituerait, le cas échéant, un défaut d’exercer sa compétence. Un tel enjeu emporte inévitablement la norme de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 59, [2008] ACS no 9 [Dunsmuir]). Par conséquent, la Cour n’a à faire preuve d’aucune déférence à l’égard de la décision de l’Agente dans la mesure où elle concerne l’orientation sexuelle du demandeur (Dunsmuir, précité, au para 50).

[17]           Les deux autres questions en litige se rapportent à des conclusions de faits tirées dans le cadre d’une demande ERAR et feront par conséquent l’objet d’un examen selon la norme de la décision raisonnable (voir par exemple Martinez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 31 au para 18, [2010] ACF no 41; Pareja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1333 au para 12, [2008] ACF no 1705). Sous le régime de cette norme, la Cour devra se garder d’intervenir si la conclusion de l’Agente est justifiée, transparente et intelligible et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au para 47).

VI.             Arguments du demandeur

[18]           Le demandeur prétend que la décision de l’Agente est déraisonnable dans son ensemble, mais que deux erreurs en particulier lui sont fatales. D’une part, l’Agente a omis d’analyser l’un des fondements de la demande, soit l’orientation sexuelle du demandeur, et elle n’a tiré aucune conclusion explicite à ce sujet, préférant limiter son analyse à la relation du demandeur avec Hany et à l’attaque du 24 décembre 2012. La preuve documentaire et testimoniale du demandeur à cet égard était pourtant abondante et claire quant au risque auquel est exposée la communauté LGBTQ en Égypte.

[19]           D’autre part, quoiqu’elle ait reconnu la conversion du demandeur au christianisme, l’Agente n’a pas considéré le risque objectif associé à cette conversion. L’appartenance à un groupe persécuté constitue pourtant un motif de protection, et le demandeur n’est pas simplement chrétien en Égypte, il est, au surplus, un apostat. Cette situation l’expose à un risque plus élevé que les autres chrétiens et l’Agente aurait dû tenir compte de la preuve relative à l’apostasie.

[20]           À titre subsidiaire, le demandeur soutient que la décision dont il a fait l’objet est déraisonnable d’une manière générale puisqu’elle s’appuie sur une analyse microscopique de certains éléments et que des conclusions qui la sous-tendent ont été tirées sans égard à la preuve. Concernant l’orientation sexuelle du demandeur, l’agente a omis de tenir compte de nombreux éléments concernant sa relation avec Hany. Le demandeur affirme que la contradiction quant à l’appel téléphonique entre lui et Inna au moment de l’attaque du 24 décembre 2012 est la seule contradiction concernant l’attaque et qu’elle ne saurait suffire pour ne pas croire à la survenance de cet événement. Quant à l’emplacement de la blessure sur la tête du demandeur, indépendamment des contradictions soulevées, le demandeur a bel et bien été blessé, fait que l’Agente a elle-même reconnu. Le demandeur affirme également que la conclusion de l’Agente au sujet de sa conversion n’est pas raisonnable. En effet, en tirant cette conclusion, l’Agente a fait fi des circonstances particulières du demandeur et elle n’a pas tenu compte d’un témoignage corroborant ses dires quant à sa pratique religieuse au Canada. En outre, la conclusion de l’Agente quant au fait qu’il serait invraisemblable qu’il ait fait part de sa conversion à ses amis ne satisfait pas aux stricts critères jurisprudentiels en matière de conclusion d’invraisemblance. Et, enfin, le demandeur affirme avoir soumis de la preuve documentaire concernant sa sœur célèbre et son époux juge et l’influence qu’ils pourraient avoir en Égypte, mais que cette preuve a été ignorée.

VII.          Argument du défendeur

[21]           De l’avis du défendeur, la décision de l’Agente est raisonnable et doit être maintenue.

[22]           Premièrement, au sujet de l’orientation sexuelle du demandeur, la relation homosexuelle de ce dernier avec Hany était au cœur de sa demande, et il était donc raisonnable qu’elle soit également au cœur de la décision. De plus, les contradictions et les explications du demandeur à ce sujet sont irréconciliables considérant l’importance accordée à ce point dans l’entrevue. L’Agente n’a pas cru à la prétendue orientation sexuelle du demandeur parce qu’il n’a soumis aucune preuve démontrant qu’il a entretenu une relation homosexuelle. Cette conclusion est d’autant plus raisonnable considérant les contradictions entre le témoignage du demandeur et les réponses d’Inna, surtout en ce qui a trait à l’appel du 24 décembre 2012 et au fait qu’elle aurait rencontré le petit frère du demandeur en 2012 alors que ce dernier affirme ne pas l’avoir vu depuis 2010. De plus, l’entrevue a permis de révéler des contradictions relativement aux blessures que le demandeur a subies à la tête, et les preuves photographiques à cet égard ne démontraient pas où le demandeur avait été attaqué.

[23]           Deuxièmement, pour ce qui est de la conversion du demandeur au christianisme, le défendeur rappelle que le demandeur s’est contredit quant à la façon dont sa sœur a appris la nouvelle et qu’il n’a soumis aucune preuve des possibles difficultés que pourraient lui causer sa sœur et l’époux de celle-ci en Égypte. De plus, il était tout à fait raisonnable pour l’Agente de conclure qu’il n’était pas vraisemblable que le demandeur ait informé ses amis en Égypte de sa conversion considérant les craintes qu’il avait dans ce pays.

VIII.       Réplique du demandeur

[24]           Au sujet de sa conversion, le demandeur réplique qu’il est tout à fait logique qu’une personne se confie à ses proches amis pour une question aussi profonde, un événement aussi important de sa vie, et que cela s’inscrit dans sa démarche spirituelle.

[25]           Le demandeur réitère également que l’Agente a tout simplement omis de tirer une conclusion concernant l’orientation sexuelle du demandeur.

IX.             Analyse

A.                L’Agente a-t-elle omis d’entreprendre une analyse et de conclure à l’égard de l’un des fondements de la demande ERAR, soit l’orientation sexuelle du demandeur?

[26]           Tel qu’il est mentionné précédemment, la première question en l’instance suffit pour conclure que la décision contestée n’est pas valide et que le dossier devra être renvoyé devant un autre agent de CIC aux fins de réexamen.

[27]           En effet, la décision rendue par l’Agente relativement à la demande ERAR du demandeur, et plus particulièrement à l’égard de l’un des deux motifs invoqués, ne résiste pas à un examen suivant la norme de la décision correcte. À la lecture de la décision, force est de constater que l’Agente n’a rendu aucune conclusion explicite au sujet de l’orientation sexuelle du demandeur, élément pourtant central à sa demande ERAR.

[28]           Bien que sa décision comprenne un sous-titre Sexual Orientation, l’Agente limite son analyse à la relation que le demandeur prétend avoir entretenue avec Hany et à l’attaque dont tous les deux auraient été victimes le 24 décembre 2012. En effet, l’Agente a tiré la conclusion suivante relativement à l’orientation sexuelle du demandeur : « [TRADUCTION] Par conséquent, le demandeur n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, qu’il entretenait une relation homosexuelle et qu’il a été attaqué par les Frères musulmans à la veille de Noël de 2012. » (En anglais : Consequently, the applicant has not established that, on a balance of probabilities, he was in a homosexual relationship, that he was attacked on Christmas Eve 2012 by the Muslin Brotherhood.)

[29]           Ne pas croire à la relation entre le demandeur et Hany et au fait que ces derniers auraient été attaqués, c’est une chose. Ne pas croire à l’orientation sexuelle du demandeur, c’en est une autre. Une conclusion précise à cet égard s’imposait. À la rigueur, les conclusions de l’Agente pouvaient miner la crédibilité du demandeur, mais elle se devait néanmoins de statuer sur les motifs à l’origine de la demande. À cet égard, mon collègue le juge Martineau a écrit ce qui suit dans la décision Odetoyinbo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 501 aux paras 5 à 8 [Odetoyinbo] :

[5]        À l’audience, le demandeur a été interrogé en long et en large à propos de sa bisexualité et des faits l’ayant mené à fuir le Nigeria. En ce qui concerne le premier point, on a demandé au demandeur d’indiquer quand il s’était rendu compte de sa bisexualité, le nombre de partenaires qu’il avait eu, s’il avait dévoilé sa bisexualité à sa famille et quand cela avait eu lieu, si ses partenaires avaient dévoilé leur orientation sexuelle à leur famille, s’il connaissait l’existence d’organisations défendant les droits des homosexuels au Nigeria, s’il avait une connaissance personnelle des lois condamnant l’homosexualité au Nigeria et de personnes ayant été jugées ou arrêtées en vertu de ces lois, s’il avait un partenaire depuis son arrivée au Canada et s’il connaissait la communauté gaie au Canada.

[6]        Malheureusement, malgré un interrogatoire poussé à l’audience quant à l’identité du demandeur comme bisexuel, les motifs de la Commission sont complètement silencieux sur cette question clé de la demande du demandeur. Après avoir étudié attentivement le dossier du tribunal, y compris les transcriptions et la preuve documentaire, je conclus que, globalement, la conclusion de la Commission était déraisonnable. Même si la Commission a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité du demandeur au sujet des événements qui l’avaient poussé à fuir le Nigeria, une évaluation de l’orientation sexuelle du demandeur au Canada comme au Nigeria était tout de même nécessaire compte tenu de la preuve documentaire au dossier relativement à la persécution des homosexuels au Nigeria et du témoignage détaillé du demandeur sur cette question primordiale de sa demande (lequel, soit dit en passant, est corroboré par des lettres produites par le demandeur). En conséquence, le fait que la Commission n’ait pas tiré de conclusions explicites au sujet de la bisexualité du demandeur constitue une erreur susceptible de contrôle et justifie qu’on statue à nouveau sur la demande du demandeur (Burgos-Rojas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 162 F.T.R. 157, [1999] A.C.F. no 88; Alemu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 997 (CanLII), 2004 CF 997, [2004] A.C.F. no 1210, aux paragraphes 45 et 46).

[7]        Il est clairement établi qu’une conclusion défavorable sur la crédibilité, quoiqu’elle puisse être concluante quant à une demande du statut de réfugié au titre de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), n’est pas nécessairement concluante quant à une demande en application du paragraphe 97(1) de la Loi. En effet, la preuve requise pour établir une demande au titre de l’article 97 diffère de celle requise pour l’application de l’article 96 (Jarada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 409 (CanLII), 2005 CF 409, [2005] A.C.F. no 506). Lorsqu’elle examine l’article 97, la Commission doit décider si le renvoi du demandeur l’exposerait personnellement aux risques et aux menaces prévus aux alinéas 97(1)a) et b) de la Loi (Bouaouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1211 (CanLII), 2003 CF 1211, [2003] A.C.F. no 1540). De plus, l’article 96 a des composantes objectives et subjectives qui ne se retrouvent pas à l’alinéa 97(1)a) : une personne se fondant sur cet alinéa doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il est plus probable que le contraire qu’elle soit persécutée (Chan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1995 CanLII 71 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 593, [1995] A.C.S. no 78; Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1 (CanLII), 2005 CAF 1, [2005] A.C.F. no 1).

[8]        Il faut souligner que la crainte de persécution du demandeur ou le risque individuel doit être évalué compte tenu de ce qui est généralement connu quant aux conditions et aux lois dans le pays d’origine du demandeur, et des expériences de personnes se trouvant dans des situations semblables dans ce pays. En l’espèce, la Commission n’a pas affirmé expressément dans ses motifs qu’elle ne croyait pas que le demandeur était bisexuel. Par conséquent, la Commission ne pouvait pas ne pas tenir compte de la preuve objective convaincante au dossier faisant état des violences subies par les hommes homosexuels au Nigeria. En conséquence, même si la Commission avait rejeté le témoignage du demandeur quant à ce qui lui était arrivé au Nigeria, elle avait tout de même le devoir d’examiner si l’orientation sexuelle du demandeur le mettrait personnellement en danger dans son pays.

[30]           La présente affaire est similaire à celle abordée par le juge Martineau dans la décision Odetoyinbo. Les notes de l’Agente permettent de constater que le témoignage du demandeur au sujet de son homosexualité allait bien au-delà de sa relation avec Hany (voir l’affidavit du demandeur, aux paras 16-19, dossier du demandeur, aux pages 28 et 29; voir aussi les affidavits au dossier du tribunal certifié produits par le demandeur, au para 6 de la page 245 et aux pages 355 et suivantes dans leur totalité, et par Inna, au para 7 de la page 276; voir également, les notes de l’Agente prise lors de l’audience, dossier du tribunal certifié, aux pages 117 et 118). Toutefois, l’Agente n’a en aucun cas conclu explicitement que le demandeur n’était pas homosexuel. Une cour siégeant en contrôle judiciaire peut être appelée à consulter le dossier pour compléter des motifs en apparence défaillants, mais elle ne saurait conclure à la place du décideur. En notant cette erreur fatale, la Cour est consciente que conclure à l’homosexualité d’une personne est une tâche difficile. Pour ce faire, toutefois, le décideur se doit à tout le moins de prendre en considération toute la preuve soumise à ce sujet et de conclure, d’une façon ou de l’autre, avec motifs. Cela est essentiel.

[31]           Cette erreur suffit pour invalider la décision de l’Agente et renvoyer le dossier devant un autre agent de CIC aux fins de réexamen et de décision conformément aux motifs invoqués par le demandeur.

[32]           Une telle conclusion de renvoyer le dossier s’impose d’autant plus que l’Agente, qui a omis de conclure quant à l’orientation sexuelle du demandeur, a reconnu que la preuve documentaire établissait que les homosexuels sont à risque en Égypte et qu’ils font l’objet d’un certain niveau de violence et de discrimination.

[33]           Compte tenu de ma conclusion à la première question, il n’est pas nécessaire de répondre aux autres questions en litige.

[34]           Les parties ont été invitées à soumettre une question aux fins de certification, mais aucune ne fut proposée.


ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.      Le dossier est renvoyé à un autre agent de CIC aux fins de réexamen.

3.      Aucune question n’est certifiée.

« Simon Noël »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6752-13

 

INTITULÉ :

WALEED KANDEL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 2 juillet 2014

 

ordonnance et motifs :

NOËL S J.

 

DATE DES MOTIFS :

le 7 juillet 2014

 

COMPARUTION :

Me Stéphanie Valois

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Zoé Richard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Stéphanie Valois

Avocate

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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