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Date : 20140714

Dossier : IMM-4026-13

Référence : 2014 CF 679

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 juillet 2014

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

LUIS ANTONIO ALVARADO DUBKOV

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               M. Luis Antonio Alvarado Dubkov est citoyen du Guatemala. En juin 2009, il est arrivé au Canada à titre de résident temporaire pour vivre avec son oncle maternel, M. Chavez, et sa famille, tous citoyens canadiens. Au Guatemala, M. Dubkov vivait avec sa mère et des parents jusqu’au décès de sa mère, en janvier 2009. Il n’a jamais vécu avec son père et, après le décès de sa mère, il est demeuré sous la garde de la famille maternelle au Guatemala.

[2]               En août 2011, tout juste arrivé à l’âge adulte, M. Dubkov a été adopté par les Chavez, qui sont alors devenus ses parents adoptifs.

[3]               En septembre 2011, M. Dubkov a présenté une demande de citoyenneté canadienne à titre d’adulte adopté par des citoyens canadiens. Pour que sa demande soit accueillie, il devait établir à la fois qu’il existait un véritable lien affectif parent‑enfant entre lui et les Chavez avant qu’il n’atteigne l’âge de dix‑huit ans et au moment de l’adoption, et que l’adoption ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à la citoyenneté.

[4]               L’agente de citoyenneté a rejeté la demande, n’étant pas convaincue que les éléments de preuve fournis par M. Dubkov et ses parents adoptifs établissaient l’existence d’un véritable lien affectif parent‑enfant au moment indiqué, et n’étant pas convaincue que l’adoption visait autre chose que l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à la citoyenneté.

[5]               M. Dubkov a présenté une demande de contrôle judiciaire et demande à la Cour d’annuler la décision de l’agente. Il soutient que le lien entre lui et les Chavez satisfait aux conditions, et que l’agente n’a pas tenu compte des faits et des éléments de preuve et a donc tiré des conclusions déraisonnables. Le défendeur soutient que la décision est raisonnable, que l’agente a jugé les éléments de preuve insuffisants, et il souligne que les Chavez n’ont pas produit d’affidavit pour appuyer la thèse de M. Dubkov devant la Cour.

[6]               Les questions soulevées en l’espèce concernent l’appréciation des faits et de la preuve faite par l’agente, et je conviens avec les parties que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Dans ce contexte, la décision de l’agente appelle une grande retenue, et la Cour accordera l’annulation si elle conclut que l’agente a rendu sa décision de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait. La décision sera raisonnable si elle appartient aux issues possibles au regard des faits et du droit, et si elle est suffisamment transparente, intelligible et justifiée (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[7]               La Cour conclut que la décision de l’agente est raisonnable pour les motifs exposés ci‑dessous.

II.                CONTEXTE FACTUEL : OBTENTION DE LA CITOYENNETÉ CANADIENNE À TITRE D’ADULTE ADOPTÉ

[8]               Au cœur de la demande de M. Dubkov se trouve la possibilité qu’a l’adulte adopté par des citoyens canadiens de présenter une demande de citoyenneté canadienne. Le paragraphe 5.1(2) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29, énonce les conditions auxquelles le demandeur doit satisfaire pour que sa demande soit accueillie, dont deux sont pertinentes en l’espèce, à savoir :

1.         Il existait un véritable lien affectif parent‑enfant entre l’adoptant et l’adopté avant que celui‑ci n’atteigne l’âge de dix‑huit ans et au moment de l’adoption.

2.         L’adoption ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté.

[9]               Pour sa part, le Règlement sur l’immigration, DORS/93-246 énonce les facteurs à considérer pour établir si ces conditions ont été remplies. Il faut notamment examiner si l’adoption a définitivement rompu tout lien de filiation préexistant.

[10]           Ces dispositions sont reproduites à l’annexe des présents motifs.

III.             QUESTIONS

[11]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les trois questions suivantes :

1)                  L’agente a‑t‑elle commis une erreur en concluant que M. Dubkov n’avait pas établi l’existence d’un véritable lien affectif parent‑enfant entre lui et les Chavez avant qu’il n’atteigne l’âge de dix‑huit ans et au moment de l’adoption?

2)                  L’agente a‑t‑elle commis une erreur en concluant que M. Dubkov ne l’avait pas convaincue que son adoption ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration?

3)                  L’agente a‑t‑elle omis de tenir compte des éléments de preuve présentés par les Chavez ou de fournir des motifs suffisants?

IV.             THÈSE DES PARTIES ET ANALYSE

Question 1 : L’agente a‑t‑elle commis une erreur en concluant que M. Dubkov n’avait pas établi l’existence d’un véritable lien affectif parent‑enfant entre lui et les Chavez avant qu’il n’atteigne l’âge de dix‑huit ans et au moment de l’adoption?

(a)                Observations de M. Dubkov

[12]           M. Dubkov soutient que la conclusion de l’agente selon laquelle il avait un lien parent‑enfant avec son père biologique est déraisonnable. Il affirme plutôt que son lien avec son père biologique n’était pas [traduction] « normal » comme l’agente l’a caractérisé, mais qu’au contraire, son père biologique était largement absent et se contentait de jouer un rôle secondaire dans sa vie, même après la mort de sa mère. De plus, le fait que son père biologique entretenait une mince relation continue avec lui ne signifie pas que l’adoption n’avait pas définitivement rompu tout lien de filiation préexistant (Adejumo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1485, aux paragraphes 12 à 14, citant le Bulletin opérationnel 183 de Citoyenneté et Immigration Canada [CIC]).

[13]           M. Dubkov soutient qu’il était déraisonnable pour l’agente de se fonder sur le fait qu’il n’appelait pas les Chavez « maman » et « papa ». Il affirme avoir témoigné qu’il ne se sentait pas à l’aise de les appeler « maman » et « papa » en espagnol, car il avait grandi en les appelant « tante » et « oncle », mais qu’il les appelait « mom » et « dad » quand il parlait anglais.

[14]           M. Dubkov affirme que la Cour a dressé une liste non exhaustive de facteurs dont il faut tenir compte pour apprécier le caractère véritable du lien affectif parent‑enfant dans la décision Buenavista c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 609, au paragraphe 8 [Buenavista], et que l’agente n’a pas tenu compte de ces facteurs. Selon lui, l’analyse de ces facteurs révèle un véritable lien affectif parent‑enfant entre lui et les Chavez, et, en ne tenant pas compte de ces facteurs, l’agente a rendu une décision qui manquait de transparence, d’intelligibilité et de justification (Davis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1243, aux paragraphes 9 à 11 [Davis]).

(b)                Observations du défendeur

[15]           Le défendeur soutient que les conclusions de l’agente sont raisonnables. Le père biologique de M. Dubkov entretenait une relation continue avec lui, et il était loisible à l’agente de conclure à l’existence d’un lien parent‑enfant. Même les parents qui n’ont pas la garde de leurs enfants peuvent avoir un lien parent‑enfant avec ceux-ci, et il n’existe pas de lien parent‑enfant [traduction] « normal » universel.

[16]           L’allégation de M. Dubkov selon laquelle l’agente a mal interprété son témoignage à propos du fait qu’il ne se sentait pas à l’aise d’appeler les Chavez « maman » et « papa » en espagnol n’est justement qu’une allégation – non soutenue par les éléments de preuve.

[17]           De plus, les facteurs énoncés dans la décision Buenavista ne sont que des facteurs non exhaustifs. La principale question est celle de savoir si la décision est raisonnable, et non si l’agente a passé en revue une liste de facteurs. La Cour ne devrait pas se fonder sur la décision Davis, parce que la Cour d’appel fédérale est maintenant saisie de cette affaire.

(c)                Analyse

[18]           La conclusion de l’agente selon laquelle les Chavez n’avaient pas de véritable lien affectif parent‑enfant avec le demandeur avant qu’il n’atteigne l’âge de dix‑huit ans et au moment de l’adoption est une conclusion de fait. La Cour doit faire preuve d’une grande déférence à l’égard des conclusions de fait tirées par un agent, particulièrement lorsque, comme en l’espèce, la décision se trouve au cœur même de l’expertise du décideur. Par conséquent, M. Dubkov doit montrer que l’agente a rendu sa décision « de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont [elle] dispos[ait] » (Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, alinéa 18.1(4)d)).

[19]           Il incombe à M. Dubkov de produire des éléments de preuve pour établir qu’un véritable lien affectif parent‑enfant existait au moment indiqué, c’est‑à‑dire de montrer que les Chavez avaient assumé le rôle de parents dans sa vie non seulement sur le plan juridique, mais également sur le plan pratique (Rai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 77, au paragraphe 21).

[20]           Les motifs sur lesquels l’agente s’appuie pour conclure qu’un tel lien n’existait pas sont loin d’être parfaits. Elle a d’abord conclu que M. Dubkov avait un lien parent‑enfant normal avec son père biologique. Quoique je ne qualifierais pas nécessairement le lien parent‑enfant entre M. Dubkov et son père biologique de « normal », ou d’« idéal » à tout le moins, la question pertinente ne consiste pas à se demander si la cour de révision serait parvenue à une conclusion différente, mais plutôt à décider si, à la lumière du dossier, la conclusion était raisonnable.

[21]           Toutefois, je n’ai pas besoin de me prononcer sur le caractère raisonnable de cette première conclusion parce que l’agente a fourni un deuxième motif pour conclure à l’inexistence d’un véritable lien affectif parent‑enfant : selon elle, le lien entre M. Dubkov et les Chavez s’apparentait à un lien normal entre un oncle et une tante et leur neveu. Malgré l’absence d’analyse complète à l’appui, le dossier révèle que l’agente a tiré une conclusion raisonnable sur ce point.

[22]           Premièrement, les éléments de preuve du demandeur sur la nature du lien qu’il avait avec les Chavez avant de venir au Canada comportent des incohérences. M. Dubkov a témoigné que, après le décès de sa mère, les Chavez avaient continué de communiquer avec lui par téléphone et par courriel, mais de manière peu fréquente et irrégulière. En revanche, les Chavez ont témoigné que le contact était constant et régulier. M. Dubkov et les Chavez ont fourni de minces éléments de preuve pour corroborer le lien qu’ils avaient avant l’arrivée du demandeur au Canada. Les Chavez ont témoigné avoir vu M. Dubkov trois ou quatre fois à l’occasion de diverses visites faites au Guatemala, mais il semble qu’une seule de ces visites ait eu lieu après le décès de la mère biologique de M. Dubkov. Les Chavez ont aussi témoigné avoir soutenu financièrement M. Dubkov après le décès de sa mère biologique, mais aucun élément de preuve documentaire ne corrobore cette affirmation. En d’autres mots, le dossier ne permet pas de conclure sans équivoque qu’avant la venue de M. Dubkov au Canada, les Chavez jouaient un rôle parental dans sa vie.

[23]           Deuxièmement, M. Dubkov n’a pas produit de preuve documentaire importante pour corroborer le fait que les Chavez avaient pris soin de lui au point de créer un véritable lien affectif parent‑enfant, même en ce qui concerne la période suivant son arrivée au Canada en 2009. Bien qu’il ressorte des notes d’entrevue que les Chavez ont pris bien soin de M. Dubkov, qu’ils ont apparemment subvenu à ses besoins et l’ont soutenu au Canada (ce que l’agente reconnaît dans sa décision), le demandeur a le fardeau de démontrer l’existence d’un véritable lien affectif parent‑enfant, et non le simple fait que ses parents adoptifs ont pris soin de lui et l’ont soutenu. Étant donné la minceur de la preuve documentaire à cet égard, la conclusion de l’agente selon laquelle le lien que les Chavez avaient avec M. Dubkov s’apparentait à celui d’oncle et de tante plutôt qu’à un lien de parents n’est ni abusive, ni arbitraire, ni dénuée de fondement eu égard au dossier.

[24]           Le fait que l’agente n’a pas procédé à une analyse exhaustive du dossier ni détaillé méticuleusement son raisonnement ne rend pas la décision déraisonnable. Lorsqu’il s’agit d’apprécier le caractère raisonnable d’une décision, la Cour suprême a statué que « les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 14 [Newfoundland Nurses]). Si la Cour « ne doit donc pas substituer ses propres motifs », elle peut, si c’est nécessaire, « examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat » (Newfoundland Nurses, au paragraphe 15). En effet, même si les motifs du décideur « ne semblent pas tout à fait convenables pour étayer la décision, la cour de justice doit d’abord chercher à les compléter avant de tenter de les contrecarrer » (Newfoundland Nurses, au paragraphe 12). Ces principes ont été observés et appliqués dans un certain nombre d’affaires (voir p. ex. Andrade c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1490, aux paragraphes 7 à 13 [Andrade]; Persaud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 274, au paragraphe 15; Rahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 319, aux paragraphes 30 et 31).

[25]           Par conséquent, l’agente n’était pas tenue d’exposer la preuve en détail ni d’expliquer son raisonnement tout entier dans ses motifs.

[26]           M. Dubkov soutient que l’agente aurait dû passer en revue les facteurs énoncés dans la décision Buenavista et que son défaut de le faire était déraisonnable. Je ne suis pas de cet avis. Le fait que l’agente n’a pas expressément examiné toute la liste ne signifie pas qu’elle a omis de prendre en considération la substance des facteurs pertinents.

[27]           Étant donné que le dossier appuie la conclusion de l’agente, l’agente n’a pas tiré sa conclusion de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait. La conclusion de l’agente selon laquelle il n’y avait pas de véritable lien affectif parent‑enfant est donc raisonnable et ne doit pas être modifiée.

Question 2 : L’agente a‑t‑elle commis une erreur en concluant que M. Dubkov ne l’avait pas convaincue que son adoption ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration?

(a)                Observations de M. Dubkov

[28]           L’agente a conclu que les raisons qui avaient incité M. Dubkov et les Chavez à procéder à l’adoption étaient [traduction] « mis à part le sentiment d’appartenance à une famille, l’obtention d’une meilleure éducation, d’avantages économiques et d’une meilleure qualité de vie au Canada ». M. Dubkov soutient qu’il était déraisonnable pour l’agente de conclure que ces avantages accessoires comptaient davantage que les circonstances de son adoption, qui révélaient un véritable lien affectif parent‑enfant. Rien ne donne à penser, affirme‑t‑il, que l’adoption était un subterfuge ni qu’elle était entachée de mauvaise foi.

[29]           L’agente a également omis de tenir compte du chapitre 14 du guide opérationnel des politiques de citoyenneté de CIC 14 – Adoptions [le document de référence CP14], qui indique comment déterminer le caractère véritable de l’adoption. M. Dubkov soutient que la plupart des facteurs qui y sont énoncés révèlent que son adoption ne visait pas principalement l’acquisition des avantages de la citoyenneté. La Cour a déjà annulé une décision au motif que les lignes directrices du document de référence CP14 n’avaient pas été suivies (Tran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 201).

(b)                Observations du défendeur

[30]           Le défendeur soutient que la conclusion de l’agente était raisonnable parce que, si l’agente a reconnu que l’adoption visait en partie à donner un sentiment d’appartenance à M. Dubkov, M. Dubkov et les Chavez ont aussi déclaré que l’adoption visait l’obtention des avantages de la citoyenneté, comme une meilleure éducation, des avantages économiques et une meilleure qualité de vie.

[31]           Le défendeur souligne aussi qu’au moment de l’adoption, M. Dubkov était déjà adulte, de sorte que l’adoption avait une signification très limitée sur le plan juridique, et n’avait aucun effet sur le lien personnel entre le demandeur et les Chavez.

[32]           Le défendeur ajoute que M. Dubkov, à qui incombe le fardeau de la preuve, devait établir que l’adoption aurait eu lieu même s’il n’avait eu aucune chance d’obtenir un avantage lié à la citoyenneté. Il ne s’est pas acquitté de ce fardeau.

(c)                Analyse

[33]           La conclusion de l’agente selon laquelle l’adoption visait principalement l’acquisition d’un privilège relatif à la citoyenneté est aussi une conclusion de fait qui commande une grande retenue. Le raisonnement à l’appui de cette conclusion est le suivant : M. Dubkov et les Chavez ont indiqué que l’adoption avait eu lieu pour permettre à M. Dubkov de bénéficier [traduction]  « d’une meilleure éducation, d’avantages économiques et d’une meilleure qualité de vie au Canada », en plus du sentiment d’appartenance à une famille.

[34]           Ce raisonnement sommaire laisse grandement à désirer. Néanmoins, l’examen du dossier appuie le caractère raisonnable de la conclusion de l’agente, au moins pour deux motifs.

[35]           Premièrement, M. Dubkov n’a pas fourni de preuve documentaire montrant un empressement ou une motivation quelconque à procéder à l’adoption avant ses dix-huit ans, même s’il semble que M. Dubkov se soit trouvé sans statut au Canada pendant quelque temps. Bien que M. Dubkov ait joint une copie du formulaire [traduction] « Affidavit des demandeurs en adoption », fait sous serment par les Chavez le 5 août 2009, rien n’indique qu’il s’agit du formulaire qui a lancé le processus d’adoption, adoption qui a finalement été formalisée après les dix‑huit ans du demandeur. Aucun élément de preuve ne montre non plus que les Chavez ou M. Dubkov poussaient ou exhortaient le père biologique à signer le formulaire de consentement, ce qu’il a finalement fait le 12 juin 2011. Durant l’entrevue, les Chavez ont témoigné ne pas avoir adopté immédiatement M. Dubkov parce qu’ils voulaient lui donner la chance de voir s’il aimait vivre avec leur famille au Canada. Le dossier ne montre donc pas que M. Dubkov et les Chavez étaient particulièrement désireux de conclure l’adoption avant les dix‑huit ans de M. Dubkoz, âge à partir duquel l’adoption devenait beaucoup plus simple.

[36]           Deuxièmement, le dossier semble indiquer que le coût des études postsecondaires de M. Dubkov a pu motiver fortement celui‑ci à obtenir la citoyenneté. M. Dubkov a obtenu son diplôme d’études secondaires en 2012 avec de bonnes notes, mais il a été accepté à l’université pour l’année scolaire 2013‑2014, plutôt que pour l’année 2012‑2013. Rien n’explique pourquoi le demandeur n’est pas allé à l’université l’année où il a obtenu son diplôme d’études secondaires. La Cour a demandé à l’avocat du demandeur si M. Dubkov fréquentait actuellement l’université, ce à quoi l’avocat n’a pu répondre. De plus, lors de l’entrevue, les Chavez avaient déclaré qu’ils n’étaient pas prêts à payer les études universitaires de M. Dubkov à titre d’étudiant étranger, parce que les étudiants étrangers payaient des droits de scolarité beaucoup plus élevés que les résidents permanents ou les citoyens.

[37]           Comme il a été discuté ci‑dessus, l’agente n’était pas tenue de mentionner chaque élément de preuve dans ses motifs. Étant donné que la conclusion trouve appui dans le dossier, on ne saurait dire que l’agente l’a tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte du dossier. La conclusion est donc raisonnable.

[38]           Je souhaite me pencher brièvement sur l’argument de M. Dubkov selon lequel la décision est déraisonnable parce que l’agente a omis de suivre les lignes directrices du document de référence CP14. Un argument semblable avait été soulevé devant mon collègue, le juge Phelan, dans la décision Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1177. J’estime que la conclusion suivante, au paragraphe 16 de cette décision, s’applique aussi à l’espèce :

Je ne décèle aucune lacune juridique dans cette décision, et je rejette l’argument selon lequel l’agent n’aurait pas suivi les lignes directrices du Ministère. Non seulement s’agit-il de simples lignes directrices – ce qui signifie qu’il n’est pas nécessaire de tenir compte de tous les facteurs possibles dans l’analyse –, mais l’agent a traité tous les points pertinents dans ces lignes directrices.

[39]           Pour ces motifs, la conclusion de l’agente selon laquelle M. Dubkov n’avait pas établi que son adoption ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté était raisonnable, et ne doit pas être modifiée.

Question 3 : L’agente a‑t‑elle omis de tenir compte des éléments de preuve présentés par les Chavez ou de fournir des motifs suffisants?

(a)                Observations de M. Dubkov

[40]           M. Dubkov soutient que l’agente a omis de tenir compte des éléments de preuve présentés par les Chavez en déterminant le caractère véritable du lien affectif parent‑enfant. En outre, l’agente a maintes fois désigné les Chavez comme étant sa tante et son oncle, quand ils sont en fait ses parents adoptifs, ce qui donne à penser que l’agente les considérait d’emblée comme sa tante et son oncle, et non comme ses parents.

[41]           M. Dubkov soutient que l’insuffisance des motifs de l’agente justifiant le rejet apparent des éléments de preuve des Chavez constitue une erreur susceptible de contrôle.

(b)                Observations du défendeur

[42]           Le défendeur souligne que les Chavez n’ont pas souscrit d’affidavit à l’appui de la présente demande. Il est donc fallacieux pour M. Dubkov de contester les conclusions de fait de l’agente ou son appréciation des éléments de preuve.

[43]           En outre, la Cour suprême a établi clairement que l’insuffisance des motifs ne constitue pas en soi un motif d’ordre procédural permettant d’annuler une décision. Plutôt, le caractère adéquat des motifs doit être analysé en conjonction avec le caractère raisonnable du résultat (Newfoundland Nurses, aux paragraphes 20 à 22). La décision dans son ensemble étant raisonnable, la contestation fondée sur l’insuffisance des motifs ne saurait être accueillie.

(c)                Analyse

[44]           Comme il a été discuté ci‑dessus, l’insuffisance des motifs ne constitue pas en soi un motif permettant d’infirmer une décision, et l’agente n’était pas tenue de mentionner expressément chacun des éléments de preuve qui lui avaient été présentés. Le décideur est présumé avoir pris connaissance de tous les éléments de preuve dont il dispose : Andrade, au paragraphe 11; Guevara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 242, au paragraphe 41; Ayala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 690, au paragraphe 23). Le simple fait que l’agente n’a pas mentionné expressément le témoignage des Chavez ne signifie pas qu’elle n’en a pas tenu compte et qu’elle ne l’a pas dûment soupesé. M. Dubkov a fourni une mince preuve documentaire pour corroborer les déclarations des Chavez et, comme le souligne le défendeur, les Chavez n’ont pas eux‑mêmes souscrit d’affidavit à l’appui de la présente demande. Rien n’indique donc que l’agente a manqué un important document qui allait à l’encontre de ses conclusions. Par conséquent, je rejette l’argument du demandeur sur ce point.

[45]           La plainte de M. Dubkov concernant les mots [traduction] « tante et oncle » que l’agente utilisait pour désigner les Chavez semble être une allégation de partialité à peine voilée. Une telle allégation n’est pas fondée.

V.                CONCLUSION

[46]           Pour les motifs énoncés ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire de M. Dubkov est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Martine St-Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


ANNEXE

 

Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29

Cas de personnes adoptées — mineurs

5.1 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le ministre attribue, sur demande, la citoyenneté à la personne adoptée par un citoyen le 1er janvier 1947 ou subséquemment lorsqu’elle était un enfant mineur. L’adoption doit par ailleurs satisfaire aux conditions suivantes :

a) elle a été faite dans l’intérêt supérieur de l’enfant;

b) elle a créé un véritable lien affectif parent-enfant entre l’adoptant et l’adopté;

c) elle a été faite conformément au droit du lieu de l’adoption et du pays de résidence de l’adoptant;

d) elle ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté.

Cas de personnes adoptées — adultes

(2) Sous réserve du paragraphe (3), le ministre attribue, sur demande, la citoyenneté à la personne adoptée par un citoyen le 1er janvier 1947 ou subséquemment lorsqu’elle était âgée de dix-huit ans ou plus, si les conditions suivantes sont remplies :

a) il existait un véritable lien affectif parent-enfant entre l’adoptant et l’adopté avant que celui-ci n’atteigne l’âge de dix-huit ans et au moment de l’adoption;

b) l’adoption satisfait aux conditions prévues aux alinéas (1)c) et d).

Adoptees — minors

5.1 (1) Subject to subsection (3), the Minister shall on application grant citizenship to a person who was adopted by a citizen on or after January 1, 1947 while the person was a minor child if the adoption

(a) was in the best interests of the child;

(b) created a genuine relationship of parent and child;

(c) was in accordance with the laws of the place where the adoption took place and the laws of the country of residence of the adopting citizen; and

(d) was not entered into primarily for the purpose of acquiring a status or privilege in relation to immigration or citizenship.

Adoptees — adults

(2) Subject to subsection (3), the Minister shall on application grant citizenship to a person who was adopted by a citizen on or after January 1, 1947 while the person was at least 18 years of age if

(a) there was a genuine relationship of parent and child between the person and the adoptive parent before the person attained the age of 18 years and at the time of the adoption; and

(b) the adoption meets the requirements set out in paragraphs (1)(c) and (d).

Règlement sur la citoyenneté, DORS/93-246

5.3 (1) La demande présentée en vertu du paragraphe 5.1(2) de la Loi relative à une personne qui était âgée de dix‑huit ans ou plus au moment de l’adoption doit :

a) être faite à l’intention du ministre, selon la formule prescrite et signée par la personne;

b) être déposée, accompagnée des documents prévus au paragraphe (2), auprès du greffier.

[…]

(3) Les facteurs ci-après sont considérés pour établir si les conditions prévues au paragraphe 5.1(2) de la Loi sont remplies à l’égard de l’adoption de la personne visée au paragraphe (1) :

a) dans le cas où la personne a été adoptée par un citoyen qui résidait au Canada au moment de l’adoption :

(i) le fait que les autorités compétentes de la province de résidence du citoyen au moment de l’adoption ont déclaré par écrit qu’elles ne s’opposent pas à celle-ci,

(ii) le fait que l’adoption a définitivement rompu tout lien de filiation préexistant;

b) dans les autres cas, le fait que l’adoption a définitivement rompu tout lien de filiation préexistant.

5.3 (1) An application made under subsection 5.1(2) of the Act in respect of a person who was adopted while he or she was at least 18 years of age shall be

(a) made to the Minister in the prescribed form and signed by the person; and

(b) filed, together with the materials described in subsection (2), with the Registrar.

[…]

(3) The following factors are to be considered in determining whether the requirements of subsection 5.1(2) of the Act have been met in respect of the adoption of a person referred to in subsection (1) :

(a) whether, in the case a person who has been adopted by a citizen who resided in Canada at the time of the adoption,

(i) a competent authority of the province in which the citizen resided at the time of the adoption has stated in writing that it does not object to the adoption, and

(ii) the pre-existing legal parent-child relationship was permanently severed by the adoption; and

(b) whether, in all other cases, the pre-existing legal parent-child relationship was permanently severed by the adoption.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4026-13

 

INTITULÉ :

LUIS ANTONIO ALVARADO DUBKOV c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 MAI 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 JUILLET 2014

 

COMPARUTIONS :

Mme Adela Crossley

 

POUR LE DEMANDEUR

 

M. Lorne McClenaghan

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme Adela Crossley

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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