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Date : 20140619

Dossier : IMM-2355-13

Référence : 2014 CF 586

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 juin 2014

En présence de monsieur le juge Manson

                                                                                                                                                           

ENTRE :

RESIT KARACAN

HAMIDE KARACAN

REHAMURAT CAHIT KARACAN

HARIKA AYTEN KARACAN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par Lucinda Bruin, une commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission], présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. La Commission a rejeté la demande d’asile des demandeurs, après qu’elle eut conclu qu’ils n’avaient pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

I.                   La question en litige

[2]               La question en litige dans la présente demande est celle de savoir si les conclusions de la Commission quant à la crédibilité sont déraisonnables.

II.                Le contexte

[3]               les demandeurs sont une famille de citoyens turcs de descendance arabe et de religion alevie. Ils sont : Resit Karacan [le demandeur principal ou le DP], son épouse, Hamide Karacan [la demanderesse], leur fils, Rehamurat Cahit Karacan [Rehamurat] et leur fille, Harika Ayten Karacan [Harika].

[4]               Selon l’exposé circonstancié du Formulaire de renseignements personnels [FRP] des demandeurs, ils ont souffert de persécution en raison de leur race et de leur religion pendant qu’ils vivaient en Turquie. Ils ont décrit de façon détaillée plusieurs incidents de persécution dans l’exposé circonstancié de leur FRP, ainsi :

         Le 28 septembre 2007, le père du DP a été gardé à vue par la police sur le lieu de son entreprise. Le lendemain, les demandeurs l’ont trouvé mort dans un hôpital de proximité. Un médecin a informé les demandeurs qu’il avait été amené à l’hôpital après son décès. De crainte de perdre son emploi, le médecin ne voudrait pas être pris pour un témoin des circonstances entourant le décès du père du DP;

         Deux des sœurs de la demanderesse ont quitté la Turquie parce qu’elles étaient persécutées;

         Le DP a été placé en garde à vue, battu et torturé par la police six fois, mais il se souvenait seulement des circonstances entourant deux des fois. Il les a décrites ainsi :

o    En juin 2009, le DP a été arrêté avec ses amis alors qu’il sortait de l’église. Il a été battu et détenu toute la nuit et on l’a averti de ne plus fréquenter la même église à l’avenir;

o    Le 15 octobre 2009, le DP a été arrêté alors qu’il sortait de l’église. Il a été battu et détenu toute la nuit.

         Le DP a été agressé verbalement par des fondamentalismes des centaines de fois;

         Le DP a été agressé physiquement par des fondamentalistes trois fois en 2008, et cinq fois en 2009, en général quand il sortait de l’église;

         La demanderesse a commencé à moins fréquenter l’église en raison de sa crainte et a été agressée verbalement par des fondamentalismes et par la police;

         À l’école, Harika et Rehamurat ont été agressés physiquement et verbalement par leurs enseignants et agressés physiquement par leurs camarades de classe.

[5]               À la Commission, les demandeurs ont déposé des preuves supplémentaires notamment, les cartes de membre attestant l’appartenance du DP et de la demanderesse à une association culturelle alevie, une lettre d’appui d’un ami du DP, un rapport du procureur et un rapport d’hôpital. Ces rapports semblent avoir été rédigés en 2008. Lors de leur témoignage, les demandeurs ont aussi décrit un incident du 1er mai 2007, où le DP a été amené à un commissariat de police.

[6]               Les demandeurs sont arrivés au Canada le 15 février 2010 et ont présenté une demande d’asile deux jours plus tard. Ils ont eu une audience à la Commission le 24 octobre 2012.

[7]               Pour la Commission, la question déterminante était la crédibilité. La Commission a conclu que le témoignage des demandeurs était vague et qu’il contenait de nombreuses omissions et incohérences.

[8]               La Commission a relevé que lorsqu’on a interrogé le DP sur le plus récent mauvais traitement de la police dont il se souvenait, il a déclaré l’incident est survenu le 1er mai 2007. Cette réponse contredit l’exposé circonstancié du FRP qui décrivait des incidents précis en juin 2009 et le 15 octobre 2009. Le DP n’a pas fait mention de ces incidents dans son témoignage, en dépit des questions répétées de la Commission. Lorsqu’on l’a interrogé sur les incidents de 2009, le DP a déclaré qu’il n’était pas au courant et a laissé entendre qu’il pourrait avoir été confus. Selon le témoignage de la demanderesse, le DP pouvait avoir été nerveux ou ne voulait pas faire mention de ces incidents en présence de ses enfants. La Commission n’a pas accepté ces explications.

[9]               La Commission a aussi conclu que le témoignage de la demanderesse n’était pas cohérent avec ce qui a été déclaré dans l’exposé circonstancié du FRP relativement aux incidents de 2009. Dans l’exposé circonstancié du FRP, il est déclaré que le DP a été arrêté et battu les deux fois. Toutefois, selon le témoignage de la demanderesse, il a été arrêté seulement l’une de ces deux fois.

[10]           En ce qui concerne l’incident du 1er mai 2007, le DP était vague quant à la façon dont le rapport de la police et le rapport médical corroboraient son témoignage. Sa description de cet incident était aussi vague. Au début, il n’était pas en mesure de se souvenir de l’année pendant laquelle l’incident est survenu, et, par la suite, il n’a pas pu décrire les faits qui ont mené à son arrestation. De plus, l’incident n’est pas mentionné dans l’exposé circonstancié du FRP. Certes, la Commission reconnaît que des événements traumatisants peuvent entraîner une perte de mémoire, cependant elle n’a pas accepté que l’étendue des omissions du DP fût raisonnablement explicable.

[11]           La Commission a souligné que le DP n’a pas fait mention des agressions physiques ou verbales commises par des fondamentalistes qui sont décrites dans l’exposé circonstancié du FRP. Dans la même veine, lors de son témoignage, le DP a parlé d’occasions précises pendant lesquelles ses enfants ont été agressés verbalement ou physiquement à l’école, mais ces agressions ne sont pas décrites dans l’exposé circonstancié du FRP, et aucune preuve corroborante n’a été produite.

[12]           Bien qu’elle ait admis leurs cartes de membres illustrant leur appartenance à l’association culturelle alevie, la Commission a conclu que le DP et la demanderesse avaient des difficultés à décrire les pratiques religieuses alevies telles qu’elles ressortent des documents relatifs à la situation dans le pays. En outre, lorsqu’on lui a demandé si l’un des demandeurs avait changé ses pratiques religieuses en raison de la persécution à laquelle ils avaient été exposés, le DP répondit qu’il n’y avait pas eu de changement. Cela contredit l’exposé circonstancié du FRP selon lequel la demanderesse a moins fréquenté l’église en raison de la persécution à laquelle elle était exposée. La Commission a interrogé le DP relativement à cette incohérence et il a répondu qu’il n’arrivait pas à se souvenir.

[13]           Sur la foi de ce qui précède, la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas produit suffisamment d’éléments de preuve fiables et crédibles visant à établir qu’ils ont été exposés à de graves possibilités de persécution en Turquie en raison de leur religion. La Commission a aussi tenu compte des observations des demandeurs selon lesquelles la sœur de la demanderesse et sa famille avaient présenté une demande d’asile au Canada qui a été accueillie en juin 2010. Toutefois, la Commission a fait remarquer qu’elle n’était pas liée par la décision relative à la sœur de la demanderesse, et, quoi qu’il en soit, les éléments d’une telle demande étaient différents de ceux de la demande des demandeurs.

[14]           Pour conclure, la Commission a décidé qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve qui subsistaient à l’appui d’une demande d’asile. La Commission a reconnu que les documents relatifs à la situation dans le pays révélaient que les alevis ne sont pas en mesure de déclarer leur religion dans leurs cartes nationales d’identité, et qu’il y a des rapports faisant état d’abus sociétaux et de discrimination fondés sur l’affiliation à la religion, aux croyances et aux pratiques alevies. Malgré cela, d’autres documents relatifs à la situation dans le pays révélaient que le gouvernement respecte généralement la liberté de religion et les alevis pratiquent librement leurs croyances et construisent des lieux de rassemblement. De plus, bien que les levis aient été exposés à la discrimination sociale et à la discrimination à l’emploi, la situation s’est améliorée au cours des dernières années.

III.             La norme de contrôle

[15]           La norme de contrôle des décisions portant sur la crédibilité est celle de la décision raisonnable (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732, au paragraphe 4; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47 et 48).

IV.             Analyse

[16]           Les demandeurs s’opposent aux conclusions de la Commission relatives à leurs connaissances des pratiques religieuses alevies, ils citent des extraits de la transcription de l’audience qui établissent que la demanderesse et le DP ont été en mesure de répondre à de nombreuses questions portant sur les pratiques religieuses alevies. Les demandeurs avancent que les conclusions de la Commission quant à la crédibilité étaient déraisonnables parce qu’elles étaient, en réalité, des conclusions d’invraisemblance qui étaient étayées par la preuve (Hassan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1136).

[17]           Les demandeurs allèguent aussi que la Commission s’est livrée à un examen microscopique de la preuve. À l’appui de cette prétention, les demandeurs font ressortir des extraits de la transcription de l’audience au cours desquels le DP est interrogé sur l’incident du 1er mai 2007. Les demandeurs allèguent que la transcription illustre que le DP a été en mesure de donner assez de détails quant à cet incident.

[18]           Je ne suis pas d’accord avec la façon dont les demandeurs ont qualifié le traitement que la Commission a accordé à la preuve, autrement qu’en ce qui a trait à l’interrogatoire portant sur les croyances religieuses et les pratiques des demandeurs. Bien que l’avocate ait avancé de solides arguments selon lesquels les conclusions de la Commission à cet égard sont fondamentales à ses conclusions générales quant à la crédibilité, je ne suis pas persuadé que cela est vrai.

[19]           Le défendeur soutient que la Commission a droit à une grande déférence en ce qui a trait à ses conclusions portant sur la crédibilité (Rahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 319, aux paragraphes 42 à 46; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12; Aguebor; Sinan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 87, au paragraphe 11; Sahota c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 123, au paragraphe 30).

[20]           Comme relevé ci‑dessus, la Commission a souligné de nombreuses omissions, incohérences et contradictions dans la preuve présentée par les demandeurs. Celles‑ci ont trait aux allégations principales de mauvais traitements par les extrémistes musulmans et la police. Ces conclusions étaient du ressort de la Commission en tant que juge des faits, et elle a droit à la déférence (Rahal, aux paragraphes 42 à 46; Khosa; Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 238 (CAF)). Il est révélateur que seules deux des conclusions de la Commission aient été contestées par les demandeurs. Bien que la Commission ait peut-être exagéré le caractère vague des réponses des demandeurs relatives aux questions portant sur les pratiques religieuses des alevis, il y avait beaucoup d’autres conclusions relatives à la crédibilité qui rendent la conclusion d’ensemble de la Commission quant à la crédibilité et la décision dans son ensemble raisonnables.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande est rejetée;

2.                  Il n’y a pas de question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2355-13

 

INTITULÉ :

RESIT KARACAN, HAMIDE KARACAN, REHAMURAT CAHIT KARACAN, KARIKA AYTEN KARACAN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 juin 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

 

Le 19 juin 2014

COMPARUTIONS :

Naseem Mithoowani

 

POUR LES DEMANDEURS,

RESIT KARACAN, HAMIDE KARACAN, REHAMURAT CAHIT KARACAN, KARIKA AYTEN KARACAN

 

Kevin Doyle

 

POUR LE DÉFENDEUR,

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS,

RESIT KARACAN, HAMIDE KARACAN, REHAMURAT CAHIT KARACAN, KARIKA AYTEN KARACAN

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR,

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

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