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Date : 20140715


Dossier : IMM-5701-13

Référence : 2014 CF 697

Ottawa (Ontario) , le 15 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

MACOURA KOUI EPSE ADOU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La demanderesse recherche le contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], d’une décision rendue par la Section de protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR] le 7 août 2013, rejetant sa demande d’asile au Canada.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.  Les faits

[3]  Macoura Koui, la demanderesse, est née en Côte d’Ivoire en 1956. Elle a donné naissance à une fille en 1976. Ensuite elle a eu cinq enfants en 1979, 1980, 1983, 1986, et 1990 avec Dédé Adou, qu’elle a épousé en janvier 1987. Le couple a une autre fille née hors mariage en 1987 qui est l’enfant de M. Adou, mais pas de Mme Adou, et une nièce vivait aussi avec eux. Le couple habitait à Abidjan.

[4]  Son époux étant détenu brièvement en 2000 et ensuite surveillé par les autorités, en raison de ses activités politiques, Mme Adou a commencé à envoyer ses enfants de façon graduelle dans divers pays, une fille partant pour l’Angleterre en 2002 et une fille et un garçon allant aux États-Unis en 2003. Son mari a été arrêté, interrogé et torturé pendant trois jours en 2004 et encore en mars 2006. Le couple a envoyé une autre fille au Ghana en avril 2006 et une autre fille aux États-Unis en juillet 2006. La demanderesse a initialement déclaré qu’elle envoyait les enfants à l’étranger pour les protéger, mais à l’audience elle a expliqué qu’elle n’avait pas elle-même fui le pays à ce moment parce que les enfants n’étaient pas impliqués, elle détenait un travail bien rémunéré et ne se sentait pas menacée à l’époque, et les écoles ailleurs étaient plus fiables lors de bouleversements politiques en Côte d’Ivoire. En septembre 2006, M. Adou a fui vers les États-Unis.

[5]  Mme Adou a réussi à voyager plusieurs fois sans ennuis, mais en mars 2007 elle a été interpellée à l’aéroport par des gendarmes à la recherche de son mari. Elle a porté plainte, mais sa plainte a été refusée. Elle a commencé à recevoir des appels téléphoniques anonymes et des menaces verbales. Elle a déménagé dans un autre quartier de la ville d’Abidjan avec sa dernière fille et sa nièce pendant presqu’un an. Par la suite, elle est revenue à son domicile original en janvier 2008. En mars 2008, elle a reçu un nouvel appel demandant qu’elle révèle où se trouvait son mari. Le lendemain elle a encore porté plainte sans succès. Les menaces téléphoniques ont continué.

[6]  Le 25 mai 2008, la demanderesse est allée visiter son frère au Canada. Elle n’a pas demandé l’asile en raison de ses obligations familiales : elle devait retourner en Côte d’Ivoire parce que son fils avait des troubles à l’estomac, quoiqu’elle ne se souvenait plus du diagnostic précis, et sa fille aînée avait besoin d’elle. D’ailleurs, elle avait des investissements dans des salons de coiffure.

[7]  Le 9 septembre 2009, deux gendarmes sont venus chez elle, l’ont bousculé devant sa fille, l’ont questionnée, et ont violé les deux femmes. Mme Adou a été reconduite à l’hôpital. Elle a déposé un certificat médical attestant qu’un examen clinique en date du 11 septembre 2009 avait révélé des symptômes comprenant « Sur le plan gynécologique, lésion récente décelable, présence de spermatozoïdes ».

[8]  Elle a porté plainte mais la police a refusé de prendre sa plainte. Elle déclare que l’agent de police lui a dit que si elle ne quittait pas les lieux, il allait l’arrêter pour outrage aux représentants de la loi. Elle est allée à un commissariat dans un autre arrondissement. Dans le dossier devant la Cour elle a déposé une déclaration donnée au deuxième poste de police le 20 octobre 2009.

[9]  Les appels de menaces ont continué et elle a reçu une lettre de menaces. Elle est partie se cacher avec sa famille pendant un mois et ensuite a porté plainte à un autre poste de police. Elle a aussi appelé son mari, qui s’est fâché contre elle pour avoir été si imprudente qu’elle se fasse violer, et qui a refusé de la recevoir. Son frère, un citoyen canadien, l’a invité à se réfugier au Canada, et elle est venue ici le 12 novembre 2009. Elle a demandé l’asile le 16 novembre 2009.

[10]  Mme Adou raconte que quelque temps après son arrivée au Canada elle a découvert que son mari avait une autre femme dans sa vie.

[11]  Elle a déclaré en avril 2013 qu’après son départ du pays, il y avait eu une tentative d’incendie sur sa maison en 2010 et une crise politique nationale en 2011 durant laquelle toute sa famille avait été menacée et forcée de vivre dans la clandestinité. Son neveu avait été enlevé et torturé par des groupes armés du 14 au 27 avril 2011 mais a fini par s’échapper.

III.  Décision contestée

[12]  Le tribunal a passé en revue les faits jusqu’au départ de la demanderesse pour le Canada en 2009. Ensuite il a noté que lors du questionnement à l’audience, la commissaire avait constaté que la demanderesse était en mesure de déposer des pièces supplémentaires de preuve. Le tribunal a accepté ces preuves et les a évalués, mais a trouvé trop d’incohérences, d’invraisemblances, et de contradictions pour qu’il puisse considérer la demanderesse crédible.

[13]  La commissaire note qu’elle avait tenu compte des Directives no 4 relatives aux femmes qui craignent d’être persécutée en raison de leur sexe [les « Directives relatives aux femmes »], se montrant sensible aux facteurs pouvant influencer le témoignage et prenant les dispositions nécessaires pour les faciliter. Elle a aussi pris en compte les recommandations de la psychologue de la demanderesse. Cette dernière avait recommandé d’éviter un questionnement direct sur le viol, et en conséquence le tribunal a uniquement interrogé la demanderesse sur les faits entourant cet événement.

[14]  La commissaire a jugé le témoignage de la demanderesse non crédible. Le tribunal s’est étonné du fait que le mari de la demanderesse soit persécuté ainsi que décrit quand il était seulement responsable d’une cellule d’une soixantaine de personnes dans son mouvement politique. De plus, elle n’avait pas déposé de carte d’adhérence au parti politique pour son mari. Par la suite elle a déposé une copie d’une simple lettre d’attestation en date du 25 août 2006, expliquant que sa fille avait fouillé dans les affaires de son père aux États-Unis pour trouver la lettre et lui envoyer la copie. Le tribunal s’est étonné du fait qu’elle n’avait pas déposé cette pièce avant, quand sa demande d’exile reposait sur l’implication politique de son mari. La Commissaire n’accorda aucune valeur probante à la lettre et trouva que le récit de persécution était nettement exagéré.

[15]  La demanderesse a seulement déposé des certificats médicaux corroborant la torture subie par son mari durant les jours d’audience. Le tribunal, notant qu’elle avait un conseil de grande expérience, n’accepta pas son explication qu’elle n’avait pas pensé que cette documentation serait pertinente. La commissaire n’accorda aucune valeur probante à ces documents.

[16]  La commissaire fit alors un survol des événements en Côte d’Ivoire durant les années 2000 et conclut que les allégations à propos du mari de la demanderesse n’étaient pas cohérentes avec la preuve documentaire concernant les développements à l’époque. Cette incohérence minait la crédibilité de la demanderesse sur un point au cœur de sa demande d’asile.

[17]  Le tribunal examina alors les raisons de la demanderesse pour ne pas avoir quitté son pays en 2006 en même temps que son mari, surtout quand elle avait éprouvé le besoin d’envoyer cinq de ses enfants en sécurité. Elle avait expliqué d’abord qu’elle détenait un travail bien rémunéré ; ensuite qu’elle n’était pas vraiment menacée et que ses enfants n’étaient pas vraiment impliqués. Ces explications étaient incohérentes. Elle était sur le bord de la retraite en 2006 et avait pris sa retraite en 2007 ; elle avait écrit qu’elle autant que son mari était surveillée par la police ; et elle avait envoyé ses enfants hors du pays. Le tribunal n’a donc pas cru que sa vie était en danger, ce qui mina sa crédibilité.

[18]  La demanderesse avait expliqué le fait de voyager au Canada au printemps de 2008 sans réclamer l’asile comme dû à des raisons familiales. Elle précisa que son fils était malade, mais ne se souvenait plus du diagnostic, que sa fille vivait chez elle, qu’elle avait beaucoup investi dans des salons de coiffure, et qu’elle gardait aussi une nièce (née en 1992) et une fille de son mari. Le tribunal constata que la fille en question était alors âgée de 32 ans et la fille du mari de la demanderesse de 21 ans, et que ces deux femmes auraient pu vivre indépendamment et prendre en charge la jeune nièce. Les investissements ne représentaient pas une raison valable pour rester si sa vie était menacée, ce que le tribunal ne crut pas. Le tribunal trouva incohérent le fait de ne pas demander l’asile au Canada si la demanderesse était en train de recevoir des appels de menaces, de porter plainte à la police, et de se cacher, à cette époque.

[19]  La commissaire examina l’agression du 9 septembre 2009. Mme Adou avait déposé un article de journal en date du 11 juin 2010 parlant d’une victime K.M.A. et sa fille C.T., violées et introuvables pendant neuf mois, et avait affirmé qu’il s’agissait d’elle et sa fille. Le tribunal questionna pourquoi l’article parlait d’un mari qui était haut cadre du parti houphouétiste tandis que M. Adou était technicien en imprimerie. Elle déclara que son mari avait travaillé à la mairie comme attaché de cabinet jusqu’en 2002 ou 2003, et après l’ajournement, elle déposa une nouvelle pièce pour corroborer ce fait. Elle expliqua l’omission de ce fait dans son récit en disant qu’elle avait raconté les détails qui lui concernaient. La commissaire constata une anomalie dans le carnet professionnel; la photo de M. Adou semblait être apposée par-dessus le sceau de la mairie et non le contraire, mais l’authenticité ne pouvait pas être vérifiée à partir d’une photocopie. En vue de cela et du dépôt de dernière minute, elle n’accorda aucune valeur probante à ces pièces.

[20]  Le tribunal ne crut pas que le mari de la demanderesse était un haut cadre de la mairie. Par ailleurs, le récit dans l’article de journal ne concordait pas avec le récit de la demanderesse; le titre même ne correspondait pas à son histoire. Le tribunal est venu à la conclusion qu’elle avait sélectionné l’article et avait fabriqué son récit à partir de cette histoire, d’autant plus que ça semblait invraisemblable que son mari serait encore recherché trois ans après son départ du pays. La commissaire n’accorda aucune valeur probante à l’article.

[21]  Le tribunal constata cependant que la demanderesse avait déposé un certificat médical visant à corroborer son allégation de viol. La commissaire l’a interrogé sur où elle s’était faite soigner après, et s’est prononcé sceptique sur le fait que son certificat médical provenait d’une clinique privée qui n’apparaissait pas sur Internet sur la carte de son quartier, alors qu’une centre hospitalier y était situé. Toutefois le certificat attestait à une lésion récente et la présence de spermatozoïdes. Le tribunal conclut qu’il y avait possiblement eu une agression, mais que ce n’était pas dans les circonstances alléguées.

[22]  Le tribunal prit aussi connaissance d’un rapport de psychologue relatant le traitement d’une symptomatologie post-traumatique importante au cours de février 2010 à juillet 2010. Le tribunal constata que la demanderesse s’était remis rapidement de ses problèmes mais ne mit pas en doute la conclusion de la psychologue qu’elle avait souffert d’une détresse importante. La commissaire nota cependant que cette évaluation reposait uniquement sur les déclarations de la demanderesse, la psychologue n’ayant pas été témoin des événements. Le tribunal n’accorda donc aucune valeur probante au rapport. La demanderesse avait aussi mentionné lors de l’audience qu’elle souffrait d’autres problèmes. En conséquence, le tribunal ne crut pas que ses problèmes soient reliés aux événements allégués.

[23]  Le tribunal conclut que la demanderesse n’était pas crédible pour l’essentiel de ses allégations concernant ses craintes de persécution.

[24]  La jurisprudence ayant confirmé que dans le cas des femmes, il était important de procéder à une analyse minutieuse pour vérifier si les circonstances particulières et la documentation sur le pays indiqueraient qu’elles pouvaient être considérées comme victimes de persécution, le tribunal analysa alors le contexte en Côte d’Ivoire. La commissaire constata que les femmes au pays étaient souvent victimes de violence domestique, de mariage forcé, et de mutilation sexuelle; que les viols étaient davantage dus à des événements sporadiques lors de guerres ou d’élections, mais que c’était difficile de porter plainte parce qu’on ignorait souvent les plaintes, et que les ressources d’aide étaient limitées. La demanderesse était une femme mature (âgée de presque 58 ans) et scolarisée, avec une grande famille. Elle avait dit à l’audience que plusieurs membres de sa famille étaient partis pour le Ghana en 2009 et 2010, mais elle n’a déposé aucune preuve à cet effet. Elle avait aussi plusieurs enfants adultes, quoique la plupart vivaient à l’extérieur du pays. Elle disposait d’un revenu associé à sa retraite et semblait bien vivre, pouvant se permettre de nombreux voyages et des séjours à l’hôtel. Elle se débrouillait déjà depuis 2006 sans le soutien de son mari.

[25]  Le tribunal conclut que la preuve ne démontrait pas une possibilité sérieuse que la demanderesse soit victime de persécution en tant que membre du groupe social des femmes.

[26]  La demanderesse n’étant pas crédible concernant l’essentiel de ses allégations, la commissaire conclut que l’article 97 ne s’appliquait pas.

[27]  Le tribunal vérifia quand même la possibilité de refuge interne [PRI], examinant la ville de Yamoussoukro, à quatre ou cinq heures d’Abidjan. Il conclut que de déménager dans cette ville ne mettrait pas la vie ou la sécurité de la demanderesse en péril et qu’elle pourrait se rétablir à cet endroit.

[28]  Le tribunal rejeta la demande d’asile.

IV.  Questions en litige

[29]  Les questions en litige sont les suivantes :

1.  Est-ce que le tribunal a erré en concluant à l’absence de crédibilité du récit de la demanderesse en usant de la conjecture ou en formant les conclusions d’invraisemblance?

2.  Est-ce que le tribunal a erré en concluant que la demanderesse n’aura pas une crainte de persécution en tant que membre du groupe social des femmes en Côte d’Ivoire?

3.  Est-ce qu’il y a eu violation de la justice naturelle, l’expectative légitime du fait que le tribunal n’a accordé aucun poids aux documents déposés tardivement?

4.  Est-ce que le tribunal a erré quant à sa conclusion sur le refuge interne?

V.  Norme de contrôle

[30]  La norme de contrôle pour les questions en litige est celle de la raisonnabilité.

VI.  Analyse

1.  Est-ce que le tribunal a erré en concluant à l’absence de crédibilité du récit de la demanderesse?

[31]  La demanderesse soutient que la Commissaire a eu recours à des conjectures sans fondement et souligne l'invraisemblance de rejeter sa demande sur la base qu'elle n'était pas crédible. Je suis d'accord qu'il y a un certain nombre de conclusions formulées par la Commissaire qui pourrait être décrites comme de la conjecture sur la base des faits sous-jacents. Toutefois, je trouve qu'il y a suffisamment de preuves pour appuyer la conclusion du tribunal que la demanderesse n'était pas crédible et qu’il manquait à son récit l’air de la réalité requis pour soutenir une crainte sérieuse de persécution en cas de retour en Côte-d'Ivoire qui serait liée aux activités politiques passées de son mari.

[32]  En ce qui concerne les activités politiques du mari de la demanderesse, je suis d'accord avec la demanderesse que la Commissaire peut à l’origine s’être aventurée dans des conjectures en concluant que le rôle politique relativement mineur du mari à la tête de l'une des cellules d'un parti politique ne pouvait pas expliquer son arrestation et sa torture les deux fois en 2004 et en 2006.

[33]  Cependant, l'aspect le plus important de ce témoignage était le manque de crédibilité de la demanderesse en omettant de mentionner, lors de la première description des activités de son mari, qu'il était censé être un officier supérieur du parti politique rattaché au bureau du maire de Cocody. Ce fait n'est sorti que quand la demanderesse tentait d'expliquer un certain nombre d'incohérences dans l'article du journal en date du 11 juin 2010 qu’elle avait déposé en preuve pour tenter de corroborer son histoire d'avoir été violée en 2009.

[34]  Non seulement les circonstances du retard en dévoilant cet élément important de preuve sont inexplicables, mais aussi les circonstances de la présentation du document soulevaient de l'incertitude quant à la nature des activités politiques du mari.

[35]  En plus de l'omission de se référer à la position politique importante du mari ou de présenter l'attestation en appui, les documents étaient des copies et donc non susceptibles d'être authentifiés. De plus, la carte professionnelle semblait soulevait des questions par le fait que la photo était apposée sur (et donc après) le sceau et non en dessous de celui-ci (et donc avant lui). Je suis d'accord que la preuve ne permettait à la Commissaire de n'accorder aucune valeur probante à l’attestation sur les activités politiques du mari.

[36]  Dans le même ordre des idées, la preuve suffit pour étayer la conclusion que la demanderesse n'a pas été persécutée avant l'incident d'agression sexuelle en 2009. Ses plaintes au sujet d'être interrogé sur le sort de son mari étaient des incidents mineurs et elle n’avait pas peur de s’en plaindre. Elle dit avoir demeuré au pays parce qu'elle avait son emploi bien rémunéré, mais elle était au bord de la retraite en 2006 et était à la retraite en novembre 2007. Elle a rendu visite au Canada et aux États-Unis en 2008 et elle est retournée dans son pays malgré ses allégations de problèmes à cette date. Le tribunal n’a pas trouvé satisfaisant ses explications que son fils avait un mal à l’estomac pour lequel elle ne se souvenait pas du diagnostic, que sa fille âgée de 32 ans avait besoin d’elle, et qu’elle avait des investissements dans des salons de coiffure. Un retour volontaire dans le pays d’origine est incompatible avec une crainte subjective de persécution. J'estime ces conclusions raisonnables et étayées par la preuve.

[37]  En ce qui concerne les événements entourant l’agression sexuelle de sa fille et elle-même en 2009, je suis également d'accord que la Commissaire peut conclure que la demanderesse a tenté d'induire en erreur le tribunal par l'introduction de l'article de journal du 11 juin 2010, avec le but de corroborer sa version des évènements.

[38]  La Commissaire a souligné de graves incohérences trouvées dans l'article de journal. Il s'agit notamment du fait que la femme et sa fille mentionnées dans l'article sont disparues pendant neuf mois, leurs parents étant sans nouvelles d'eux, et que récemment leur maison avait été saccagée et partiellement incendiée. Cela était incompatible avec les preuves fournies par la demanderesse à l’effet que, suite à l'agression sexuelle, un membre de la famille l'avait conduite à l'hôpital et que par la suite elle était allée à la police pour se plaindre. Elle racontait aussi qu’elle s’était cachée ensuite avec quatre de ses enfants pendant un mois avant de se plaindre à la police de nouveau.

[39]  Même si je suis d'accord avec la demanderesse que la Commissaire s’est trompée en concluant qu’elle s’est servie de l'article afin de fabriquer son histoire, je suis d'accord que les incohérences trouvées dans l'article de journal ont sérieusement miné sa crédibilité. Je suis également d'avis qu'il était raisonnable pour la Commissaire de conclure que la demanderesse a tenté de la tromper en affirmant que l'article portait sur l’agression sexuelle commis envers elle et sa fille.

[40]  Je suis également d'accord qu'il est invraisemblable que les autorités continuaient à rechercher son mari trois ans après qu'il avait quitté la Côte-d'Ivoire pour vivre aux États-Unis. Dans la même veine, il est franchement inconcevable que la demanderesse ferait l'objet de persécution à cause des activités politiques de son mari qui a quitté la Côte-d'Ivoire il y a sept ans pour vivre de façon permanente aux États-Unis.

2.  Est-ce que le tribunal a erré en concluant que la demanderesse n’aura pas une crainte de persécution en tant que membre du groupe social des femmes en Côte d’Ivoire?

[41]  La demanderesse soutient que la Commissaire a ignoré des éléments de preuve pertinents en concluant qu'il n'y avait pas de risque sérieux de persécution fondé sur le fait qu'elle était un membre du groupe social des femmes.

[42]  La Commissaire a reconnu son obligation de procéder à une analyse minutieuse pour vérifier si la demanderesse en raison des circonstances particulières et de la preuve documentaire concernant la violence sexuelle contre les femmes ne pouvait pas être considérée comme étant victime de persécution.

[43]  Le principal argument de la demanderesse était que la Commissaire n'a pas tenu compte de toute la documentation sur la situation du pays lorsqu'elle a affirmé que la violence contre les femmes avait été sporadique, survenant plus fréquemment pendant les guerres ou les élections. Elle a critiqué la Commissaire pour s’être s'appuyée sur le rapport d'Amnesty International, qui ne portait que sur une période de temps spécifique quant à ce sujet. En outre, elle contestait l'affirmation selon laquelle les agressions domestiques sur les femmes ont été les formes les plus fréquentes de viols, ce dont on ne faisait pas mention dans le rapport du Département d'État américain.

[44]  La Commissaire a toutefois cité de la documentation indiquant que les femmes en Côte d’Ivoire sont souvent victimes de violence conjugale, de mariage forcé, et de mutilations sexuelles, quoique sans fournir des statistiques. Elle a également évoqué de la documentation qui soutenait la conclusion que ces incidents se produisaient lors des élections, impliquant parfois la complicité du personnel du gouvernement, et qu’une aide limitée était fournie aux victimes de violence domestique. Ainsi, je conclus qu'il y avait de la preuve à l'appui de ses conclusions. La Commissaire n’a pas fait référence aux documents cités par la demanderesse, mais j’estime après révision de cette documentation qu’elle ne contredisait pas de manière importante les conclusions générales tirées par la Commissaire.

[45]  En outre, la Commissaire s'est appuyée sur la situation particulière de la demanderesse pour fonder sa décision. Les circonstances particulières de la demanderesse étaient: être âgée de 58 ans et bien éduquée, avec 18 ans de scolarité; avoir des membres de la famille vivant à Abidjan; avoir travaillé en étant bien rémunérée pour un certain nombre d'années dans une banque; être une femme d'affaires avec des investissements dans des salons de coiffure; et disposer de ressources suffisantes pour effectuer de fréquents vols internationaux. La Commissaire a conclu sur la base de la preuve que les circonstances particulières de la demanderesse ne démontraient pas un risque sérieux qu'elle serait victime de persécution par l'agression sexuelle en rentrant en Côte-d'Ivoire.

[46]  La Commissaire a reconnu que la demanderesse avait pu être victime d'une agression sexuelle, mais pas dans les circonstances qu'elle décrivait. La demanderesse ne soulève pas d'autres circonstances particulières qui la mettraient à risque de violence sexuelle à son retour en Côte-d'Ivoire. À la lumière de la preuve présentée devant la Commissaire, aucune erreur de révision ne s’est dégagée qui nécessiterait l’intervention de la Cour à l'égard de ses conclusions.

3.  Est-ce qu’il y a eu une violation de la justice naturelle?

[47]  La demanderesse fait valoir que, ayant permis l'introduction de plusieurs documents à la deuxième journée de l'audience, même lorsqu’en fonction des règles de procédure cela n’était pas obligatoire, la Commissaire avait créé une attente légitime que ces documents seraient pris en considération lors de l'analyse de son cas. Elle cite la décision Bouasla c Canada (MCI), 2005 CF 1544, à l’appui de cet argument.

[48]  Dans la décision citée, il y avait une indication que certaines étapes de procédure seraient suivis. Ces principes ne s’appliquent pas à l'examen de l'importance à accorder aux documents entrés en preuve. La Commissaire dispose d’un pouvoir discrétionnaire large pour prendre en compte les circonstances dans lesquelles les documents ont été obtenus et leur apparence d'authenticité en déterminant quel poids leur accorder.

[49]  En outre, une cour de révision n'a pas le droit de substituer son opinion sur le poids accordé à un document à moins que celui-ci ne soit manifestement déraisonnable. Ce n’est pas le cas pour les conclusions de la Commissaire en l’espèce en fonction de son appréciation de la preuve devant elle.

4.  Est-ce que le tribunal a erré quant à sa conclusion sur le refuge interne?

[50]  Il n’est pas nécessaire d'examiner la possibilité d'un refuge interne pour la demanderesse. Compte tenu de ma conclusion que la décision de la Commissaire est raisonnable et suffisamment expliquée, rejetant une crainte fondée de persécution soit à cause des activités politiques du mari de la demanderesse soit en raison d’être membre d'un groupe social, il n'est pas nécessaire pour la Cour de considérer cette question.

VII.  Conclusion

[51]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Il n’y a pas de question importante à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.  la demande de contrôle judiciaire est rejetée; et

2.  il n’y a pas de question importante à certifier.

« Peter Annis »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5701-13

 

INTITULÉ :

MACOURA KOUI EPSE ADOU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 juin 2014

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 juillet 2014

 

COMPARUTIONS :

ANNICK LEGAULT

 

Pour la demanderesse

 

THI MY DUNG TRAN

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Annick Legault

Avocat(e)

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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