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Date : 20140228

Dossier :

T-404-14

 

Référence : 2014 CF 197

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 28 février 2014

 

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

LES BANDES INDIENNES ET NATIONS  AHOUSAHT, EHATTESAHT, HESQUIAHT, MOWACHAHTÉMUCHALAHT ET TLA-O-QUI-AHT

 

demanderesses

et

MINISTRE DES PÊCHES ET OCÉANS

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Introduction

 

[1]               Les Premières nations demanderesses sollicitent la délivrance d’une injonction interlocutoire interdisant l’ouverture de la pêche au hareng prêt à frayer sur la côte ouest de l’île de Vancouver (COIV), jusqu’à ce que leur demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre des Pêches et des Océans du Canada approuvant le Plan de gestion intégrée des pêches au hareng du Pacifique, y compris la pêche commerciale sur la COIV, soit entendue.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, j’ai accueilli la demande d’injonction le vendredi 21 février 2014. Voici l’explicitation des motifs que j’ai rendus de vive voix. 

 

Historique

 

[3]               Les demanderesses sont cinq Premières nations Nuu-chah-nulth situées sur la côte ouest de l’île de Vancouver : Ahousaht, Ehattesaht, Hesquiaht, Mowachaht/Muchalaht et Tla-o-qui-aht.

 

[4]               Les droits ancestraux de pêche et de vente de poisson ont été reconnus et confirmés par la décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans Ahousaht Indian Band c Canada (Attorney General), 2009 BCSC 1494 [Ahousaht], conf. par 2011 BCCA 237, 2011 CSCR 353, conf. par 2013 BCCA 300, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 34387 (30 janvier 2014). Bien que cette décision ait été portée en appel, la conclusion suivant laquelle les demanderesses possèdent un droit ancestral les autorisant à pêcher et à vendre du poisson est demeurée inchangée. Le juge Garson a expressément ordonné ce qui suit :

 

[traduction]

4.  Les parties ont maintenant la possibilité de consulter et de négocier la manière selon laquelle les droits ancestraux de pêche et de vente de poisson peuvent faire l’objet de mesures d’accommodement et peuvent être exercés sans compromettre les objectifs législatifs et les intérêts sociaux visées par le Canada en règlementant la pêche. 

 

 

(Ahousaht, au paragraphe 909, non souligné dans l’original)

 

 

[5]               Le juge Garson a également souligné que les parties sont autorisées à revenir devant la Cour pour traiter de la question de la justification et de la violation des droits ancestraux de pêche et de vente de poisson des demanderesses si, après une période de deux ans, les parties demeurent incapables de concilier les divers intérêts en jeu (Ahousaht, au paragraphe 906). Il est prévu que les parties reviendront devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique le 2 mars 2015. 

 

[6]               Le ministre défendeur est chargé de s’occuper du ministère des Pêches et Océans (MPO), qui administre et gère la pêche commerciale du hareng prêt à frayer. Les harengs sont récoltés pour leurs œufs, qui sont des produits appréciés. La pêche commerciale au hareng est divisée en cinq zones de stock : la côte ouest de l’île de Vancouver (COIV), le détroit de Georgia, la Central Coast, Prince Rupert et Haida Gwaii.

 

[7]               L’une de ces zones de stock, la COIV, comprend des parties des territoires de pêche traditionnels des demanderesses. La pêche au hareng prêt à frayer sur la COIV débute dès que les conditions de délivrance des permis sont établies et peut commencer dans les jours qui suivent. 

 

[8]               Il y a neuf ans (depuis 2006) que la zone de la COIV est fermée à la pêche générale commerciale au hareng pour des motifs de conservation.   

 

[9]               Les estimations de stocks sur la COIV ont révélé qu’il est prévu que le retour des harengs dépassera le seuil établi par le MPO afin de déterminer s’il devrait y avoir une récolte commerciale de hareng prêt à frayer. Par le passé, les taux de récolte du hareng prêt à frayer ont été fixés à 20 p. 100 des harengs matures.   

 

[10]           L’industrie de la pêche commerciale a recommandé qu’il y ait une saison de pêche commerciale au hareng prêt à frayer cette saison, mais à des taux de récolte réduits.   

 

[11]           La gestion du MPO a examiné cette option et a fait remarquer, dans un mémoire au ministre daté du 9 décembre 2013, qu’elle avait eu des discussions pour ce qui est de permettre [traduction] « la pêche dans une certaine mesure, mais à un taux de récolte plus conservateur de 10 p. 100 jusqu’à ce que la stratégie de gestion de la récolte soit évaluée ». 

 

[12]           La direction du MPO a finalement recommandé au ministre que la COIV reste fermée à la pêche commerciale au hareng prêt à frayer pendant la saison 2014 afin qu’on puisse continuer de travailler sur la réforme des droits de permis, renouveler le cadre de gestion actuel et travailler avec l’industrie afin de maintenir les activités scientifiques nécessaires. Dans le mémoire au ministre, le ministère a souligné qu’il lui faudrait peut-être négocier une entente avec les Premières nations demanderesses et a déclaré que [traduction] « le ministère aimerait avoir plus de preuves démontrant qu’il y a eu récupération durable avant de rouvrir ».  

 

[13]           Le ministre ne souscrit pas à la recommandation du ministère et la mention suivante a été faite : [traduction] « Le ministre consent à une ouverture à un taux de récolte conservateur de 10 p. 100 pour la saison de pêche 2014 dans les trois zones de pêche. » 

 

Résumé des observations

 

[14]           Les Premières nations demanderesses accordent une grande importance à l’obligation du Canada à leur égard qui découle de la décision de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique dans Ahousaht et ils invoquent cette obligation. Les demanderesses prétendent qu’il existe une question sérieuse à débattre et qui consiste à déterminer si l’ouverture de la COIV à la pêche commerciale au hareng contrevient à l’obligation du Canada de négocier avec les Premières nations demanderesses et de répondre à leurs préoccupations en matière de conservation. 

 

[15]           Les demanderesses prétendent que la réouverture de la pêche commerciale au hareng prêt à frayer en 2014 leur causera un préjudice irréparable étant donné qu’une occasion unique de prendre des mesures d’accommodement quant à leurs droits garantis par la constitution sera perdue. En outre, tout effet préjudiciable que la réouverture de la pêche pourrait avoir sur la reconstitution des stocks de harengs sur la COIV, nuira à la mise en œuvre, en plus de la retarder, des droits ancestraux de pêche et de vente de hareng prêt à frayer reconnus à leurs communautés.       

 

[16]           Les demanderesses prétendent que la prépondérance des inconvénients milite en leur faveur parce que le statu quo consiste à maintenir la fermeture de la pêche au hareng sur la COIV à des fins de conservation et parce que l’ouverture n’est pas nécessaire étant donné que les autres zones de gestion sont en mesure de fournir des stocks de harengs qui dépassent les captures totales autorisées aux termes du plan mis en place pour la COIV.  

 

[17]           Je souligne que les demanderesses, en conséquence de leurs préoccupations en matière de conservation, n’ont pas demandé l’autorisation de pêcher dans la zone de pêche commerciale au hareng prêt à frayer sur la COIV envisagée.   

 

[18]           Le défendeur prétend que les demanderesses ont été suffisamment consultées sur la décision de rouvrir la pêche sur la COIV, tout en insistant sur le fait que la demande dont la Cour est saisie ne porte pas sur la question de savoir si le ministre a manqué à son obligation de consulter les demanderesses. Le défendeur reconnaît qu’il y a une question sérieuse à trancher dans le cadre du contrôle judiciaire. 

 

[19]           Le défendeur prétend que les demanderesses ne peuvent pas établir l’existence d’un préjudice irréparable étant donné que la question de la justification en cause dans Ahousaht est toujours pendante devant les tribunaux et que, outre la conservation et la protection, les responsabilités du ministre comprennent les intérêts commerciaux et économiques ainsi que les droits ancestraux.    

 

[20]           En ce qui concerne le préjudice que la réouverture de la COIV peut causer aux stocks de harengs, le défendeur prétend que le MPO fait montre d’une « approche préventive » visant à protéger les stocks vulnérables. En ce qui a trait à la prépondérance des inconvénients, le défendeur souligne les incidences financières et logistiques défavorables qu’une injonction aurait sur les détenteurs de permis de pêche au hareng sur la COIV, qui ont déjà pris des décisions et élaboré des plans d’affaires en se fondant sur l’hypothèse selon laquelle la pêche serait ouverte dans cette zone. 

 

[21]           L’intervenante, la BC Seafood Alliance, a fourni des renseignements relativement à la pêche au hareng et à ses retombées économiques, mais s’est abstenue de soumettre des arguments juridiques. La Cour remercie l’avocat de l’intervenante pour les renseignements fournis. 

 

Analyse

 

[22]           Le critère applicable à l’injonction interlocutoire est un critère conjonctif qui comporte trois volets tel qu’énoncé dans RJR-MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 [RJR-MacDonald]. Le demandeur doit établir :

1.            l’existence d’une question sérieuse à juger;

2.            qu’il subira un préjudice si l’injonction n’est pas accordé;

3.            la prépondérance des inconvénients penche en faveur de l’injonction 

[23]           Afin de déterminer si le critère de l’injonction interlocutoire est satisfait, il faut procéder à un examen restreint du fond de l’affaire (RJR-MacDonald, au paragraphe 78). Dans les cas où le redressement recherché est similaire à celui recherché aux termes de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente, il faut procéder à un examen plus approfondi du fond de l’affaire. 

 

[24]           En l’espèce, même si je n’ai procédé à aucun examen exhaustif du fond de l’affaire, j’ai été attentif au fait que la demande d’injonction est similaire au redressement sollicite dans la demande de contrôle judiciaire et j’ai examiné le fond de l’affaire plus en détail. Toutefois, je ne crois pas que la délivrance d’une injonction interlocutoire rendrait nécessairement théorique la demande de contrôle judiciaire sous-jacente. 

 

Question sérieuse

 

[25]           Les demanderesses prétendent que le défendeur reconnaît qu’une question sérieuse est soulevée. Je conclus à l’examen de la preuve documentaire soumise par les parties qu’une question sérieuse est soulevée relativement aux : 

a)            questions de conservation relatives à la pêche au hareng sur la COIV; 

b)            aux droits ancestraux reconnus des demanderesses quant à la pêche et à la vente de poisson provenant de la zone de stock de poissons de la COIV.  

Préjudice irréparable

 

[26]           Le terme préjudice irréparable a trait à la nature du préjudice et non à son étendue (RJR‑MacDonald, au paragraphe 79). En ce qui a trait au préjudice irréparable, je suis d’avis que le risque de préjudice irréparable apparaît dès lors qu’il n’est pas enjoint au ministre de ne pas ouvrir la pêche sur la COIV étant donné que : 

a)            le défendeur Pêches et Océans Canada a recommandé que la pêche sur la COIV ne soit pas ouverte en 2014 pour des motifs de conservation. Cette recommandation n’a pas été acceptée par le ministre.

b)            la crainte réitérée des demanderesses voulant que la pêche n’ait pas suffisamment récupéré sur la COIV et la nécessité de tenir compte de leurs opinions sur la conservation. La Cour suprême a souligné à de nombreuses reprises l’importance de la conservation dans l’analyse de la justification à laquelle elle a procédé dans Sparrow et la question de savoir « si le groupe d'autochtones en question a été consulté au sujet des mesures de conservation mises en œuvre » sont des questions qui doivent être abordées (R c Sparrow, [1990] 1 RCS 1075, à la page 1119).

c)            la fixation des captures totales autorisées à 10 p. 100 plutôt qu’à 20 p. 100 à titre de mesure de conservation est, selon moi, « du tripotage de chiffres ». Cette mesure est dépourvue de fondement scientifique. Il s’agit en fait d’une affirmation qui consiste à dire « il existe en l’espèce une inquiétude quant à la conservation, mais si la pêche doit être ouverte, capturez moins de poissons ». L’adoption de cette démarche a pour objectif d’écarter l’évaluation des mesures de conservation. Il me semble  que lorsque le ministre et le MPO s’écartent des évaluations scientifiques, il y a atteinte à l’intégrité du système de gestion des pêches.

 

[27]           De plus, un préjudice irréparable découle du fait que les demanderesses perdent leur position et une occasion de participer raisonnablement aux négociations conduisant à la mise en œuvre de leurs droits ancestraux à la pêche commerciale au hareng garantis par la constitution à leurs communautés. Dès lors qu’on permettra la pêche commerciale, les attentes d’intérêt continu de la part de la pêche commerciale feront en sorte qu’on aura laissé passer l’occasion de procéder à un examen en profondeur de [traduction] « la façon dont les droits ancestraux des demanderesses sur la pêche et la vente de poisson peuvent faire l’objet de mesures d’accommodement et peuvent être exercés » (Ahousaht, au paragraphe 909).

 

[28]           La Cour d’appel fédérale a déclaré dans Bande indienne de Musqueam c Canada, 2008 CAF 214 [Musqueam], qu’une consultation insuffisante ne constitue pas toujours un préjudice irréparable (au paragraphe 52). Il me semble que la présente affaire diffère de Musqueam et d’autres causes où l’absence de consultation fut jugée insuffisante pour constituer un préjudice irréparable. Cela s’explique par le fait que les demanderesses ont établi un droit ancestral de pêche et de vente de poisson et évoluent donc dans un cadre juridique de droits établis et parce qu’elles sont en train de négocier la façon dont leurs droits ancestraux sur la pêche et la vente de poisson peuvent faire l’objet de mesures d’accommodement et peuvent être exercés. 

 

Prépondérance des inconvénients

 

[29]           Outre les dommages que chacune des parties prétend qu’elle subira, on doit également tenir compte de l’intérêt public lorsqu’on examine la prépondérance des inconvénients (RJR‑MacDonald, au paragraphe 80). L’intérêt public va au-delà des intérêts qui existent entre les demanderesses et le ministre ou entre les demanderesses et le secteur de la pêche commerciale. Il s’agit de l’intérêt public, dans tous ses aspects, qui découle de l’octroi du redressement demandé ou de son refus.   

 

[30]           L’intérêt public qui se dégage de la conciliation entre les droits ancestraux énoncés à l’article 35 et l’affirmation de la souveraineté de la Couronne favorise nettement les demanderesses. L’article 35 est un texte constitutionnel selon lequel le Canada est un pays où les droits et titres ancestraux existants sont reconnus et confirmés : 

 

Un des objectifs visés par le par. 35(1) est la négociation de règlements équitables des revendications autochtones. Dans toutes ses négociations avec les Autochtones, la Couronne doit agir honorablement, dans le respect de ses relations passées et futures avec le peuple autochtone concerné. 

             

(Première nation Tlingit de Taku River c Colombie-Britannique (Directeur d'évaluation de projet), 2004 CSC 74, au paragraphe 24).

 

 

[31]           L’intérêt public réside également dans la reconnaissance du caractère déclaratoire des jugements et directives des tribunaux, particulièrement lorsque la Cour suprême du Canada a insisté à plusieurs reprises sur le fait que la meilleure façon de traiter la question de l’exercice des droits ancestraux est la négociation et la conclusion d’ententes prévoyant des mesures d’accommodement. Dans Nation haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, au paragraphe 25, la Cour suprême écrit :

 

En bref, les Autochtones du Canada étaient déjà ici à l'arrivée des Européens; ils n'ont jamais été conquis. De nombreuses bandes ont concilié leurs revendications avec la souveraineté de la Couronne en négociant des traités. D'autres, notamment en Colombie-Britannique, ne l'ont pas encore fait. Les droits potentiels visés par ces revendications sont protégés par l'art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. L'honneur de la Couronne commande que ces droits soient déterminés, reconnus et respectés. Pour ce faire, la Couronne doit agir honorablement et négocier. Au cours des négociations, l'honneur de la Couronne peut obliger celle-ci à consulter les Autochtones et, s'il y a lieu, à trouver des accommodements à leurs intérêts.

 

(Voir aussi Delgamuukw c Colombie-Britannique, [1997] 3 RCS 1010 à 1123)

 

Bref, la conciliation favorise l’intérêt public. 

 

[32]           Faire fi du caractère déclaratoire des jugements et directives des tribunaux équivaut non seulement à faire fi de l’obligation de les suivre en ce qui a trait à leur applicabilité aux droits ancestraux, mais équivaut également à diminuer la réputation des tribunaux aux yeux de la population.  

 

[33]           Il y a une incidence sur le secteur de la pêche commerciale et celle-ci découle de la décision du ministre d’ouvrir la pêche au hareng prêt à frayer sur la COIV. Cette incidence peut être réduite dans une certaine mesure par une redistribution des permis, étant donné que le MPO peut délivrer à nouveau des permis tout en orientant les titulaires de permis qui sont touchés vers des zones de pêche différentes où les stocks de harengs sont suffisants.  

 

[34]           Quoi qu’il en soit, la préférence du secteur de la pêche commerciale pour la pêche au hareng prêt à frayer sur la COIV découle de la perspective de prises de qualité supérieure qui auraient une plus grande valeur en termes de marketing stratégique. En terme de prépondérance des inconvénients, cet argument pèse beaucoup moins que celui de la reconnaissance de l’occasion pour les membres des Premières nations de se prévaloir de leurs droits ancestraux reconnus de pêche et de vente de poisson et de renouer avec leurs pratiques ancestrales.   

 

[35]           L’intérêt public milite aussi en faveur du maintien de l’approche du MPO qui privilégie la protection de la pêche au hareng sur la COIV. Le respect de la nécessité de mesures de protection permettra à tous de bénéficier des occasions qui se présenteront à l’avenir de pratiquer la pêche commerciale au hareng prêt à frayer dans la zone de la COIV et les demanderesses auront quant à elles d’autres occasions d’exercer leurs droits.  

 

[36]           Finalement, une injonction interlocutoire interdisant au ministre d’ouvrir la COIV à la pêche au hareng dans les circonstances de la présente instance n’empêche pas sérieusement le ministre d’exercer ses responsabilités et son pouvoir discrétionnaire à l’égard de la gestion des pêches. Il ne s’agit pas d’un cas où le ministre a décidé, avec le soutien et les conseils du MPO et suite à l’évaluation d’une preuve scientifique, de rendre une décision discrétionnaire en matière de pêche. 

 

[37]           J’ai tenu compte de l’incidence d’une absence d’engagement quant aux dommages-intérêts. Les demanderesses veulent être dispensées de fournir un engagement, mais affirment qu’elles sont disposées à en fournir un si cela est jugé nécessaire. 

 

[38]           Le paragraphe 373(2) des Règles des Cours fédérales prévoit que :

(2) Sauf ordonnance contraire du juge, la partie qui présente une requête pour l’obtention d’une injonction interlocutoire s’engage à se conformer à toute ordonnance concernant les dommages-intérêts découlant de la délivrance ou de la prolongation de l’injonction  

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Une absence d’engagement n’est pas toujours fatale à un demandeur (RJR-MacDonald, au paragraphe 50; Bande indienne Soowahlie c Canada (Procureur général), 2001 CAF 387, au paragraphe 13), mais il s’agit d’un facteur pertinent.

 

[39]           Dans Musqueam, la Cour d’appel fédérale a souligné ce qui suit : 

la mesure par défaut prévue par cette disposition [paragraphe 373(2) des Règles] consiste pour la Cour à n’accepter un engagement limité que si on lui soumet certains éléments de preuve démontrant l’existence de circonstances impérieuses justifiant d’ordonner un engagement limité, voire aucun engagement. (au paragraphe 62, souligné dans l’original).

 

[40]           Dans Musqueam, par exemple, la Cour a mentionné que si l’injonction était accordée, Travaux publics et services gouvernementaux serait exposé à une perte de 33 millions de dollars (au paragraphe 66). Ce n’est pas le cas en l’espèce, car on ne peut pas prétendre que le ministre s’expose à une perte d’une telle importance.    

 

[41]           Dans Taseko Mines Ltd. c Phillips, 2011 BCSC 1675, le juge Grauer illustre, au paragraphe 70, le type de facteurs pouvant justifier l’exercice d’un tel pouvoir discrétionnaire : 

 

[traduction]

Je conclus que les circonstances de la présente affaire justifient une ordonnance dispensant les requérants de l’obligation de fournir un engagement quant aux dommages-intérêts. Ces circonstances sont : mon évaluation de la prépondérance des inconvénients telle qu’énoncée ci-dessus; l’importance de veiller à ce que les choses se déroulent de façon appropriée entre ces parties dans l’avenir prévisible et la solidité économique relative des parties ainsi que le préjudice relatif auquel chacune d’elle est susceptible d’être exposée. Je tiens également compte de la lettre du 13 octobre 2011 des requérants à Taseko dans laquelle elles font connaître leur position à Taseko et l’avisent de ne commencer aucune des activités décrites aux permis pendant que le gouvernement de la nation Tsilhqot'in examine les choix qui s’offrent à elle avant d’y répondre. 

 

[42]           Les demanderesses ont avisé le ministre et la pêche commerciale de leur intention de présenter la présente demande. Elles se sont abstenues de participer à la pêche commerciale du hareng prêt à frayer sur la COIV. Les demanderesses ne tirent aucun avantage économique du maintien de la fermeture de la pêche au hareng prêt à frayer sur la COIV en 2014. Tous profiteront du maintien de la fermeture aux fins de conservation qui vise à permettre à la pêche au hareng sur la COIV de récupérer.  

 

[43]           Les autres facteurs sont que la fermeture est conforme à l’évaluation et à la recommandation du MPO et que la redistribution des permis quant à d’autres zones de pêche au hareng est possible.     

 

[44]           Je suis convaincu que les circonstances de la présente affaire justifient la délivrance d’une ordonnance dispensant les demanderesses de l’obligation de fournir un engagement quant aux dommages-intérêts. 

 

Dépens

 

[45]           Finalement, en ce qui a trait aux dépens, les demanderesses ont eu gain de cause sur la requête et ont droit aux dépens. Il n’y a aucuns dépens contre l’intervenante qui n’est intervenue que dans la demande d’injonction interlocutoire et qui a donné des renseignements à la Cour lors de ses brèves représentations.  


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

 

1.      Il est interdit au ministre des Pêches et Océans, à un directeur régional ou un directeur général, ou à un agent des pêches d’ouvrir la pêche commerciale au hareng prêt à frayer sur la côte ouest de l’île de Vancouver conformément aux paragraphes 6(1) et 6(2) du Règlement de pêche (dispositions générales) DORS/93-53, et du Règlement de pêche du Pacifique (1993) DORS/93-54, tant que la demande de contrôle judiciaire des demanderesses n’aura pas été entendue;

2.      Les demanderesses sont dispensées de fournir un engagement relativement à la présente demande d’injonction interlocutoire; 

3.      Les dépens sont accordés aux demanderesses; 

4.      Aucuns dépens pour ou contre l’intervenante ne sont adjugés. 

 

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DoSSIER :

                                                            T-404-14

 

INTITULÉ :

LES BANDES INDIENNES ET NATIONS AHOUSAHT, EHATTESAHT, HESQUIAHT, MOWACHAHTÉMUCHALAHT ET TLA-O-QUI-AHT c MINISTRE DES PÊCHES ET OCÉANS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 21 FÉVRIER 2014

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

                                                            LE JUGE MANDAMIN

DATE DES MOTIFS :                     LE 28 FÉVRIER 2014

 

COMPARUTIONS :

M. F. Matthew Kirchner

Mme. Lisa C. Glowacki

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

 

M. Tim Timberg

M. Brett Marleau

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

M. J. Keith Lowes

 

INTERVENANTE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ratcliff & Co

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

J. Keith Lowes

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

INTERVENANTE

 

 

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