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Date : 20140625


Dossier : IMM-1273-13

Référence : 2014 CF 611

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 25 juin 2014

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

ANTON JEKATHAS ANTHONIPPILLAI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, un Tamoul du Nord du Sri Lanka [le demandeur], sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 12 décembre 2012 par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] a rejeté sa demande d’asile au motif qu’il n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. La demande est présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

I.                   Faits

[2]               Le demandeur est né en septembre 1990. Il a grandi à Vanni, dans le Nord du Sri Lanka, pendant l’insurrection des Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul [TLET]. À deux reprises, en 2006, les TLET l’ont gardé en détention et l’ont obligé à effectuer des travaux manuels, comme creuser des bunkers et couper du bois. Les deux fois, il a été relâché le jour suivant.

[3]               Deux ans plus tard, il a été arrêté par les TLET, attaché à un arbre et battu. Il a été relâché après avoir versé un pot-de-vin. Par la suite, le demandeur s’est caché pendant six mois. Il ne s’est jamais joint aux TLET et n’a jamais appuyé ce groupe.

[4]               En avril 2009, le demandeur et les membres de sa famille se sont livrés à l’armée du Sri Lanka et ont été dirigés vers un camp de secours. Le demandeur a été torturé par l’armée. Des membres de l’armée ont écrasé ses doigts avec leurs bottes pendant qu’ils l’interrogeaient et ils l’ont battu, suspendu la tête en bas et obligé à inhaler des vapeurs d’essence. En septembre 2009, le demandeur a été libéré du camp.

[5]               Entre le moment où il a été libéré du camp et 2011, le parti démocratique du peuple de l’Eelam [EPDP] a tenté de le recruter à titre d’informateur pour qu’il livre les noms d’anciens membres des TLET. Le demandeur a refusé, et il a été battu avec un tuyau rempli de ciment et menacé de mort s’il continuait de refuser de devenir un informateur. Cette agression l’a poussé à s’enfuir du Sri Lanka.

[6]               Le demandeur dit craindre d’être forcé de se joindre à l’EPDP à titre d’informateur s’il est renvoyé au Sri Lanka. Il affirme également être exposé à un risque parce qu’il est perçu comme ayant des liens avec les TLET.

II.                Décision

[7]               La Commission a conclu que le demandeur n’avait aucune crédibilité et elle a rejeté sa demande d’asile. La Commission a également conclu, à titre subsidiaire, qu’en raison des changements dans les conditions du pays, il n’était pas un réfugié au sens de la Convention et n’était pas exposé à un risque.

III.             Questions en litige

[8]               Le demandeur conteste les conclusions quant à la crédibilité et la conclusion de la Commission concernant les conditions dans le pays.

A.                Question no 1 – Crédibilité

[9]               À mon avis, deux conclusions sur la crédibilité demeuraient pertinentes lors de l’évaluation des conditions dans le pays. La première, au paragraphe 27 de la décision, est celle selon laquelle le demandeur n’était pas soupçonné d’avoir des liens avec les TLET. La deuxième est celle selon laquelle l’EPDP n’a pas tenté de recruter de force le demandeur à titre d’informateur. Le demandeur affirme que les deux conclusions sont déraisonnables. Je les examinerai tour à tour.

(1)               Liens perçus avec les TLET

[10]           Le demandeur a déclaré qu’il n’avait aucun lien avec les TLET, et l’examen de la transcription (dossier certifié du tribunal, aux pages 373 à 376) révèle qu’il n’a pas déclaré que quelqu’un le soupçonnait d’entretenir de tels liens ou considérait qu’il était lié aux TLET. Il a plutôt affirmé que parce qu’il avait grandi dans une région contrôlée par les TLET, l’EPDP croyait qu’il pourrait les aider à identifier des membres des TLET.

[11]           À la lumière de ce témoignage, la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’était pas soupçonné d’avoir des liens avec les TLET était raisonnable. Selon les principes directeurs du HCR concernant l’évaluation du droit à la protection internationale des demandeurs d’asile Sri lankais [principes directeurs de l’ONU], publiés le 5 juillet 2010, le demandeur n’était donc pas exposé à un risque.

(2)               Recrutement forcé par l’EPDP

[12]           La Commission n’a pas cru que le demandeur avait été battu ou menacé de mort parce qu’il avait refusé d’agir à titre d’informateur pour l’EPDP, et elle a conclu que l’EPDP n’était pas à sa recherche. Au paragraphe 10 de sa décision, la Commission a mentionné qu’elle était parvenue à cette conclusion parce qu’aucun élément de preuve documentaire ne démontrait que l’EPDP forçait les gens à joindre les rangs du parti. La Commission fait observer que cela contraste vivement avec la très grande quantité d’éléments de preuve documentaire démontrant que les TLET contraignaient les gens à se joindre à eux.

[13]           Le demandeur affirme qu’il s’agit là d’une erreur parce qu’un document figurant dans le dossier de Citoyenneté et Immigration sur le pays indique que le groupe « Karuna » recrutait des enfants soldats. Toutefois, il est clair que cette référence ne s’appliquait pas à l’EPDP. Par conséquent, la conclusion défavorable quant à la crédibilité tirée par la Commission au regard de cette question était également raisonnable. Le demandeur n’était donc pas exposé à un risque parce qu’aucun des documents traitant des conditions dans le pays ne mentionnait que l’EPDP constituait un risque pour les Tamouls correspondant au profil du demandeur.

[14]           À mon avis, même si tous les autres éléments de preuve présentés par le demandeur avaient été jugés crédibles, la demande d’asile aurait été rejetée en raison des changements dans les conditions du pays.

B.                 Question no 2 – Changements dans les conditions du pays

[15]           La Commission s’est fondée sur les principes directeurs de l’ONU pour conclure que le demandeur n’avait pas le profil d’une personne à risque parce qu’il n’était pas soupçonné d’avoir des liens avec les TLET.

[16]           La Commission a souligné que le fait que les principes directeurs aient été mis à jour le 5 juillet 2010 indique que le HCR a déterminé, à cette date, que des changements substantiels et durables étaient survenus. La Commission a donc conclu qu’un jeune homme du Nord du Sri Lanka pouvait retourner au pays sans craindre d’être persécuté ou de subir un préjudice au titre de l’article 97 de la Loi.

[17]           Selon le demandeur, la Commission a ignoré un rapport d’octobre 2010 du Service de l’immigration du Danemark. Toutefois, étant donné la présomption selon laquelle la Commission a pris en compte tous les éléments de preuve dont elle disposait, l’examen minutieux qu’a fait la Commission des documents et le fait que la Commission a reconnu que certains renseignements étaient incohérents et que la situation au Sri Lanka n’était pas parfaite, je ne peux pas conclure que le rapport a été ignoré. Il semble plutôt que la Commission a préféré se fier aux principes directeurs de l’ONU et au rapport plus récent et plus exhaustif de l’agence frontalière du Royaume‑Uni du 11 novembre 2011. À mon avis, la Commission a traité la preuve de manière raisonnable.

[18]           Le demandeur fait également observer que la Commission n’a pas mentionné le rapport du Département d’État des États‑Unis du 24 mai 2012. Selon ce rapport, le nombre de groupes paramilitaires et de gangs criminels dans le Nord est en hausse, et d’anciens membres et des partisans des TLET ont été victimes d’enlèvement contre rançon, de torture et de meurtre. De plus, des Tamouls ont été visés par des incidents de violation des droits de la personne, de discrimination et de harcèlement commis par les forces de sécurité des groupes paramilitaires. Toutefois, la Commission a noté que la discrimination ne constituait pas de la persécution et que rien dans le rapport ne laissait entendre que les actes de violation des droits de la personne ou les incidents de harcèlement équivalaient à de la persécution. Les enlèvements sont décrits dans le rapport comme étant des activités criminelles ou anti-TLET, et il ne s’agit pas là d’aspects importants dans le contexte de la demande d’asile du demandeur. Par conséquent, je ne peux reprocher à la Commission de ne pas avoir fait mention de ce rapport.

[19]           Le demandeur affirme par ailleurs que la Commission a commis une erreur en n’appliquant pas un critère à trois volets (changement important, réel et durable) dans son évaluation des conditions dans le pays. Toutefois, il est maintenant clair en droit qu’il n’existe pas de tel critère : voir Yousef c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] ACF no 35 et Fernandopoulle c Canada (Mnistre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 CAF 91.

IV.             Conclusion

[20]           Pour tous ces motifs, la demande sera rejetée.

V.                Question certifiée

[21]           Aucune question à certifier n’a été proposée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée.

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Stéphanie Champagne

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIER :

IMM-1273-13

 

INTITULÉ :

ANTON JEKATHAS ANTHONIPPILLAI c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 JUIN 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 JUIN 2014

 

COMPARUTIONS :

HADAYT NAZAMI

 

POUR LE DEMANDEUR

 

AMY KING

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman Nazami & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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