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Date : 20140627


Dossier : IMM-3230-13

Référence : 2014 CF 628

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 juin 2014

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

ENTRE :

GYULA KANTO, GYULANE KANTO ET GYULA KANTO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), à l’encontre d’une décision rendue le 27 mars 2013 visant une demande d’examen des risques avant renvoi (l’ERAR), par laquelle une agente principale d’immigration (l’agente) a conclu que les demandeurs n’étaient pas exposés à un risque de persécution et n’avait pas qualité de personne protéger.

I.                   LES FAITS

[2]               Les demandeurs sont des citoyens roms de la Hongrie. Le demandeur principal militait pour la cause des Roms et était musicien professionnel en Hongrie. Il est arrivé au Canada avec son épouse et son fils le 15 septembre 2009, et ils ont demandé l’asile le jour même.

[3]               Les demandes d’asile des demandeurs ont été rejetées le 2 septembre 2011. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles et que la Hongrie offre une protection de l’État adéquate.

[4]               Les demandeurs ont présenté une demande de contrôle judiciaire le 20 septembre 2011, laquelle a été rejetée le 5 septembre 2012. La Cour a confirmé la décision de la SPR sur la question de la crédibilité, mais elle a estimé que l’analyse concernant la protection de l’État était erronée.

[5]               Les demandeurs ont présenté leur demande d’ERAR le 19 novembre 2012 de concert avec de nouveaux éléments de preuve indiquant que leur vie était encore en danger en Hongrie et que la situation des Roms en Hongrie était encore plus précaire et dangereuse qu’elle ne l’était au moment où leur demande d’asile a été rejetée.


II.                LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE

[6]               L’agente a rejeté la demande d’ERAR des demandeurs; elle a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi qu’ils seraient exposés à un risque de persécution ou de torture ou à une menace à leur vie s’ils retournaient en Hongrie. Elle a estimé que la preuve des demandeurs ne permettait pas d’établir que les actes de persécution allégués avaient eu lieu. L’agente a souligné que le demandeur n’avait pas mentionné que les incidents avaient été signalés aux autorités hongroises et qu’il n’avait fourni aucune copie de rapport de police. L’agente a également accordé peu de poids aux notes de menace et à la lettre de la belle‑sœur parce que ces éléments de preuve provenaient d’une source proche du demandeur et parce que les notes n’étaient ni signées, ni datées, ni expressément adressées au demandeur ou aux membres de sa famille.

[7]               L’agente a aussi accordé peu de poids à la déclaration du demandeur selon laquelle sa fille, qui n’est pas partie à la demande d’ERAR, avait été agressée physiquement par un garde à la mi-novembre 2012 parce qu’elle est homosexuelle et de descendance rom. Le demandeur a déposé un rapport médical daté du 13 novembre 2012 selon lequel sa fille avait subi des blessures lors d’une agression, mais il a fourni bien peu d’éléments de preuve pour démontrer qu’il s’agissait d’une attaque à caractère raciste.

[8]               Bien qu’il ait été accepté que le demandeur était un militant rom et un musicien professionnel, celui‑ci n’a pas démontré que lui‑même et les membres de sa famille avaient été et seraient personnellement ciblés pour ces motifs.

[9]               L’agente a reconnu que la violence raciale était un problème en Hongrie et qu’il existe des groupes d’extrême droite, mais les autorités hongroises ont déployé des efforts importants pour lutter contre ce problème. La preuve sur les conditions dans le pays révèle que les autorités hongroises ont la capacité de poursuivre en justice les agresseurs et que, bien que la protection de l’État ne soit pas parfaite, le gouvernement de la Hongrie a démontré qu’il était capable de lutter contre ce problème et qu’il a déployé des efforts importants à cette fin. L’agente a aussi accordé peu de poids à la preuve documentaire soumise qui témoignait de la discrimination et de la violence dont la population rom est victime en Hongrie; elle a conclu que la preuve présentée par les demandeurs ne permettait pas d’établir qu’ils seraient personnellement ciblés s’ils retournaient en Hongrie.

III.             LES QUESTIONS EN LITIGE

1.      L’agente a‑t‑elle rejeté des éléments de preuve documentaire crédibles?

2.      L’agente a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse sur la protection de l’État?

3.      L’agente a‑t‑elle omis de tenir une audience?

IV.             LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[10]           Il est bien établi que les deux premières questions en litige, soit l’appréciation de la preuve par l’agente et l’existence de la protection de l’État, doivent être contrôlées selon la norme de la raisonnabilité (Radi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 306, au paragraphe 9; Shaikh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1318, au paragraphe 16).

[11]           La jurisprudence sur la norme de contrôle applicable à l’omission d’un agent de tenir une audience dans le contexte d’une décision d’ERAR est partagée, comme l’a fait ressortir le juge de Montigny au paragraphe 24 de la décision Ponniah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 386 :

La jurisprudence de la Cour est divisée sur la norme de contrôle qui s’applique aux décisions concernant la tenue d’une audience aux termes de l’alinéa 113b).Je me suis récemment penché sur cette question dans Adetunji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 708, et je ne peux faire guère mieux que de répéter ce que j’ai écrit dans cette décision (au paragraphe 24) :

Cela étant dit, une controverse existe dans la jurisprudence de la Cour fédérale au sujet de la norme de contrôle à appliquer lors de la révision de la décision d’un agent de ne pas convoquer d’audience, notamment dans le contexte d’une décision ERAR. Dans certains cas, la Cour a appliqué la norme de la décision correcte, parce que l’affaire a été considérée essentiellement comme une question d’équité procédurale (voir, par exemple, Hurtado Prieto c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1435 (disponible sur CanLII); Sen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1435 (disponible sur CanLII)). En revanche, la norme de la décision raisonnable a été appliquée dans d’autres cas, au motif que l’examen de la pertinence de tenir une audience à la lumière du contexte particulier d’un dossier donne lieu à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire qui commande la déférence (voir, par exemple, Puerta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 464 (disponible sur CanLII); Marte c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 930, 374 FTR 160 [Marte];Mosavat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 647 (disponible sur CanLII) [Mosavat]). Je souscris à cette dernière position, du moins lorsque la Cour révise une décision ERAR.

Voir également Rajagopal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1277; Silva c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1294; Brown c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 13.

[12]           J’estime que le raisonnement du juge de Montigny est convaincant, et je conclus que la norme de contrôle applicable à la troisième question est celle de la raisonnabilité.

V.                OBSERVATIONS ET ANALYSE

A.                L’agente a‑t‑elle rejeté des éléments de preuve documentaire crédibles?

[13]           Les demandeurs allèguent que l’appréciation par l’agente de la preuve déposée, y compris les notes de menace, la lettre de la belle‑sœur du demandeur et le rapport médical, était déraisonnable et abusive.

[14]           Je suis d’accord avec les demandeurs. Il est bien établi qu’il revient à l’agent d’apprécier la preuve, mais je conclus que l’agente a minimisé à tort la valeur probante des éléments de preuve présentés par les demandeurs, et ce, pour des motifs qui ne résistent pas à un examen approfondi.

[15]           L’agente a accordé peu de poids aux notes de menaces parce que les notes n’étaient ni signées, ni datées, ni expressément adressées aux demandeurs, parce qu’elles [traduction« fournissent peu de renseignements » et parce que le demandeur n’avait pas mentionné que les incidents avaient été signalés aux autorités hongroises et parce qu’il n’avait fourni aucune copie de rapport de police. Il n’est pas réaliste de s’attendre à ce que l’auteur d’une note de menace de mort y appose sa signature et la date. Ces éléments n’étaient pas pertinents pour déterminer la valeur probante des notes. La déclaration de l’agente selon laquelle les notes n’étaient pas expressément adressées aux demandeurs n’est pas étayée par le dossier, puisqu’une des lettres fait expressément mention de l’orientation sexuelle de la fille du demandeur. En outre, le fait que les notes n’avaient pas été signalées à la police n’a aucune incidence quant à l’évaluation de leur valeur probante, surtout vu que la Cour a déjà conclu que, en ce qui concerne les Roms en Hongrie, « quand la persécution est généralisée et systématique, l’omission de signaler de mauvais traitements aux autorités a une valeur probante douteuse » (Muntyan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 422, au paragraphe 9).

[16]           En ce qui concerne le rejet de la lettre de la belle‑sœur par l’agente, la Cour a reconnu à plusieurs reprises qu’il est déraisonnable d’accorder une faible valeur probante à des éléments de preuve pour la simple raison qu’ils proviennent d’un membre de la famille du demandeur (Ugalde c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 458, aux paragraphes 26 à 28; Ahmed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 226, au paragraphe 31). Dans l’arrêt R. c Laboucan, [2010] 1 RCS 397, citée par le défendeur, la Cour suprême du Canada a expressément fait la mise en garde suivante : « Le juge des faits ne devrait cependant pas accorder un poids exagéré à la situation d’une personne dans l’instance comme facteur de crédibilité. » L’agente a conclu en l’espèce qu’il n’y avait aucun élément de preuve crédible corroborant les incidents allégués par les demandeurs et elle a dit : [traduction« puisque la preuve provient d’une source proche du demandeur, elle n’a pas une grande valeur probante et je lui ai donc accordé peu de poids. » J’estime que le raisonnement de l’agente est vicié. Il est logique que la belle‑sœur soit la personne la mieux placée pour décrire les actes de persécution dont elle a été témoin ou victime, et il était déraisonnable que l’agente rejette cet élément de preuve simplement à cause de son lien avec le demandeur.

[17]           Enfin, je conclus que l’appréciation du rapport médical par l’agente est viciée de façon semblable. L’agente a accordé peu de poids à l’allégation du demandeur selon laquelle sa fille avait été attaquée parce que le demandeur avait fourni bien peu d’éléments de preuve pour démontrer qu’il s’agissait d’une attaque à caractère raciste. Il est déraisonnable et irréaliste de s’attendre à ce qu’un rapport médical révèle le mobile d’une attaque. Dans la décision Adeoye c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 680, au paragraphe 10, le juge Mosley a conclu que pareil rejet d’une preuve médicale était déraisonnable :

À la lecture du dossier, certaines conclusions qu’a tirées l’agent semblent être erronées. La lettre du centre médical, par exemple, corrobore bien l’exposé circonstancié du demandeur dans la mesure où il allègue avoir fait l’objet de mauvais traitements, contrairement à la conclusion tirée par l’agent. En outre, il est déraisonnable de s’attendre à ce que l’identité de l’agresseur fasse partie des renseignements contenus dans le rapport médical.

[18]           L’agente a également tiré une conclusion déraisonnable lorsqu’elle a affirmé que la preuve des demandeurs ne permettait pas d’établir qu’ils seront victimes de discrimination équivalant à de la persécution. L’agente a accepté que le demandeur était un militant Rom et un musicien professionnel, que les demandeurs seraient donc peut‑être plus facilement reconnaissables et qu’ils pourraient être exposés à un [traduction] « risque élevé de discrimination raciale ». Vu que l’agente disposait d’un grand nombre d’éléments de preuve documentaire établissant l’étendue de la discrimination à laquelle les Roms sont exposés en Hongrie et vu que les demandes d’ERAR portent sur les risques prospectifs, l’agente était tenue de mener une analyse et de fournir les motifs qui l’ont menée à conclure que, en l’espèce, ce qu’elle a elle‑même décrit comme un risque élevé de discrimination raciale n’équivaudrait pas à de la persécution. Comme le juge Marceau de la Cour d’appel fédérale l’a expliqué au paragraphe 3 de l’arrêt Sagharichi c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 796 (CAF) :

[…] la ligne de démarcation entre la persécution et la discrimination ou le harcèlement est difficile à tracer […] Toutefois, il reste que, dans tous les cas, il incombe à la Section du statut de réfugié de tirer sa conclusion dans le contexte factuel particulier, en effectuant une analyse minutieuse de la preuve présentée et en soupesant comme il convient les divers éléments de la preuve […].

L’agente était tenue de soupeser la situation vécue par les Roms telle qu’elle est étayée dans la preuve documentaire au regard de la preuve de la situation personnelle des demandeurs (Kovacs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1003, paragraphe 83). L’agente, de façon déraisonnable, ne l’a pas fait.

B.                 L’agente a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse sur la protection de l’État?

[19]           Les demandeurs soutiennent que l’agente a commis une erreur en se fiant aux [traduction] « efforts » que l’État hongrois déploie pour édicter des lois et des politiques parce que la preuve révèle que ces lois et politiques ne sont pas efficaces. L’agente a également mal interprété la preuve documentaire objective et elle s’est fondée sur le fait que la Hongrie est une démocratie qui fonctionne efficacement, qu’elle a le [traduction] « contrôle efficient de son territoire » et qu’elle s’est dotée d’un [traduction] « appareil judiciaire fonctionnel », et ce, malgré l’accablante preuve du contraire.

[20]           Je suis encore d’accord avec les demandeurs. Je conclus que l’analyse de la protection de l’État menée par l’agente ne résiste pas à un examen approfondi. L’agente devait évaluer le degré de protection de l’État que les Roms peuvent obtenir à l’heure actuelle en Hongrie. Comme je l’ai déjà mentionné, et cela a d’ailleurs fait jurisprudence au sein de la Cour, il faut évaluer l’efficacité réelle de la protection de l’État, et non simplement les efforts que l’État déploie pour fournir cette protection (Lopez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1341, aux paragraphes 19 et 20; Molnar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 2 CF 339, au paragraphe 33; Hercegi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 250, au paragraphe 5). C’est particulièrement important lorsque, comme en l’espèce, la preuve documentaire révèle que la démocratie n’a jamais été en si piètre état (Katinski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1326, au paragraphe 17).

[21]           Dans la présente affaire, l’agente a, à tort, mis l’accent sur les efforts que le gouvernement hongrois déploie pour protéger ses citoyens roms plutôt que sur les résultats de ces efforts. Elle a expressément souligné que [traduction« les autorités hongroises ont pris des mesures concrètes pour lutter contre le problème » et que [traduction] « le gouvernement a déployé des efforts importants pour venir à bout du problème ». La Cour a conclu à maintes reprises que, dans le cadre de l’évaluation de la protection de l’État que la population rom peut obtenir en Hongrie, il est déraisonnable pour un agent de se fonder sur les efforts ou les bonnes intentions du gouvernement hongrois (Katinszki c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1326, aux paragraphes 14 à 18; Kemenczei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1349, aux paragraphes 57 à 60; Orgona c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1438, aux paragraphes 5 à 16).

[22]           L’agente a fondé sa conclusion quant à l’existence de la protection de l’État sur une série de passages choisis qui mènent à une interprétation clairement erronée de la preuve documentaire objective. Par exemple, l’agente renvoie au Human Rights Report de 2011 du département d’État des États‑Unis qui fait état de la discrimination dont la communauté rom a été victime dans la ville de Gyongyospata aux mains de militants d’extrême‑droite pendant deux mois. L’agente a souligné que le ministre de l’Intérieur s’est rendu dans la ville et qu’il a ordonné l’accroissement de la présence policière, mais elle n’a pas fait mention des renseignements qui se trouvent dans les phrases qui suivent, à savoir que, des huit extrémistes qui avaient finalement été arrêtés et accusés d’inconduite, cinq ont été acquittés.

[23]           L’agente renvoie également au rapport annuel d’Amnesty International de 2012 et au document HUN104110.EF de la Direction des recherches de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour démontrer que le gouvernement hongrois avait adopté des mesures législatives pour lutter contre la violence qui tire sa source dans la discrimination fondée sur l’ethnie ou la race. Or, il ne s’agit pas non plus d’une interprétation adéquate de la preuve. Le Human Rights Report de 2011 du département d’État des États‑Unis fait état des récriminations d’organisations non gouvernementales selon lesquelles les tribunaux ont de plus en plus souvent recours aux dispositions du code pénal sur le racisme afin de rendre des verdicts de culpabilité contre les Roms au lieu de les protéger. Le rapport HUN104110.EF met en lumière un problème : le législateur, lorsqu’il a modifié le code pénal, n’a pas ajouté les motifs fondés sur des préjugés en ce qui concerne les crimes contre les biens et le harcèlement, rendant du coup les modifications lacunaires. L’agente a omis de mentionner cette preuve contraire, et les extraits invoqués ne reflètent pas un examen juste et équilibré de la preuve.

[24]           En outre, l’agente a renvoyé à une citation du rapport HUN104110.EF, qui reprenait les mots du ministre d’État aux Communications gouvernementales de la Hongrie : « [l]es événements sur le terrain montrent [que les] politiques fonctionnent », et la « violence a diminué au cours des deux ou trois dernières années ». L’agente a cependant omis d’ajouter la phrase suivante figurant dans le rapport et qui contredit directement cette observation : « Toutefois, dans un rapport sur sa mission en Hongrie en mai 2011, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée a souligné que, selon plusieurs interlocuteurs, le racisme contre les Roms est répandu dans les institutions publiques, notamment dans la police et le système judiciaire […]. » L’agente a par la suite renvoyé de nouveau à ce rapport pour conclure que, dans une des 22 affaires où des Roms ont été victimes de violence, l’agresseur a été déclaré coupable et que 12 poursuites étaient en cours, [traduction« ce qui démontre que les autorités en Hongrie ont la capacité de poursuivre en justice les agresseurs et qu’elles protègent la population rom ». Il s’agit là d’une lecture injuste de la preuve documentaire, puisque le rapport fournit en fait ces statistiques pour étayer la conclusion selon laquelle « les autorités de l’État ne sont pas efficaces pour répondre à la violence faite aux Roms ». L’appréciation de la preuve documentaire objective par l’agente ne peut être qualifiée de raisonnable, puisqu’elle a choisi des passages qui mènent à une interprétation erronée des renseignements dont elle disposait. Par conséquent, la décision ne saurait être qualifiée de justifiée ou de transparente, et elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[25]           Compte tenu de mes conclusions sur les deux premières questions en litige, j’estime qu’il est inutile de trancher la troisième.

[26]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, la présente demande sera accueillie, et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

La présente demande est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

Traduction française certifiée

Jean-François Martin


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIER :

IMM-3230-13

 

INTITULÉ :

GYULA KANTO, GYULANE KANTO ET GYULA KANTO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 JUIN 2014

 

MOTIF DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 JUIN 2014

 

 

 

COMPARUTION :

Eylse Korman

POUR LES DEMANDEURS

 

Negar Hashemi

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elyse Korman

Otis & Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

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