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Date : 20140623


Dossier : T-51-13

Référence : 2014 CF 604

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 juin 2014

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

SUNSHINE VILLAGE CORPORATION

demanderesse

et

AGENCE PARCS CANADA et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

défenderesses

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une contestation de la décision par laquelle le directeur du Parc national Banff de l’Agence Parcs Canada [le directeur] a interdit le stationnement de véhicules le long des trois kilomètres supérieurs de la voie d’accès reliant la Transcanadienne au Sunshine Village Ski Resort [la demanderesse ou Sunshine] situé dans le parc national Banff.

[2]               Les dispositions législatives pertinentes sont les suivantes :

Règlement général sur les parcs nationaux, DORS/78-213

36. (1) Where the superintendent deems it necessary for the prevention of any seasonal or temporary danger to persons, flora, fauna or natural objects in a Park, he may by notice in writing close to public use or traffic any area in the Park for the period he considers the danger will continue.

36. (1) Le directeur du parc peut interdire par un avis écrit l’accès au public ou à la circulation de zone, lorsqu’il le juge nécessaire pour préserver le public, la faune, la flore ou les matières naturelles de tout danger de nature temporaire ou saisonnière.

(2) A notice referred to in subsection (1) shall be displayed on each approach road, trail or other way of access to the area in the Park closed to public use or traffic.

(2) Cet avis est affiché sur les voies routières, ferroviaires ou autres voies d’accès à la zone concernée.

(3) No person shall enter any area in a Park during the period that it is closed to public use or traffic pursuant to subsection (1) except with the permission of the superintendent.

(3) Il est interdit d’y pénétrer sans autorisation du directeur du parc.

Loi sur les parcs nationaux du Canada, LC 2000, c 32

13. Except as permitted by this Act or the regulations,

(a) no public lands or right or interest in public lands in a park may be disposed of; and

(b) no person shall use or occupy public lands in a park.

13. Sauf dans la mesure permise par les autres dispositions de la présente loi ou ses règlements, il est interdit d’aliéner les terres domaniales situées dans un parc, de concéder un droit réel ou un intérêt sur celles-ci, de les utiliser ou de les occuper.

Règlement sur la circulation routière dans les parcs nationaux, CRC, c 1126 [Règlement sur la circulation routière]

16. (1) The superintendent may mark and erect on or along a highway a traffic sign or device that

16. (1) Un directeur de parc peut placer ou ériger en bordure d’une route ou sur la chaussée un signal de route pour

(b) regulates or prohibits the tethering of horses or the stopping or parking of motor vehicles or any class thereof;

b) réglementer ou interdire l’attache de chevaux ou le stationnement ou l’arrêt de véhicules automobiles ou de catégories de véhicules automobiles;

(h) regulates pedestrian traffic;

h) réglementer la circulation des piétons;

(k) regulates, directs or controls in any other manner the use of the highway by horses, motor vehicles or pedestrians.

k) réglementer, diriger ou contrôler de quelque autre façon la circulation sur la route des véhicules automobiles, des chevaux ou des piétons.

23. (1) The superintendent may erect a sign that designates an area as

23. (1) Un directeur de parc peut, au moyen d’un écriteau, désigner une zone comme

(c) an area where parking is not permitted.

c) une zone où le stationnement est interdit.

 

II.                Contexte

[3]               La Couronne fédérale loue un terrain au Sunshine Ski Resort depuis le 10 mars 1981. Ce bail accorde à Sunshine des droits d’accès généraux par la voie d’accès et oblige la Couronne à entretenir celle-ci et à assurer la prévention complète des avalanches dans toutes les zones susceptibles d’affecter l’usage et la jouissance du terrain loué.

[4]               On peut rejoindre Sunshine par une voie d’accès de sept kilomètres allant de la Transcanadienne au pied des téléphériques. Les quatre (4) premiers kilomètres à partir de la sortie de l’autoroute sont désignés comme la [traduction] « route inférieure », laquelle n’est pas menacée par les avalanches.

Les trois (3) kilomètres supérieurs sont désignés comme la [traduction] « route supérieure »; celle-ci est menacée par huit (8) larges et importants couloirs d’avalanche (connus sous les noms de Bourgeau 1 à 7 du côté nord, et Eagle 3 du côté sud). Ces couloirs sont le terrain d’avalanches à des fréquences diverses.

[5]               Au pied des téléphériques se trouve un parc de stationnement d’une capacité de 1 500 à 1 700 voitures. Celui-ci est situé dans le terrain loué par Sunshine, tout comme la portion de la voie qui le relie à la route supérieure [l’aire de sortie].

[6]               Lorsque les pentes sont achalandées, le parc de stationnement ne suffit pas à répondre à la demande. Sunshine enjoint alors aux automobilistes de stationner sur la voie d’accès à partir du sommet de la route supérieure jusqu’à l’autoroute. La route supérieure suffit généralement à accueillir les voitures en surnombre et remplit normalement cette fonction entre 25 et 35 jours par année.

[7]               Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir depuis quand Sunshine se sert de la voie d’accès pour le stationnement des voitures en surnombre. La demanderesse prétend que cette pratique a débuté il y a plus de 40 ans, et les défenderesses affirment qu’elle remonte à la fin des années 1990. Jusqu’à l’hiver 2005-2006, des panneaux indiquant [traduction« Arrêt interdit – Zone d’avalanche » étaient disposés sur la route supérieure. Il n’est pas contesté que les défenderesses étaient au fait de la pratique et qu’elles n’ont pas essayé de l’empêcher (en remorquant les voitures stationnées, par exemple).

[8]               La preuve établit que le stationnement est problématique en raison de la capacité limitée du parc se trouvant au pied des téléphériques. Le stationnement sur la voie d’accès soulève des questions de risque et de responsabilité liées aux avalanches et à leurs répercussions.

[9]               En mai 2006, Parcs Canada a commandé et obtenu le rapport Stetham dans lequel il était recommandé d’appliquer, en matière de prévision des avalanches et de contrôle de la voie d’accès et du parc de stationnement, des normes plus strictes que celles qui se rapportent normalement aux axes de circulation autoroutière. En usant de méthodes de prévision sophistiquées, les véhicules seraient autorisés à stationner dans des secteurs désignés de la voie d’accès selon l’indice de risque journalier d’avalanche. Le rapport Stetham recommandait en outre l’agrandissement du parc de stationnement situé au pied des téléphériques.

Ces recommandations ont été adoptées à titre provisoire et les panneaux interdisant les arrêts ont été retirés [protocole provisoire de 2006]. Depuis qu’elles ont conclu cet accord, les parties se sont rencontrées pour discuter de l’agrandissement de l’aire de stationnement de la station de ski et d’autres solutions d’appoint.

[10]           Le 6 mars 2012, un événement crucial s’est produit dans la présente affaire. Parcs Canada a déclenché une grande avalanche dans le couloir Bourgeau 7. Cette avalanche a dépassé ses limites de débordement historiques et laissé des débris et du bois cassé sur près de 150 mètres sur une portion de la route supérieure où les clients de Sunshine stationnaient régulièrement leurs véhicules et jusque-là réputée sûre. Cette avalanche était bien plus importante que ce qu’avaient prévu les experts qui l’ont déclenchée.

[11]           Chaque partie a son point de vue sur cet événement et son importance/sa pertinence pour la décision finale. D’après Parcs Canada, [traduction« il s’en est fallu de peu », et Sunshine parle d’un exercice réussi de gestion d’avalanche. Parcs Canada y voit un tournant important ayant permis de souligner le caractère imprévisible des avalanches, une révélation de nature à justifier la décision.

[12]           Une semaine après l’avalanche, Parcs Canada informait Sunshine que le stationnement dans la zone où l’importante avalanche s’était produite serait restreint pour le reste de la saison, qu’une nouvelle évaluation du risque serait effectuée, et que Sunshine devait commencer à envisager d’autres options de stationnement.

[13]           Le 28 mars 2012, Parcs Canada a obtenu le rapport McElhanney; celui-ci a relevé un certain nombre de problèmes de sécurité liés au stationnement sur la route supérieure, et conclu que le moyen le plus sûr d’atténuer ces risques serait de déplacer l’aire de stationnement située sur le bord de la route.

[14]           Environ une semaine plus tard, Parcs Canada a reçu le rapport préparé à sa demande par Alpine Solutions Avalanche Services. Celui-ci concluait que le danger lié au stationnement des voitures en surnombre sur la route supérieure était très élevé et formulait trois (3) recommandations :

1.                  Restreindre le stationnement des véhicules dans les zones d’avalanche, à moins que le personnel de Parcs Canada chargé du contrôle des avalanches n’obtienne les ressources et les effectifs nécessaires pour mettre en place une gestion du risque comparable à celle que requiert une zone de ski alpin. Donner des contraventions et remorquer tous les véhicules se trouvant dans les zones d’avalanche visées par des restrictions.

2.                  Rétablir une zone d’avalanche continue le long de la voie d’accès supérieure dans laquelle il serait interdit aux véhicules de stationner ou de s’arrêter entre le côté est du couloir Bourgeau 1 et le côté ouest du couloir Eagle 3 (le portail existant). Une seconde zone d’avalanche à accès restreint devrait être établie dans le parc de stationnement.

3.                  La même chose qu’au point 2, mais avec un niveau de gestion du risque plus élevé pour le couloir Eagle 5, de manière à limiter le stationnement et la circulation des piétons dans les plus strictes limites du couloir.

[15]           Le 17 septembre 2012, Sunshine a reçu le rapport McElhanney et celui de Parcs Canada, et a été avisée qu’il serait interdit de stationner sur la route supérieure jusqu’à nouvel ordre [la décision provisoire]. Sunshine a contesté cette dernière décision.

[16]           Parcs Canada a invité Sunshine à fournir les renseignements additionnels qu’elle désirait soumettre à son attention avant qu’une décision finale ne soit prise. Sunshine a également été informée que Parcs Canada avait engagé un expert-conseil pour qu’il examine la situation et formule des recommandations.

[17]           Malgré les reportages médiatiques concernant une interdiction de stationnement sur la route supérieure et l’érection de panneaux de [traduction« Stationnement interdit » sur celle-ci, le directeur a confirmé qu’une décision finale n’avait pas encore été prise.

[18]           À la fin d’octobre 2012, Sunshine a obtenu son propre rapport d’expert portant sur les questions évoquées dans les rapports de Parcs Canada et McElhanney. Son rapport et ses observations ont été fournis à Parcs Canada le 1er novembre 2012.

[19]           Le rapport Sunshine concluait en substance que l’entente provisoire de 2006 garantissait une gestion du risque acceptable : pour autant que les protocoles existants de gestion de la circulation et de réduction des avalanches soient respectés, le maintien de la pratique établie consistant à faire stationner les voitures en surnombre sur la route supérieure ne soulevait aucun risque important.

[20]           Le 9 novembre 2012, Parcs Canada a modifié sa décision provisoire du 17 septembre précédent. Elle autorisait notamment le stationnement sur un kilomètre de plus de la route supérieure, moyennant certaines restrictions.

[21]           Les motifs de la décision figurent dans un rapport non daté remis au directeur, intitulé [traduction] « Stationnement dans les zones d’avalanche de la route Sunshine Valley ». La date admise de la décision est le 11 décembre 2012, soit le jour où le directeur a adressé à Sunshine une lettre l’informant qu’il sera interdit au public de stationner sur la route supérieure, excepté sur une longueur d’environ un kilomètre entre Bourgeau 4 et Bourgeau 1 durant les périodes de risque d’avalanche minimal.

[22]           Sunshine a contesté la décision et n’a pas réussi à obtenir une injonction à l’encontre de la décision provisoire; elle a demandé que cette décision soit réexaminée par Parcs Canada et a finalement présenté sa demande de contrôle judiciaire.

[23]           Les événements qui précèdent la décision ont été présentés en détail, Sunshine ayant allégué que celle-ci a été prise au terme d’un processus inéquitable.

III.             La décision

[24]           La décision finale du directeur était la suivante :

[traduction] Il sera interdit au public de stationner entre le portail du parc de stationnement de Sunshine Village et le côté est de Bourgeau 4. Le stationnement public ne sera autorisé entre le côté est de Bourgeau 4 et le côté est de Bourgeau 1 que durant les périodes où le risque d’avalanche prévu est minimal.

[25]           L’autorisation de stationner sur la zone d’un kilomètre durant les périodes de faible risque constitue un changement par rapport à la décision provisoire, en vertu de laquelle le stationnement sur la route supérieure était interdit en tout temps.

[26]           Les motifs de la décision sont contenus dans le rapport non daté remis au directeur. Le rapport revient sur l’historique, le contexte et l’état actuel de la situation, il résume les divers rapports concernés, puis évoque les considérations qui devraient orienter l’issue finale.

Ces considérations sont les suivantes :

1.         Parmi toutes les routes situées dans les parcs nationaux Banff, Kootenay et Yoho, la voie d’accès est celle qui est associée au risque d’avalanche le plus élevé. D’après les calculs des deux rapports, le risque pour les véhicules après la mise en place de mesures d’atténuation est très faible. L’application de l’entente provisoire de 2006 s’est traduite par une circulation ralentie ou paralysée et par l’exposition de douzaines de piétons à un risque d’avalanche les jours de pointe.

2.         Le rapport de Parcs Canada recommande le rétablissement de la règle [traduction] « stationnement interdit dans les zones d’avalanche » en vigueur avant 2006. Cette règle est compatible avec les pratiques en place dans d’autres parcs nationaux au Canada.

3.         Il est très difficile de prédire la fréquence, l’ampleur et la survenue des avalanches naturelles ou déclenchées à l’explosif.

4.         Le rapport Sunshine est basé sur les risques pour la circulation, ce qui n’est pas le problème. La question concerne plutôt le risque que posent les avalanches imprévisibles pour la circulation ralentie ou paralysée et les piétons. Compte tenu de ces incertitudes, l’entente provisoire de 2006 n’offre pas de marges de sécurité suffisantes.

5.         Parcs Canada a l’obligation et la responsabilité de gérer le risque d’avalanche sur toute la voie d’accès. La Loi sur les parcs nationaux du Canada confère au ministre le pouvoir d’administrer, de gérer et de contrôler les parcs. Le Règlement sur la circulation routière dans les parcs nationaux autorise le directeur à ériger des signaux routiers interdisant le stationnement.

6.         Le couloir d’avalanche E4 se trouve directement au-dessus du parc de stationnement Sunshine. Le rapport de Parcs Canada suggère d’y restreindre le stationnement, mais l’Agence recommande d’accepter le risque étant donné qu’il n’est pas pratique de limiter l’accès à une zone située au milieu du parc de stationnement et n’ayant jamais été visée par une telle restriction.

7.         Ce problème pourrait avoir des répercussions sur les activités commerciales de Sunshine les jours de pointe si une solution à long terme n’est pas trouvée.

8.         En guise de solution, les autres zones de ski ayant rencontré des problèmes de stationnement du même type ont utilisé des bus pour transporter les skieurs les jours de pointe.

9.         Toute mesure provisoire proposée à Sunshine ne devrait se limiter qu’à un hiver, puisque l’histoire montre bien que ces mesures risquent de devenir permanentes si personne ne s’engage à trouver une solution à long terme.

[27]           Le rapport formule ensuite les options suivantes :

1.      Stationnement interdit sur la route supérieure

Il est interdit de stationner et/ou de s’arrêter sur la route supérieure du côté ouest de E3 au côté est de B1. Le stationnement ne sera autorisé sur la route inférieure que durant l’hiver 2012-2013.

Cette opération exigera la coopération étroite de Sunshine, faute de quoi Parcs Canada devra assurer une forte présence pour administrer et appliquer les restrictions concernant le stationnement et les piétons sur la route supérieure.

L’option 1 est celle qui est recommandée.

2.      Stationnement très limité sur la route supérieure

Même chose que dans la première option, avec en plus 1 km de stationnement du côté est de B4 au côté est de B1 durant les périodes où le risque prévu est minimal.

Cette option suppose un niveau de risque plus élevé et n’est pas conforme aux pratiques exemplaires de l’industrie.

3.      Maintenir l’entente provisoire de 2006

Continuer d’autoriser les véhicules à stationner sur la voie d’accès supérieure et exposer ainsi les voitures et les piétons à des couloirs d’avalanche actifs sous réserve d’évaluations journalières du risque.

Cette option n’est pas recommandée, car le danger pour les personnes est inacceptable.

[28]           Le directeur a choisi la deuxième option. Comme je l’ai indiqué plus tôt, le rapport constitue de fait les motifs de sa décision.

IV.             Analyse

[29]           Bien que les parties aient formulé chacune les questions à trancher de manière légèrement différente, celles-ci peuvent être énoncées ainsi :

1.                  La décision relevait-elle de la compétence du directeur?

2.                  La décision était-elle raisonnable?

3.                  Les exigences de l’équité procédurale ont-elles été respectées?

A.                Norme de contrôle

[30]           Les principes concernant la norme de contrôle applicable sont à présent bien établis :

a)                  Les questions de compétence sont assujetties à la norme de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). La question en litige en est véritablement une de compétence puisqu’elle concerne les pouvoirs du directeur dans un domaine où il n’a aucune expertise, et où il serait incompatible avec la règle de droit générale d’autoriser un représentant de la direction à définir la portée de ses propres pouvoirs;

b)                  La décision d’interdire le stationnement sur la route supérieure relève de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de gérer le parc conféré au directeur. Elle est analogue à celle d’interdire la pêche de crabes à carapace molle dans un parc national ou la navigation de plaisance sur une rivière – deux types de décisions soumises à la norme de la raisonnabilité (voir Burley c Canada (Procureur général), 2008 CF 588, 328 FTR 227, et Young c Canada (Procureur général), [1999] ACF no 1290, 174 FTR 100);

c)                  Le manquement à l’équité procédurale appelle la norme de la décision correcte (Dunsmuir).

B.                 La compétence du directeur

[31]           La demanderesse fait valoir que le directeur n’avait pas la compétence requise pour imposer une interdiction de stationnement indéfinie et absolue sur la route supérieure ou la voie de sortie. Cette voie se trouve dans le terrain loué par Sunshine et, d’après la demanderesse, n’est donc pas visée par le Règlement sur la circulation routière. La demanderesse soutient qu’elle a le droit de contrôler la route supérieure en vertu d’une servitude par prescription.

[32]           Cependant, l’article 13 de la Loi sur les parcs nationaux du Canada interdit d’utiliser ou d’occuper les terres domaniales situées dans un parc, sauf dans la mesure autorisée par la Loi ou son règlement d’application. Le directeur a le pouvoir de réglementer le stationnement sur toutes les « routes » et les « zones » du parc national Banff. Toute la route supérieure, y compris l’aire de sortie, constitue une « route ».

[33]           La demanderesse soutient que le pouvoir d’ériger des signaux et de contrôler ainsi le stationnement dont il est question à l’alinéa 23(1)c) du Règlement sur la circulation routière, ne concerne pas les terrains loués à Sunshine, car la disposition a été adoptée en 1990, après l’entrée en vigueur du bail, et ne peut pas s’appliquer rétroactivement. Cependant, cet argument ne saurait tenir puisque l’article 3 du bail incorpore par renvoi l’obligation de respecter la Loi et les règlements en vigueur.

[traduction] [le locataire doit se conformer] aux dispositions de la Loi sur les parcs nationaux, ainsi qu’aux règlements pris en vertu de cette loi et de toute autre loi s’y rapportant, et ses modifications, révision et remplacements successifs.

[34]           Le bail n’est pas un contrat purement commercial puisqu’il incorpore des dispositions législatives et réglementaires. Il est évident que la clause en question visait à reprendre la loi et le règlement en vigueur régissant le parc, et qu’elle a cet effet.

[35]           Par ailleurs, l’alinéa 23(1)c) du Règlement sur la circulation routière conférait au directeur le pouvoir explicite d’utiliser des écriteaux réglementant ou interdisant l’arrêt ou le stationnement des véhicules à moteur, ce qui est compatible avec l’objet de ce règlement touchant au contrôle de la circulation et à la sécurité des routes dans le parc. Ce pouvoir comprend la capacité de répondre aux risques que posent notamment la faune, les éboulements et les avalanches pour les utilisateurs des routes.

[36]           L’interdiction de stationner des véhicules sur une route ou dans une zone incluant des couloirs d’avalanches imprévisibles est logiquement liée à l’objet de la Loi et du Règlement sur la circulation routière, et s’appuie sur les alinéas 16(1)b) et k) ainsi que 23(1)c) dudit règlement.

[37]           La décision du directeur relevait pleinement de sa compétence.

C.                 Caractère raisonnable de la décision

[38]           Nous avons affaire en l’espèce à un [traduction] « duel d’experts ». En présence de rapports d’expert contradictoires, le directeur était tenu d’agir de bonne foi, à des fins légitimes, et de trouver une solution « appart[enant] aux issues acceptables ».

[39]           La demanderesse soutient que la décision est déraisonnable parce qu’elle n’est pas conforme au rapport Sunshine, et ajoute que l’entente provisoire de 2006 a permis de réglementer efficacement la circulation; toutes les avalanches survenues depuis 1990 étaient des avalanches contrôlées.

[40]           Cependant, des rapports tout aussi crédibles préconisent et appuient le type d’interdiction imposée par le directeur. Rien ne prouve l’existence d’une fin illégitime ou d’un comportement arbitraire. De même, la preuve n’établit aucunement que le directeur a imposé l’interdiction pour éviter d’affecter des ressources à la gestion du risque d’avalanche. Même si c’était le cas, la gestion prudente des ressources relève bien de son mandat. On pourrait raisonnablement soutenir que la demanderesse essaye d’obtenir plus de places de stationnement gratuit.

[41]           Le directeur a également pour mandat de limiter et de gérer le risque et la responsabilité que la Couronne fédérale est disposée à assumer.

[42]           Expliquer la décision par l’avalanche contrôlée de mars 2012, comme le font les défenderesses, est discutable. Qualifier cette avalanche de [traduction] « signal d’alarme » suggère que Parcs Canada a été indolente jusque-là. L’avalanche, qui était plus importante que prévu, n’a fait que confirmer ce que tous les experts tendent à présenter comme une connaissance générale courante : la survenue, le lieu et l’ampleur des avalanches non contrôlées sont imprévisibles. L’avalanche de mars 2012 est néanmoins venue ébranler la thèse sur laquelle reposait l’entente provisoire de 2006, et qui préconisait une prévision journalière fiable des avalanches.

[43]           Les différences entre l’approche de la demanderesse et celle de Parcs Canada s’inscrivent dans un éventail de mesures appropriées de gestion du risque d’avalanches. La décision du directeur d’autoriser le stationnement sur un kilomètre additionnel sous réserve de certaines restrictions prouve qu’il a réfléchi aux questions en jeu et qu’il ne s’est pas contenté de déléguer sa responsabilité à un ou plusieurs experts.

[44]           Le directeur dispose d’un certain nombre d’outils pour gérer le risque d’avalanches et il n’est pas tenu d’employer une méthode de gestion particulière. Il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire à l’égard duquel la Cour devrait se garder d’intervenir.

[45]           Les droits acquis ou les servitudes allégués n’ont pas été établis. La prescription légale ne court pas et l’argument voulant que les gens stationnent sur la route supérieure depuis plus de quarante ans est affaibli par le fait que tout stationnement était interdit sur cette route jusqu’en 2006.

[46]           Par conséquent, la décision est raisonnable.

D.                Équité procédurale

[47]           Les allégations de la demanderesse à cet égard peuvent être résumées ainsi :

                     il n’y a pas eu de consultations à l’égard de la décision provisoire; celle-ci a été annoncée publiquement sans que nul ait eu la possibilité préalable d’être entendu;

                     Sunshine s’attendait légitimement à ce qu’aucune décision concernant le stationnement ne soit prise sans de réelles consultations;

                     il existe une crainte raisonnable de partialité en ce que le droit de Sunshine de présenter des observations après la décision provisoire est vide de sens;

                     Sunshine n’a pas reçu de réponse concernant son rapport;

                     Sunshine n’a reçu aucun document et n’a pas eu la possibilité de contester le rapport de Parcs Canada.

[48]           Pour les motifs suivants, je ne suis pas convaincu qu’un manquement à l’équité procédurale soit étayé :

                     contrairement à ce qu’allègue la demanderesse, rien n’indique que la décision provisoire ait été publiquement annoncée;

                     comme l’attestent ses propres documents, la demanderesse avait été avisée après l’avalanche contrôlée de mars 2012 que l’entente provisoire de 2006 serait probablement modifiée en attendant l’issue d’un rapport indépendant. La demanderesse a même été avertie qu’elle devait chercher d’autres espaces de stationnement;

                     la demanderesse a eu plus d’un mois après la décision provisoire pour soumettre des observations;

                     le placement de signaux interdisant le stationnement avant la première chute de neige ne suffit pas à prouver que la décision était un simulacre. Les exigences du climat et l’approche de l’hiver sont des explications satisfaisantes;

                     de réelles consultations ont eu lieu avant la décision finale, ce qu’attestent le dossier et la décision du directeur de modifier la décision provisoire en autorisant le stationnement sur un kilomètre de la route supérieure durant les périodes de faible risque;

                     l’allégation de partialité est exagérée puisque Sunshine a eu la possibilité de présenter des observations avant la décision finale. L’argument voulant que cette opportunité fût fictive est intenable compte tenu de la décision du directeur de modifier la décision provisoire sur la base des observations de Sunshine;

                     il n’existait pas de droit de réfuter le rapport de Parcs Canada puisqu’il contenait en substance les motifs de la décision.

[49]           Par conséquent, il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale.

V.                Conclusion

[50]           La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée, avec dépens suivant le barème habituel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens suivant le barème habituel.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-51-13

 

INTITULÉ :

SUNSHINE VILLAGE CORPORATION c AGENCE PARCS CANADA et SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 22 janvier 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS

le juge phelan

 

DATE DES MOTIFS :

le 23 juin 2014

 

COMPARUTIONS :

Kent Anderson

Sarah Hansen

 

POUR LA demanderesse

 

Christine Ashcroft

Laura Dunham

 

pour les défenderesses

 

SOLICITORS OF RECORD :

Miller Thomson LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

pour les défenderesses

 

 

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