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Date : 20140625


Dossier : IMM-6342-13

Référence : 2014 CF 612

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 juin 2014

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

JIN, Liwen

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               Dans la présente demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 [LIPR], on conteste la décision d’une agente de l’immigration.

[2]               L’agente d’immigration dans sa décision du 22 mai 2013 rejette une demande de visa de résident permanent au titre de la catégorie de l’expérience canadienne.

[3]               Dans sa décision communiquée par courriel, l’agente d’immigration déclare ce qui suit :

[Traduction] Vous n’avez pas fourni de preuve tangible de votre retour au Canada, c.-à-d. une copie d’achat d’un [sic] billet d’avion, une offre d’emploi ou un contrat de travail à Toronto. En outre, rien n’indique que Yutong Wu est le propriétaire du logement en copropriété; vous n’avez pas également fourni une copie d’un bail signé. Compte tenu des éléments susmentionnés, je ne suis pas convaincu de votre intention de vous établir au Canada et dans une autre province que celle de [sic] Québec.

[4]               La présente lettre de décision fait suite à ce que l’on a appelé une « lettre d’équité »  qui a été envoyée le 20 février 2013 qui vise à indiquer aux demandeurs la raison pour laquelle leur demande sera refusée si des renseignements supplémentaires ou des éléments de preuve ne sont pas fournis. En l’espèce, la seule indication de préoccupations se lit comme suit :

[Traduction] Veuillez fournir une preuve écrite de votre intention de vivre dans une autre province que celle de Québec en vue que je puisse me prononcer définitivement à l’égard de votre demande. Si votre réponse ne comporte pas de renseignements ou de documents supplémentaires ou si vos arguments ne répondent pas à ces préoccupations, votre [sic] demande pourrait être rejetée.

[5]               Dans le délai de 30 jours prévu aux fins de réponse, la demanderesse par l’intermédiaire d’un représentant qui n’était pas son avocat à l’instance, a communiqué un courriel à l’agente d’immigration en date du 19 mars 2013 dans lequel il est indiqué que la demanderesse a quitté le Canada; une copie du passeport de la demanderesse montrant son entrée en Chine le 21 juin 2012 était également annexée. Dans ce courriel, il est également indiqué que la demanderesse travaille à Shanghaï depuis le 1er novembre 2012. Le troisième paragraphe est particulièrement pertinent et se lit comme suit :

[Traduction] Mme Jin prévoit de revenir au Canada le 1er septembre 2014. Elle louera un logement en copropriété à Toronto. Veuillez consulter la confirmation ci-jointe à cet égard. Mme Jin a vécu et a fait ses études à London (Ontario) de septembre 2006 à octobre 2010. Elle prévoit de s’établir en Ontario du fait que sa langue seconde est l’anglais et de ses liens avec cette province. Elle pense qu’il serait difficile de trouver un emploi permanent au Québec étant donné qu’elle ne parle pas le français.

[6]               Il y a en effet une lettre confirmant son emploi à Shanghaï et un document non daté étayant que Mme Jin louera le logement en copropriété dont Yutong Wu est le propriétaire.

[7]               Les parties ne contestent pas le fait que la norme de contrôle en l’espèce est celle du caractère raisonnable. Il faut donc établir si la lettre de décision du 22 mai 2013 répond à la norme du caractère raisonnable. Selon moi, elle n’y répond pas.

[8]               On s’est inquiété en premier lieu du fait que la demanderesse résiderait en fait dans la province de Québec. Comme indiqué dans cette lettre, [Traduction] « La catégorie de l’expérience canadienne est une catégorie règlementaire de personnes qui peuvent devenir des résidents permanents du fait de leur expérience au Canada et qui cherchent à s’établir dans une province autre que le Québec. » Par conséquent, la demanderesse par l’intermédiaire d’un représentant, a cherché à atténuer la préoccupation à ce sujet en apportant la preuve qu’elle résiderait en effet dans une province autre que celle de Québec. La demanderesse a répondu à la préoccupation soulevée.

[9]               Toutefois la lettre de décision change de sujet – la décision repose sur l’argument selon lequel [Traduction] « Vous n’avez pas fourni de preuve tangible de votre retour au Canada. » La préoccupation liée au fait que la demanderesse résiderait au Québec et devenue comme par magie celle de savoir si la demanderesse retournerait tout simplement au Canada. On peut se demander pour quelle raison une demanderesse se donnerait la peine de faire appel aux services d’un expert-conseil et de remplir les divers formulaires et questionnaires, si son intention n’est pas de revenir au Canada. Par ailleurs, l’autre explication sur les documents qui semblent faire défaut semble inexacte. Selon l’agente d’immigration, rien n’indique que Yutong Wu est le propriétaire du logement en copropriété. Ce n’est pas le cas. Compte tenu de la preuve dont dispose le décideur, cette personne est le propriétaire du logement en copropriété. Rien n’indique dans la décision la raison pour laquelle l’agente d’immigration réfuterait ces renseignements.

[10]           Selon moi, il est déraisonnable d’exiger par exemple d’une demanderesse, qu’elle achète un billet d’avion, et débourse des frais importants à la seule fin de convaincre une agente d’immigration qu’elle prévoit de se prévaloir du visa de résidence permanente dont elle a fait la demande. Il serait plus raisonnable d’acheter un billet d’avion onéreux après confirmation par les autorités canadiennes qu’un visa sera délivré. Par ailleurs, rien n’indique la raison pour laquelle la lettre du propriétaire du logement en copropriété ne serait pas suffisante, et il serait nécessaire de fournir la preuve d’un bail signé.

[11]           Par conséquent, la demande a été refusée sur le fondement de préoccupations qui n’avaient pas été soulevées dans la lettre d’équité et pour des raisons qui semblent être à première vue peu convaincantes. On doit tenir compte du fait que la communication des renseignements a eu lieu près de six mois avant le retour éventuel de la demanderesse au Canada. Si l’agente d’immigration s’inquiétait quant à la situation en matière d’emploi une fois à Toronto, elle aurait pu et selon loi, elle aurait dû en faire part à la demanderesse. Limiter ses craintes au lieu de résidence de la demanderesse dans la province de Québec voue la demanderesse à l’échec s’il y a d’autres préoccupations.

[12]           Le défendeur a fait allusion à la jurisprudence qui établit qu’il n’est pas nécessaire de discuter avec les demandeurs au sujet de leur crédibilité ou de la véracité des renseignements présentés à l’appui d’une demande (Hassani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, [2007] 3 RCF 501).

[13]           À cet égard, ce n’est pas le cas en l’espèce.  Le défendeur a soulevé dans la lettre d’équité une préoccupation très précise quant à la résidence de la demanderesse dans la province de Québec. C’est la question qui est directement abordée dans la réponse. La discussion ne se poursuit pas quant à la crédibilité ou à la véracité de ces renseignements. La raison du refus repose plutôt sur une question totalement différente, soit le retour pur et simple de la demanderesse au Canada. La définition de « technique de diversion » dans le Black’s Law Dictionary (West Group, 7th ed.) est la suivante : [Traduction] « Une pratique commerciale selon laquelle un commerçant fait la promotion d’un produit moins coûteux en vue d’attirer les consommateurs dans le magasin uniquement en vue de les inciter à acheter un produit à prix plus élevé. » Même si la plupart des analogies sont quelque peu erronées, celle-ci vise à illustrer le fait que l’on laisse la demanderesse croire que la question en jeu porte sur un sujet particulier, alors qu’en fait elle porte sur un autre élément de niveau supérieur.

[14]           Je ne contesterais pas que les préoccupations concernant la résidence de la demanderesse dans la province de Québec étaient légitimes. Dans sa demande initiale, il était manifeste qu’à la suite de ses études à London (Ontario), la demanderesse a résidé dans la province de Québec et y a en effet occupé un emploi. Toutefois, il incombait à l’agente d’immigration de répondre à ces préoccupations compte tenu des renseignements fournis le 19 mars. Ils étaient présumés répondre aux préoccupations soulevées dans la lettre d’équité, et à mon avis, il était déraisonnable de rejeter la demande de résidence permanente sur un fondement complètement différent dont il n’a même pas été fait mention. Si des doutes quant à la résidence au Québec justifiaient une lettre d’équité, il devait en être de même pour ceux concernant le retour au Canada.

[15]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, et la présente demande de résidence permanente au titre de la catégorie de l’expérience canadienne doit être réévaluée et examinée de nouveau par un autre agent d’immigration. Il n’y a aucune question aux fins de certification.


ORDONNANCE

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, et que la présente demande de résidence permanente au titre de la catégorie de l’expérience canadienne doit être réévaluée et examinée de nouveau par un autre agent d’immigration. Il n’y a aucune question aux fins de certification.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6342-13

 

INTITULÉ :

JIN, Liwen c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 MAI 2014

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 JUIN 2014

 

COMPARUTIONS :

Jean-François Bertrand

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Pavol Janura

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertrand, Deslauriers Avocats Inc.

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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