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Date : 20140704


Dossier : T-27-10

Référence : 2014 CF 657

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2014

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

HOMELIFE/EXPERIENCE REALTY INC.

appelante

et

LE MINISTRE DES FINANCES ET LE DIRECTEUR DU CENTRE D’ANALYSE DES OPÉRATIONS ET DÉCLARATIONS FINANCIÈRES DU CANADA

intimés

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               L’appelante, Homelife Experience Realty (Homelife), a interjeté appel d’une décision, datée du 10 décembre 2009, prise par la sous‑directrice (le directeur) du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (le CANAFE) en application du paragraphe 73.15(2) de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, LC 2000, c 17 (la Loi). Le directeur a conclu que l’appelante avait commis quatre violations de la Loi et du Règlement sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, DORS/2002-184 (le Règlement). L’appel est formé en application de l’article 11.4 de la Loi.

[2]               Par ordonnance datée du 16 février 2011, le protonotaire Aalto a autorisé M. Harry Margosutjahjo, administrateur et dirigeant de Homelife, à représenter l’appelante lors de l’instruction de la présente affaire, qui s’est déroulée en même temps que celle de l’affaire Max Realty Solutions Ltd c Procureur général du Canada, T-1869-09.

[3]               Homelife demande à la Cour d’ordonner l’annulation de la décision du directeur. J’estime pour les motifs qui vont suivre que la décision du directeur concernant la perpétration des infractions était raisonnable et ne doit pas être annulée. Comme toutefois, au vu du dossier, la décision et ses motifs ne sont pas suffisamment intelligibles, la Cour n’est pas en mesure de savoir comment le montant de la pénalité a été établi, si des facteurs atténuants ou aggravants ont été pris en compte ni quels principes de détermination de la peine ont bien pu être appliqués. Cette composante de la décision était à ce titre déraisonnable. La décision sera par conséquent renvoyée au directeur pour qu’il soit statué à nouveau sur la question de la pénalité.

 

Contexte législatif

[4]               Comme le précise son préambule, la Loi vise à faciliter la répression du recyclage financier des produits de la criminalité et du financement des activités terroristes et à constituer le CANAFE. Elle a notamment comment objet énoncé de mettre en œuvre des mesures visant à détecter et décourager le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et à faciliter les enquêtes et les poursuites relatives aux infractions relatives à de telles activités (alinéa 3a)). L’une de ces mesures consiste à imposer des obligations de tenue de documents et d’identification des clients aux fournisseurs de services financiers et autres personnes ou entités qui se livrent à l’exploitation d’une entreprise ou à l’exercice d’une profession ou d’activités susceptibles d’être utilisées pour le recyclage des produits de la criminalité ou pour le financement des activités terroristes (sous‑alinéa 3a)(i)). La partie 1 de la Loi, intitulée « Tenue de documents, vérification d’identités, déclaration des opérations douteuses et inscription », s’applique aux personnes et aux entités qui se livrent à l’exploitation d’une entreprise ou à l’exercice d’une profession ou d’activités visées par un règlement pris en vertu de l’alinéa 73(1)a) ou de l’alinéa 73(1)b) lorsqu’elles exercent les activités mentionnées aux règlements (article 5). Le gouverneur en conseil peut notamment, par règlement, désigner comme violations de la Loi diverses contraventions au titre de la partie 1 et prévoir les pénalités applicables (paragraphe 73.1(1)).

[5]               L’article 37 du Règlement prévoit à cet égard que les courtiers ou agents immobiliers sont assujettis à la partie 1 de la Loi lorsqu’ils agissent à titre d’agents dans le cadre de l’achat ou de la vente de biens immobiliers.

[6]               Il incombe donc à tout courtier ou agent immobilier d’établir et de mettre en œuvre, en conformité avec le Règlement, un programme destiné à assurer l’observation de la partie 1 (paragraphe 9.6(1)). Le programme doit notamment prévoir l’élaboration et la mise en application de principes et de mesures permettant à la personne ou à l’entité concernée d’évaluer, dans le cours de ses activités, les risques de perpétration d’infractions de recyclage des produits de la criminalité et d’infractions de financement des activités terroristes (paragraphe 9.6(2)).

[7]               Pour l’application du paragraphe 9.6(1) de la Loi, le Règlement requiert la mise en œuvre par la personne ou l’entité concernée d’un programme de conformité comportant les éléments suivants :

a)      nommer une personne chargée de la mise en œuvre du programme;

b)      élaborer et appliquer des principes et des mesures de conformité écrits qui sont mis à jour et, dans le cas d’une entité, approuvés par un de ses dirigeants;

c)      évaluer – en fonction de ses besoins – les risques visés au paragraphe 9.6(2) de la Loi et conserver les documents à l’appui, en tenant compte des critères suivants :

                                                                                      i.      les clients et relations d’affaires de la personne ou de l’entité,

                                                                                    ii.      les produits et moyens de distribution de la personne ou de l’entité,

                                                                                  iii.      l’emplacement géographique de ses activités de la personne ou de l’entité,

                                                                                  iv.      tout autre critère approprié;

d)     si elle a des employés, des mandataires ou d’autres personnes habilitées à agir en son nom, élaborer et mettre à jour à leur intention un programme écrit de formation continue axée sur la conformité;

e)      établir un mécanisme d’examen visant à évaluer l’efficacité des principes et des mesures, de l’évaluation des risques et du programme de formation – lequel examen doit être effectué aux deux ans par un vérificateur interne ou externe ou, si la personne ou l’entité n’en a pas, par elle-même – et conserver les documents à l’appui.

Contexte factuel

[8]               Homelife est un courtier ou agent immobilier.

[9]               Le CANAFE a été constitué en vertu de la Loi à titre d’organisme indépendant chargé, notamment, de recueillir, d’analyser, d’évaluer et de communiquer des renseignements utiles pour la détection, la prévention et la dissuasion en matière de recyclage des produits de la criminalité ou de financement des activités terroristes et de procéder à des contrôles d’application de la partie 1 (articles 40 et 41).

[10]           L’exposé qui suit du contexte factuel se fonde sur les documents figurant dans le dossier d’appel.

[11]           Le 4 février 2009, l’agent de conformité régional du CANAFE a informé Homelife par écrit qu’elle avait été choisie pour subir un examen de conformité, visant à vérifier le respect des exigences de la partie 1 de la Loi et du Règlement (l’avis d’examen). La date prévue de l’examen était le 25 mars 2009. On déclarait dans la lettre d’avis que l’examen avait pour objectif d’évaluer dans quelle mesure les principes et mesures élaborés par Homelife au regard du régime de conformité, des déclarations, de la tenue de documents et de l’identification des clients répondaient aux exigences législatives. On demandait aussi à Homelife de transmettre au CANAFE divers documents, au moins une semaine avant la tenue de l’examen, notamment des copies de ce qui suit :

-          les principes et mesures de conformité, notamment les mesures spéciales prévues pour les situations de risque élevé;

-          le programme de formation continue offert par Homelife aux membres de son personnel et à ses agents en lien avec ses obligations en vertu de la Loi;

-          une évaluation documentée des risques de recyclage de produits de la criminalité et de financement d’activités terroristes;

-          tout examen interne ou externe documenté et achevé visant les principes et mesures de conformité de Homelife, son évaluation des risques et son programme de formation continue.

[12]           Homelife a aussi appris dans la lettre d’avis d’examen qu’on examinerait certains de ses dossiers sur les opérations réalisées entre le 1er août 2008 et le 31 janvier 2009 ainsi que divers autres documents.

[13]           S’il est difficile d’établir sa date avec exactitude au vu du dossier, il est entendu que l’examen s’est finalement déroulé aux environs du 25 mars 2009.

[14]           Le 29 avril 2009, Homelife a reçu une lettre dans laquelle l’agent de conformité régional énumérait dix lacunes relevées lors de l’examen de conformité. L’agent précisait dans la lettre que le CANAFE visait à assurer la conformité par une approche de collaboration et demandait donc à Homelife de lui communiquer dans les trente jours, soit le 29 mai 2009 au plus tard, un plan d’action mentionnant les mesures qu’elle aurait prises pour régler les problèmes de conformité. Il était possible qu’on procède par la suite à une vérification de suivi. L’agent priait aussi Homelife de noter que, faute de telles mesures de conformité, les lacunes telles que celles mentionnées dans la lettre pouvaient donner lieu à des sanctions civiles et pénales. Le 1er juin 2009, l’agent régional a prolongé jusqu’au 19 juin 2009 le délai prévu pour la communication du plan d’action.

[15]           Le 29 juin 2009, le CANAFE a dressé un procès‑verbal où il déclarait avoir conclu, en conformité avec l’article 73.13 de la Loi, que Homelife avait commis cinq violations énumérées et qu’il lui imposait par conséquent une sanction administrative pécuniaire de 37 500 $. Toutes les violations énumérées découlaient de la première lacune mentionnée dans la lettre du 29 avril 2009 du CANAFE. On précisait dans le procès‑verbal que Homelife avait le droit de présenter des observations au directeur avant le 29 juillet 2009 pour demander la révision de la conclusion relative aux violations et de la pénalité imposée.

[16]           M. Harry Margosutjahjo a donné suite au procès‑verbal par une lettre d’explications datée du 20 juillet 2009. Il y déclarait que Homelife n’avait nullement l’intention d’enfreindre la loi et veillait à ne faire affaire avec aucun terroriste ni aucun blanchisseur d’argent. M. Margosutjahjo a ajouté qu’il s’était désigné lui‑même comme responsable de la vérification de la conformité, que Homelife s’était désormais dotée d’un manuel de conformité, dont copie était remise à tous les membres du personnel, qu’elle avait rempli le formulaire joint d’évaluation des risques à l’intention des courtiers, que tous ses agents immobiliers, tout en étant des entrepreneurs indépendants, recevaient une formation et étaient informés de leurs obligations lors des réunions commerciales, qu’elle avait pour politique d’examiner chaque opération effectuée et, enfin, qu’elle avait passé en revue ses principes et mesures pour s’assurer de leur efficacité. Bien que des erreurs mineures aient pu entacher le rapport déposé, celles‑ci étaient aisées à corriger. M. Margosutjahjo a ajouté qu’il avait communiqué avec l’agent de conformité régional en vue d’établir quelles mesures Homelife pouvait prendre pour corriger les problèmes, mais qu’on lui avait dit de ne pas s’en faire avec le passé puisque la situation à l’avenir était tout ce qui importait. Par ailleurs, Homelife avait mis à jour ses principes et mesures depuis l’inspection et tous les documents requis étaient correctement établis. M. Margosutjahjo a finalement déclaré que l’entreprise était de petite taille et n’avait pas les moyens d’acquitter l’amende imposée.

[17]           Le 27 août 2009, M. Margosutjahjo a écrit une lettre au CANAFE, à laquelle était jointe copie des nouveaux documents suivants :

-          Un document d’une page intitulé [traduction] « Nomination du responsable de la conformité – RESPONSABLE DE LA CONFORMITÉ ». Le document, non daté, prévoit la nomination de M. Margosutjahjo comme responsable de la conformité.

-          Un document intitulé [traduction] « MANUEL DES PRINCIPES DE L’ENTREPRISE ». Le document n’est pas non plus daté et fait état de mesures générales prises par l’entreprise.

-          Un document non daté intitulé [traduction] « Loi et Règlement sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes – MANUEL DE CONFORMITÉ DE L’ENTREPRISE 2008 ».

-          Le formulaire d’évaluation des risques à l’intention des courtiers, daté du 19 février 2009, de l’Ontario Real Estate Association (OREA).

-          Un document d’une page non daté et intitulé [traduction] « ON PEUT COMMUNIQUER AVEC LE COMITÉ D’EXAMEN DU CANAFE AU 905‑896‑1177 ».

-          Vingt formulaires intitulés [traduction] « Certificat d’achèvement de la formation sur la conformité », remplis et portant diverses dates.

-          Neuf formulaires intitulés [traduction] « Registre des activités de formation complémentaires (réunions, formation continue, etc.) » remplis et portant diverses dates.

-          Neuf formulaires intitulés [traduction] « Compte‑rendu de la réunion de travail », remplis et portant diverses dates.

[18]           Le 10 septembre 2009, M. Margosutjahjo a de nouveau envoyé une lettre au CANAFE, dans laquelle il déclarait joindre pour examen, suivant la suggestion de Mme Julie Éthier, agente principale d’examen (sa lettre étant datée du 26 août 2009), copie des documents qui suivent, tout en présentant des observations sur la situation financière de Homelife :

(i)          des états financiers non vérifiés datés du 15 décembre 2008;

(ii)        le formulaire T2E – Déclaration de revenus des sociétés de Homelife pour 2008;

(iii)      le formulaire de déclaration T2E de Homelife pour 2008 et les renseignements figurant en annexe.

Décision dont appel

[19]           Le 10 décembre 2009, le directeur a transmis un avis de décision à Homelife concernant les violations décrites dans le procès‑verbal.

[20]           Le directeur a déclaré avoir conclu selon la prépondérance des probabilités, après examen du procès‑verbal, des documents à l’appui ainsi que des observations présentées par Homelife, que celle‑ci avait commis les quatre violations suivantes :

            [traduction]

1.      défaut de toute personne ou entité de nommer une personne chargée de la mise en œuvre d’un programme de conformité, ce qui contrevient au paragraphe 9.6(1) de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et à l’alinéa 71(1)a) du Règlement sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (violation no 1);

2.      défaut de toute personne ou entité d’élaborer et d’appliquer des principes et des mesures de conformité écrits qui sont mis à jour et, dans le cas d’une entité, approuvés par un de ses dirigeants, ce qui contrevient au paragraphe 9.6(1) de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et à l’alinéa 71(1)b) du Règlement sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (violation no 2);

3.      défaut de toute personne ou entité d’évaluer les risques visés au paragraphe 9.6(2) de la Loi, et de conserver les documents à l’appui, en tenant compte des critères réglementaires, ce qui contrevient au paragraphe 9.6(1) de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et à l’alinéa 71(1)c) du Règlement sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (violation no 3);

4.      défaut de toute personne ou entité, si elle a des employés, des mandataires ou d’autres personnes habilitées à agir en son nom, d’élaborer et de mettre à jour à leur intention un programme écrit de formation continue axée sur la conformité, ce qui contrevient au paragraphe 9.6(1) de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et à l’alinéa 71(1)d) du Règlement sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (violation no 4).

[21]           Le directeur a par ailleurs conclu que les faits n’étayaient pas la conclusion selon laquelle l’appelante avait commis la cinquième violation mentionnée au procès‑verbal. Cette violation a ainsi été retirée et, par conséquent, le CANAFE a imposé une pénalité de 27 000 $ plutôt que celle mentionnée au procès‑verbal.

Questions en litige

[22]           Homelife, représentée par M. Margosutjahjo, qui n’est pas avocat, n’a proposé aucune question à trancher dans le présent appel.

[23]           L’intimé, le procureur général, a pour sa part présenté les questions suivantes, que j’estime pertinentes :

1.      Quelle norme de contrôle s’applique à une décision prise par le directeur en application du paragraphe 73.15(2) de la Loi?

2.      Le directeur a‑t‑il conclu erronément que l’appelante avait commis les quatre violations mentionnées dans sa décision du 10 décembre 2009, et imposé erronément une sanction administrative pécuniaire de 27 000 $?

1re QUESTION – Quelle norme de contrôle s’applique à une décision prise par le directeur en application du paragraphe 73.15(2) de la Loi?

Thèse de Homelife

[24]           L’appelante ne présente aucune observation au sujet de la norme de contrôle applicable.

 Thèse du procureur général

[25]           Le procureur général soutient que la raisonnabilité est la norme de contrôle qui s’applique. Le directeur devait établir si, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse satisfaisait aux exigences de la Loi à la date de l’examen de conformité. Il s’agit là d’une conclusion de fait à l’égard de laquelle la retenue s’impose (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, aux paragraphes 45, 47 à 49, 55 et 60 [Dunsmuir]). Il en ira de même si l’on considère qu’il s’agit plutôt d’une question mixte de fait et de droit (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland and Labrador Nurses]).

[26]           La question à trancher par la Cour est de savoir si, au vu de la preuve dont le directeur disposait, les conclusions et décisions de ce dernier étaient raisonnables. L’intimé se fonde également sur les observations qu’il a présentées dans l’affaire T-1869-09 instruite en même temps que celle qui nous occupe.

Analyse

[27]           Lorsqu’elle détermine la norme de contrôle pertinente, la Cour vérifie en premier lieu si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de retenue judiciaire correspondant à une catégorie de questions en particulier. Lorsque cette démarche se révèle infructueuse, la Cour entreprend la seconde étape qui consiste à déterminer la norme de contrôle applicable en tenant compte d’éléments tels que la nature de la question en cause, l’expertise du tribunal, l’existence ou l’inexistence d’une clause privative et la raison d’être du tribunal (arrêt Dunsmuir, précité, aux paragraphes 51 à 64; Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).

[28]           En l’espèce, la jurisprudence n’a pas décidé du degré de retenue requis par la question particulière dont est saisie la Cour, soit une décision prise en vertu du paragraphe 73.15(2) de la Loi. D’ailleurs, lorsqu’il a comparu devant moi, l’intimé a confirmé que la présente affaire et l’affaire T-1869-09 étaient les premiers appels de ce type jamais instruits par la Cour.

[29]           À l’audience, la Cour a demandé si des décisions avaient déjà été rendues dans d’autres appels mettant en cause des violations pour non‑conformité et l’imposition de sanctions administratives pécuniaires dans le cadre d’autres régimes administratifs de conformité, afin de l’aider à établir la norme appropriée de contrôle. L’avocat du procureur général a cité la décision de notre Cour Banque Internationale de Commerce Mega (Canada) c Canada (Procureur général), 2012 CF 407 [Mega]. Il s’agissait dans Mega d’un appel interjeté à l’encontre de la décision de la commissaire de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada de confirmer la conclusion de la commissaire adjointe selon laquelle Mega avait contrevenu à certaines dispositions du Règlement sur le coût d’emprunt (banques) pris en vertu de la Loi sur l’Agence de la consommation en matière financière du Canada, LC 2001, c 9. Une sanction administrative pécuniaire de 12 500 $ a été imposée en raison de l’inobservation.

[30]           Le juge de Montigny a déclaré ce qui suit au sujet de la norme de contrôle applicable :

[24]      Il est maintenant bien établi qu’il est souvent inutile de procéder à une analyse contextuelle et d’examiner les facteurs énoncés dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 (Dunsmuir). Comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Smith c Alliance Pipeline Ltd, 2011 CSC 7, [2011] 1 RCS 160 (Smith), le juge chargé du contrôle peut se fonder sur les vastes catégories définies dans l’arrêt Dunsmuir, précité, pour décider quelle norme de contrôle est pertinente. Habituellement, la norme de la décision raisonnable s’appliquera dans les cas suivants : (1) la question se rapporte à l’interprétation de la loi habilitante (ou « constitutive ») du tribunal administratif ou à une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie; (2) la question soulève à son tour des questions touchant les faits, le pouvoir discrétionnaire ou des considérations d’intérêt général; (3) il s’agit d’une question mixte de fait et de droit (Smith, au paragraphe 26).

[25]      La première question de fond susmentionnée, à savoir si les encadrés informatifs utilisés par l’appelante contreviennent au Règlement, est manifestement une question mixte de fait et de droit puisqu’elle nécessite l’interprétation du Règlement et l’application de celui‑ci aux faits de l’espèce. Ainsi, la norme de contrôle pertinente est manifestement celle de la décision raisonnable. En outre, le Règlement est étroitement lié aux fonctions que confie la Loi à la commissaire, soit de protéger les intérêts des consommateurs de services financiers. Le Règlement fait partie d’un régime réglementaire spécialisé qui relève exclusivement de la compétence de la commissaire et, dans cette mesure, il s’apparente à une loi« constitutive ». Enfin, on ne peut avancer que l’interprétation des exigences prévues par ce Règlement revêt une importance capitale pour le système juridique. Pour toutes ces raisons, la question c), de même que les questions d), f) et g), lesquelles sont toutes des questions mixtes de fait et de droit, feront l’objet d’un contrôle fondé sur la norme de la décision raisonnable. Par conséquent, la Cour n’interviendra en l’espèce que si la décision attaquée n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[31]           Ces considérations valent également selon moi dans notre affaire. Le CANAFE et son directeur ont pour rôle d’évaluer la conformité aux exigences de la Loi et du Règlement et de détecter et décourager le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. L’on a affaire à un régime spécialisé à l’égard duquel le CANAFE exerce sa compétence. Le directeur devait décider si Homelife se conformait aux dispositions pertinentes du Règlement, soit une question mixte de fait et de droit puisqu’il devait interpréter les obligations découlant de ces dispositions et établir, en fonction des faits d’espèce, si ces obligations avaient été respectées. Le processus, bien qu’on le désigne sous le nom d’appel, est un type de contrôle judiciaire qui commande la norme de la décision raisonnable (voir également les jugements suivants invoqués dans les observations après l’audience présentées par l’intimé : Doyon c Canada (Procureur général), 2009 CAF 152; Rowan c Ontario (Securities Commission), 2012 ONCA 208).

[32]           Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, le rôle de la Cour est d’établir si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Si le processus et l’issue cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59). La cour ne devrait intervenir que si la décision ne satisfait pas à cette norme.

2e QUESTION – Le directeur a‑t‑il conclu erronément que l’appelante avait commis les quatre violations mentionnées dans sa décision du 10 décembre 2009, et imposé erronément une sanction administrative pécuniaire de 27 000 $?

Thèse de Homelife

[33]           Homelife soutient essentiellement qu’elle s’est acquittée avec diligence raisonnable des obligations de conformité prévues par la Loi et le Règlement, puisqu’elle a pris toutes les mesures raisonnables dans les circonstances pour éviter de commettre les violations. Le CANAFE n’avait pas établi de lignes directrices claires et explicites pouvant aider les courtiers et agents immobiliers à se conformer à la loi. En outre, le directeur n’a pas pris en compte la lettre d’explications de Homelife (Home Depot of Canada Inc c La Reine, 2009 CCI 281, au paragraphe 29; Franck c La Reine, 2011 CCI 179, au paragraphe 3; Toronto-Dominion Bank c Hylton, 2010 ONCA 752, au paragraphe 25; R c Ellis Don Corporation, 2006 ONCJ 590, au paragraphe 21; R c Sgotto, 2009 ONCJ 48).

[34]           En ce qui concerne la violation no 1, M. Margosutjahjo est le courtier attitré de Homelife et il s’est désigné lui‑même comme personne chargée de vérifier le respect de la Loi et du Règlement.

[35]           Pour ce qui est de la violation no 2, M. Margosutjahjo a préparé un manuel des principes de conformité, en a remis une copie à tous les membres du personnel et a vérifié le respect de ces principes par ces derniers. Le personnel a été tenu informé lors des réunions commerciales des modifications apportées à la loi et de l’adoption de nouveaux règlements.

[36]           Quant à la violation no 3, Homelife a établi un formulaire d’évaluation du risque pour les courtiers.

Thèse du procureur général

[37]           Le procureur général soutient que la preuve dont le directeur disposait étayait manifestement sa décision et que celle‑ci était par conséquent raisonnable.

[38]           Pour ce qui est de la violation no 1, le procureur général fait valoir que, d’après la lettre du 29 avril 2009 du CANAFE, aucun responsable de la conformité n’avait été nommé lorsqu’on a procédé à l’examen de conformité le 25 mars 2009. La réception de cette lettre a fourni à Homelife l’occasion de le démentir, mais elle n’en a rien fait. Dans sa lettre du 20 juillet 2009, en outre, M. Margosutjahjo n’a pas contesté l’absence de tout responsable de la conformité à la date de l’examen et a plutôt confirmé sa nomination à la date de présentation de ses observations. Enfin, le document intitulé [traduction] « Nomination du responsable de la conformité – RESPONSABLE DE LA CONFORMITÉ » n’est pas daté et on n’a pas expliqué pourquoi il n’avait pas été transmis au CANAFE en réponse à la lettre du 29 avril 2009 communiquant les résultats de l’examen de conformité.

[39]           Concernant la violation no 2, le procureur général déclare qu’au moment de l’examen, Homelife n’avait ni élaboré ni mis en application des mesures et des principes écrits. Dans ses observations du 20 juillet 2009, Homelife a déclaré qu’elle se conformait [traduction] « maintenant » à l’obligation d’adopter des principes de conformité. Un document intitulé [traduction] « Loi et Règlement sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes  Manuel de conformité de l’entreprise 2008 », accompagnait également les observations du 25 août 2009 de Homelife, mais il n’avait pas non plus été remis à l’avance, sans qu’aucune explication n’en ait été donnée. Finalement, on ne fait que réitérer dans le manuel les obligations prévues par la Loi et le Règlement. On n’y explique aucunement comment Homelife va s’acquitter de ces obligations et aucune allusion directe n’y est faite à ses employés ou agents. Homelife a également produit un [traduction] « Manuel des principes de l’entreprise », mais il ne renvoie pas à la Loi et on y expose trop peu de principes ou de mesures ayant pour objet d’assurer la conformité.

[40]           Quant à la violation no 3, le procureur général soutient que Homelife n’a pas évalué, dans le cours de ses activités, les risques de perpétration d’infractions de recyclage des produits de la criminalité ou de financement d’activités terroristes. Homelife a bien produit un document intitulé « Évaluation du risque [pour les courtiers] », daté du 19 février 2009, mais le directeur a conclu à juste titre que ce document ne constituait pas une évaluation des risques. Il s’agit d’un formulaire préparé par L’Association canadienne de l’immeuble (ACI), qui ne renferme aucune explication ni aucune conclusion quant au niveau de risque de recyclage de produits de la criminalité ou de financement d’activités terroristes auquel Homelife est exposée, composante pourtant fondamentale d’une évaluation des risques convenable aux fins de la Loi.

[41]           Enfin, en ce qui concerne la violation no 4, le procureur général soutient que Homelife n’a pas élaboré et mis à jour à l’intention de ses employés, de ses mandataires et des autres personnes habilitées à agir en son nom un programme écrit de formation continue axée sur la conformité. On a demandé à Homelife de communiquer un tel programme avant la tenue de l’examen de conformité, mais elle ne l’a pas fait. Elle a plutôt déclaré dans ses observations écrites du 20 juillet 2009 que ses agents immobiliers avaient reçu une formation et été informés de leurs obligations et qu’on leur avait remis une copie du manuel de principes. Le manuel ne renvoie toutefois jamais à la Loi ou au Règlement et on ne peut donc pas le considérer être un véritable programme de formation axée sur la conformité. Homelife a joint à ses observations du 25 août 2009 des documents censés prouver l’existence d’un programme de formation sur la conformité, mais aucun de ces documents n’expose le contenu ou le mode de présentation de la formation.

[42]           Le procureur général affirme que la preuve dont le directeur disposait étayait manifestement sa conclusion selon laquelle, selon la prépondérance des probabilités, Homelife avait commis les quatre violations.

Analyse

[43]           Homelife soutient essentiellement qu’elle s’est acquittée avec diligence raisonnable de ses obligations, qu’elle a pris toutes les mesures raisonnables dans les circonstances pour éviter de commettre les violations et que le directeur n’a pas pris en compte ses explications.

[44]           L’article 73.24 de la Loi prévoit la possibilité d’invoquer la défense de diligence raisonnable :

73.24(1) La prise des précautions voulues peut être invoquée dans le cadre de toute procédure en violation.

(2) Les règles et principes de la common law qui font d’une circonstance une justification ou une excuse dans le cadre d’une poursuite pour infraction s’appliquent à l’égard d’une violation, sauf dans la mesure où ils sont incompatibles avec la présente loi.

[45]           Dans R c Sault Ste Marie (Ville), [1978] 2 RCS 1299, la Cour suprême du Canada a décrit la défense de diligence raisonnable comme étant « […] recevable si l’accusé croyait pour des motifs raisonnables à un état de faits inexistant qui, s’il avait existé, aurait rendu l’acte ou l’omission innocent, ou si l’accusé a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter l’événement en question ». On a également décrit la défense comme suit :

[traduction]

La défense de la diligence raisonnable a trait à la perpétration de l’acte interdit dont le défendeur est accusé et non à la conduite du défendeur dans un sens large. Le défendeur doit démontrer qu’il a pris des mesures raisonnables pour éviter de commettre l’infraction qui lui est reprochée, et non qu’il ou elle agissait dans le respect de la loi au sens large (Canada (Surintendant des faillites) c MacLeod, 2011 CAF 4, au paragraphe 33 [MacLeod citant R c Raham, 2010 ONCA 206, au paragraphe 48).

[46]           La question en l’espèce est de savoir si, au vu de la preuve, Homelife a pris toutes les mesures raisonnables pour éviter de commettre les infractions qui lui sont reprochées.

[47]           La violation no 1 avait trait au défaut de nommer une personne chargée de la mise en œuvre d’un programme de conformité. Par lettre datée du 20 avril 2009, on a informé Homelife que l’examen de conformité avait permis de relever une lacune à cet égard. On demandait aussi à Homelife de présenter dans les trente jours, soit au plus tard le 29 mai 2009, un plan d’action énonçant les mesures qu’elle avait prises pour rectifier les problèmes de conformité. Le dossier ne permet de constater aucune suite donnée à cette demande. Le CANAFE a de nouveau écrit à Homelife le 1er juin 2009, pour l’informer que, comme elle n’avait pas encore reçu son plan d’action, elle lui accordait une prolongation de délai, jusqu’au 19 juin 2009, pour le lui faire parvenir. Encore une fois, la preuve ne révèle l’existence d’aucune suite donnée à cette demande. Dressé le 29 juin 2009, le procès‑verbal accordait trente jours à Homelife pour présenter des observations au sujet des violations et de l’amende imposée.

[48]           Dans sa lettre datée du 20 juillet 2009, M. Margosutjahjo a déclaré qu’il s’était désigné lui‑même responsable de la conformité, jusqu’à ce qu’il puisse convaincre l’un des entrepreneurs indépendants d’accepter d’exercer cette fonction. Aucun document confirmant la nomination n’accompagnait cette lettre. Le formulaire intitulé [traduction] « Nomination du responsable de la conformité – RESPONSABLE DE LA CONFORMITÉ », remis le 27 août 2009, désigne M. Margosutjahjo en tant que responsable de la conformité, mais il n’est pas daté.

[49]           Il est requis de nommer un responsable de la conformité (paragraphe 9.6(1) de la Loi; alinéa 71(1)a) du Règlement) et, semble‑t‑il, de communiquer cette information et toute mise à jour ou précision la concernant au CANAFE ( articles 4, 5 et 7 du Règlement sur l’inscription – recyclage des produits de la criminalité et financement des activités terroristes, DORS/2007‑121), mais l’on ne sait pas si le CANAFE a reçu une demande en ce sens de Homelife ni si celle‑ci a nommé un agent de conformité. Le dossier d’appel ne renfermait pas de dossier certifié du tribunal, ou l’équivalent, par l’entremise duquel le CANAFE aurait divulgué tous les documents pertinents en sa possession.

[50]           Toutefois, comme Homelife n’a pas expliqué pourquoi elle n’a fourni que le 21 août 2009 un document démontrant la nomination d’un responsable de la conformité, comme ce document, lorsqu’il a été communiqué, ne portait aucune date, et comme la lettre du 20 juillet 2009 de M. Margosutjahjo donne à croire que la nomination de ce dernier était postérieure à l’examen de conformité, la conclusion tirée selon la prépondérance des probabilités par le directeur – à savoir qu’aucun responsable de la conformité n’ait été désigné au moment de l’examen de conformité – était raisonnable, puisqu’elle appartenait à la gamme des issues raisonnables au vu de la preuve présentée et du droit (paragraphes 73.13(2) et 73.15(2) de la Loi). Je ferais aussi remarquer que M. Margosutjahjo a reconnu à l’audience s’être lui‑même désigné responsable de la conformité après la tenue de l’examen de conformité. Pour ce qui est cette fois de la diligence raisonnable, Homelife n’a pas présenté de preuve visant à démontrer qu’elle avait pris des mesures raisonnables pour ne pas commettre la violation. Homelife n’a donc pas établi qu’elle pouvait opposer la défense de diligence raisonnable.

[51]           La violation no 2 a trait au défaut de Homelife d’élaborer et d’appliquer des principes et des mesures de conformité écrits, mis à jour et approuvés par un de ses dirigeants. Le CANAFE a demandé expressément dans sa lettre du 4 février 2009 que Homelife lui transmette copie de ses principes et mesures de conformité, y compris ceux concernant toute mesure spéciale de prévention des risques élevés, avant la tenue de l’examen. Le défaut de Homelife d’y donner suite a fait partie des lacunes mentionnées par la CANAFE dans sa lettre du 29 avril 2009. M. Margosutjahjo a déclaré dans sa lettre du 20 juillet 2009, envoyée en réponse au procès‑verbal, que Homelife s’était [traduction] « maintenant » dotée de principes écrits de conformité, mais il n’a communiqué aucune copie de ces principes. Homelife a fourni le 25 août 2009 le document non daté intitulé [traduction] « Loi et Règlement sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes – MANUEL DE CONFORMITÉ DE L’ENTREPRISE 2008 ». Le manuel est de nature générique. On n’y fait pas mention de Homelife et il s’agit, en fait, d’un énoncé des obligations prévues par la Loi et le Règlement. Comme l’intimé l’a fait remarquer, on ne dit pas dans le manuel comment Homelife entend s’acquitter de ces obligations.

[52]           Quant au [traduction] « Manuel des principes de l’entreprise », également communiqué le 21 août 2009, son objet est uniquement le fonctionnement général de l’entreprise. On y fait seulement allusion au CANAFE dans la section traitant des promesses d’achat acceptées, où l’on précise que, [traduction] « [p]our toutes les opérations, il faut joindre le dossier‑client (y compris tout relevé d’encaissement de fonds conformément aux exigences du CANAFE) ». Le manuel ne renvoie nulle part à la Loi ou au Règlement.

[53]           Étant donné que l’examen portait sur la conformité et que le CANAFE a demandé expressément d’obtenir à l’avance une copie des principes de conformité de l’entreprise – ce à quoi Homelife n’a pas donné suite –, que ce défaut figurait parmi les lacunes relevées dans la lettre du 29 avril 2009 du CANAFE, que celui‑ci a aussi demandé à Homelife de lui communiquer dans les trente jours un plan d’action faisant état des mesures prises pour assurer la conformité – ce à quoi Homelife n’a pas non plus donné suite –, que M. Margosutjahjo a déclaré dans sa lettre du 20 juillet 2009 que l’entreprise disposait maintenant de principes sur la conformité, sans toutefois remettre de copie du document en cause, et qu’aucune explication n’a été fournie quant au défaut de fournir ce document avant le 21 août 2009, on peut raisonnablement conclure que les politiques n’existaient pas au moment de l’examen, car Homelife les aurait communiquées au CANAFE avant qu’il ne dresse le procès‑verbal si elles avaient existé.

[54]           Il était par conséquent raisonnable de la part du directeur de conclure qu’il y avait eu violation de l’exigence en cause. En l’absence de toute preuve montrant qu’elle avait pris des mesures raisonnables pour élaborer des principes pour l’entreprise avant la date de l’examen, Homelife n’a pas établi qu’elle pouvait opposer la défense de diligence raisonnable.

[55]           La violation no 3 avait trait au défaut d’évaluer les risques visés au paragraphe 9.6(2) de la Loi et de conserver les documents à l’appui, en tenant compte des critères réglementaires. Le paragraphe 9.6(2) prescrit l’élaboration et la mise en application de principes et de mesures permettant à la personne ou à l’entité en cause d’évaluer, dans le cours de ses activités, les risques de perpétration d’infractions de recyclage des produits de la criminalité et d’infractions de financement des activités terroristes. Les critères réglementaires sont énoncés à l’alinéa 71(1)c) du Règlement : (i) les clients et relations d’affaires de la personne ou de l’entité, (ii) ses produits et moyens de distribution, (iii) l’emplacement géographique de ses activités, (iv) tout autre critère approprié. Le seul élément de preuve au dossier concernant l’évaluation des risques est le formulaire de l’ACI intitulé « Formulaire d’évaluation du risque [pour les courtiers, daté du 19 février 2009] » communiqué par Homelife le 21 août 2009. Le document se termine comme suit : « Le présent document a été préparé par l’Association canadienne de l’immeuble à l’usage exprès des membres aux fins de se conformer aux exigences de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. © 2008 ».

[56]           Le formulaire de l’ACI renferme simplement une série de questions accompagnées de réponses cochées parmi les choix suivants : « souvent », « parfois », « rarement », « jamais », « S/O » et « Ne sais pas ». On n’y consigne pas une véritable évaluation des risques courus par Homelife dans le cours de ses activités. On peut recourir au formulaire de l’ACI pour évaluer si, et selon quelle fréquence, les activités de Homelife mettent en jeu les facteurs de risque énumérés, mais pour rien de plus.

[57]           Comme parmi les documents expressément demandés par le CANAFE dans son avis relatif à l’examen de conformité l’un d’eux devait porter sur l’évaluation des risques, comme l’absence d’un tel document était l’une des lacunes mentionnées dans la lettre du 29 avril 2009 du CANAFE et comme, sans explication, le document en cause n’a été communiqué que le 21 août 2009, il est permis de se demander si celui‑ci existait véritablement le 25 mars 2009. Quoi qu’il en soit, il était loisible au directeur de juger cela insuffisant pour répondre aux exigences de la Loi et du Règlement en matière d’évaluation des risques.

[58]           Il était raisonnable de la part du directeur de conclure dans ces conditions qu’une violation avait été commise. Faute de présenter une preuve montrant qu’elle avait pris des mesures raisonnables pour procéder à une évaluation des risques, Homelife n’a pas établi qu’elle pouvait opposer la défense de diligence raisonnable.

[59]           La violation no 4 avait trait au défaut d’élaborer et de mettre à jour un programme écrit de formation continue axée sur la conformité à l’intention des employés, des mandataires ou d’autres personnes. Le CANAFE avait encore une fois demandé, dans sa lettre du 4 février 2009, que Homelife lui communique copie de son programme de conformité avant la tenue de l’inspection de conformité. Il a également décrit le défaut de communication comme une lacune dans sa lettre du 29 février 2009. M. Margosutjahjo déclare dans sa lettre du 20 juillet 2009 que les agents sont tous des entrepreneurs indépendants et qu’ils ont reçu de la formation et des renseignements sur leurs obligations lors de réunions commerciales. Chaque nouvel agent serait informé des exigences en matière de conformité et obtiendrait une copie du manuel des principes. Toutefois, nulle copie des principes en matière de formation n’a été communiquée en réponse à la demande initiale, à l’avis relatif aux lacunes ou à la demande de plan d’action du CANAFE, ni n’accompagnait la lettre du 20 juillet 2009 de M. Margosutjahjo. Parmi les documents transmis par Homelife le 21 août 2009, on compte vingt [traduction] « Certifications d’achèvement de la formation sur la conformité » qui attestent l’achèvement de formations reçues en février, en avril et en août 2009. Les certificats confirment la participation d’agents aux cours de formation suivants : 1. Recyclage des produits de la criminalité 101 – tous les modules, qui figurent sur le site Lien IMMOBILIERMC de l’ACI; 2. Manuel de référence sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes; 3. Principes et mesures de conformité de l’entreprise. On a aussi présenté neuf documents intitulés [traduction] « Registre des activités de formation complémentaires », où figurait le nom des participants à un programme décrit comme de la formation offerte de janvier à août 2009 lors des [traduction] « réunions commerciales mensuelles ». Neuf comptes rendus de réunions de travail tenues de janvier à août 2009 font état de divers sujets traités, comme les productions du bureau, le CANAFE et la motivation, et le nom des agents présents y est coché.

[60]           Ces documents peuvent être à mon avis une composante d’une formation en matière de conformité. Toutefois, ils ne font pas mention de Homelife, ni ne correspondent à un programme écrit de formation continue axée sur la conformité puisqu’ils ne donnent aucune précision sur le programme ou son mode d’administration, fournissant simplement une description d’éléments de formation et le nom de participants. En outre, une partie de la formation a été dispensée après l’inspection du 25 mars 2009. Il était par conséquent raisonnable de la part du directeur de conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu’une violation avait été commise. Bien que des éléments de preuve attestent la prise de certaines mesures par Homelife pour former son personnel, ces mesures ne constituent pas, aux fins de réalisation d’un programme de formation continue axée sur la conformité, des mesures raisonnables pour éviter la perpétration de l’infraction; Homelife n’a donc pas établi qu’elle pouvait opposer la défense de diligence raisonnable.

[61]           Homelife prétend aussi que le directeur a fait abstraction de la lettre d’explications qu’elle a transmise en réponse au procès‑verbal. Le directeur a toutefois relevé l’existence des observations présentées dans la lettre au début de la décision du 10 décembre 2009 :

[traduction]

Comme suite aux observations que vous avez présentées au directeur du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) au sujet du procès‑verbal dressé le 29 juin 2009 à l’intention de votre entreprise, Homelife Experience Realty, nous vous transmettons le présent avis de décision.

[62]           Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses, précité, la Cour suprême du Canada a déclaré qu’aux fins d’un contrôle selon la norme de la raisonnabilité, les motifs n’avaient pas à être parfaits ni à être d’une forme particulière, tant qu’ils permettaient aux parties et à la cour de révision de comprendre pourquoi la décision avait été prise. Bien qu’en l’espèce on ne dise pas dans la décision pourquoi la lettre d’explications n’a pas été jugée acceptable, on y atteste la prise en compte des observations y figurant. Fait significatif, les renseignements dont le directeur disposait étayaient en outre les conclusions de ce dernier.

[63]           Compte tenu de tout ce qui précède, j’estime que la décision du directeur relative à la perpétration des infractions appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir, précité).

[64]           Quant à la pénalité, la Loi prévoit que son montant est déterminé dans chaque cas, compte tenu du caractère non punitif de la pénalité, celle-ci étant destinée à encourager l’observation de la loi, et de la gravité du tort causé par le contrevenant, qui peut constituer un facteur aggravant ou atténuant (article 73.11). Il est en outre possible, par règlement, de qualifier les violations et de fixer le montant de la pénalité applicable (article 73.1), et cela a été fait dans le Règlement sur les pénalités administratives — recyclage des produits de la criminalité et financement des activités terroristes, DORS/2007-292 (le Règlement sur les pénalités). Le Règlement sur les pénalités prévoit que les violations sont de nature mineure, grave ou très grave (paragraphe 4(1)) et que le barème des pénalités est de 1 $ à 1 000 $ pour une violation mineure, de 1 $ à 100 000 $ pour une violation grave et de 1 $ à 500 000 $ pour une violation très grave (article 5). Les antécédents de conformité doivent également être pris en compte (article 6). Selon l’Annexe du Règlement sur les pénalités, les violations du paragraphe 9.6(1) de la Loi et des alinéas 71(1)a), b), c) et d) du Règlement sont de nature grave.

[65]           Dans Max Realty Solutions Ltd c Canada (Attorney General of Canada), T-1869-09, soit l’affaire instruite en même temps que celle qui nous occupe, j’ai conclu que Max Realty avait aussi contesté, quoique de manière non explicite, le montant de l’amende imposée par le directeur. Toutefois, vu l’absence de motifs et même de mention du montant d’amendes imposées dans des circonstances semblables, la Cour ne pouvait pas décider si l’amende en cause était ou non raisonnable.

[66]           En l’espèce, le directeur a conclu que les faits ne permettaient pas de conclure en la perpétration de la cinquième violation énumérée au procès‑verbal. Il a donc retiré cette violation de la liste et imposé, par conséquent, une pénalité moindre que celle mentionnée au procès‑verbal (27 000 $ plutôt que 37 500 $). M. Margosutjahjo a déclaré, dans sa lettre du 8 septembre 2009 adressée au CANAFE, qu’il transmettait avec la lettre, comme Mme Julie Éthier, agente principale d’examen, le lui avait suggéré (par lettre datée du 26 août 2009), les états financiers non vérifiés et les déclarations d’impôt précédemment décrits. Il n’y a au dossier aucune lettre du 26 août 2006 au CANAFE, mais il est raisonnable de penser que M. Margotsutjahjo a communiqué ces renseignements financiers en lien avec l’amende imposée par le directeur et en vue d’obtenir le réexamen de son montant. M. Margosutjahjo l’a d’ailleurs confirmé à l’audience. On précise dans la décision du 10 décembre 2009 qu’avant de confirmer l’amende, le directeur a pris en compte les renseignements fournis sur l’incapacité de Homelife de payer le montant révisé de pénalité demandé.

[67]           Rien n’explique le montant de la pénalité choisi, les facteurs de détermination pris en compte non plus que les motifs de la confirmation par le directeur. Ces facteurs sont pertinents pour juger de l’intelligibilité et de la transparence de la décision quant au montant de la pénalité imposée (arrêt Dunsmuir, précité).

[68]           Le procureur général reconnaît qu’il s’agit du premier appel de ce type jamais interjeté et que le Règlement sur les pénalités n’est entré en vigueur que le 30 décembre 2008; qu’une analyse plus approfondie de l’amende accompagnait les procès‑verbaux dressés dans des affaires postérieures; enfin, qu’une politique interne sur les amendes n’a pas été communiquée en l’espèce mais l’a été par la suite à d’autres contrevenants. La politique semble fournir pour l’imposition d’amendes des orientations fondées sur l’importance du préjudice causé, les antécédents de conformité ainsi que la taille de l’entité concernée et sa capacité de payer.

[69]           Dans Lemire c Canada (Commission des droits de la personne), 2014 CAF 18, la Cour d’appel fédérale a déclaré (au paragraphe 102) : « En vérité, les considérations pertinentes au regard de la détermination de la peine peuvent recouper celles qui régissent l’imposition d’une sanction administrative, puisque les dispositions visent dans les deux cas à prévenir une conduite interdite par la loi ». En l’absence de tout motif, de dossier à l’appui et même de renvoi à des amendes imposées dans des circonstances comparables, la Cour n’est pas en mesure d’établir si l’amende imposée à Homelife est ou non raisonnable.

[70]           Pour ce motif, la décision relative à la perpétration des infractions est confirmée, mais l’amende est annulée et la question de son montant est renvoyée au directeur; si toute amende est ensuite imposée à Homelife, les motifs de la détermination de son montant devront lui être communiqués.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire visant la décision du 10 décembre 2009 par laquelle le directeur du CANAFE a statué que Homelife Experience Realty avait commis quatre violations de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, LC 2000, c 17 et du Règlement sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, DORS/2002-184, est rejetée quant à ces conclusions.

2.      La décision sera renvoyée au directeur pour qu’il statue à nouveau sur le montant de l’amende imposée.

3.      Compte tenu du résultat partagé, aucuns dépens ne sont adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-27-10

 

INTITULÉ :

HOMELIFE/EXPERIENCE REALTY INC c LE MINISTRE DES FINANCES ET LE DIRECTEUR DU CENTRE D’ANALYSE DES OPÉRATIONS ET DÉCLARATIONS FINANCIÈRES DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 MARS 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 JUILLET 2014

 

COMPARUTIONS :

Harry Margosutjahjo

 

POUR L’APPELANTE

 

James Gorham

 

POUR L’INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Harry Margosutjahjo

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

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