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Date : 20140624


Dossier : T-1011-13

Référence : 2014 CF 607

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 24 juin 2014

 

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

UMBERTO TAMBORRIELLO

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision qui a rejeté la demande de reclassification de poste présentée par le demandeur, M. Umberto Tamborriello. La demande est présentée au titre de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7.

[2]               La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire a été rendue le 6 mai 2013 par la Déléguée de l’administrateur général par suite de la recommandation du Comité de règlement des griefs de classification (le Comité) de Transport Canada.

[3]               Le poste de M. Tamborriello en est un d’inspecteur de la sécurité de l’aviation civile dont la classification est AO-CAI-02. AO signifie « groupe Navigation aérienne » et CAI signifie « inspection de l’aviation civile ». Le demandeur cherchait à obtenir la reclassification de son poste en fonction des cotations qu’il proposait pour les nombreux facteurs ou éléments qui sont pris en considération pour établir la classification des postes de cette nature. Le Comité a déterminé que le nombre total de points était de 462, alors que le demandeur proposait que ce nombre passe à 593.

I.                   Les faits

[4]               Il ne sera pas nécessaire de décrire les faits de la présente affaire au vu du seul argument qui a été soumis à la Cour.

[5]               Comme il a déjà été souligné, les facteurs sont cotés afin d’en arriver à un nombre total de points. Le niveau d’un poste est établi en fonction du total des points. En l’espèce, afin d’être classifié au niveau suivant, AO-CAI-03, le demandeur devait totaliser au moins 491 points.

[6]               Voici les facteurs pris en compte avec le degré attribué à chacun d’eux ainsi que le nombre de points proposés et donnés :

Cotation proposée par le demandeur

Facteurs/Éléments    

Degré

Points

1.                  Connaissances

3

238

2.                  Décisions et recommandations

C2

185

3.                  Responsabilité de gestion

A2

80

4.                  Environnement de travail

2

20

5.                  Exigences de vol

3

70

Total

 

593

Cotation à laquelle la Déléguée de l’administrateur général est arrivée

Facteurs/Éléments

Degré

Points

1.                  Connaissances

2

182

2.                  Décisions et recommandations

B2

140

3.                  Responsabilité de gestion

A1

50

4.                  Environnement de travail

2

20

5.                  Exigences de vol

3

70

Total

 

462

[7]               Comme on peut facilement le constater, le demandeur soutenait que les facteurs qui avaient été cotés avaient été sous‑évalués par rapport à des descriptions de postes comparables. Par exemple, M. Tamborriello soutenait que le niveau de connaissances exigé par son poste est plus élevé que celui qui se trouvait dans la description du poste. En comparant ce qu’il considère être le niveau de connaissances exigé à celui de postes comparables, il a laissé entendre que le degré devrait s’établir à 3 plutôt qu’à 2, ce qui correspond à une différence de 56 points (238‑182).

[8]               De toute évidence, le demandeur acceptait la classification attribuée au facteur « 4. Environnement de travail » et au facteur « 5. Exigences de vol ». Il n’acceptait pas les trois autres.

[9]               Un examen de la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire démontre que le Comité a procédé à une comparaison méticuleuse des descriptions de postes pour en arriver à une conclusion quant au degré devant être associé à chaque facteur. Le facteur « Connaissances » s’est vu attribuer la cote 2, parce que, lorsqu’on les comparait à d’autres postes, les exigences n’étaient pas aussi élevées que celles correspondant à un poste se situant à un niveau plus élevé. Le facteur « Décisions et recommandations » s’est vu attribuer la cote B pour la portée du poste et la cote 2 pour les répercussions. Le facteur « Responsabilité de gestion » a reçu la cote A pour la difficulté ou la diversité des tâches de direction et la cote 1 pour la responsabilité.

II.                Les arguments

[10]           Deux arguments ont initialement été soumis dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire :

1.                  La Déléguée de l’administrateur général a manqué à son devoir d’équité procédurale à l’égard du demandeur, en ce qu’elle a omis de divulguer l’existence d’une description de travail générique relativement au facteur « Enquêtes sur l’application de la loi – Opérations aériennes », à l’élaboration duquel l’employeur travaillait au moment où on traitait le grief du demandeur. Cette négligence, ou omission, a empêché le demandeur de participer de façon significative au processus décisionnel.

2.                  La Déléguée de l’administrateur général a fondé sa décision sur une recommandation qui était viciée, étant donné que le Comité de règlement des griefs de classification avait basé sa recommandation sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait. Quoi qu’il en soit, la décision est déraisonnable en ce qui touche à l’évaluation de descriptions de postes comparables.

III.             La norme de contrôle

[11]           Les parties s’entendent pour dire que la norme de contrôle applicable à la première question est la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339; Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 RCF 392). La norme de la raisonnabilité s’applique toutefois au contrôle judiciaire des décisions relatives à la classification (Canada (Procureur général) c Gilbert, 2009 CAF 76).

IV.             Analyse

[12]           La deuxième question peut être traitée prestement, étant donné que le demandeur a renoncé à ses prétentions lors de l’audience. Il s’agit d’une sage concession, et la Cour n’a pas eu à se pencher sur cette question.

[13]           La norme de la raisonnabilité commande un certain degré de déférence à l’égard des décideurs. La Cour suprême du Canada a décrit la norme ainsi dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 :

[47]      […] Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire était justifiée, transparente et intelligible. Elle appartenait clairement aux issues possibles acceptables.

[14]           L’argument relatif à l’équité de la procédure se fonde sur l’obligation selon laquelle l’employeur serait tenu de divulguer au demandeur l’information lui permettant de participer adéquatement au processus décisionnel. Le fait que le demandeur se soit vu priver de la possibilité d’avoir un accès complet à la description de travail générique et à la justification de sa classification l’a mis dans une position où il n’a pu faire valoir une meilleure argumentation devant le Comité de règlement des griefs de classification.

[15]           L’argument revient à ceci : alors que le grief était à l’étude, l’employeur travaillait à l’élaboration d’une description de travail générique et à la justification de sa classification. En réalité, les nouveaux instruments sont entrés en vigueur le 5 mai 2013, mais faisaient l’objet de discussions depuis le mois d’octobre 2012. La recommandation du Comité de règlement des griefs de classification, qui a été approuvée par la Déléguée de l’administrateur général, fut rendue le 6 mai 2013.

[16]           La classification qui fut attribuée à cette description de travail générique est AO‑CAI‑02, et l’échelle de cotation s’établit ainsi :

Facteurs/Éléments

Degré

Points

1.                  Connaissances

2

182

2.                  Décisions et recommandations

C1

150

3.                  Responsabilité de gestion

A2

80

4.                  Environnement de travail

2

20

5.                  Exigences de vol

1

15

Total

 

447

[17]           Le demandeur soutient qu’il s’est vu priver de la possibilité de faire valoir des arguments relativement aux facteurs 2 et 3. Il soutient que, si on lui avait attribué 150 points pour le facteur « Décisions et recommandations » (au lieu de 140) et 80 points pour le facteur « Responsabilité de gestion » (au lieu de 50), il aurait dépassé le seuil de 491 points (pour un total de 502 points).

[18]           Il est manifeste que cet argument ne tient pas compte du fait que cette nouvelle description de travail générique résulte d’une nouvelle pondération apportée aux facteurs de la description par laquelle l’employeur souhaitait accorder des valeurs plus élevées au facteur « Enquêtes sur l’application de la loi – Opérations aériennes », par rapport aux facteurs « Décisions et recommandations » et « Responsabilité de gestion », et réduire les valeurs accordées au facteur « Exigences de vol » dont la cotation baisse de 70 à 10, en raison de l’attribution d’un degré moins élevé qui le fait passer de 3 à 1. En d’autres mots, la nouvelle description accorde plus d’importance aux facteurs « Décisions et recommandations » et « Responsabilité de gestion » et moins d’importance au facteur « Exigences de vol ».

[19]           Le demandeur n’a pas même tenté d’établir une similitude entre la description de travail générique et celle faisant l’objet de la présente demande, alléguant plutôt qu’il existait un [traduction] « lien » entre les deux.

[20]           La procédure de grief portant sur les décisions afférentes à la classification est, bien entendu, soumise au principe de l’équité procédurale. Toutefois, la teneur du devoir d’agir équitablement auquel le demandeur est en droit de s’attendre est « plus ou moins étendue selon la nature des intérêts affectés par la décision et la nature de la procédure en question » (Chong c Canada (Conseil du trésor), [1999] ACF no 176, 170 DLR (4e) 641 (Chong)).

[21]           Dans les affaires comme celle en l’espèce, le degré d’équité procédurale qui s’impose se situe du côté d’une moindre exigence (Chong). En l’espèce, le demandeur soutient que le degré d’équité procédurale exigé est celui que l’on trouve dans Groulx c Cormier, 2007 CF 293. Le juge Blais, tel était alors son titre, a conclu qu’il existait un devoir de communiquer au plaignant les « les informations cruciales au litige » (au paragraphe 19).

[22]           Je ne vois pas comment les informations qui n’ont pas été communiquées au demandeur peuvent être considérées comme décisives, ou même cruciales, à plus forte raison essentielles. Le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau de démontrer que ces informations revêtaient une telle importance.

[23]           Si on avait soutenu que la nouvelle description de travail générique était la même ou présentait au moins une grande similitude avec celle à l’étude, il serait injuste d’attribuer aux facteurs de la nouvelle description des degrés plus élevés, ce qui aurait privé le demandeur du même traitement. Mais tel n’est pas le cas.

[24]           Les degrés attribués pour la classification de la description de travail générique étaient les mêmes que ceux attribués à la description de poste en l’espèce. La nouvelle description de travail générique n’est rien d’autre qu’une nouvelle description. Il s’agit d’une nouvelle pondération. Les employés devront améliorer leur rendement sur le plan des facteurs « Décisions et recommandations » et « Responsabilité de gestion » par rapport aux attentes antérieures, tandis que le facteur « Exigences de vol » verra sa contribution réduite.

[25]           Le demandeur n’a pas démontré en quoi ces informations auraient pu être essentielles; il affirme tout simplement qu’il aurait pu faire valoir des arguments, sans même laisser entendre comment cela aurait pu se faire. Sans plus, il est impossible de déterminer en quoi les informations auraient pu être décisives, cruciales ou essentielles. On ne voit même pas en quoi elles auraient pu avoir quelque valeur que ce soit. Il en est ainsi, parce qu’en l’absence de toute mesure permettant d’établir une similitude entre les postes, ces informations sont de peu d’utilité.

[26]           Tout ce que le demandeur a pu faire fut de laisser entendre qu’il y avait un [traduction] « lien » entre les deux descriptions de postes. Il existe sans doute un lien entre les deux. L’employeur, tel qu’il en a le droit, procède à la réorganisation de ses effectifs et a décidé d’utiliser une description de travail générique. Ma compréhension est que les enquêteurs, Application de la loi, comme M. Tamborriello, dont le poste était classifié AO-CAI-02 auraient accompli les tâches correspondant à un poste d’enquêteur chargé de l’application de la loi – Opérations aériennes, classifié AO-CAI-02, s’il n’avait pas pris sa retraite de la fonction publique. Il y a un lien, mais le demandeur n’est pas allé plus loin. Il n’a jamais soutenu qu’il existait des similitudes ou une mesure permettant d’établir des similitudes. Les tâches inhérentes aux nouveaux postes devront être accomplies différemment, parce qu’elles sont différentes : la description de travail générique modifie le degré d’importance accordé aux facteurs. Un lien ne crée toutefois pas une similitude qui rendrait la comparaison possible. Et s’il n’est pas possible de comparer, il n’est pas possible de soutenir avec succès que les informations sont essentielles au point que leur dissimulation au demandeur porte atteinte à l’obligation d’agir équitablement, puisque ces informations auraient pu changer la donne en raison de leur caractère essentiel.

[27]           Le demandeur a également soutenu qu’en l’absence de la description de travail générique, il ne pouvait savoir ce qu’il devait réfuter. Cela étant dit avec respect, cet argument fait fausse route. Il n’y a pas de position à contredire, et la description de travail générique qui s’applique à des circonstances différentes n’est d’aucune utilité pour faire valoir une cause par laquelle une nouvelle classification est demandée.

[28]           S’il y a une cause à établir, c’est celle qui oblige le demandeur à convaincre un comité des griefs de classification que le poste tel qu’il est décrit mérite une classification plus élevée. En l’espèce, c’est ce que le demandeur a tenté de faire. Il a comparé la description de son poste à d’autres descriptions et a cherché à établir une similitude faisant en sorte que, lorsque comparé à ces autres postes auxquels des degrés plus élevés ont été attribués relativement aux facteurs en question, son propre poste pouvait être considéré comme sous‑évalué. On ne peut soutenir que la description de travail générique est la position contraire à contredire. En fait, cette description a totalisé 447 points, soit un total inférieur à celui du poste que le demandeur occupait.

[29]           Cette proposition – une position contraire à contredire – repose sur la notion suivant laquelle une divulgation complète est nécessaire afin de pouvoir apprécier la cause. Cela était exprimé ainsi dans le mémoire des faits et du droit du demandeur : [TRADUCTION] « Une partie a droit à la divulgation complète afin de pouvoir apprécier sa cause, demander des renseignements et présenter sa preuve en disposant d’une connaissance des détails de la demande égale à celle dont les autres parties disposent »(au paragraphe 36).

[30]           Nous sommes loin du degré d’équité procédurale minimal. Le demandeur n’a pas fait valoir cet argument au cours de l’audience, et aucune source n’a été soumise à l’appui d’un degré d’équité procédurale aussi élevé. En fait, cette formulation n’est pas sans rappeler l’obligation de divulgation prévue en matière criminelle telle qu’elle est énoncée dans R c Stinchcombe, [1991] 3 RCS 326, où l’innocence de personnes accusées d’avoir commis des infractions est en jeu. Qu’il suffise de dire que les enjeux aux présentes sont complètement différents et, sans plus, la simple assertion suivant laquelle il existe une obligation de divulgation aussi étendue est infondée.

[31]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Les parties ont fait des représentations communes à l’effet que des dépens de 1500 $ devraient être adjugés. Par conséquent, des dépens de 1500 $ sont adjugés à l’encontre du demandeur.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Des dépens de 1500 $ sont adjugés à l’encontre du demandeur.

« Yvan Roy »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1011-13

 

INTITULÉ :

UMBERTO TAMBORRIELLO c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 JUIN 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

 

LE 24 JUIN 2014

COMPARUTIONS :

Phillip G. Hunt

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Joshua Alcock

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shields & Hunt

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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