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Date : 20140626


Dossier : IMM‑3864‑13

Référence : 2014 CF 622

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 26 juin 2014

En présence de monsieur le juge de Montigny

ENTRE :

MARCOS JAIRO AMADOR SOTO,

BRENDA DEL CARM AMADOR ALMENDAREZ,

BRYAN JARED AMADOR,

EMILY LURDES AMADOR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur principal, Monsieur Marcos Jairo Amador Soto, son épouse Brenda Del Carm Amador Almendarez et leurs enfants Bryan Jared Amador et Emily Lurdes Amador, sollicitent le contrôle judiciaire au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR ou la Commission). La décision, qui a été rendue le 21 mai 2013, rejetait la demande d’asile des demandeurs au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR parce que la Commission avait estimé qu’ils n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger.

[2]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la Commission est raisonnable et que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Les demandeurs ne m’ont pas convaincu que la Commission avait commis une erreur en ne prenant pas en compte la disposition sur les raisons impérieuses prévue au paragraphe 108(4) de la LIPR, étant donné que les conditions préalables pour l’application de la disposition ne sont pas présentes en l’espèce.

I.                   Faits

[3]               Le demandeur principal et son épouse sont des citoyens du Nicaragua. Leurs deux enfants sont des citoyens des États‑Unis.

[4]               Le demandeur principal allègue qu’il a été forcé de se joindre à l’armée en janvier 1988 étant donné que le service militaire était alors obligatoire au Nicaragua. Il allègue qu’il a déserté l’armée le 12 octobre 1989 parce qu’il faisait son service militaire contre son gré et aussi parce qu’il s’opposait aux idéaux sandinistes, idéologie du parti qui était alors au pouvoir. Il a été capturé le 20 octobre 1989 et emprisonné jusqu’en février 1990. Pendant sa détention, il a été violemment battu, humilié et maltraité.

[5]               Le demandeur principal a été libéré en février 1990 par la présidente Violeta Chamorro, lorsque celle‑ci a délogé Daniel Ortega et mis en liberté les prisonniers qui avaient refusé de faire le service militaire obligatoire instauré par le gouvernement Ortega. En 2002, des rumeurs ont circulé selon lesquelles l’ancien président, Daniel Ortega, reprendrait le pouvoir. Le demandeur principal a commencé à s’inquiéter, et il allègue qu’il a quitté le Nicaragua le 4 juin 2003 pour aller en Floride. Il est resté aux États‑Unis jusqu’en décembre 2011.

[6]               Le demandeur principal allègue aussi que, en 2009 et 2010, des militaires ont abordé sa mère au Nicaragua pour savoir où il se trouvait. Il a affirmé que celle‑ci avait trop peur pour lui envoyer une lettre de soutien, de crainte que les militaires trouvent la lettre au bureau de poste ou des douanes.

[7]               Le demandeur principal et sa famille sont arrivés au Canada le 28 décembre 2011 et ont demandé l’asile le même jour.

II.                Décision visée par le contrôle

[8]               La SPR a estimé que le demandeur principal était crédible et qu’il avait établi un élément subjectif de crainte; cependant, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour étayer l’élément objectif de crainte au titre de l’article 96 de la LIPR ou pour établir un risque de préjudice aux termes du paragraphe 97(1) de la LIPR.

[9]               La SPR a aussi conclu que le demandeur principal avait établi l’existence d’un lien avec des opinions politiques présumées parce qu’il avait quitté l’armée sous le gouvernement sandiniste, vu son opposition au service militaire. À cet égard, la SPR a mentionné ce qui suit :

Article 96, réfugié au sens de la Convention : Vous avez affirmé avoir déserté l’armée en 1989 parce que vous avez été blessé à l’épaule gauche et à la jambe droite. Vous ne pouviez pas dormir et vous aviez peur après cet incident. Même si vous en avez eu la possibilité à un certain nombre de reprises, vous n’avez pas dit que vous avez quitté l’armée pour des motifs politiques. Néanmoins, pour les motifs suivants, j’estime que vous avez établi l’existence d’un lien avec des opinions politiques présumées.

Vous avez déclaré que vous ne vouliez pas vous enrôler dans l’armée, mais que le service militaire était obligatoire à cette époque et que vous avez été obligé de le faire. Vous avez expliqué que l’armée, sous les ordres du gouvernement sandiniste d’Ortega, ne respectait pas les droits de la personne comme pourraient le faire d’autres pays. De plus, votre conseil a soutenu, et je suis d’accord avec lui, que vous aviez établi un lien avec vos opinions politiques présumées, mais je ne souscris pas à l’argument concernant l’appartenance à un groupe social en tant que déserteur de l’armée selon les faits en l’espèce.

Dossier des demandeurs, page 59.

[10]           Quoi qu’il en soit, la SPR a souligné que le service militaire n’est pas en soi considéré comme de la persécution selon le droit relatif aux réfugiés. Une aversion pour le service militaire ne suffit pas pour servir de fondement à la crainte d’être persécuté.

[11]           La SPR a conclu que le demandeur principal avait officiellement été libéré après avoir purgé sa peine. Il n’y a pas d’élément de preuve voulant que le président Ortega soit revenu sur la décision de la présidente Chamorro ou ait persécuté l’un des prisonniers libérés se trouvant dans la même situation. La Commission a également affirmé :

Néanmoins, compte tenu de ce qui s’est passé entre le président Ortega, les sandinistes et l’armée au Nicaragua au cours de la révolution et par la suite, de votre désertion pendant le combat et du fait que vous avez affirmé avoir été traité de lâche après votre arrestation et avoir été victime de mauvais traitements pendant votre détention en raison de votre désertion, j’estime que vos gestes, dans votre situation, établissent l’existence d’opinions politiques présumées, puisque vous avez agi contrairement aux intérêts politiques et au gouvernement Ortega à l’époque, en 1989.

Dossier des demandeurs, pages 59 et 60.

[12]           La Commission a aussi conclu que le demandeur principal n’avait subi aucune persécution de 1990 à 2003, quand il était au Nicaragua. Le demandeur principal a affirmé que des militaires sous les ordres du capitaine Escoto, qui continuait d’exercer un pouvoir sur l’armée, même après le départ de Daniel Ortega, avaient été chargés de le retracer, mais qu’il n’avait pas subi de persécution. La SPR a souligné que c’était la même armée que sous la présidente Chamorro.

[13]           La SPR a conclu que le demandeur principal ne serait exposé qu’à une simple possibilité de persécution s’il était renvoyé au Nicaragua. Elle a signalé que l’armée, qui avait persécuté le demandeur principal, était restée en place pendant les treize années que celui‑ci a passé au Nicaragua après sa sortie de prison et n’avait jamais pu le trouver et le persécuter, malgré les fréquentes visites qu’il avait rendues à sa mère dans sa ville natale et malgré le fait que le Nicaragua n’est pas très grand.

[14]           La SPR a ajouté que, même si l’élément subjectif de crainte était avéré, ce n’était pas le cas de l’élément objectif étant donné qu’il n’y avait pas d’élément de preuve de l’existence de raisons ou d’une volonté de la part des forces armées de faire subir des préjudices au demandeur principal presque 23 ans plus tard.

[15]           La SPR a aussi conclu que le demandeur principal ne serait pas exposé à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels ou inusités ou à un risque de torture en raison de l’intérêt que lui porteraient les forces armées. La SPR a renvoyé au Cartable national de documentation (CND), onglet 2.1, U.S. Country Report on Nicaragua, et souligné que malgré les problèmes de corruption et d’impunité dans les forces de sécurité du Nicaragua, il n’y a eu aucun signalement de prisonniers politiques, de détenus ou de personnes disparues.

III.             Questions en litige

[16]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les trois questions en litige qui suivent :

A.                La SPR a‑t‑elle commis une erreur quant à la période à prendre en compte dans l’appréciation de la crainte objective du demandeur?

B.                 La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation des conditions régnant dans le pays et son interprétation de la demande d’asile du demandeur principal?

C.                 La SPR aurait‑elle dû prendre en compte le paragraphe 108(4) de la LIPR?

IV.             Analyse

[17]           La norme de contrôle qui s’applique à l’appréciation par la Commission de la crainte objective du demandeur est la raisonnabilité : Moreno c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 841, au paragraphe 7. Il en va de même pour la deuxième question en litige, étant donné que celle‑ci soulève clairement une question mixte de faits et de droit : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 46 et 61.

[18]           La question de savoir si le paragraphe 108(4) aurait dû être pris en compte a déjà été appréciée selon la norme de la décision correcte : voir, par exemple, Idarraga Cardenas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 537, au paragraphe 19; Decka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 822, au paragraphe 5. Suite à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Smith c Alliance Pipeline Ltd, 2011 CSC 7, on a eu tendance à appliquer la norme de la raisonnabilité, étant donné qu’il s’agit clairement d’une question de droit relevant des connaissances spécialisées du tribunal : Sivapathasuntharam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 486, au paragraphe 14; Kostrzewa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1449; Nzayisenga c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1103; Niyonzima c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 299; Sow c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1313, au paragraphe 21; Horvath c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1132, au paragraphe 53; Alharazim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1044, aux paragraphes 16 à 25 [Alharazim]; S.A. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 344, au paragraphe 22; Contra :  Subramaniam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 843.

A.                La SPR a‑t‑elle commis une erreur quant à la période à prendre en compte dans l’appréciation de la crainte objective du demandeur principal?

[19]           Le demandeur principal soutient que le raisonnement de la Commission est incohérent et comporte des contradictions internes. Malgré le fait que la Commission a conclu qu’il y avait une crainte subjective de persécution, elle a aussi conclu qu’il n’y avait pas de crainte objective étant donné que, pendant les treize années qu’il a passées au Nicaragua, le demandeur principal n’a eu aucun problème. Le demandeur principal soutient que la Commission n’aurait pas dû prendre en compte la crainte objective quant à la période de treize ans précédant le retour au pouvoir de Daniel Ortega, mais celle quant à la période commençant en 2006, où Daniel Ortega était de nouveau à la tête du pays. Il soutient qu’il est [traduction] « inutile » de prendre en compte la crainte objective à l’égard d’un gouvernement qui n’est pas au pouvoir.

[20]           Cet argument ne me convainc pas. Premièrement, on ne peut pas dire que la Commission n’a pas du tout pris en compte le risque auquel était exposé le demandeur principal sous le régime Ortega actuel. Quand le tribunal lui a demandé s’il connaissait « d’autres anciens déserteurs qui étaient par la suite retournés au Nicaragua et qui avaient été victimes de persécution par le gouvernement Ortega ou l’armée », le demandeur principal avait répondu par la négative. Il s’agissait clairement d’une tentative de la part de la Commission d’apprécier le risque potentiel de persécution auquel serait exposé le demandeur principal s’il était renvoyé au Nicaragua après 2006. La Commission a également pris en compte l’absence d’élément de preuve (en particulier de la mère du demandeur principal) voulant que des militaires cherchaient le demandeur principal et le fait que 23 années s’étaient écoulées depuis sa sortie de prison. Elle a ainsi conclu :

J’estime que vous avez purgé votre peine relativement à votre désertion. Vous avez été officiellement libéré par la présidente Chamorro, et il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve qui démontrent que le président Ortega ou l’armée de celui‑ci ont été à la recherche d’anciens déserteurs militaires, qu’ils les ont persécutés ou qu’ils vous ont recherché particulièrement. Par conséquent, j’estime que vous ne seriez exposé qu’à une simple possibilité de persécution étant donné l’absence de preuve à l’appui de la motivation et la volonté de l’armée à vous faire subir un préjudice ou vous menacer au cours des 23 dernières années.  

Dossier des demandeurs, page 61.

[21]           Sur la foi des éléments de preuve dont disposait la Commission, cette conclusion est tout à fait raisonnable. En ce qui concerne l’argument selon lequel il était inutile de prendre en compte les éléments de preuve objectifs de risque quant à la période allant de 1990 jusqu’à 2003, lorsque le gouvernement Ortega n’était pas au pouvoir, je me permets encore de ne pas être d’accord avec l’avocat des demandeurs. Ce dernier a soutenu que les éléments hostiles de l’armée poseront inévitablement un risque plus grand quand ils ont l’appui d’un gouvernement hostile que lorsque le gouvernement est favorable au demandeur principal et s’oppose aux éléments hostiles de l’armée. Cet argument pourrait être convaincant si ce n’était du témoignage contradictoire donné par le demandeur principal. Celui‑ci a déclaré [traduction] « c’était la même armée » et [traduction] « elle n’a pas changé » que ce soit sous la présidence de la présidente Chamorro ou du président Ortega. Il a précisé qu’il craignait également l’armée sous le régime Chamorro et que [traduction] « le problème n’est pas la présidence, mais l’armée, qui est toujours la même » (dossier du tribunal, pages 13 et 14). Pour cette raison, étant donné que la raison principale ayant amené le demandeur principal à déserter l’armée n’était pas son opposition aux sandinistes pour des questions idéologiques, mais son aversion pour le service militaire et sa crainte de l’armée, l’accent mis par la Commission sur l’intérêt que portait l’armée au demandeur principal plutôt que sur le régime présidentiel à l’époque, était juste et clairement raisonnable.

B.                 La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation des conditions régnant dans le pays et son interprétation de la demande d’asile du demandeur principal?

[22]           L’avocat des demandeurs soutient que la Commission a omis de tenir compte du fait que le demandeur principal pouvait devenir la cible de menaces, voire, d’exactions, de la part de personnes recherchant l’impunité. Renvoyant à un rapport de Freedom House (Nicaragua, Freedom in the World 2011), il a soutenu que de fausses accusations de corruption sont portées contre les opposants perçus du gouvernement, et que le demandeur principal pourrait par conséquent être accusé d’infractions ordinaires. La Commission a examiné la question de savoir s’il existait des risques pour le demandeur parce qu’il avait déserté l’armée, mais non pas celle de savoir s’il serait exposé à des risques en raison de son opposition perçue au gouvernement qui était au pouvoir lorsqu’il était dans l’armée et qui avait repris le pouvoir en 2006.

[23]           Je conviens avec le défendeur que cet argument ne tient pas compte des renseignements sur les conditions régnant dans le pays ainsi que des faits en l’espèce. Les seuls éléments de preuve documentaire auxquels renvoie le demandeur principal montrent, en fait, que des membres de l’opposition peuvent être injustement accusés d’infractions de corruption pour des motivations politiques. Les Country Reports on Human Rights Practices de 2011 du Département d’État des États‑Unis montrent aussi que le gouvernement intimide et harcèle les journalistes et les médias indépendants et que des meurtres à caractère politique ont été commis. Cependant, le demandeur principal ne correspond pas au profil des personnes ciblées par le gouvernement; il n’est qu’un des nombreux citoyens qui ont déserté pendant leur service militaire il y a 23 ans.

[24]           Comme le soutient le demandeur principal, il est vrai qu’il a écrit dans son Formulaire de renseignements personnels qu’il avait déserté parce qu’il avait été mobilisé, mais aussi parce qu’il s’opposait aux idéaux sandinistes. Cependant, à l’audience, il n’a pas une seule fois affirmé qu’il avait quitté l’armée pour des raisons politiques, même si on lui a demandé plusieurs fois si d’autres raisons l’avaient poussé à quitter l’armée, outre sa mobilisation contre son gré, sa blessure, les troubles d’origine nerveuse dont ils souffre depuis et la crainte des sévices. Il n’y a pas d’éléments de preuve non plus que le demandeur principal ait appartenu à un mouvement politique. Je conviens avec le défendeur que le simple fait que le gouvernement puisse considérer la désertion comme un geste politique et que le demandeur principal pourrait par conséquent être défini comme une personne ciblée pour ses opinions politiques, ne suffit pas pour conclure qu’il serait aujourd’hui exposé à davantage qu’une simple possibilité de persécution s’il était renvoyé au Nicaragua, ou que, selon la prépondérance des probabilités, il serait exposé à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou de peines cruels ou inusités ou à un risque de torture. Il était raisonnablement loisible à la Commission de conclure que le gouvernement ou l’armée n’avait aucune raison ou volonté de rechercher le demandeur principal 23 ans après sa sortie de prison.

C.                 La SPR aurait‑elle dû prendre en compte le paragraphe 108(4) de la LIPR?


[25]           Les demandeurs allèguent qu’il incombait à la Commission de prendre en compte le paragraphe 108(4) de la LIPR. Cette disposition est ainsi libellée :

108. (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

 

 

108. (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

 

(e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

 

e) the reasons for which the person sought refugee protection have ceased to exist.

 

Exception

(4) L’alinéa (1)e) ne s’applique pas si le demandeur prouve qu’il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré.

Exception

(4) Paragraph (1)(e) does not apply to a person who establishes that there are compelling reasons arising out of previous persecution, torture, treatment or punishment for refusing to avail themselves of the protection of the country which they left, or outside of which they remained, due to such previous persecution, torture, treatment or punishment.

[26]           Selon la jurisprudence de la Cour, deux conditions doivent être remplies pour que la Commission soit tenue de mener une analyse au titre du paragraphe 108(4) afin d’établir s’il existe suffisamment de raisons impérieuses pour accorder l’asile : 1) le demandeur doit établir que, à un moment donné, il répondait à la définition de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger; 2) les raisons pour lesquelles il avait demandé l’asile n’existent plus parce que les conditions ont changé dans le pays : voir Brovina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 635, aux paragraphes 5 et 6; Goksu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 382, au paragraphe 41; Kudar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 648, au paragraphe 10; Luc c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 826, au paragraphe 32.

[27]           Je conviens avec l’avocat des demandeurs que lorsque des raisons impérieuses découlant d’une persécution passée entrent en jeu dans l’examen d’une demande d’asile, la disposition des raisons impérieuses doit être explicitement prise en compte, qu’elle ait été ou non soulevée par le demandeur d’asile. La Commission ne peut pas éviter la question des raisons impérieuses en ne tirant pas une conclusion expresse quant à la persécution passée : BTB c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1181; Yamba c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 457; Nagaratnam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1208; Rose c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 537.

[28]           L’avocat des demandeurs concède qu’il existe deux courants de jurisprudence au sujet de la première condition. Le juge Crampton, dans Alharazim, a affirmé qu’il doit y avoir une preuve à première vue d’une persécution passée qui atteint un degré tel qu’on la qualifie d’épouvantable ou d’atroce. Un autre courant de jurisprudence, comme il est fait état dans Kumarasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 290, soutient qu’il suffit, pour que s’appliquent la disposition des raisons impérieuses, que la persécution passée continue d’avoir pour le demandeur d’asile des conséquences graves et personnelles. Une question a été certifiée dans le dernier arrêt mentionné, mais l’appel a fait l’objet d’un désistement.

[29]           En l’espèce, l’avocat des demandeurs prétend que la question n’est pas importante étant donné que le commissaire a utilisé le terme « violemment » pour qualifier la persécution dont a été victime le demandeur et a indiqué que celui‑ci avait subis de  « mauvais traitements », ce qui correspondrait au seuil supérieur quant à la persécution passée. Même si c’était le cas, la Commission n’a jamais conclu que le demandeur principal avait satisfait, à un moment quelconque dans le passé, à la définition de réfugié au sens de la Convention ou à celle de personne à protéger. Malgré le fait que la Commission a accepté que celui‑ci a subi des mauvais traitements en 1989‑1990 à cause des opinions politiques qu’on lui prêtait, cela ne signifie pas pour autant qu’il répondait à l’une des définitions susmentionnées, condition essentielle à une conclusion au titre de l’alinéa 108(1)e) de la LIPR. Comme il a déjà été mentionné, la Commission a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour étayer un élément objectif de crainte fondée si le demandeur retournait au Nicaragua. À cet égard, cette affaire est très semblable à Henry c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1084, au paragraphe 44, où le juge Noël a souligné :

[…] bien que la SPR ait reconnu que le demandeur a été victime de maltraitance équivalant à de la persécution, elle n’a jamais considéré qu’il avait qualité de réfugié ou de personne à protéger. En fait, la SPR a conclu que la crainte du demandeur n’était pas fondée puisqu’il n’avait pas démontré l’existence d’un risque éventuel. De fait, la SPR a rejeté la demande du demandeur au motif qu’il ne satisfaisait pas aux conditions nécessaires pour être considéré comme un réfugié ou une personne à protéger. L’exception énoncée à l’alinéa 108(1)e) n’était pas applicable et la SPR n’était nullement tenue de procéder à une évaluation des « raisons impérieuses » visées au paragraphe 108(4) de la LIPR.

[30]           Qui plus est, la seconde condition pour l’application de la disposition des raisons impérieuses n’est pas non plus remplie. Cette disposition est censée s’appliquer aux cas où le demandeur a fui un pays au moment où l’agent de persécution était au pouvoir, et, lorsque le demandeur a demandé l’asile, cet agent n’était plus au pouvoir. Le demandeur principal reconnaît qu’il s’agit de la situation typique où devrait s’appliquer la disposition, mais souligne qu’il n’est pas nécessaire d’en restreindre autant l’application. Ce n’est pas mon avis. Une lecture attentive de l’alinéa 108(1)e), conjointement avec le paragraphe 108(4), montre indubitablement que la disposition des raisons impérieuses doit s’appliquer dans les cas où les raisons pour lesquelles un demandeur d’asile demandait l’asile n’existent plus, c’est‑à‑dire lorsque les circonstances ont changé. Comme l’a affirmé la Cour d’appel fédérale, au sujet du paragraphe 2(3) de l’ancienne Loi sur l’immigration, la disposition devrait être interprétée « comme exigeant des autorités canadiennes qu'elles accordent la reconnaissance du statut de réfugié pour des raisons d'ordre humanitaire à cette catégorie spéciale et limitée de personnes, c'est‑à‑dire ceux qui ont souffert d'une persécution tellement épouvantable que leur seule expérience constitue une raison impérieuse pour ne pas les renvoyer, lors même qu'ils n'auraient plus aucune raison de craindre une nouvelle persécution » : Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Obstoj, [1992] 2 CF 739.

[31]           En l’espèce, les circonstances n’ont pas vraiment changé. Comme on l’a déjà mentionné, le demandeur principal craignait davantage l’armée que le gouvernement et le fait que la situation n’avait guère changé avec l’élection du gouvernement Chamorro en 1990. Le demandeur principal a demandé l’asile parce qu’il craignait que, si le gouvernement Ortega reprenait le pouvoir, ses problèmes avec l’armée pourraient devenir encore plus graves qu’ils ne l’étaient en 2003 lorsqu’il a quitté le pays. Par conséquent, les motifs ayant amené le demandeur principal à demander l’asile n’ont pas cessé d’exister; au contraire, la situation a empiré avec l’élection de Daniel Ortega, en 2006, du moins du point de vue du demandeur principal. Il n’était par conséquent pas nécessaire que la Commission tire une conclusion quant à l’appréciation du paragraphe 108(4).

V.                Conclusion

[32]           Pour tous les motifs qui précèdent, je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[33]           L’avocat des demandeurs a proposé deux questions à certifier :

Pour que la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié prenne en compte la disposition des raisons impérieuses prévue à l’alinéa 108(1)e) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Commission doit‑elle tirer une conclusion expresse

a)         d’une persécution passée, ou les éléments de preuve relatifs à une persécution passée que la Commission juge crédibles sont‑ils suffisants?

b)         que le demandeur d’asile avait à un moment donné qualité de réfugié au sens de la Convention ayant une crainte fondée de persécution, ou une conclusion de persécution passée ou des éléments de preuve d’une persécution passée que la Commission juge crédibles sont‑ils suffisants?

[34]           L’alinéa 74d) de la LIPR prévoit que seules soient certifiées les questions graves de portée générale. De plus, pour être certifiée, une question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 176 NR 4 (CAF), au paragraphe 4.

[35]           Je conviens avec le défendeur que les questions proposées à la certification par les demandeurs ne permettraient pas de trancher l’affaire en l’espèce. J’ai conclu que le paragraphe 108(4) de la LIPR trouvait application en raison des faits de l’espèce, non seulement parce que le demandeur principal n’avait pas établi qu’il avait, à un moment donné, eu qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger, mais aussi parce que les circonstances n’ont pas changé. Les questions proposées par les demandeurs ne concernent que la première raison sous‑tendant ma conclusion selon laquelle l’article 108 n’entre pas en jeu en l’espèce, mais ne s’appliquent pas à la deuxième.

[36]           L’avocat des demandeurs soutient que les dispositions législatives exigent seulement que les circonstances aient changé, et non pas qu’il faille avoir tiré une conclusion expresse d’un changement de circonstances. Cet argument est trompeur et contredit la jurisprudence déjà mentionnée dans mes motifs. Il doit clairement y avoir une appréciation permettant de conclure que les circonstances ont changé pour que s’applique la disposition des raisons impérieuses. Quoi qu’il en soit, je ne vois pas en quoi une réponse aux deux questions proposées par les demandeurs pourrait permettre de trancher la question relative au changement de circonstances.

[37]           Par conséquent, j’estime qu’aucune question ne doit être certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Line Niquet


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3864‑13

 

INTITULÉ :

MARCOS JAIRO AMADOR SOTO, BRENDA DEL CARM AMADOR ALMENDAREZ, BRYAN JARED AMADOR, EMILY LURDES AMADOR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 MARS 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 26 JUIN 2014

 

COMPARUTIONS :

David Matas

 

POUR LES DEMANDEURs

 

Nalini Reddy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LES DEMANDEURs

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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