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Date : 20140708


Dossier : IMM-1180-13

Référence : 2014 CF 663

[Traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 8 juillet 2014

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

BIBI SALAMU ODIA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

APERÇU

[1]               Madame Bibi Salamu Odia est une citoyenne de la République démocratique du Congo (la RDC) qui a demandé l’asile en raison des pressions, équivalant à de la persécution, exercées par ses beaux‑parents pour qu’elle épouse le frère de son époux décédé, qui serait séropositif. Elle sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’un commissaire de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datée du 15 janvier 2013, dans laquelle le commissaire avait conclu qu’elle n’était pas crédible et qu’elle n’avait pas, par conséquent, qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[2]               La demanderesse soutient que le commissaire de la SPR a manqué à l’obligation d’équité procédurale en omettant de satisfaire à son attente légitime qu’il appliquerait et respecterait les Directives no 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe) et que, de façon plus générale, son appréciation de sa crédibilité est déraisonnable.

QUESTIONS EN LITIGE ET NORME DE CONTRÔLE

[3]               La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions en litige suivantes :

i)                   Le commissaire de la SPR a‑t‑il manqué à l’obligation d’équité procédurale en omettant de satisfaire à l’attente légitime de la demanderesse qu’il prendrait en compte de façon significative les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe?

ii)                 La décision du commissaire de la SPR était‑elle raisonnable?

[4]               La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 50; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43), tandis que la norme de la raisonnabilité s’applique à l’appréciation de la crédibilité effectuée par le commissaire de la SPR (Aguilar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 150, au paragraphe 14; Mejia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 354, au paragraphe 26; Zarza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 139, au paragraphe 16).

ANALYSE

Application des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et Équité procédurale

[5]               La demanderesse soutient que dans Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, la Cour suprême du Canada a énoncé un certain nombre de critères relatifs à l’obligation d’équité procédurale. Ce sont :

i)                   La nature de la décision;

ii)                 La nature du régime législatif et les termes de la loi régissant l’organisme;

iii)               L’importance de la décision;

iv)               Les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision;

v)                 Les choix de procédure que l’organisme fait lui‑même et ses contraintes institutionnelles;

vi)               L’influence des principes énoncés dans la Charte canadienne des droits et libertés quant à la protection en matière de procédure.

[6]               La demanderesse soutient qu’elle s’attendait légitimement à ce que le commissaire de la SPR prenne en compte de façon significative les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et qu’il préside l’audience et la questionne en se montrant attentif et sensible au fait qu’elle a été victime de persécution fondée sur le sexe dans la RDC. Au contraire, le commissaire a été insensible, intimidant et impatient avec la demanderesse, ce qui a rendu celle‑ci mal à l’aise et incapable de relater son récit de façon correcte et exhaustive à l’audience.

[7]               J’ai écouté l’enregistrement de l’audience devant la SPR, et je conclus que l’interrogatoire du commissaire n’était pas intimidant et que celui‑ci avait montré un degré suffisant de patience dans les circonstances. Il a laissé l’avocat de la demanderesse intervenir pendant son interrogatoire, aussi souvent que celui-ci l’a demandé.

[8]               Toutefois, je ne suis pas d’accord avec la conclusion du commissaire selon laquelle le témoignage de la demanderesse, lequel, selon lui, contenait « des omissions et contradictions importantes puisque allant directement au cœur même de sa demande d’asile, ainsi que par des invraisemblances » a miné la crédibilité de celle-ci. J’estime plutôt que la demanderesse semblait fragile, vulnérable et confuse pendant son témoignage, et qu’elle avait de la difficulté à comprendre les questions du commissaire. Celui‑ci a souvent dû poser la même question plus d’une fois et reformuler ses questions afin de se faire comprendre par la demanderesse. Toutefois, une fois que celle‑ci eut compris la question, elle répondait de façon directe, conforme à son récit, comme elle l’a relaté dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP).

[9]               Je conviens avec la demanderesse que, pour que la SPR prenne en compte de façon significative les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, elle doit apprécier le témoignage de la demanderesse tout en étant attentive et sensible à son sexe, aux normes sociales, culturelles, économiques et religieuses de sa communauté et « aux facteurs susceptibles d’influencer le témoignage des femmes qui ont été victimes de persécution » (Bennis c Canada (Ministre de l’Immigration et de la Citoyenneté), 2001 CFPI 968, au paragraphe 14). En l’espèce, le commissaire de la SPR n’a pas montré la sensibilité voulue dans son appréciation du témoignage de la demanderesse. En ce sens, les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe n’ont pas été appliquées comme il se devait, et les attentes de la demanderesse n’ont pas été satisfaites.

Raisonnabilité de la décision

[10]           La SPR jette un doute sur quatre faits différents énoncés dans l’exposé circonstancié de la demanderesse :

i)                   Le moment où ont été proférées les menaces de mort à son endroit, en septembre 2008 ou en juillet 2009;

ii)                 Le moment où elle a décidé de quitter le pays, en septembre 2008 ou en juillet 2009;

iii)               Le moment où son frère et sa sœur ont reçu des menaces de mort;

iv)               L’improbabilité qu’elle ne soit pas sortie de chez elle pendant 15 mois.

[11]           En ce qui concerne ces trois éléments, il semble que ces questions aient suscité une certaine confusion pendant une bonne partie de l’audience. Toutefois, et comme il est indiqué plus haut, une fois que le commissaire et la demanderesse eurent dissipé la confusion, le témoignage de la demanderesse était conforme à son FRP, et elle a pu expliquer comme il se devait la chronologie des événements qui ont mené à la présentation de sa demande d’asile.

[12]           En ce qui concerne la conclusion du commissaire quant à l’improbabilité, la demanderesse a expliqué pendant l’audience que, durant une période de 15 mois avant de quitter la RDC, elle s’était mise « à l’abri » sur sa propriété, qui comptait 40 mètres carrés et était ceinte de murs élevés. Le témoignage de la demanderesse à cet égard était spontané; à un moment donné, elle a ajouté que, parce qu’elle avait été sédentaire pendant une longue période, elle avait pris du poids et avait des photographies en attestant. Le commissaire de la SPR n’a pas indiqué dans ses motifs les raisons pour lesquelles il avait jugé improbable qu’une femme dans la situation de la demanderesse se terre pendant un certain temps parce qu’elle risquait d’être forcée à épouser un homme soupçonné d’être séropositif et parce qu’elle faisait l’objet de menaces de mort.

Questions à certifier

[13]           À l’audience, les avocats des parties ont été invités à proposer des questions de portée générale à certifier. L’avocat de la demanderesse m’a demandé s’il pouvait me répondre par écrit après l’audience, ce qu’il a fait en proposant la question suivante :

Quels critères faut-il appliquer pour établir si un commissaire a appliqué de façon significative les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe?

[14]           Le critère applicable aux questions à certifier est énoncé à l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, et au paragraphe 18(1) des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22. Le critère qui s’applique à la certification d’une question est de savoir s’il existe « une question grave de portée générale qui permettrait de régler un appel » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zazai, 2004 CAF 89, au paragraphe 11).

[15]           Une « question grave de portée générale » est une question qui transcende le contexte factuel dans lequel elle se pose, qui se prête à une approche générique et qui est susceptible d’apporter une réponse d’application générale (Boni c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 68, aux paragraphes 4 à 11).

[16]           Le processus de certification ne doit pas être utilisé comme un moyen d’obtenir de la Cour d’appel fédérale des jugements déclaratoires à l’égard de questions subtiles qu’il n’est pas nécessaire de trancher pour rejeter une affaire donnée (Liyanagamage c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 1994, 176 NR 4).

[17]           Rien ne justifie la certification de la question proposée. La question a été examinée en profondeur dans la jurisprudence de la Cour, et celle‑ci a établi des paramètres clairs pour l’appréciation de la question de savoir si la SPR a appliqué comme il se devait les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe.

[18]           Malgré le fait que les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe ne lient pas la SPR, la Cour a souvent affirmé que la SPR n’en doit pas moins appliquer les principes incarnés dans celles‑ci d’une façon significative (A.M.E. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 444). Il ne suffit pas que la SPR indique que les Directives ont été appliquées, puis néglige de montrer la façon dont elles ont été appliquées (Yoon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1017, au paragraphe 5; Myle c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 871). L’analyse se rapportant au caractère suffisant de l’application des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe est subsumée sous la norme de contrôle de la raisonnabilité telle que celle‑ci s’applique aux conclusions quant à la crédibilité (Hernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 106, au paragraphe 13; Higbogun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 445, au paragraphe 22). La Cour doit faire une analyse essentiellement fondée sur les faits.

[19]           Pour cette raison, la demanderesse n’a pas soulevé de question grave de portée générale.

CONCLUSION

[20]           À la lumière de ce qui précède, je fais droit à la présente demande de contrôle judiciaire. Vu les erreurs commises en ce qui concerne l’application des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et l’appréciation déficiente de la crédibilité, la décision doit être annulée et renvoyée pour nouvel examen à un tribunal différemment constitué.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen à un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié;

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Jocelyne Gagné »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1180-13

 

INTITULÉ :

BIBI SALAMU ODIA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 AVRIL 2014

 

jugEment ET MOTIFS :

LA JUGE GAGNÉ

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 8 JUILLET 2014

 

COMPARUTIONS :

Arthavan Gerami

Luna-Martine Jean

 

pour la demanderesse

 

Sarah Sherhols

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gerami Law PC

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

PoUr LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

PoUr LE DÉFENDEUR

 

 

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