Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20140703


Dossier : IMM-3025-13

Référence : 2014 CF 647

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

QIONGZHONG YE

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

JUGEMENT ET MOTIFS

Nature de l’affaire

La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, [la LIPR], de la décision, datée du 3 avril 2013, rendue par la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la Commission]. Le commissaire a décidé que la demanderesse, Qiongzhong Ye, n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande est rejetée.

Les faits

Les parents de la demanderesse sont des adeptes du Falun Gong; ils ont commencé cette pratique en 1998. La demanderesse les a soutenus dans leur pratique.

Le 22 juillet 1999, le gouvernement de la Chine a banni le Falun Gong. Au début de l’année 2006, les parents de la demanderesse ont commencé à fréquenter un groupe de pratique du Falun Gong, dans la banlieue, à la résidence de l’un des adeptes. La demanderesse les conduisait à ce lieu et les en ramenait, et parfois elle se joignait à leur pratique.

Le 11 mars 2011, la demanderesse travaillait dans le restaurant dont son époux et elle étaient propriétaires, lorsqu’elle a reçu un appel téléphonique de son époux l’informant que le Bureau de la sécurité publique (le BSP) était allé à leur résidence et avait emmené ses parents. Les agents du BSP ont prétendument déclaré qu’ils menaient une enquête sur les activités du Falun Gong, et qu’ils voulaient aussi interroger la demanderesse. La demanderesse a décidé d’aller vivre cachée dans la résidence de l’un des membres de sa famille, à la campagne. Un des membres de sa famille a communiqué avec un passeur et conclu des arrangements pour qu’elle puisse quitter la Chine.

La demanderesse est arrivée au Canada le 14 mai 2011, et a présenté une demande d’asile.

La décision soumise du contrôle

Le commissaire a conclu que la demanderesse n’était pas crédible. La demanderesse a allégué que le frère aîné de son époux, qui en tant que membre du BSP est un témoin important, a informé son époux de l’arrestation et du fait que le nom de la demanderesse était sur une liste de personnes recherchées par la police; pourtant, elle n’a pas fait mention de ce frère aîné dans son formulaire de renseignements personnels (le FRP). Lorsqu’on l’a interrogée afin de savoir pourquoi elle l’avait omis dans son FRP, elle a répondu qu’elle n’a pas fourni de détails dans ce document, mais seulement les points importants. Le commissaire a conclu que cette explication était insatisfaisante et a déclaré qu’il serait raisonnable de s’attendre à ce que la demanderesse eût consigné par écrit le rôle du frère aîné de son époux, au vu de son rôle au sein du BSP. Lorsqu’elle a rédigé son FRP, elle était représentée par une conseil.

En outre, dans le récit circonstancié de son FRP, la demanderesse a mentionné que lorsque les agents du BSP sont venus arrêter ses parents, « [i]ls ont aussi dit qu’ils me recherchaient pour m’interroger », tandis que lors de son témoignage, elle a déclaré que c’est le frère aîné de son époux qui a révélé que le BSP était à sa recherche. Lorsqu’on lui a souligné cette contradiction, elle n’a fourni aucune explication. Le commissaire a conclu que ce manque d’explication était insatisfaisant. Par conséquent, le commissaire a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, sur la foi de cette omission et des incohérences, le BSP n’a pas fait d’enquête sur la demanderesse.

Le commissaire a aussi souligné que durant son témoignage, la demanderesse a révélé qu’après être allée se cacher, ce sont les membres de sa famille qui ont conclu des arrangements avec un passeur, à la fin du mois d’avril 2011. Dans l’exposé circonstancié de son FRP, elle a déclaré que c’était les membres de sa famille et son époux qui avaient conclu des arrangements pour son passage clandestin, au début du mois d’avril 2011. Lorsque cette incohérence lui a été relevée, elle a répondu qu’il se pourrait qu’elle ait commis une erreur. Le commissaire a conclu que cette explication était insatisfaisante, et il a donc déterminé que la demanderesse n’avait pas vécu cachée.

Le commissaire a aussi souligné que le certificat de mariage de la demanderesse établit qu’il a été enregistré le 9 mai 2011, et que selon le droit matrimonial en Chine, les personnes qui demandent l’enregistrement d’un mariage doivent se présenter en personne au bureau d’enregistrement des mariages. Toutefois, selon son témoignage, elle a déclaré que la dernière fois qu’elle a vu son époux était vers le 28 avril 2011. Lorsque cela lui a été souligné, elle a expliqué qu’elle n’avait pas vu son époux au moment du mariage, mais que celui‑ci avait été arrangé par le frère aîné de son époux qui travaille dans la police. Le commissaire a donc décidé que la demanderesse a eu recours à des moyens irréguliers pour obtenir son certificat de mariage, ce qui l’a amené à tirer une inférence défavorable quant à la crédibilité de la demanderesse.

Le commissaire a en outre fait remarquer que selon le témoignage de la demanderesse, alors qu’elle était en Chine, le BSP est allé chez elle deux ou trois fois et a laissé une sommation. Toutefois, dans son FRP, elle n’a pas fait mention de cette sommation. Lorsqu’on l’a interrogée à ce sujet, elle a expliqué que son cerveau ne fonctionnait pas très bien en raison de son âge et de son état de santé. Toutefois, les documents médicaux qu’elle a présentés à l’appui de sa demande font uniquement référence à des problèmes médicaux touchant sa région pelvienne. En outre, lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle n’avait pas fait mention d’un mandat d’arrestation dans son FRP, elle a répondu qu’elle avait eu la crainte de signaler cette information lorsqu’elle est arrivée au Canada.

Le commissaire a conclu que la présentation de la sommation prétendue aurait été une indication claire que les autorités s’intéressaient à la demanderesse et il aurait donc été raisonnable de s’attendre à ce que la sommation soit mentionnée dans le FRP. En conséquence, le commissaire a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse n’a pas fait l’objet d’une sommation.

De plus, le commissaire a conclu qu’en général, la demanderesse a tenté par d’importantes mesures d’embellir sa demande d’asile, et que les sommations adressées à la demanderesse et à ses parents qui ont été déposées en preuve n’étaient pas authentiques. Le commissaire a estimé de manière générale que la demanderesse n’était pas un témoin crédible et digne de foi.

En ce qui concerne les photographies présentées par la demanderesse à l’appui de sa demande la montrant en train de participer à des démonstrations du Falun Gong à Toronto, le commissaire a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve convaincant qui laissait croire que les autorités chinoises étaient au courant de cette participation.

En conséquence, le commissaire a conclu que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

Les questions en litige

Selon la demanderesse, les questions en litige sont les suivantes :

1.                  Le commissaire a-t-il commis une erreur lorsqu’il a conclu que la demanderesse n’était pas un témoin crédible et digne de foi?

2.                      La décision du commissaire de rejeter la demande sur place était-elle raisonnable?

La norme de contrôle

La norme de contrôle applicable à une conclusion portant sur la crédibilité tirée par la Commission est la décision raisonnable (Wei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 911, au paragraphe 28 [Wei]; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF); Elmi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 773, au paragraphe 21, Wu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 929, au paragraphe 17).

Lorsqu’on effectue un contrôle de la façon dont l’agent a pris en compte et apprécié la preuve, la norme de contrôle adéquate est la décision raisonnable (voir, par exemple, YZ c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 749, [2009] ACF no 904, au paragraphe 22).

Analyse

1.      Le commissaire a-t-il commis une erreur lorsqu’il a conclu que la demanderesse n’était pas un témoin crédible et digne de foi?

La demanderesse conteste les conclusions du commissaire relatives à sa crédibilité et aux incohérences de son récit. La conclusion du commissaire relative à la crédibilité de la demanderesse et aux détails du récit était fondée sur un ensemble d’incohérences dans le témoignage de la demanderesse trouvant leur origine à la fois dans son FRP et lors de l’audience tenue en présence du commissaire. Il faut se rappeler que la Cour a clairement statué que la SPR a un savoir-faire bien établi pour ce qui est d’évaluer la crédibilité (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315 (CAF); Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1272, au paragraphe 4).

Le commissaire a accordé une certaine importance au fait que la demanderesse n’a pas fait mention, dans son FRP, de la sommation prétendument laissée par le BSP. La demanderesse a tenté d’expliquer cette omission en avançant qu’elle avait eu la crainte de révéler l’existence de la sommation au début lorsqu’elle est arrivée au Canada. Quoi qu’il en soit, les demandeurs d’asile qui font des omissions importantes dans leur FRP le font à leurs propres risques. Comme le juge Pinard l’a fait remarquer au paragraphe 22 de la décision Jin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 595 [Jin], « [l]e demandeur était tenu d’inclure tous les faits pertinents dans son FRP et le demandeur ne peut se contenter d’affirmer que ce qu’il a dit dans son témoignage oral était plus détaillé ».

De plus, comme le juge Russell l’a souligné au paragraphe 59 de la décision Wei, se référant au paragraphe 11 de la décision Jin rendue par le juge Pinard, « […] il est loisible à la SPR de tirer des inférences défavorables des omissions dans le FRP d’un demandeur » et, par conséquent, il était certainement raisonnable que le commissaire fonde sa conclusion relative à la crédibilité sur l’omission de la sommation dans le FRP.

Dans la décision Jin, le juge Pinard a conclu que l’omission du demandeur de mentionner l’existence d’un mandat d’arrestation lancé contre lui vise un événement important qui aurait dû être mentionné dans son FRP et, par conséquent, l’inférence défavorable de la Commission qui en est résultée était justifiée. La même logique s’applique en l’espèce. La sommation était un fait important, la demanderesse aurait dû en faire mention et il était raisonnable que le commissaire tire une conclusion défavorable quant à la crédibilité fondée, du moins en partie, sur cette omission.

Par conséquent, bien que la demanderesse puisse s’opposer à certains aspects précis de la conclusion du commissaire portant sur la crédibilité, parce que celle-ci est bien étayée par une analyse approfondie du témoignage de la demanderesse, elle appartient aux issues raisonnables. En outre, comme le juge Russell de la Cour l’a relevé au paragraphe 36 de la décision Alakozai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 266, faisant référence à l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Sellan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 381, une conclusion tirée par la SPR selon laquelle un demandeur manque de crédibilité suffit à rejeter la demande. Il n’était donc pas nécessaire que le commissaire mène une analyse distincte, au titre de l’article 97 de la LIPR. La conclusion défavorable quant à la crédibilité était suffisante pour justifier le rejet de la demande de la demanderesse.

2.      La décision du commissaire de rejeter la demande sur place était-elle raisonnable?

La conclusion du commissaire selon laquelle il n’y avait aucun élément de preuve convaincant qui laissait croire que les autorités chinoises étaient au courant de la participation de la demanderesse aux démonstrations du Falun Gong est raisonnable compte tenu du fait que la demande sur place était uniquement fondée sur sa fréquentation à un événement, dans un parc, rassemblant des centaines de personnes. Des photographies de participation à un événement du Falun Gong n’élèvent pas la demande au niveau d’une demande sur place : voir la décision Jin, précitée, au paragraphe 20.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         La demande est rejetée.

2.         Aucune question n’est certifiée.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale



COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-3025-13

 

INTITULÉ :

QIONGZHONG YE

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 juin 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 3 juillet 2014

 

COMPARUTIONS :

Marvin Moses

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Kareena Wilding

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marvin Moses

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.