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Date : 20140626


Dossier : IMM-5274-13

Référence : 2014 CF 618

Ottawa (Ontario), le 26 juin 2014

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

PRASATH NAGENDRARASA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Une demande de contrôle judiciaire a été faite de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié le 10 juin 2013.

[2]               La SPR avait refusé de donner suite à une demande faite en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

[3]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire faite en vertu de l’article 72 de la Loi.

[4]               Après avoir considéré les plaidoiries des parties et avoir examiné le dossier, la Cour a conclu que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée pour les raisons qui suivent.

[5]               Le demandeur prétend craindre la persécution au Sri Lanka. Il est un homme d’ethnicité tamoul en provenance du nord-est de ce pays. Il était âgé de 24 ans au moment de l’audience. Lui et sa famille travaillaient comme pêcheurs. Son père aurait été victime des membres des Tigres de libération de l’Eelam tamoul [LTTE] qui auraient réquisitionné un des deux bateaux de la famille en 2001, puis l’autre en 2006. Le demandeur aurait été arrêté par les autorités sri lankaises en 2006, battu et interrogé sur des liens possibles avec les LTTE. En 2009, un groupe se présentant comme le « groupe Karuna » aurait tenté d’extorquer le père du demandeur et aurait séquestré le demandeur pendant une semaine afin de forcer son père à payer ce qui serait une rançon. Un membre du groupe Karuna aurait par la suite dénoncé le demandeur à l’armée comme complice des LTTE, disant qu’il prêtait ses bateaux aux guérillas. Il aurait été emprisonné de mai 2010 jusqu’au 20 août 2010. Il s’est évadé ou a été relâché en août 2010.

[6]               En fin de compte, il ressort de la version du demandeur qu’il n’est pas clair s’il craint la persécution de la part des LTTE, du groupe Karuna, des autorités gouvernementales, ou de toutes ces parties.

[7]               Son périple pour se retrouver au Canada aura pris un certain temps. Le demandeur témoigne qu’il a quitté le Sri Lanka le 1er septembre 2010 et après un long voyage est arrivé à la frontière canadienne à Lacolle, Québec, le 2 mai 2012.

[8]               Il aurait voyagé du Sri Lanka en Afrique du Sud et au Kenya en septembre 2010. Ensuite il est retourné en Afrique du Sud en février 2011 et a pris un vol à destination du Brésil, soit en février, soit en mai 2011, arrivant à Sao Paulo. Entre le 11 mai et le 11 juin 2011, il a conduit une voiture, ou a été conduit en voiture, jusqu’à la frontière nord du Brésil et à travers la Colombie, le Panama, le Nicaragua, et le Honduras, arrivant finalement au Salvador. De là, il est parti vers le Mexique en voiture en septembre 2011.

[9]               Il a été arrêté le 25 décembre 2011 en tentant de traverser la frontière entre le Mexique et le Texas. Les autorités américaines l’ont libéré vers le 28 mars 2012 sur cautionnement de
3 000 $ payé par un oncle à New York. Il est allé vivre avec l’oncle pendant quelques semaines et a soumis une demande d’asile aux États-Unis. Toutefois, il n’a pas attendu son audience aux États-Unis, expliquant que son oncle ne pouvait plus l’aider et qu’il préférait rechercher la protection du Canada. Comme noté, il est arrivé au Canada le 2 mai 2012.

[10]           La SPR a conclu que la version du demandeur était invraisemblable, ce qui entache évidemment toute sa crédibilité. Ainsi, toute l’histoire à propos des bateaux de pêche familiaux comportait des incohérences. Il avait déclaré initialement que « [n]othing happened with boats » entre 2001 et 2006, ensuite il avait déclaré qu’entre 2002 et 2006 « the LTTE took away our boat more frequently ». Confronté à l’audience, il a expliqué qu’il n’avait pas compris la question dans le formulaire d’information personnel. Vu l’importance de l’allégation de collaboration avec les LTTE pour sa demande d’asile, la SPR n’a pas accepté qu’il n’avait pas pu témoigner clairement sur ce point central à sa demande d’asile.

[11]           Il ne pouvait fournir des détails de sa supposée évasion de prison en août 2010 et avait plutôt témoigné devant les autorités américaines que l’armée l’avait libéré en lui disant de quitter le pays, sans quoi il serait arrêté de nouveau. Il a expliqué cette contradiction en disant qu’il avait été interrogé par vidéoconférence par les autorités américaines et n’avait pas bien compris.

[12]           Le demandeur avait changé à plusieurs reprises son récit concernant son voyage du Sri Lanka jusqu’au Canada. La SPR a essayé de déterminer s’il affirmait qu’il avait traversé le Venezuela pour se rendre du Brésil jusqu’à la Colombie, et s’il affirmait qu’il avait pris un bateau pour se rendre de la Colombie au Panama. Le tribunal a souligné qu’il n’y a pas d’autoroute reliant le Brésil et la Colombie, que le demandeur affirmait avoir traversé ces deux grands pays en sept ou huit jours durant la saison des pluies, et qu’apparemment il n’avait rien observé en route, y compris le fait que la Colombie est en conflit armé avec les FARC. Le tribunal a conclu que ce n’était pas crédible. La SPR n’était donc pas en mesure de déterminer quand il avait quitté le Sri Lanka, ni où il avait vécu avant son arrestation au Texas. On aurait pu croire qu’un voyage aussi remarquable aurait laissé une impression plus marquée.

[13]           La SPR n’était pas plus satisfaite des explications pour ne pas être resté à New York en attendant l’issue de sa demande d’asile aux États-Unis. Le demandeur n’avait pas démontré que son oncle ne pouvait pas l’aider et il avait de la famille là-bas, contrairement à sa situation au Canada. Qui plus est la demande d’asile était déjà faite et était en attente de traitement.

[14]           Ainsi, sans grande surprise, la SPR est venue à la conclusion que le demandeur n’était pas crédible et que son histoire était invraisemblable; il n’avait donc pas fourni de preuve suffisante pour démontrer qu’il était réfugié ou personne à protéger.

[15]           Les deux questions en litige sont de savoir si la conclusion de la SPR était raisonnable et, le cas échéant, si le profil du demandeur peut être assez à lui seul, pour démontrer qu’il est suffisamment à risque s’il est retourné au Sri Lanka pour pouvoir bénéficier de l’article 97 de la Loi même si son histoire personnelle de persécution n’est pas crédible. Ainsi, le demandeur prétend que la SPR a ignoré l’abondante preuve documentaire qui supporte l’argument que le profil du demandeur en fait une cible.

[16]           Je suis d’avis que les conclusions de la SPR quant à la crédibilité étaient tout à fait raisonnables. Les contradictions et invraisemblances ont miné le témoignage et le demandeur, qui avait le fardeau de la preuve, n’avait aucune explication acceptable. Le rôle du juge en contrôle judiciaire n’est pas de réévaluer les faits, mais plutôt de voir à ce que la décision rendue soit raisonnable à la lumière du dossier. Ainsi, cette décision doit avoir les apanages de la raisonnabilité au sens de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 :

[47]      […] Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[17]           En l’espèce, le raisonnement du tribunal était justifié, transparent, et intelligible.

[18]           Pour ce qui est de l’argument du demandeur que la preuve objective des conditions au Sri Lanka pouvait fonder à elle seule sa demande d’asile, même si son histoire personnelle ne démontrait pas suffisamment une persécution passée ou un risque futur, le demandeur est confronté à la conclusion de la SPR qu’il ne peut être cru.

[19]           Il n’est pas face à une crédibilité jugée vacillante, où il serait possible de trouver malgré tout un appui dans la preuve documentaire qui viendrait pour ainsi dire remplir certains trous. C’est toute la version du demandeur qui n’est pas crue. Les allégations de tourments au Sri Lanka, l’évasion, le voyage en Afrique, puis en Amérique du Sud d’est en ouest, puis vers le nord traversant l’Amérique centrale, le Mexique, pour aboutir au Texas, rien n’a été retenu par la SPR. Comme je l’ai déjà exprimé, la décision de la SPR est raisonnable.

[20]           Il en découle que le demandeur voudrait bénéficier des articles 96 et 97 de la Loi sur la seule base de la preuve documentaire qui tendrait à indiquer que des jeunes gens comme lui sont plus à risque. En fait, cela revient à dire que le profil suffit, sans qu’il y ait quoique ce soit de plus précis au sujet des circonstances particulières de l’individu. Ainsi, un risque au mieux généralisé garantirait le succès du recours.

[21]           Puisque la preuve documentaire ne peut être corroborative en l’espèce, elle est seule à pouvoir supporter une conclusion que le risque n’est pas que généralisé. À mon sens, il eut fallu un minimum de preuve d’un risque personnalisé. La preuve documentaire n’est que générale.

[22]           Une décision du Juge Boivin, alors qu’il était de cette cour, va dans le même sens. Dans Ayikeze c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1395, on note en particulier le paragraphe 22 :

[22]      La jurisprudence de cette Cour est claire à l’effet qu’il incombe à la demanderesse de faire le lien entre la preuve objective et sa situation personnelle et, en l’espèce, la demanderesse n’a pas démontré qu’elle a été menacée ou qu’elle le serait advenant un retour au Burundi. La preuve documentaire au dossier, à elle seule, ne peut suppléer au manque de preuve liée au cas particulier de la demanderesse (citant Dreta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1239, 142 ACWS (3e) 493 et Nazaire c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 416, 150 ACWS (3e) 902).

[23]           Le demandeur a de son côté plaidé les décisions Kulasekaram c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 388, et Ponniah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 190. Qu’il suffise de constater que ces décisions procèdent de trames factuelles bien différentes du cas d’espèce où il ne reste rien de la version du demandeur. Quoiqu’il en soit, la décision de la Cour d’appel fédérale dans Prophète c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 31 me semble disposer de la question. Les paragraphes 3 et 10 suffiront pour illustrer le propos :

[3]        Pour se voir reconnaître la qualité de personne à protéger, l’appelant devait démontrer à la Commission, selon la prépondérance des probabilités, que son renvoi à Haïti l’exposerait personnellement à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas (italiques ajoutés) (les dispositions législatives applicables sont annexées aux présents motifs).

[…]

[10]      Dans le cas qui nous occupe (Prophète c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 331), le juge de première instance disposait d’éléments de preuve qui lui permettaient de conclure que :

[23]      …le demandeur n’est pas personnellement exposé à un risque auquel ne sont pas exposés généralement les autres individus qui sont à Haïti ou qui viennent d’Haïti. Le risque d’être visé par quelque forme de criminalité est général et est ressenti par tous les Haïtiens. Bien qu’un nombre précis d’individus puissent être visés plus fréquemment en raison de leur richesse, tous les Haïtiens risquent de devenir des victimes de violence.

[24]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont pas suggéré de question grave de portée générale et il n’y a pas de question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.

 

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5274-13

 

INTITULÉ :

PRASATH NAGENDRARASA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 mai 2014

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 juin 2014

 

COMPARUTIONS :

Me Myriam Harbec

 

Pour le demandeur

 

Me Émilie Tremblay

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocate

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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