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Date : 20140703


Dossier : T-10-13

Référence : 2014 CF 653

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

demandeur/défendeur reconventionnel

et

HOUCHAINE, BOUTROS NAIM;

EL-SKAYER, JACQUELINE MOUSA; HOCHAIME, LYNN BOUTROS;

HOCHAIME, JENNIFER BOUTROS

défendeurs/demandeurs reconventionnels

MOTIFS DE LA TAXATION DES DÉPENS

JOHANNE PARENT, officière taxatrice

[1]               Le 3 janvier 2013, une déclaration a été déposée aux termes de la Loi sur la citoyenneté. Dans les motifs de jugement et jugement datés du 9 avril 2014, la Cour a déclaré que chacun des défendeurs avait obtenu sa citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels au sens de l’alinéa 18(1)b) de la Loi sur la citoyenneté; elle a rejeté la demande reconventionnelle des défendeurs et attribué au demandeur les dépens sur une base procureur-client.

[2]               À la suite du dépôt du mémoire de frais du défendeur effectué le 1er mai 2014, un avis de convocation a été envoyé et l’audience relative à la taxation a eu lieu à Toronto, en Ontario, le 16 juin 2014. L’avocate du demandeur et celui des défendeurs ont présenté des arguments.

[3]               Il est affirmé, dans l’affidavit de Karen M. Mendonça déposé à l’appui du mémoire de frais, que ce mémoire a été préparé après l’examen des diverses étapes du présent litige ainsi que des [traduction] « feuilles de temps de la section qui mentionnent les dates, le nom du responsable de l’horaire, la description de la tâche effectuée ainsi que le nombre d’heures et de dollars facturés au client ». Compte tenu des diverses rencontres avec leur client avant l’introduction de l’instance en annulation, il est également affirmé que le montant total des honoraires des avocats a été réduit, le faisant passer de 66 424,88 $ à 61 565,00 $, pour exclure de la facturation le temps consacré au dossier avant le début de l’instance. Au paragraphe 6 de l’affidavit, il est également affirmé que le taux de facturation de l’avocate principale du demandeur et celui des avocats adjoints concernés ne sont pas identiques, l’avocate principale ayant été admise au Barreau en 1985 et les avocats adjoints en 2008 et en 2010. Dans les observations écrites du demandeur, il est déclaré que [traduction] « les frais exposés dans le mémoire de frais sont équitables, modestes et reflètent avec exactitude la complexité des diverses étapes de l’instance et les facteurs exposés au paragraphe 400(3) des Règles des Cours fédérales ».

[4]               À l’audience, l’avocat des défendeurs a soutenu que le mémoire de frais était déraisonnable et qu’il était difficile de justifier les honoraires d’avocat réclamés, le taux horaire et le nombre d’heures ouvrées pour chacun des services mentionnés n’ayant pas été divulgués et les renseignements fournis pour justifier le caractère raisonnable des honoraires demandés étant insuffisants. L’avocat des défendeurs a ensuite demandé à l’avocate du demandeur à quoi correspondait chacun des services réclamés. L’avocat des défendeurs n’a présenté aucun commentaire, argument ou observation supplémentaires pour réfuter les réponses fournies par l’avocate du demandeur. Enfin, il a été soutenu que, compte tenu du principe général de la proportionnalité, le montant réclamé était excessif pour trois comparutions devant le tribunal. L’avocat a également ajouté que les défendeurs ne contestaient pas les débours réclamés par le demandeur dans le mémoire de frais.

[5]               En réponse, l’avocate du demandeur affirme que le taux horaire facturé est un renseignement protégé par le secret professionnel de l’avocat et correspond aux services fournis par l’avocate principale admise au Barreau en 1985 et par deux avocats adjoints. Il a été également soutenu que les montants réclamés pour chacun des services fournis étaient raisonnables, compte tenu de la complexité des questions en litige et du travail effectué. Pour appuyer ses allégations et répondre aux questions de l’avocat des défendeurs au sujet de la nature des services fournis, l’avocate du demandeur a soutenu que le dossier avait exigé un travail important, plus précisément au regard des questions touchant la divulgation de tous les renseignements exigés, y compris des documents protégés, des préoccupations soulevées par la présence d’un consultant en immigration dans ces dossiers ainsi que des discussions et du travail associés à la préparation de la réponse à la requête présentée par les défendeurs pour obtenir une ordonnance relative à la production des documents en possession du consultant, des arguments constitutionnels soulevés par la demande reconventionnelle et des affidavits exigés, certains présentés au dernier moment, en vue d’expliquer notamment l’historique des voyages effectués par chacun des défendeurs et la production de leurs relevés d’appels téléphoniques. Enfin, il a été mentionné qu’il aurait été possible d’éviter certains frais si l’avocat des défendeurs avait collaboré avec l’avocate du demandeur et avec la Cour et qu’en l’espèce, les dépens auraient été beaucoup plus élevés si l’affaire avait donné lieu à un procès. Pour ce qui est du mémoire de frais supplémentaire présenté par le demandeur au sujet de la taxation des dépens, l’avocate du demandeur affirme qu’elle n’a demandé qu’une somme de 701,30 $ pour la préparation du mémoire de frais et de l’affidavit, plus 84,75 $ et 31,08 $ de débours, comme l’indiquent les reçus joints au mémoire de frais. Le demandeur ne réclame pas les frais correspondant à la comparution à l’audience de taxation, ni les débours. L’avocate du demandeur demande en dernier lieu des intérêts après jugement.

[6]               Dans l’ouvrage Law of Costs (2e édition, volume 1, 44e rel. 2014, au paragraphe 201), Orkin fait remarquer que :

[traduction]

L’attribution habituelle de dépens partie-partie, que l’on appelle parfois le barème du tarif, vise une indemnisation partielle. L’attribution de dépens partie-partie entre procureur et client ou sur la base procureur-client vise l’indemnisation intégrale du bénéficiaire de cette attribution, ce qui ne comprend toutefois pas les frais qui ne sont pas raisonnablement nécessaires à la conduite de l’action, que ce soit en demande ou en défense.

[7]               Pour ce qui est de la taxation des dépens accordée par la Cour sur la base procureur‑client, l’officier taxateur a déclaré dans Lominadze c Canada [1998] ACF no 958 :

8.                  La quantification des coûts par référence à un taux horaire peut avoir davantage d’utilité dans certains cas, selon les services rendus, mais toute taxation des dépens avocat-client fondée sur ce seul facteur serait, à mon avis, un moyen ni juste ni raisonnable de déterminer dans quelle mesure la partie qui succombe doit être tenue d’indemniser de ses efforts la partie ayant obtenu gain de cause. Dans l’affaire Re Solicitors (1967), 2 O.R. 137 (H.C.J.), à la page 142 du recueil, le juge Jessup est cité comme ayant déclaré :

[traduction]

La taxation d’un mémoire des dépens avocat-client pour fixer la somme que sera tenue de payer la partie adverse, doit se fonder sur le principe exigeant que, dans la mesure où cela est juste envers la partie adverse, l’on indemnise intégralement le client pour ce qui est des frais afférents nécessairement et strictement au litige.... (non souligné dans l’original)

9.                  Ce principe a été confirmé, au nom de la Cour, par feu le juge Cattanach dans l’affaire Scott Paper Co. c. Minnesota Mining and Manufacturing Co., 70 C.P.R. (2nd) 68 à la p. 71, et encore dans l’affaire Apotex v. Egis Pharmaceuticals (1991), 4 O.R. (3d) 321, 37 C.P.R. (3d) 335 (Div. gén.) sous une nouvelle formulation :

Le principe général sur lequel se fonde la Cour pour répartir entre les parties les dépens sur la base procureur-client est [...] que le barème procureur‑client est censé assurer le remboursement complet des frais (honoraires et débours) raisonnablement engagés dans le cadre de l’action ou de la procédure intentée ou contestée, mais ne doit pas, sauf ordonnance spéciale, comprendre le coût de services supplémentaires qui ne semblent pas avoir été raisonnablement nécessaires. (encore une fois, non souligné dans l’original)

[8]               Je déduis des décisions des cours citées plus haut que les dépens procureur-client ont pour but d’indemniser la partie qui obtient les dépens pour tous les frais raisonnables et nécessaires engagés dans le cadre de l’instance, à l’exception des frais visés expressément par une ordonnance de la Cour ou des frais qui n’étaient pas raisonnablement nécessaires.

[9]               Pour ce qui est du principe de la proportionnalité, l’avocat des défendeurs n’a présenté qu’un seul argument, savoir que le montant réclamé est excessif, puisqu’il ne correspond qu’à trois comparutions devant la Cour. Les parties n’ont pas présenté d’arguments portant directement sur ce sujet, mais il y a lieu de signaler que le texte actuel des Règles des Cours fédérales ne mentionne aucunement le principe de la proportionnalité. À titre subsidiaire, je vais fonder ma décision en faisant référence à l’article 409 des Règles et en tenant compte de l’alinéa 400(3)c) des Règles qui traite de l’importance et de la complexité des questions en litige ainsi que de l’alinéa g) relatif à la charge de travail. Lorsque la Cour a octroyé les dépens au demandeur sur la base procureur-client, elle l’a fait dans le cadre du pouvoir discrétionnaire absolu que lui confère le paragraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales. Après avoir examiné la jurisprudence des Cours fédérales au sujet des dépens procureur-client (citée précédemment), je crois qu’un officier taxateur ne peut réduire les dépens réclamés par le demandeur dans le cadre de ce processus que s’il est convaincu que les frais engagés n’étaient ni nécessaires, ni raisonnables.

[10]           Le principal argument des défendeurs repose sur la difficulté qu’il y a d’apprécier le caractère raisonnable de chacun des montants réclamés à cause de la non-divulgation par le demandeur du nombre des heures ouvrées et des taux horaires des avocats. L’avocate du demandeur répond que ces éléments sont visés par le secret professionnel de l’avocat.

[11]           Comme cela a été jugé dans Dahl c Canada, 2007 CF 192, au paragraphe 2, les « Règles des Cours fédérales ne prévoient pas qu’un plaideur puisse compter sur le fait qu’un officier taxateur abandonne sa position de neutralité pour devenir le défenseur du plaideur dans la contestation de certains postes d’un mémoire de dépens ». Étant donné l’absence d’arguments supplémentaires concernant le secret professionnel de l’avocat ou d’autres arguments comparables concernant le nombre des heures qu’il faut, en règle générale, consacrer aux services habituellement fournis dans ce genre d’instance ou dans une instance comparable, et concernant les taux horaires des avocats dont l’ancienneté au Barreau est semblable, et puisque les seules preuves présentées comprennent l’affidavit à l’appui du mémoire de frais au sujet duquel le déposant n’a pas été contre-interrogé, je conclus qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la question du secret professionnel de l’avocat.

[12]           Les dépens procureur-client n’autorisent pas le remboursement de frais engagés inutilement, mais ont pour but d’indemniser intégralement la partie ayant obtenu gain de cause pour les honoraires raisonnables et nécessaires qu’elle a versés à son avocat pour les services juridiques liés au litige. Compte tenu de la preuve et des arguments présentés ainsi que de la complexité de l’instance, je suis convaincue que les frais engagés dans le cadre du présent litige étaient nécessaires pour en assurer le déroulement et qu’ils ont été engagés dans le but d’obtenir gain de cause. C’est pourquoi j’estime qu’en présentant un affidavit non contesté à l’appui du mémoire de frais et des arguments, fournissant une description des tâches effectuées et des honoraires réellement facturés au client pour les travaux juridiques et les services fournis qui comprenaient, notamment, quatre défendeurs différents, de nombreux affidavits, une conférence de gestion de l’instance et des requêtes, l’avocate du demandeur a répondu à l’obligation d’établir la nature des travaux exécutés dans la présente affaire. Il ressort également du dossier et des arguments du demandeur que l’avocate du demandeur a pris différentes mesures pour rationaliser le processus et que certaines décisions prises par l’avocat des défendeurs ont obligé le demandeur à prendre des mesures qui ont eu pour effet d’augmenter les coûts, notamment la conférence de gestion de l’instance et les communications concernant le consultant des défendeurs et la demande reconventionnelle. Les défendeurs sont, jusqu’à un certain point, responsables des heures consacrées à la présente instance. J’ai examiné le mémoire de frais et les arguments du demandeur et j’estime que son avocate n’a pas consacré trop de ressources à l’instance et qu’elle a eu recours, chaque fois que cela a été possible, à des avocats adjoints et à des techniciens juridiques pour la préparation de certains documents. Pour ce qui est du taux horaire réel, encore une fois, aucune preuve susceptible d’établir une comparaison entre les services fournis par l’avocate du demandeur et les services fournis par d’autres avocats dans des situations semblables ne m’a été fournie et en outre, aucune comparaison des taux horaires n’a été tentée. Il est reconnu que la taxation des dépens n’est pas une science exacte, mais je ne pense pas qu’il s’agisse là d’un jeu de devinettes et, en l’absence de preuve contraire, je conclus que le taux horaire facturé pour l’avocate principale et les avocats adjoints, tel qu’il ressort d’une façon générale de l’affidavit de Mme Mendonça, est raisonnable.


[13]           Étant donné qu’on ne m’a présenté aucun élément de preuve ni argument susceptible d’appuyer la position selon laquelle les frais réclamés par le demandeur dans la présente instance étaient inutiles et déraisonnables, j’accepte le mémoire de frais présenté par le demandeur pour un montant de 62 625,35 $ ainsi que le second mémoire de frais visant la taxation elle-même pour un montant de 817,13 $, soit un montant total de 63 442,48 $, avec les intérêts après jugement, conformément à l’article 37 de la Loi sur les Cours fédérales. Un certificat de dépens sera délivré.

« Johanne Parent »

Officière taxatrice

Toronto (Ontario)

Le 3 juillet 2014

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIER :

T-10-13

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c HOUCHAINE, BOUTROS NAIM; EL-SKAYER, JACQUELINE MOUSA; HOCHAIME, LYNN BOUTROS; HOCHAIME, JENNIFER BOUTROS

TAXATION DES DÉPENS EFFECTUÉE SUR DOSSIER

MOTIFS DE LA TAXATION DES DÉPENS :

JOHANNE PARENT

DATE DES MOTIFS :

le 3 juillet 2014

OBSERVATIONS :

Kristina Dragaitis

POUR LE DEMANDEUR/DÉFENDEUR RECONVENTIONNEL

 

Robert A. Rastorp

POUR LES DÉFENDEURS/DEMANDEURS RECONVENTIONNELS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR/DÉFENDEUR RECONVENTIONNEL

 

Andrew Rogerson Professional Corporation

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS/DEMANDEURS RECONVENTIONNELS

 

 

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