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Date : 20140703


Dossier : T‑1816‑13

Référence : 2014 CF 644

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

INGÉNIEURS CANADA / ENGINEERS CANADA

demandeur

et

REM CHEMICALS, INC.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 56(1) de la Loi sur les marques de commerce, LRC, 1985, c T‑13 [la Loi], de la décision, datée du 3 septembre 2013 et publiée sous la référence 2013 COMC 145, par laquelle la Commission des oppositions des marques de commerce [la COMC ou la Commission], a rejeté, en application du paragraphe 38(8) de la Loi, l’opposition du demandeur à une demande d’enregistrement de marque de commerce produite par la défenderesse [la décision]. L’alinéa 300d) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, prévoit que ces appels sont présentés par avis de demande et sont régis par les règles applicables aux demandes traitées par notre Cour.

CONTEXTE

[2]               La défenderesse est une société établie aux États­Unis. Le demandeur est la fédération nationale qui regroupe les ordres provinciaux et territoriaux d’ingénieurs professionnels. Ces ordres sont chargés de réglementer l’exercice du génie au Canada et de délivrer les permis d’exercice aux ingénieurs professionnels au pays.

[3]               Le 1er septembre 2009 et le 2 septembre 2009, la défenderesse a produit des demandes d’enregistrement pour deux marques de commerce, REM SURFACE ENGINEERING (demande 1450250) [la marque nominale] et REM SURFACE ENGINEERING & Design (demande 1450269) [la marque].

[4]               La marque nominale proposée était la suivante :

REM SURFACE ENGINEERING

[5]               La marque proposée était la suivante :

[6]               La défenderesse a produit une demande d’enregistrement de la marque en liaison avec les marchandises et les services suivants :

MARCHANDISES :

(1) Substances chimiques à usage industriel pour la finition du métal et le traitement du métal, nommément agents d’attaque chimique, bains de brillantage, détartrants, composés chimiques antirouille, composés pour couche de conversion, composés de brunissage, produits chimiques pour le traitement de flux de déchets; abrasifs à usage industriel pour la finition et le traitement de métaux; nettoyants chimiques pour les industries de finition de métaux; préparations de dérouillage; produits de polissage.

(2) Machines utilisant la rotation pour la finition de surfaces et le traitement des matériaux à haute énergie; machines à polir pour le meulage et le polissage du métal, de la céramique et du plastique; machines de meulage vibrantes.

SERVICES :

(1) Services de traitement des matériaux, nommément superfinition de surfaces des matériaux, nommément d’objets en métal, pour des tiers; services de conseil dans le domaine de l’affinement et du traitement de surfaces métalliques.

[7]               Le demandeur a produit devant la Commission une déclaration d’opposition à l’encontre des deux demandes.

[8]               La Commission a repoussé la demande de marque nominale au motif que la marque nominale était faussement descriptive des marchandises et des services de la défenderesse, en contravention de l’alinéa 12(1)b) de la Loi, et qu’elle était dénuée de caractère distinctif (voir Conseil canadien des ingénieurs c REM Chemicals Inc, 2013 COMC 144, aux paragraphes 31, 42, 43 et 51).

[9]               Toutefois, la Commission a rejeté l’opposition du demandeur à la marque dans la décision visée par le présent appel, parce qu’elle a estimé que la marque dans son ensemble n’était pas faussement descriptive des marchandises et des services de la défenderesse et qu’elle était distinctive.

[10]           La défenderesse n’a pas déposé d’avis de comparution et n’a pas pris part à la présente instance.

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[11]           La Commission a fait observer qu’il incombait à la requérante (la défenderesse dans le présent appel) d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande relative à la marque satisfaisait aux exigences de la Loi, mais qu’il incombait à l’opposante (le demandeur dans le présent appel) de s’acquitter du fardeau initial de présenter suffisamment d’éléments de preuve admissibles pour qu’on puisse raisonnablement conclure à l’existence des faits allégués à l’appui de chacun des motifs d’opposition.

[12]           La Commission a fait observer que le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)b) de la Loi que le demandeur a invoqué comportait deux volets : si des membres de la profession d’ingénieur au Canada participent à la production des marchandises et à la prestation des services de la défenderesse, la marque est clairement descriptive de la nature ou de la qualité des marchandises et des services ainsi que des personnes participant à leur production; si des membres de la profession d’ingénieur au Canada ne participent pas à la production des marchandises ou à la prestation des services, la marque est faussement descriptive de la nature et de la qualité des marchandises et des services ainsi que des personnes participant à leur production.

[13]           La Commission a estimé que le critère qu’il convient d’appliquer pour déterminer si une marque de commerce contrevient à l’alinéa 12(1)b) de la Loi est énoncé dans Conseil du régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario c Canada (Procureur général), 2012 CAF 60 :

[29]      Il est de jurisprudence constante que le critère applicable pour décider si une marque de commerce donne une description claire est celui de la première impression créée dans l’esprit de la personne normale ou raisonnable. Si cette personne n’est pas certaine de la signification de la marque de commerce en ce qui concerne les marchandises ou les services ou si elle hésite à ce sujet ou encore si la marque de commerce suggère un sens autre qu’un sens qui décrit les marchandises ou les services, on ne peut pas dire que ce mot donne une description claire. On ne devrait pas tenter de résoudre la question en procédant à une analyse critique des mots qui forment la marque, mais on devrait plutôt tenter de déterminer l’impression immédiate que donne la marque, compte tenu des marchandises ou des services avec lesquels elle est utilisée ou avec lesquels on se propose de l’utiliser. En d’autres termes, la marque de commerce ne doit pas être examinée de façon isolée, mais en fonction de l’ensemble du contexte des marchandises et des services.

[14]           Renvoyant à Conseil canadien des ingénieurs professionnels c Comsol AB, 2011 COMC 3, au paragraphe 34, la Commission a conclu que, comme il n’y avait aucune preuve que des ingénieurs canadiens agréés avaient participé à la production des marchandises et à la prestation des services, il n’était pas nécessaire de chercher à savoir si la marque donnait une description claire de la nature ou de la qualité des marchandises et des services et des personnes qui les produisaient.

[15]           La Commission a considéré que le critère servant à établir si une marque est faussement descriptive de la nature et de la qualité des marchandises et des services et des personnes participant à leur production était de savoir si des mots faussement descriptifs [traduction] « dominent la marque de commerce visée par la demande au point [...] de faire obstacle à l’enregistrement de celle‑ci […] » : Conseil canadien des ingénieurs professionnels c John Brooks Co Ltd, 2004 CF 586, au paragraphe 21 [John Brooks Co], citant Chocosuisse Union des Fabricants – Suisses de Chocolate c Hiram Walker & Sons Ltd, [1983] COMC no 37, au paragraphe 25, 77 CPR (2d) 246 (COMC), citant Lake Ontario Cement Ltd c Canada (Registrar of Trade Marks) (1976), 31 CPR (2d) 103, [1976] ACF no 1104 (CF 1re inst).

[16]           La Commission a examiné les observations des parties sur la question de savoir si le consommateur moyen ou l’utilisateur quotidien des marchandises et des services serait induit en erreur par les mots « surface engineering » [ingénierie de surface], qui l’amèneraient à penser que des ingénieurs professionnels ont été impliqués dans la production de ces marchandises et services. La Commission a reconnu que l’ingénierie de surface est une sous‑discipline de l’ingénierie, que la nature des marchandises et des services de la défenderesse est telle que ceux‑ci peuvent être perçus comme ayant un lien avec cette sous‑discipline, et que selon la preuve, la défenderesse n’était pas autorisée à exercer l’ingénierie au Canada. La Commission a donc conclu que les mots « surface engineering » étaient faussement descriptifs des marchandises et des services de la défenderesse.

[17]           Toutefois, la Commission a ensuite estimé que ces mots ne « dominent [pas] la Marque » au point de faire obstacle à l’enregistrement de celle‑ci. La Commission a tenu compte de la présence du mot additionnel « REM » dans les éléments graphiques de la marque, et s’est dite d’avis que « les éléments de dessin sont tels qu’ils mettent l’accent visuel sur le mot REM; les mots faussement descriptifs SURFACE ENGINEERING ne dominent donc pas la marque à un point tel qu’elle deviendrait contraire à l’alinéa 12(1)b) de la Loi ».

[18]           En ce qui a trait à l’argument du demandeur selon lequel la marque n’était pas distinctive, la Commission a souscrit à l’avis du demandeur selon lequel une marque de commerce purement descriptive ou faussement descriptive est forcément dénuée de caractère distinctif. Toutefois, après avoir conclu que la marque n’était pas faussement descriptive, la Commission a rejeté ce motif d’opposition en se fondant largement sur le même raisonnement :

[52]      […] Finalement, mes conclusions concernant le motif d’opposition invoqué en vertu de l’alinéa 12(1)b) s’appliquent également à la date pertinente ultérieure pour le motif d’opposition fondé sur le caractère non distinctif et je suis d’avis que la Marque n’était pas faussement descriptive à cette date ultérieure non plus. En outre, je conclus que l’Opposante n’a pas établi d’autre fondement qui me permettrait de conclure que la Marque ne distinguait pas, ni n’était adaptée à distinguer, les marchandises et les services de la Requérante de ceux d’autres entités à la date pertinente.

[19]           La Commission a également rejeté d’autres motifs avancés par le demandeur fondés sur la non‑conformité à l’article 10 ou aux alinéas 30d), e) ou i) de la Loi, mais, comme ces conclusions n’ont pas été portées en appel, il n’y a pas lieu de les aborder ici.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[20]           Le demandeur soulève les questions suivantes dans la présente instance :

  1. La Commission a‑t‑elle commis une erreur en statuant que la marque n’était pas faussement descriptive et, en particulier, en ne tenant compte que des aspects visuels de la marque et en omettant de tenir compte de sa « forme sonore »?
  2. La Commission a‑t‑elle commis une erreur en statuant que la marque était distinctive?

LA NORME DE CONTRÔLE

[21]           Dans Dunsmuir c Nouveau­Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle dans tous les cas. En fait, lorsque la norme de contrôle qui s’applique à la question en litige est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. Ce n’est que lorsque cette recherche se révèle infructueuse ou si la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision doit examiner les quatre éléments de l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Sécurité publique et protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[22]           Le demandeur reconnaît que la [traduction] « norme de contrôle généralement acceptée » dans le cadre d’un appel fondé sur l’article 56 est le caractère raisonnable de la décision lorsque, comme en l’espèce, aucune nouvelle preuve n’est présentée (voir Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22, au paragraphe 40; Brasserie Molson c John Labatt Ltd, [2000] 3 CF 145, [2000] ACF no 159, au paragraphe 51). Cependant, le demandeur soutient que, selon l’analyse de la Cour suprême dans Rogers Communications Inc c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, aux paragraphes 13 à 15 [Rogers], la norme de contrôle de la première question doit être celle de la décision correcte. Le demandeur affirme que même si le présent litige comporte à la fois des éléments de fait et droit, l’omission de prendre en compte un élément essentiel d’un critère juridique, comme c’est le cas en l’espèce d’après le demandeur, peut être qualifiée d’erreur de droit et être contrôlée en fonction de la norme de la décision correcte (voir Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, au paragraphe 36, au sujet des normes de contrôle en appel). Le demandeur soutient essentiellement qu’il existe en l’espèce une question isolable de droit qui devrait être contrôlée selon la norme de la décision correcte (voir l’arrêt Rogers, précité, au paragraphe 20).

[23]           Subsidiairement, le demandeur fait valoir que l’omission par un décideur de prendre en compte une composante obligatoire d’un critère juridique rend sa décision déraisonnable : Rodrigues c Ontario (Workplace Safety and Insurance Appeals Tribunal), 2008 ONCA 719, au paragraphe 57; Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c Syndicat des employés et employées de la fonction publique de l’Ontario (S.E.E.F.P.O.), section locale 324, 2003 CSC 42, au paragraphe 60; Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au paragraphe 41; arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 141; Novopharm Ltd c Astrazeneca AB, 2002 CAF 387, au paragraphe 11.

[24]           L’arrêt Rogers, précité, portait sur une décision de la Commission du droit d’auteur. Dans cet arrêt, la Cour suprême a indiqué que lorsqu’elle administre des redevances sous le régime de la Loi sur le droit d’auteur, la Commission du droit d’auteur interprète et applique sa loi constitutive, de sorte qu’on devrait normalement faire preuve de déférence à l’égard de ses décisions, conformément à l’approche en matière de normes de contrôle adoptée depuis l’arrêt Dunsmuir. Toutefois, étant donné la structure de la Loi sur le droit d’auteur, les tribunaux sont aussi appelés à examiner des interprétations faites en première instance de certaines des mêmes dispositions de cette loi où le litige n’est pas le règlement ou l’administration de redevances, mais plutôt la violation du droit d’auteur.

[25]           La Cour suprême a jugé que des incongruités pouvaient se produire si la norme de la décision raisonnable était appliquée à des questions juridiques lors du contrôle des décisions de la Commission du droit d’auteur. Non seulement la cour saisie de la demande de contrôle judiciaire serait tenue de faire preuve de déférence envers les interprétations juridiques faites par la Commission du droit d’auteur, interprétations qui pourraient différer de sa propre jurisprudence concernant la violation, mais les cours d’appel seraient elles aussi placées dans une position difficile. Pour dire les choses concrètement, la Cour d’appel fédérale contrôlerait les interprétations juridiques de notre Cour concernant les questions de violation selon la norme de la décision correcte, sans déférence aucune envers l’interprétation que fait notre Cour de la Loi sur le droit d’auteur. Toutefois, si un jugement de notre Cour contrôlant une décision de la Commission du droit d’auteur était porté en appel, la Cour d’appel fédérale serait tenue de faire preuve de déférence envers l’interprétation juridique que fait la Commission de la Loi sur le droit d’auteur. La Cour suprême s’est dite d’avis que ce résultat incongru aurait pour effet d’écarter la présomption selon laquelle les interprétations que fait la Commission du droit d’auteur de sa loi constitutive sont assujetties à la norme de la raisonnabilité :

[14]      Il serait illogique de contrôler la décision de la Commission sur un point de droit selon une norme déférente, mais d’examiner de novo la décision d’une cour de justice rendue en première instance sur le même point de droit dans le cadre d’une action pour violation du droit d’auteur. Il serait tout aussi incohérent que, saisie d’un appel visant un contrôle judiciaire, la cour d’appel fasse preuve de déférence à l’égard de la décision de la Commission sur un point de droit, mais applique la norme de la décision correcte à la décision d’une cour de justice en première instance sur le même point de droit.

[15]      Étant donné le caractère particulier du régime législatif en vertu duquel la Commission et une cour de justice peuvent être respectivement appelées à statuer en première instance sur un même point de droit, il faut inférer que le législateur n’a pas voulu reconnaître à la Commission une expertise supérieure à celle de la cour de justice en la matière. Cette compétence concurrente conférée à la Commission et à la cour de justice pour interpréter en première instance la Loi sur le droit d’auteur a pour effet d’écarter la présomption selon laquelle la décision de la Commission sur un point de droit rendue sous le régime de sa loi constitutive est assujettie à la norme de la raisonnabilité. Cette conclusion est conforme à l’arrêt Dunsmuir dans lequel notre Cour dit que l’existence d’« [u]n régime administratif distinct et particulier dans le cadre duquel le décideur possède une expertise spéciale » constitue un « élément [qui permet] de conclure qu’il y a lieu de déférer à la décision et d’appliquer la norme de la raisonnabilité » (au paragraphe 55). Étant donné la compétence qu’elle partage avec la cour de justice en première instance, on ne peut dire de la Commission qu’elle exerce ses fonctions dans le cadre d’un tel « régime administratif distinct ». Je ne peux donc pas convenir avec la juge Abella que le fait que la cour de justice exerce couramment les mêmes activités d’interprétation que l’organisme administratif en première instance « n’enlève pas à la Commission sa connaissance approfondie de la Loi sur le droit d’auteur ni son expertise dans l’application de celle‑ci » (au paragraphe 11). Dès lors, il faut supposer que la cour de justice et l’organisme administratif ont, à l’égard du texte législatif, une même connaissance approfondie et une même expertise. Je suis donc d’avis que, dans l’arrêt SOCAN c. ACFI, le juge Binnie statue de manière satisfaisante que la norme de la décision correcte est celle qui convient au contrôle judiciaire de la décision de la Commission sur un point de droit (Dunsmuir, au paragraphe 62).

[26]           Selon le demandeur, il existe une situation semblable de [traduction] « compétence concurrente » ou [traduction] « partagée » pour l’interprétation des dispositions législatives prévues à la Loi sur les marques de commerce et, par conséquent, la norme de la décision correcte devrait s’appliquer lors du contrôle des interprétations juridiques de cette loi faites par la COMC. Dans l’arrêt Rogers, après avoir fait observer qu’il « semble n’y avoir de compétence concurrente en première instance que sous le régime des lois sur la propriété intellectuelle, le législateur ayant conservé la compétence de la cour de justice malgré celle accordée au tribunal administratif », le juge Rothstein a refusé de se prononcer sur la norme de contrôle à laquelle il conviendrait d’assujettir les décisions rendues en application d’autres lois sur la propriété intellectuelle, laissant de côté cette question, « car ce n’est pas l’objet du présent pourvoi » (arrêt Rogers, précité, au paragraphe 19).

[27]           Dans mes motifs, j’explique pourquoi j’estime que la norme de la décision correcte devrait s’appliquer en l’espèce, mais il n’était pas absolument nécessaire que je le fasse pour rendre ma décision. Je suis en effet d’accord avec le demandeur pour dire que si la Commission a omis un élément obligatoire du critère juridique visé à l’alinéa 12(1)b) de la Loi, cette erreur rendrait la décision déraisonnable à moins qu’elle n’ait été sans importance, en ce sens que l’issue n’aurait pu être différente si l’élément omis du critère avait été considéré.

[28]           Pour ce qui est de la deuxième question en litige, la question de savoir si une marque de commerce est distinctive est largement tributaire des faits et doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable.

[29]           Lorsqu’une décision est contrôlée selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse tient principalement « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[30]           Voici les dispositions la Loi qui sont applicables dans la présente instance :

Définitions

Definitions

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2. In this Act,

[…]

[…]

« distinctive » Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.

“distinctive”, in relation to a trade‑mark, means a trade‑mark that actually distinguishes the wares or services in association with which it is used by its owner from the wares or services of others or is adapted so to distinguish them;

[…]

[…]

Marque de commerce enregistrable

When trade‑mark registrable

12. (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

12. (1) Subject to section 13, a trade‑mark is registrable if it is not

[…]

[…]

b) qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d’origine de ces marchandises ou services;

(b) whether depicted, written or sounded, either clearly descriptive or deceptively misdescriptive in the English or French language of the character or quality of the wares or services in association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin;

[…]

[…]

Déclaration d’opposition

Statement of opposition

[…]

[…]

38. (1) Toute personne peut, dans le délai de deux mois à compter de l’annonce de la demande, et sur paiement du droit prescrit, produire au bureau du registraire une déclaration d’opposition.

38. (1) Within two months after the advertisement of an application for the registration of a trade-mark, any person may, on payment of the prescribed fee, file a statement of opposition with the Registrar.

Motifs

Grounds

(2) Cette opposition peut être fondée sur l’un des motifs suivants :

(2) A statement of opposition may be based on any of the following grounds:

a) la demande ne satisfait pas aux exigences de l’article 30;

(a) that the application does not conform to the requirements of section 30;

b) la marque de commerce n’est pas enregistrable;

(b) that the trade-mark is not registrable;

c) le requérant n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement;

(c) that the applicant is not the person entitled to registration of the trade-mark; or

d) la marque de commerce n’est pas distinctive.

(d) that the trade-mark is not distinctive.

[…]

[…]

Décision

Decision

(8) Après avoir examiné la preuve et les observations des parties, le registraire repousse la demande ou rejette l’opposition et notifie aux parties sa décision ainsi que ses motifs.

(8) After considering the evidence and representations of the opponent and the applicant, the Registrar shall refuse the application or reject the opposition and notify the parties of the decision and the reasons for the decision.

LES ARGUMENTS

Le demandeur

[31]           Le demandeur fait valoir que l’analyse de la Commission visant à déterminer si la marque est faussement descriptive n’a pas tenu compte du critère expressément énoncé à l’alinéa 12(1)b) de la Loi, lequel n’est pas seulement visuel. La disposition en question prévoit plutôt qu’une marque de commerce n’est pas enregistrable dans le cas suivant :

qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d’origine de ces marchandises ou services;

[Souligné par le demandeur.]

[32]           Le demandeur affirme que la Commission n’a pas appliqué tous les éléments de ce critère et, en particulier, n’a pas cherché à savoir si, sous sa forme sonore, la marque donne une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises ou des services.

[33]           Le demandeur invoque Best Canadian Motor Inns Ltd c Best Western International, Inc, 2004 CF 135 [Best Western], où la Cour a confirmé une décision de la COMC selon laquelle la marque de commerce suivante :

donne, « sous sa forme sonore », une description claire de la marque. Dans cette affaire, la Cour a fait référence, tout comme l’avait fait la COMC, à l’analyse de la Commission dans Insurance Co of Prince Edward Island c Prince Edward Island Mutual Insurance Co, [1999] COMC no 156, 2 CPR (4th) 103, au paragraphe 9, où le président à l’époque de la Commission avait déclaré :

À mon avis, l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce n’a vraisemblablement pas été conçu pour interdire l’enregistrement d’un dessin‑marque comportant des éléments graphiques qui pourraient autrement être enregistrables comme des marques de commerce sans les termes descriptifs. Incontestablement, il ne semble pas raisonnable qu’un dessin‑marque devienne subitement non enregistrable en raison de l’ajout d’un mot descriptif (ou de mots descriptifs), particulièrement parce que l’article 35 de la Loi sur les marques de commerce prévoit le désistement à l’égard de ces parties d’une marque de commerce. D’autre part, la formulation de l’alinéa 12(1)b) de la Loi interdit de manière claire l’enregistrement d’une marque de commerce qui, sous sa forme sonore, donne notamment une description claire en langue anglaise de la nature et de la qualité des services en liaison avec lesquels elle est employée. À cet égard, le registraire est tenu d’appliquer la Loi sur les marques de commerce comme elle existe et non comme elle aurait dû conçue.

[34]           Le demandeur prétend qu’au paragraphe 20 de la décision Best Western, précitée, la Cour a accepté les conclusions de la Commission selon lesquelles « la marque faisant l’objet de la demande serait prononcée sur la base des mots prédominants qui la forment », « la personne ordinaire prononce[rait] la marque de la requérante en utilisant les mots “BEST CANADIAN MOTOR INNS” » et, par conséquent, la marque de commerce en question « donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, quand elle est prononcée, des services de la requérante au Canada […] ».

[35]           Le demandeur ajoute que le même raisonnement s’applique en l’espèce. La marque visée par notre examen est assujettie au même critère de la « forme sonore » appliqué dans la décision Best Western, et il incombait à la Commission d’appliquer ce critère, ce qu’elle n’a pas fait. Le demandeur soutient que l’omission par la Commission de considérer cet élément obligatoire du critère pour déterminer si une marque de commerce est faussement descriptive rend sa décision incorrecte et déraisonnable.

[36]           En ce qui a trait à la question de savoir si la marque est effectivement faussement descriptive des marchandises et des services de la défenderesse, le demandeur fait valoir qu’il faut l’examiner suivant le point de vue de l’acheteur ordinaire de ces marchandises ou services et ne pas scruter séparément chacun des éléments constitutifs de la marque; celle‑ci doit être considérée dans son ensemble et sous l’angle de la première impression : Drackett Co of Canada c American Home Products Corp, [1968] 2 ExCR 89, 55 CPR 29 (C de l’É Can); Wool Bureau of Canada Ltd c Canada (Registraire des marques de commerce), [1978] ACF n307, 40 CPR (2d) 25 (1re inst), aux paragraphes 27 et 28; Atlantic Promotions Inc c Canada (Registraire des marques de commerce), [1984] ACF no 606, 2 CPR (3d) 183 (1re inst), à la page 186.

[37]           Le demandeur explique qu’il importe peu que le mot « REM » soit plus gros que les mots « Surface Engineering ». Les trois mots forment la composante nominale de la marque et doivent être prononcés lorsque l’on applique le critère « sous sa forme sonore » : Central City U‑Lock Ltd c JCM Professional Mini‑Storage Management Ltd, [2009] COMC no 186, 80 CPR (4th) 467 [Central City U‑Lock]. Le demandeur ajoute que, sous sa forme sonore, « REM Surface Engineering » est tout aussi faussement descriptif que la marque nominale REM SURFACE ENGINEERING dont l’enregistrement a été refusé par la Commission parce qu’elle était faussement descriptive, en contravention à l’alinéa 12(1)b).

[38]           De plus, le demandeur fait valoir que la marque nominale, si elle était enregistrable, donnerait à la défenderesse le droit à l’usage exclusif de cette marque sous divers formats, y compris avec des caractéristiques graphiques ajoutées. Le demandeur dit qu’il serait illogique qu’une marque nominale donnant lieu à de telles variantes dans son usage ne soit pas enregistrable, alors qu’un dessin‑marque présentant ce genre de variante puisse être enregistrable : Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27, aux paragraphes 55, 57 et 58 [Masterpiece Inc].

[39]           Le demandeur ajoute que la Commission ne s’est pas penchée sur la [traduction] « signification » de la marque lorsqu’on la prononce, en se plaçant du point de vue du consommateur moyen des marchandises et des services de la défenderesse. Les mots « Surface Engineering » sont les seuls mots discernables dans la marque, ce qui les rend dominants au sein de la marque dans son ensemble lorsqu’on applique le critère « sous sa forme sonore ». Après lecture de ces mots, le consommateur moyen des services, vraisemblablement une personne qui connaît bien l’ingénierie de surface, croirait à tort que les marchandises et les services de la défenderesse sont produits par des ingénieurs détenteurs d’un permis d’exercice de l’ingénierie au Canada, alors qu’en fait ce n’est pas le cas.

[40]           Cela est d’autant plus probable, fait valoir le demandeur, que le mot REM est un acronyme signifiant « Research, Engineering, Manufacturing », ce que saurait le consommateur ordinaire des marchandises de la défenderesse.

[41]           Par conséquent, le demandeur soutient que la marque dans son ensemble n’est pas enregistrable.

[42]           Le demandeur fait remarquer que le mot « engineering » donne l’impression d’une norme plus rigoureuse ou d’une qualité, d’une sécurité et d’une crédibilité plus élevées que si la marque était « REM Surface Coatings », « REM Surface Finishing » ou « REM Surfacing Professionals ». « Engineering » est un terme réglementé au Canada et ce fait a des conséquences pour le public qui présume que l’usage qu’on en fait est dûment autorisé : décision John Brooks Co, précitée, au paragraphe 20.

[43]           De plus, le demandeur fait observer que les éléments graphiques en l’espèce – deux droites et un cercle – ne sont ni originaux ni mémorables, et n’ajoutent rien à la signification de la marque. Ils ne suggèrent rien et ne contribuent aucunement ou presque à la signification qu’il convient d’attribuer à la marque. Un consommateur ayant une mémoire imparfaite sera plus enclin à retenir la portion reconnaissable et à l’associer aux marchandises et services offerts : Canadian Council of Professional Engineers c Groupegénie Inc, [2009] COMC no 127, 78 CPR (4th) 126 [Groupegénie, avec renvois au CPR]; arrêt Masterpiece Inc, précité, au paragraphe 84.

[44]           Le demandeur compare la présente affaire avec celle qui a été tranchée dans Worldwide Diamond Trademarks Ltd c Canadian Jewellers Assn, 2010 CF 309, aux paragraphes 62 et 63, conf par 2010 CAF 326, où la Cour a confirmé une conclusion du registraire selon qui les mots, et non les éléments du dessin de la marque proposée, étaient dominants, et les éléments graphiques n’empêchaient pas la marque dans son ensemble d’être clairement descriptive lorsqu’elle était prononcée. Des mots clairement descriptifs ou faussement descriptifs ne peuvent devenir enregistrables du fait de l’ajout de caractéristiques graphiques : décision Best Western, précitée, aux paragraphes 35 et 36; Canadian Tire Corp c Exxon Mobil Corp, [2009] COMC no 171, 80 CPR (4th) 407, aux pages 410 et 411 [Canadian Tire Corp]; décision Groupegénie, précitée, aux pages 136 et 137; décision Central City U‑Lock, précitée, au paragraphe 24; Coca‑Cola Foods Canada Inc c Tropikfrut Ltd, [1991] COMC no 135, 36 CPR (3d) 553, à la page 556.

[45]           Enfin, selon le demandeur, il faut tenir compte du fait que l’ingénierie est une profession réglementée et que le but de cette réglementation est la protection du public. Une personne n’a pas le droit d’employer les termes « engineer » [ingénieur] ou « engineering » [ingénierie] pour laisser entendre qu’elle a les qualifications requises pour exercer la profession d’ingénieur au Canada, a moins d’avoir un permis pour exercer la profession, un certificat d’autorisation ou un certificat de conformité délivré par un ordre provincial ou territorial. La défenderesse, de son propre aveu, n’a pas de permis pour exercer l’ingénierie au Canada.

[46]           Le demandeur note que notre Cour a reconnu dans le passé que l’emploi du mot « engineering », étroitement réglementé, a des incidences dans le contexte des marques de commerce. La plupart des gens présumeraient que les entreprises utilisant ce mot pour une marque de commerce offrent des services d’ingénierie ou ont des ingénieurs professionnels à leur emploi, à moins que le contraire ne ressorte clairement du contexte. Le mot « engineering » tel qu’il est utilisé dans la marque en cause est, selon le demandeur, fallacieux et trompeur dans le contexte : décision John Brooks Co, précitée, au paragraphe 20. Le demandeur cite Conseil canadien des ingénieurs c Kelly Properties, LLC, 2012 CF 1344, inf par 2013 CAF 287 [Kelly Properties], où le juge O’Keefe écrit ce qui suit :

[157]    Permettre l’adoption de la demande de marque de commerce risque à mon sens d’ouvrir la porte aux abus, ce qui nuirait à l’intérêt du public que la réglementation canadienne de la profession d’ingénieur a pour vocation de protéger. Il est alors d’autant plus important qu’une marque de commerce employée dans un domaine lié à l’ingénierie ne donne pas une description fausse et trompeuse, ou qu’elle ne soit pas de nature à tromper le public d’une manière finalement contraire à l’ordre public. Par conséquent, la marque de commerce n’est pas enregistrable en vertu du paragraphe 14(1) de la Loi.

[47]           En ce qui a trait à la conclusion quant à l’existence d’un caractère distinctif, le demandeur soutient qu’elle est erronée et que la marque n’est pas distinctive, et ce, pour deux motifs : elle donne une description fausse et trompeuse et n’est donc pas distinctive; elle ne peut distinguer les marchandises et les services de la défenderesse de ceux des autres, notamment des ingénieurs ou groupes professionnels autorisés à exercer l’ingénierie de surface au Canada.

[48]           Le demandeur soutient que la conclusion de la Commission selon laquelle la marque est distinctive était inextricablement liée à sa conclusion qu’elle n’est pas faussement descriptive et que, puisque cette dernière conclusion était fondée sur une erreur de droit qui la rend incorrecte et déraisonnable, la conclusion sur le caractère distinctif doit également être considérée comme incorrecte et déraisonnable. Selon le demandeur, lorsqu’une marque de commerce consiste principalement en des composantes non enregistrables, telles que des mots faussement descriptifs, elle ne peut vraiment ni distinguer les marchandises et les services de la Requérante de celles des autres, ni être adaptée à les distinguer : Conseil canadien des ingénieurs professionnels c APA – Engineered Wood Assn, [2000] ACF no 1027, 7 CPR (4th) 239 (1re inst.), à la page 254  [APA, avec renvois au CPR].

[49]           Le demandeur ajoute que bien qu’il puisse être vrai qu’une marque qui donne une description claire ou une description fausse ou trompeuse ne peut être distinctive, il ne s’ensuit pas que la proposition inverse soit toujours vraie; le fait de considérer qu’une marque de commerce ne donne pas une description claire ou une description fausse ne signifie pas nécessairement qu’elle est distinctive : décision APA, précitée, à la page 253.

[50]           Le demandeur affirme que la question de savoir si une marque de commerce est distinctive est une question de fait qui doit être tranchée en fonction du message que la marque transmet aux consommateurs. Si une marque de commerce ne permet pas de désigner une source unique, elle n’est pas enregistrable et n’est en fait absolument pas une marque de commerce : Novopharm Ltd c Bayer Inc, [1999] ACF no 1661, aux paragraphes 69 et 70, 3 CPR (4th) aux pages 305 à 321 (1re inst), conf par 9 CPR (4th) 304 (CAF). Le demandeur fait observer qu’une demande d’enregistrement peut être repoussée sur la seule base de l’absence de caractère distinctif, pourvu que ce motif soit invoqué dans l’opposition, ce qui a été fait en l’espèce.

[51]           Le demandeur note que dans le cadre de la procédure d’opposition et en appel, il incombe à celui qui présente une demande de marque de commerce de démontrer que sa marque distingue effectivement ses services de ceux d’autres fournisseurs au Canada ou est adaptée à les distinguer. Toutefois, l’opposant doit s’acquitter du fardeau initial en établissant les allégations de fait à l’appui de son motif d’opposition fondé sur le caractère non distinctif : Procter & Gamble Inc c Colgate‑Palmolive Canada Inc, 2010 CF 231, au paragraphe 71; Continental Teves AG & Co c Conseil canadien des ingénieurs, 2013 CF 801, au paragraphe 58.

[52]           Le demandeur estime qu’il a produit une preuve suffisante pour s’acquitter de son [traduction] « fardeau de preuve peu exigeant » de présenter des faits démontrant que la marque n’est pas distinctive de REM Chemicals Inc., et que la défenderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau de démontrer que la marque est distinctive.

[53]           À cet égard, la considération prédominante, soutient le demandeur, consiste à savoir si la marque attaquée distingue véritablement les services du propriétaire de la marque des services fournis par d’autres propriétaires en tenant compte des conditions du marché. Partant, l’usage largement répandu du mot « engineering » par des ingénieurs dûment licenciés, accompagné d’acronymes ou de surnoms, témoigne de l’absence de caractère distinctif de la marque : College of Traditional Chinese Medicine Practitioners and Acupuncturists of British Columbia c Council of Natural Medicine College of Canada, 2009 CF 1110, aux paragraphes 233 à 236. Le demandeur précise qu’il a présenté un certain nombre d’exemples de marques de commerce correspondant à cette description. La marque proposée n’est qu’un autre nom de firme d’ingénieurs parmi d’autres qui suivent cette tendance.

[54]           Le demandeur note que la Commission a conclu que les mots « surface engineering » donnaient une fausse description et que, par conséquent, ils n’étaient pas distinctifs. Le demandeur affirme par ailleurs que les lettres REM forment une composante faible, dénuée de caractère distinctif, puisqu’elles sont déjà en usage chez diverses autres entités pour des marchandises similaires. L’acronyme n’est donc pas distinctif et ne permet pas de désigner une source unique.

[55]           Le demandeur estime que la défenderesse n’a pas produit de preuves démontrant que sa marque se distingue de la sienne; la marque n’est ni distinctive ni adaptée à distinguer les marchandises et les services de la défenderesse de ceux des autres.

ANALYSE

[56]           La défenderesse n’a pas déposé d’avis de comparution dans le cadre de la présente demande, de sorte que celle‑ci n’est pas contestée. Mon examen du dossier et mon appréciation des observations du demandeur m’amènent à conclure que la décision ne peut être maintenue et doit être annulée.

[57]           Je suis pour l’essentiel d’accord avec les observations du demandeur. La Commission a commis une erreur en concluant que la marque de commerce REM SURFACE ENGENIERRING et Dessin n’est pas faussement descriptive au sens de l’alinéa 12(1)b) de la Loi, et en concluant que la marque est distinctive et enregistrable en vertu des alinéas 38(2)d) et 38(2)b) de la Loi.

[58]           Je suis d’avis que l’omission par la Commission d’appliquer correctement l’alinéa 12(1)b) devrait être contrôlée selon la norme de la décision correcte. Certes, la Cour suprême du Canada n’a pas voulu se prononcer dans l’arrêt Rogers, précité, au paragraphe 19, sur « la norme de contrôle à laquelle il convient d’assujettir la décision d’un tribunal administratif rendue en application d’autres lois sur la propriété intellectuelle », mais je ne vois pas pourquoi le raisonnement de la Cour suprême dans Rogers ne s’appliquerait pas au cas présent, où une décision de la Commission a été portée en appel. Toutefois, dans l’éventualité où j’aurais tort à cet égard, j’ajoute que je suis tout autant convaincu que cette décision devrait également être annulée si elle était contrôlée selon la norme de la décision raisonnable.

[59]           La commissaire n’a pas appliqué tous les éléments du critère de l’alinéa 12(1)b). Il ressort de sa décision qu’elle n’a considéré que les éléments visuels de la marque et n’a pas cherché à savoir si la marque, « sous sa forme sonore », donnait une description trompeuse. Cette erreur de droit a également amené la commissaire à conclure que la marque était distinctive au motif qu’elle n’était pas clairement descriptive ou faussement descriptive.

[60]           À mon sens, la présente espèce et l’affaire Best Western, précitée, comportent des points communs, à savoir :

a)      la marque serait prononcée par les mots dominants « REM SURFACE ENGINEERING »;

b)      le consommateur moyen prononcerait la marque par les mots « REM SURFACE ENGINEERING »;

c)      le cercle et le mot « REM » ne distinguent pas un commerçant particulier;

d)     les droites qui s’entrecroisent et le recours à une police différente pour le mot « REM » ne suffisent pas à rendre la marque distinctive et enregistrable.

[61]           Je suis aussi d’accord avec le demandeur sur les points suivants :

a)      Après avoir examiné la marque de commerce REM SURFACE ENGINEERING et Dessin lorsque la marque est prononcée à haute voix ou mentalement, ou qu’elle est lue, le consommateur moyen prononcerait la marque par les mots « REM SURFACE ENGINEERING » et ne mentionnerait pas les éléments géométriques des deux droites du dessin ainsi que le cercle, auxquels aucun son ne peut être attribué;

b)      Il importe peu que les caractères du mot REM soient plus gros que ceux des mots SURFACE ENGINEERING. Ces trois mots forment la composante nominale de la marque et ce sont ceux qui sont prononcés. Dans la décision Central City U‑Lock, précitée, la Commission a déterminé que même si la lettre « U » semblait beaucoup plus grande que le mot « LOCK », les mots « U » et « LOCK » ont été considérés comme étant tout aussi dominants. Le consommateur moyen prononcerait la marque par les mots « YOU LOCK », et ne ferait pas de différence entre la police et le lettrage utilisé. La marque, dans son entier, n’était pas validée par ses éléments graphiques ni par la taille du lettrage utilisé pour l’une des composantes nominales. Elle était clairement descriptive des services du demandeur. Il y a lieu d’appliquer le même raisonnement en l’espèce;

c)      Lorsqu’elle est prononcée, la marque de commerce REM SURFACE ENGINEERING et Dessin est tout aussi faussement descriptive que sa contrepartie nominale REM SURFACE ENGINEERING, marque que la Commission a effectivement jugée faussement descriptive. Cela est d’autant plus vrai que dans les deux décisions, la Commission a estimé que les mots SURFACE ENGINEERING étaient faussement descriptifs;

d)     Les mots SURFACE ENGINEERING sont les seuls mots écrits, lisibles et discernables dans la marque et c’est ce qui les rend dominants au sein de la marque dans son ensemble, particulièrement lorsqu’on les prononce. Les lettres REM forment un acronyme signifiant « Research, Engineering, Manufacturing » comme l’a déclaré le président de Rem Chemicals;

e)      Ayant vu la marque et lu les mots, le consommateur moyen des services, vraisemblablement une personne qui connaît bien l’ingénierie de surface, croirait à tort que les marchandises et les services de la défenderesse sont produits par des ingénieurs détenteurs d’un permis d’exercice de l’ingénierie au Canada, alors qu’en fait ce n’est pas le cas. À cet égard, l’intégralité de la marque de commerce REM SURFACE ENGINEERING et Dessin n’est pas enregistrable;

f)       Qui plus est, les éléments graphiques constitués de deux droites et d’un cercle ne forment pas un tout original ou mémorable. Ils n’ajoutent à la marque aucune signification particulière et ne suggèrent rien. Ils n’apportent en soi rien ou presque à la signification qu’il convient d’attribuer à la marque. Un consommateur ayant une mémoire imparfaite sera plus enclin à retenir la portion reconnaissable et à l’associer aux marchandises et services offerts.

[62]           Il ressort clairement de la jurisprudence que des mots clairement descriptifs ou faussement descriptifs « sous leur forme sonore » ne peuvent devenir enregistrables par l’ajout de composantes graphiques : décisions Best Western, aux paragraphes 35 et 36, Canadian Tire Corp, aux pages 410 et 411, Groupegénie, aux pages 136 et 137, et Central City U‑Lock, au paragraphe 24, précitées.

[63]           La décision de la Commission sur la question du caractère distinctif est simplement une partie de sa conclusion selon laquelle la marque n’est pas faussement descriptive. La marque en l’espèce n’est pas distinctive parce qu’elle est à la fois faussement descriptive et ne permet pas de distinguer les marchandises et les services de la défenderesse de ceux des autres. Voici la preuve dont je dispose :

a.       Les ingénieurs agréés au Canada utilisent habituellement le mot « ENGINEERING » pour décrire leurs marchandises et services, et les mots « SURFACE ENGINEERING » indiquent une sous‑discipline de l’ingénierie au Canada, comme l’a conclu la Commission.

b.      Le mot « REM » n’est pas une composante distinctive parce qu’il est fréquemment employé par diverses autres entités pour des marchandises similaires.

Cela signifie, comme le fait observer le demandeur, que la marque dans son entier est une combinaison d’éléments non distinctifs qui comprend les mots trompeurs « SURFACE ENGINEERING ». La marque ne permet pas de distinguer un commerçant particulier, y compris la défenderesse.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que l’appel est accueilli et la décision de la Commission des oppositions des marques de commerce à l’égard de la marque de commerce REM SURFACE ENGINEERING et Dessin (demande 1450269) est infirmée et annulée. Les dépens sont adjugés au demandeur.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1816‑13

 

INTITULÉ :

ENGINEERS CANADA / INGÉNIEURS CANADA c REM CHEMICALS, INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 14 avril 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge RUSSELL

 

DATE DU JUGEMENT :

le 3 juillet 2014

 

COMPARUTIONS :

John S. Macera

 

pour Le demandeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Macera & Jarzyna, LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

pour Le demandeur

 

 

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