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Date : 20140612


Dossier : T-409-13

Référence : 2014 CF 565

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 12 juin 2014

 

En présence de madame la juge Heneghan

 

Dossier : T-409-13

ENTRE :

EDWARD LAC

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               M. Lac (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire d’une décision relative à un grief de deuxième palier rendue au titre de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 (la Loi), et du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 (le Règlement). Dans cette décision, datée du 5 février 2013, le sous-commissaire adjoint, Opérations en établissement (le sous‑commissaire adjoint), a rejeté l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre de la décision rendue sur son grief de premier palier qui a rejeté sa demande de transfèrement de l’Établissement de Matsqui, qui est à sécurité moyenne, vers l’Établissement Ferndale, qui est à sécurité minimale.

[2]               Le demandeur demande à la Cour, à titre de réparations, de prendre les mesures suivantes :

[TRADUCTION]

a) rendre une ordonnance accordant une réparation au demandeur pour atteinte à ses droits prévus aux dispositions 1, 2, 7, 9 et 10c) de la Charte canadienne des droits et libertés, notamment le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, tel qu’il appert de l’examen de la preuve dont il ressort que la détention licite du demandeur lui cause un préjudice irréparable continu.

b) ordonner que la décision fondée sur les conclusions de fait erronées résultant du défaut du décideur antérieur de tenir compte des documents soumis par le demandeur au soutien de ses allégations d’inconduite soit écartée et que la décision à être rendue se fonde sur ces documents.

c) ordonner à toute commission fédérale, à tout commissaire, à tout tribunal ou à toute agence d’accomplir tout acte ou de faire toute chose qu’ils ont illégalement omis ou refusé de faire ou dont ils ont retardé l’accomplissement de façon déraisonnable.

d) ordonner l’annulation et renvoyer pour réexamen, conformément aux instructions que la Cour jugera appropriées, l’inconduite des décideurs qui ont rendu une décision injuste ou partiale et limitée qui a eu pour effet de causer un retard déraisonnable et de porter atteinte aux droits du demandeur garantis par la Charte.

e) ordonner que la confiance du public soit rétablie dans l’adhésion et l’administration de l’interprétation appropriée de la loi ou des faits pertinents appropriés devant servir à l’analyse et à l’appréciation du processus décisionnel, pour qu’il soit exécuté de façon juste et responsable et conformément à la loi par laquelle l’organisme législatif est régi.

I.                   Le contexte

[3]               Les faits qui suivent proviennent de l’affidavit du demandeur, daté du 2 avril 2014 et déposé au soutien de sa demande, de même que du Dossier certifié du tribunal.

[4]               Le demandeur purge une peine d’emprisonnement à l’Établissement de Matsqui par suite d’une déclaration de culpabilité, le 28 mai 2010, pour introduction par effraction dans une maison d’habitation, extorsion, agression armée et voies de fait graves. Il fut condamné à cinq ans et demi d’emprisonnement, après avoir eu un crédit pour le temps passé en détention présentencielle. Sa peine d’emprisonnement débuta en janvier 2010.

[5]               Le demandeur a fait appel en vain de ses déclarations de culpabilité, et sa demande d’autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada fut rejetée; voir R c Lac, [2012] CSCR no 90.

[6]               Le demandeur a commencé à purger sa peine en janvier 2010. En décembre 2010, il a obtenu un emploi à l’Établissement de Matsqui à titre d’aide de cuisine. Il a occupé différents emplois depuis et a obtenu de bons rapports d’évaluation. Il n’a commis aucun manquement à la discipline depuis qu’il est détenu à l’Établissement de Matsqui.

[7]               Le 6 juin 2012, le demandeur a présenté une demande de transfèrement de l’Établissement de Matsqui, à sécurité moyenne, vers l’Établissement Ferndale, à sécurité minimale. Dans le cadre de l’appréciation de sa demande, la cote de sécurité du demandeur fut examinée par une équipe de gestion des cas. L’équipe en arriva à la conclusion que la cote de sécurité moyenne assignée au demandeur était appropriée.

[8]               La demande de transfèrement du demandeur fut rejetée le 3 août 2012 par la directrice adjointe d’établissement (la directrice adjointe). La directrice adjointe observa que le demandeur n’avait commis aucun manquement à la discipline et que l’évaluation de son risque d’évasion était inchangée. La directrice adjointe observa également que le demandeur avait refusé de se présenter devant le Conseil du directeur d’établissement pour discuter de son cas, qu’il avait refusé de travailler avec son équipe de gestion des cas, qu’il avait refusé de discuter de ses antécédents criminels et qu’il refusait d’assumer la responsabilité des infractions qu’il avait commises.

[9]               De plus, la directrice adjointe observa que le demandeur semblait avoir un sens très aigu de ses droits, que ses infractions comportaient des actes de violence graves, que sa cote de sécurité en faisait toujours une menace moyenne pour la sécurité du public et que l’Établissement Ferndale s’était opposé à son transfèrement. La directrice adjointe conclut que le classement de sécurité du demandeur en faisait toujours un détenu à sécurité moyenne, et la demande de transfèrement fut rejetée.

[10]           Le 22 août 2012, le demandeur interjeta appel auprès du sous-commissaire régional du Service correctionnel du Canada par la voie d’un grief de deuxième palier. Il fut avisé qu’il était possible que la réponse lui soit communiquée vers le 26 septembre 2012. Le 25 septembre 2012, le demandeur fut avisé que la date à laquelle la réponse devait être rendue avait été reportée au 5 décembre 2012. Le demandeur écrivit au Service correctionnel du Canada le 2 octobre 2012 pour demander s’il y avait quoi que ce soit d’autre qu’il pouvait faire afin de faciliter le règlement de son grief. Il s’enquit également du délai prévu par la loi pour rendre une décision.

[11]           Le 24 octobre 2012, le demandeur reçut une réponse de l’analyste chargé d’examiner son grief. L’analyste fit observer que la directive du commissaire 081 (Plaintes et griefs des délinquants) établissait le délai à l’intérieur duquel les décideurs doivent rendre une décision relativement aux griefs des délinquants. L’analyste écrivit à nouveau au demandeur le 4 décembre 2012 pour l’informer que le calendrier à l’intérieur duquel une décision relative à son grief devait être rendue ne serait pas respecté et que la nouvelle date prévue pour ce faire était le 13 février 2013.

[12]           Par lettre datée du 6 février 2013, le coordonnateur régional fit parvenir une lettre au demandeur à laquelle la décision portant sur son appel était jointe. La décision est datée du 5 février 2013 et fut rendue par le sous-commissaire adjoint.

[13]           Le sous-commissaire adjoint estima que les critères servant à déterminer le niveau de sécurité d’un détenu correspondaient à ceux d’un établissement à sécurité moyenne ou minimale tel que cela est énoncé à l’article 18 du Règlement. Le sous-commissaire adjoint observa que, dans la décision de la directrice adjointe, la cote de sécurité assignée au demandeur qui en faisait un détenu à sécurité moyenne était appropriée au vu de l’adaptation au milieu carcéral, du risque d’évasion et de la menace pour la sécurité du public. Par conséquent, il ne répondait pas aux critères pour être incarcéré dans un établissement à sécurité minimale.

[14]           Le sous-commissaire adjoint traita également des observations du demandeur suivant lesquelles la directrice adjointe n’avait pas pleinement tenu compte de l’affidavit déposé à l’appui de sa demande. Le sous-commissaire adjoint conclut que la directrice adjointe avait mentionné dans ses motifs qu’elle avait tenu compte des observations du demandeur. La directrice adjointe exprima son inquiétude relativement à l’absence de volonté du demandeur de travailler avec son équipe de gestion de cas et qu’il en résultait, par conséquent, une lacune sur le plan des renseignements pouvant servir à l’attribution d’une cote de sécurité réduite au demandeur. Étant donné que la cote de sécurité qui lui était assignée ne répondait pas aux critères d’un établissement à sécurité minimale, c’est à juste titre que sa demande fut rejetée.

II.                Les questions en litige

[15]           Le demandeur ne soulève aucune question particulière, mais l’essentiel de ses observations porte sur le caractère injuste de sa déclaration de culpabilité. En attaquant la déclaration de culpabilité, le demandeur soulève des questions d’équité procédurale. Il conteste également le bien-fondé de la décision relative à son grief de deuxième palier, une fois de plus au motif qu’il a été injustement déclaré coupable.

[16]           Le défendeur soulève une question préliminaire relativement à l’affidavit déposé par le demandeur au soutien de la présente demande de contrôle judiciaire; il allègue que l’affidavit contient des documents qui n’ont pas été soumis au décideur et que la Cour ne devrait pas en tenir compte.

[17]           Le défendeur soulève ensuite en guise de question de fond le caractère prématuré de la demande; il allègue qu’étant donné que le demandeur n’a pas épuisé la procédure de grief prévue, la Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre la présente demande.

[18]           En outre, le défendeur traite du fond de la demande et soutient qu’il est bien établi en droit que la décision du sous-commissaire adjoint est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte en ce qui a trait à un manquement à l’équité procédurale. Le défendeur soutient que toutes les questions de fait sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité; voir la décision dans Reda c Canada (Attorney General) (2012), 404 FTR 85, au paragraphe 34.

III.             Analyse et conclusion

[19]           Je traiterai tout d’abord de l’affidavit du demandeur. Cet affidavit est accompagné de documents déposés en tant que pièces. Certains de ces documents, y compris ceux obtenus par le demandeur à la suite d’une demande présentée au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P‑21, et ceux contenant des renseignements sur son rendement, sa formation et le salaire qu’il touche pour son emploi à l’Établissement de Matsqui, de même que ceux concernant une tentative de se faire rembourser une réparation à ses lunettes, ne se trouvent pas au Dossier certifié du tribunal.

[20]           La règle d’application générale veut que seule la preuve documentaire dont disposait le décideur puisse être prise en considération par la Cour dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. De nouveaux documents peuvent être introduits dans des circonstances particulières, par exemple lorsqu’il s’agit d’une question d’équité procédurale ou de compétence. Voir à cet effet la décision Ontario Association of Architects c Association of Architectural Technologists of Ontario (2002), 291 NR 61, au paragraphe 30.

[21]           Les « nouveaux » documents soumis par le demandeur ne portent ni sur l’équité procédurale ni sur la compétence de la Cour, et ils ne seront pas pris en compte.

[22]           Je me penche maintenant sur la question du caractère prématuré.

[23]           L’article 90 de la Loi énonce la procédure de règlement des griefs des délinquants. Cette procédure comporte, tel qu’il est énoncé aux articles 74 à 82 du Règlement, quatre étapes qui sont les suivantes :

1)      une plainte initiale;

2)      un grief écrit au directeur du pénitencier (le grief de premier palier);

3)      un appel auprès du directeur de district (le grief de deuxième palier);

4)      un appel supplémentaire auprès du commissaire du Service correctionnel (le grief de troisième palier).

[24]           La procédure définie à la Loi et au Règlement est complétée par une directive du commissaire; aux présentes il s’agit de la directive 081 (Plaintes et griefs des délinquants). Cette directive prévoit, entre autres choses, les délais dans lesquels la procédure de grief doit se dérouler.

[25]           Il est bien établi que la Cour est investie du pouvoir discrétionnaire lui permettant de refuser d’entendre une demande de contrôle judiciaire lorsqu’il existe une autre voie de recours appropriée. Dans Giesbrecht c Canada et al. (1998), 148 FTR 81, au paragraphe 10, la Cour écrivait ce qui suit :

À première vue, le régime législatif régissant les griefs constitue une autre voie de recours appropriée par rapport au contrôle judiciaire. Les griefs doivent être traités rapidement et les directives du commissaire fixent des délais. Rien ne laisse croire que ce processus est coûteux. Il est probablement même moins coûteux et plus simple qu’une procédure de contrôle judiciaire. Un détenu peut interjeter appel d’une décision sur le fond au moyen de la procédure de grief et un tribunal d’appel peut substituer sa décision à celle du tribunal dont la décision est contestée. Le contrôle judiciaire ne vise pas le fond de la décision et une issue favorable au détenu aurait simplement pour conséquence de renvoyer l’affaire pour que le tribunal dont la décision a été contestée en rende une nouvelle.

[26]           Il ressort clairement du dossier que le demandeur n’a pas épuisé les voies de recours de la procédure de grief. Le paragraphe 80(1) du Règlement en vigueur lors du dépôt du grief du demandeur prévoit que lorsque le délinquant est insatisfait de la décision rendue au sujet de son grief par le directeur du pénitencier, il peut en appeler au directeur de district.

[27]           Le demandeur adopta cette voie de recours et interjeta appel auprès du sous-commissaire régional du Service correctionnel du Canada.

[28]           Le paragraphe 80(2) du Règlement en vigueur à l’époque pertinente prévoit qu’il peut être interjeté appel de la décision du directeur de district auprès du commissaire du service correctionnel.

[29]           Le demandeur n’a pas interjeté appel auprès du commissaire du service correctionnel. Cette omission est fatale.

[30]           Dans McMaster c Canada (Attorney General) (2008), 334 FTR 240, au paragraphe 27, il est écrit que la Cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre une demande « […] en présence de questions importantes et urgentes et de l’évidence du caractère inapproprié de la procédure de règlement des griefs ». Sur la foi du dossier, je ne vois aucune question urgente. En outre, il n’y a pas d’« évidence du caractère inapproprié » de la procédure de règlement des griefs.

[31]           Je traiterai brièvement des arguments généraux mis de l’avant par le demandeur au sujet d’un manquement à l’équité procédurale.

[32]           Le caractère fondamental de l’équité procédurale est de permettre à une partie concernée de faire valoir sa cause et de répondre aux arguments au contraire. Au vu du dossier en l’espèce, je suis convaincue que le demandeur a eu l’occasion de faire valoir sa cause. Il a choisi de procéder par voie de grief de deuxième palier; il a choisi de ne pas interjeter appel auprès du troisième palier. Il n’a pas été porté atteinte à son droit de faire valoir sa cause.

[33]           De même, je suis convaincue, au regard du dossier que j’ai devant moi, que tous les renseignements pertinents ont été divulgués au demandeur. Il n’existe aucune preuve d’« altération » du dossier, contrairement à ce que soutient le demandeur. En outre, bien que le retard mis pour traiter le grief de deuxième palier du demandeur soit préoccupant, le demandeur n’a présenté aucune preuve démontrant que ce retard lui avait causé un préjudice constituant un manquement à l’équité procédurale.

[34]           Il s’ensuit que la demande sera rejetée avec dépens. Je ferais remarquer que, même s’il avait été fait droit à sa demande, il n’existe aucun fondement au versement de dommages-intérêts de quelque montant que ce soit au demandeur. La demande de contrôle judiciaire ne permet pas de réclamer des dommages-intérêts. Sur cette question, je renvoie à la décision Canada c Tremblay, [2004] 4 RCF 165, au paragraphe 28.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens. Dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré aux termes de l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, j’adjuge des dépens de 250 $ au défendeur.

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

C. Laroche

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-409-13

 

INTITULÉ :

EDWARD LAC c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

ENTENDUE PAR VOIE DE VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 DÉcembrE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

 

LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

 

LE 12 JUIN 2014

COMPARUTIONS :

Edward Lac

 

POUR LE DEMANDEUR

(SE REPRÉSENTE LUI-MÊME)

 

Erica Louie

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Edward Lac

Abbotsford (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

(SE REPRÉSENTE LUI-MÊME)

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

pour le défendeur

 

 

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