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Date : 20140707

Dossier : IMM-3797-13

Référence : 2014 CF 660

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Simon Noël

ENTRE :

HAILIN CUI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] de la décision datée du 21 janvier 2013 par laquelle un agent des visas, du consulat général du Canada à Hong Kong, a rejeté la demande de visa de résident permanent [DRP] au Canada déposée par le demandeur au titre de la catégorie des investisseurs.

II.                Faits

[2]               Le demandeur est un citoyen de la Chine qui a présenté une demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie des investisseurs le 4 janvier 2011.

[3]               Le 21 janvier 2013, l’agent des visas a reçu le demandeur en entrevue au consulat général du Canada à Hong Kong. Pendant l’entrevue, le demandeur a été longuement questionné sur sa possible appartenance à des associations dans son pays d’origine, y compris le gouvernement chinois.

[4]               L’agent des visas a rendu la décision attaquée le même jour, rejetant la DRP au motif que le demandeur n’avait pas répondu véridiquement aux questions.

III.             Décision faisant l’objet du contrôle

[5]               L’agent des visas a fondé sa décision sur ce qu’il avait perçu comme une contradiction dans le récit du demandeur relativement à l’association de celui‑ci avec des organisations ou avec le gouvernement chinois. D’une part, le demandeur affirmait n’avoir jamais été membre d’une organisation ni affilié de quelque façon au gouvernement chinois, et, d’autre part, le demandeur figurait comme membre du comité permanent de la Conférence consultative politique du peuple chinois [CCPPC] sur un site Web gouvernemental. L’agent des visas a déclaré que le demandeur avait eu la possibilité de s’expliquer là-dessus pendant l’entrevue, mais qu’il n’avait pas dit la vérité sur son affiliation avec le Parti communiste chinois ou avec l’organe du gouvernement chinois.

[6]               Par conséquent, l’agent des visas a conclu que le demandeur n’avait pas répondu véridiquement aux questions au sens de l’article 12 de la LIPR et a rejeté la demande.

IV.             Questions en litige

[7]               Le présent contrôle judiciaire et les arguments des parties soulèvent deux questions que la Cour devra trancher :

  1. L’agent des visas a‑t‑il commis une erreur en déterminant que le demandeur n’avait pas répondu véridiquement aux questions qui lui avaient été posées, comme il était tenu de le faire aux termes de l’article 16 de la LIPR?
  2. L’agent des visas a‑t‑il manqué à l’équité procédurale en ne donnant pas au demandeur la possibilité de s’expliquer sur la question du site Web gouvernemental qui le présentait comme un membre du comité permanent de la CCPPC?

V.                Norme de contrôle

[8]               Comme elle repose sur les faits, la première question sera contrôlée selon la norme de la décision raisonnable (voir Karimzada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 152, au paragraphe 10, [2012] ACF no 204 [Karimzada]). Cette norme appelle une grande retenue et exige que la Cour s’intéresse « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] ACS no 9). La deuxième question a trait à l’équité procédurale, et de telles questions sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte (voir Karimzada, précitée, au paragraphe 10; Azali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 517, au paragraphe 12, [2008] ACF no 674). Selon cette norme, la Cour n’est pas tenue de faire preuve de déférence envers le décideur.

VI.             Observations du demandeur

[9]               La décision de l’agent des visas doit être annulée parce qu’elle est fondée sur une mauvaise interprétation de la preuve et qu’elle résulte d’un manquement à la justice naturelle.

[10]           L’agent des visas a conclu que le demandeur était membre du [traduction] « comité permanent du Parti communiste », mais le demandeur a témoigné n’avoir jamais été membre du Parti communiste. Le demandeur était membre du comité permanent de la CCPPC, qui signifie Conférence consultative politique du peuple chinois, et non du Parti communiste, et contrairement au message que véhicule la décision de l’agent des visas, la CCPPC ne fait pas partie du gouvernement chinois. Il s’agit plutôt d’un groupe consultatif formé de divers acteurs politiques et non politiques, dont des membres du clergé.

[11]           De plus, l’agent des visas a manqué à l’équité procédurale en se fiant à de l’information, à savoir un site Web du gouvernement chinois qui le présentait comme un membre de la CCPPC, sans lui donner une possibilité adéquate de s’expliquer et de prouver qu’il n’était pas membre du Parti communiste chinois.

VII.          Observations du défendeur

[12]           La décision de l’agent des visas était raisonnable parce que le demandeur avait l’obligation d’être véridique dans sa demande, mais a toutefois omis de révéler qu’il avait été membre de la CCPPC. Les éléments de preuve produits ont contredit l’explication donnée par le demandeur lors de l’entrevue, ce qui a mené à une conclusion de fait qui ne doit pas être modifiée. En fait, le demandeur a reconnu pendant l’entrevue être membre de la CCPPC, et a même affirmé qu’il en faisait partie depuis six ans. De plus, l’agent des visas n’a jamais expressément conclu que le demandeur était membre du Parti communiste chinois, mais il a simplement posé des questions à ce sujet. La question de savoir si le comité permanent de la CCPPC est une organisation gouvernementale ou non n’a pas d’importance – le demandeur devait être véridique dans sa demande et révéler toute affiliation, mais il ne l’a pas fait.

[13]           En ce qui concerne le manquement allégué à l’équité procédurale, les éléments de preuve ont été signalés au demandeur, mais celui‑ci n’a pas demandé plus de temps pour présenter ses propres éléments de preuve. En outre, le demandeur n’a jamais mentionné pendant l’entrevue que la CCPPC n’était pas une organisation affiliée au gouvernement.

VIII.       Réponse du demandeur

[14]           Dans sa réponse, le demandeur affirme surtout qu’il n’aurait pas pu mentionner qu’il faisait partie du comité permanent de la CCPPC au moment de sa demande, parce qu’il avait présenté sa DRP en janvier 2011, c’est‑à‑dire avant de devenir membre du comité permanent de la CCPPC en avril 2011. Le demandeur ajoute qu’il n’était pas membre de ce comité permanent depuis six ans – il avait plutôt été convié à assister à certaines réunions à titre d’invité.

IX.             Analyse

[15]           Bien qu’elle soit loin d’être parfaite, la décision de l’agent des visas est néanmoins raisonnable, et la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

A.                L’agent des visas a‑t‑il commis une erreur en déterminant que le demandeur n’avait pas été véridique en répondant aux questions qui lui avaient été posées, comme il était tenu de le faire aux termes de l’article 16 de la LIPR?

[16]           Durant son entrevue avec l’agent des visas, le demandeur a été mis en présence de sa demande écrite dans laquelle il affirmait n’être membre d’aucune organisation sociale ou politique chinoise, et d’un document indiquant qu’il avait été, à un moment donné, membre du comité permanent de la CCPPC. Après avoir questionné le demandeur à ce sujet, l’agent des visas a conclu que le demandeur n’avait pas répondu véridiquement à toutes les questions, comme l’exige l’article 16 de la LIPR, ainsi rédigé :

Loi sur l’immigration et la protection de réfugiés, LC 2001, c 27

PARTIE 1

IMMIGRATION AU CANADA

Section 2

Contrôle

Obligation du demandeur

16. (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

PART 1

IMMIGRATION TO CANADA

Division 2

Examination

Obligation — answer truthfully

16. (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

[17]           La Cour est appelée à décider si le demandeur, au moment de sa demande et lors du contrôle – autrement dit durant son entrevue – a répondu véridiquement aux questions.

[18]           À la question 12 de sa DRP, le demandeur a répondu n’avoir jamais été membre d’une quelconque organisation, ni associé à une quelconque organisation. Selon le formulaire de demande, le terme « organisation » comprend toute organisation politique et sociale. La même question a été posée au demandeur pendant l’entrevue : [traduction] « J’AIMERAIS CONFIRMER QUE VOUS AVEZ DÉCLARÉ N’AVOIR JAMAIS ÉTÉ MEMBRE D’UNE TELLE ORGANISATION – EST‑CE EXACT? Oui, je le confirme » (notes consignées par l’agent des visas dans le Système mondial de gestion des cas [SMGC], dossier certifié du tribunal [DCT], page 4). C’est après avoir posé cette question que l’agent des visas a présenté au demandeur le document dans lequel celui‑ci était désigné à titre de membre du comité permanent de la CCPPC. En fait, le demandeur a été longuement questionné à ce sujet. L’agent des visas lui a notamment posé la question suivante : [traduction] « QUAND ÊTES-VOUS TOUT D’ABORD DEVENU MEMBRE DE CE COMITÉ PERMANENT? » Le demandeur a répondu : [traduction] « Il y a environ six ans » (notes consignées par l’agent des visas dans le SMGC, DCT, page 4).

[19]           Dans son mémoire, le demandeur se donne bien du mal pour établir qu’il n’avait pas l’obligation de mentionner qu’il était faisait partie de ce comité permanent, étant donné qu’il en était devenu membre en avril 2011 seulement, c’est‑à‑dire quelques mois après le dépôt de sa DRP en janvier de la même année. Selon le demandeur, avant d’en devenir membre, il avait assisté aux réunions du comité uniquement à titre d’invité. En plus de contredire directement sa réponse selon laquelle il était devenu membre du comité permanent de la CCPPC environ six ans avant l’entrevue, cet argument a été avancé uniquement dans la présente demande de contrôle judiciaire – bien que le demandeur ait été maintes fois prié durant l’entrevue de préciser pendant quelle période il avait fait partie du comité permanent, il n’a jamais dit qu’il en était devenu membre en avril 2011. Le demandeur aurait dû en parler au moment de l’entrevue. Qui plus est, l’argument est étayé dans le dossier du demandeur par des éléments de preuve qui n’avaient pas été présentés à l’agent des visas et qui ne doivent donc pas être pris en considération dans la présente instance (voir, par exemple, Zabsonre c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 499, au paragraphe 21, [2013] ACF no 586; Zolotareva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1274, au paragraphe 36, [2003] ACF no 1596).

[20]           Le demandeur reproche également à l’agent des visas d’avoir insisté sur le fait que la CCPPC est une organisation gouvernementale chinoise. Il est vrai que l’agent des visas a adopté une approche quelque peu tronquée à l’égard des liens entre la CCPPC et le Parti communiste chinois, allant jusqu’à dire au demandeur qu’il avait [traduction] « DE L’INFORMATION […] LE DÉCRIVANT COMME UN MEMBRE DU COMITÉ PERMANENT DU PARTI COMMUNISTE » (notes consignées par l’agent des visas dans le SMGC, DCT, page 4). Néanmoins, la Cour estime que cette erreur, plutôt grossière, ne tire pas à conséquence. Le demandeur était tenu de mentionner son appartenance à toute organisation, y compris à des organisations sociales et politiques, et il serait difficile d’affirmer que la Conférence consultative politique du peuple chinois n’est pas, en quelque sorte, une organisation politique de nature.

[21]           En outre, contrairement à ce qu’avance le demandeur, l’agent des visas n’a jamais conclu que le demandeur était membre du Parti communiste chinois. Des questions ont été posées à ce sujet, mais aucune conclusion particulière n’a été tirée.

[22]           Ceci étant dit, la seule conclusion qui a été tirée était que le demandeur n’avait pas répondu véridiquement aux questions. Comme il a été mentionné ci‑dessus, la cour de révision a un rôle limité et ne doit pas s’ingérer dans la décision du décideur si le processus décisionnel est justifié, transparent et intelligible, et si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Compte tenu des éléments de preuve qui avaient été présentés à l’agent des visas et des réponses données par le demandeur durant son entrevue, il était raisonnable de conclure que le demandeur avait été membre du Comité permanent de la CCPPC pendant plusieurs années avant de déposer sa demande et que, ayant omis d’indiquer ce fait dans sa demande et lors de l’entrevue, il n’avait pas répondu véridiquement aux questions comme il était tenu de le faire aux termes de l’article 16 de la LIPR (Lhamo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 692, aux paragraphes 37 à 39, [2013] ACF no 730).

B.                 L’agent des visas a‑t‑il manqué à l’équité procédurale en ne donnant pas au demandeur l’occasion de s’expliquer sur la question du site Web gouvernemental qui le présentait comme un membre du comité permanent de la CCPPC?

[23]           Le demandeur soutient ne pas avoir eu la possibilité de dissiper les doutes de l’agent des visas quant à son appartenance au comité permanent de la CPPC. La Cour conclut cependant que l’agent des visas a bel et bien présenté au demandeur les éléments de preuve sur lesquels il s’était fondé et qu’il a offert au demandeur la possibilité de s’expliquer sur ce point lors de l’entrevue.

[24]           En fait, comme il a été conclu ci‑dessus, le demandeur a été longuement questionné sur ce point, et c’est à la suite de cet interrogatoire que le demandeur a reconnu qu’il était devenu membre du comité consultatif de la CCPPC six ans avant l’entrevue.

[25]           De surcroît, le demandeur soutient dans son mémoire qu’il aurait dû être autorisé à [traduction] « présenter lors de l’entrevue des éléments de preuve établissant son statut d’ancien membre indépendant de la CCPPC, et établissant que la CCPPC est un organe consultatif et non gouvernemental » (mémoire du demandeur, au paragraphe 24). Il pourrait donc être inféré que le demandeur aurait voulu produire des éléments de preuve sur deux points, qui ne sont ni l’un ni l’autre pertinents pour l’issue de la présente demande et qui n’appuient en rien ses allégations en l’espèce. Premièrement, l’« indépendance » du demandeur à titre de membre de la CCPPC n’est pas un point litigieux, parce que, indépendant ou non, le demandeur était membre de ce comité permanent et a omis de le révéler même s’il avait l’obligation de le faire. Deuxièmement, prouver que le comité permanent n’était pas une institution gouvernementale n’aurait été d’aucun secours pour le demandeur parce que, comme son nom l’indique, le comité permanent de la CCPPC était tout de même une association politique.

[26]           Par conséquent, la Cour conclut que non seulement le demandeur a eu la possibilité de dissiper les doutes de l’agent des visas à propos de son statut au sein de la CCPPC, mais aussi que les éléments de preuve que le demandeur aurait dû, selon lui, être autorisé à produire n’auraient eu aucune incidence sur l’issue de l’affaire. Ainsi, la Cour conclut en outre que l’agent des visas n’a pas manqué à l’équité procédurale.

[27]           Les parties ont été invitées à proposer une question susceptible d’être certifiée, mais elles n’en ont proposé aucune.


ORDONNANCE

            LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Simon Noël »

Juge

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3797-13

 

INTITULÉ :

HAILIN CUI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 JUILLET 2014

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE S. NOËL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 JUILLET 2014

 

COMPARUTIONS :

Me Radu Ghergus

 

POUr le demandeur

 

Me Sherry Rafai Far

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Radu Ghergus Law Firm

Montréal (Québec)

 

POUR le demandeur

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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