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Date : 20140509


Dossier : T‑467‑14

Référence : 2014 CF 450

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 9 mai 2014

En présence de monsieur le juge Annis

 

ENTRE :

GEOPHYSICAL SERVICE INCORPORATED

demanderesse

et

OFFICE CANADA‑NOUVELLE‑ÉCOSSE DES HYDROCARBURES EXTRACÔTIERS

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Contexte de l’affaire

[1]               La demanderesse, Geophysical Service Incorporated [GSI], a saisi la Cour d’une requête en injonction interlocutoire enjoignant au défendeur, l’Office Canada‑Nouvelle‑Écosse des hydrocarbures extracôtiers [OCNEHE ou l’Office], de retirer de ses sites Internet un contenu dont la demanderesse revendique la propriété intellectuelle, des résultats de levés sismiques qu’elle a effectués dans la zone située au large des côtes de la Nouvelle‑Écosse [la zone extracôtière], et sollicite en outre des mesures de réparation connexes.

[2]               GSI est une entreprise de services géophysiques basée à Calgary, en Alberta. Elle a effectué, en zones côtière et extracôtière, des levés sismiques, qu’elle décrit comme étant des [traduction« levés non exclusifs » ou levés conjecturaux.

[3]               GSI revendique la propriété intellectuelle des données provenant de ces levés. Elle concède à ses clients – en général des sociétés de prospection et de production pétrolière et gazière [SPP] – des licences leur donnant accès à ces données, moyennant des droits d’utilisation. GSI est la titulaire enregistrée du droit d’auteur sur les données provenant de levés non exclusifs qui forme l’objet même de la présente affaire.

[4]               L’Office a été créé conjointement par l’article 9 de la Loi de mise en œuvre de l’Accord Canada‑Nouvelle‑Écosse sur les hydrocarbures extracôtiers, LC 1988, c 28, texte de loi fédéral, et l’article 9 du Canada‑Nova Scotia Offshore Petroleum Resources Accord Implementation (Nova Scotia) Act, SNS 1987, c 3, texte de loi provincial [les deux étant collectivement appelés « les Lois »].

[5]               L’Office tire de ces deux textes de loi d’importantes obligations et de larges pouvoirs pour ce qui est de la réglementation de l’exploration et de la mise en valeur des ressources gazières et pétrolières des zones extracôtières ainsi que d’autres activités connexes.

[6]               Entre 1998 et 2003, l’Office a délivré à GSI des « autorisations de travail géophysique/géologique » [ATGG] pour la conduite de levés sismiques conjecturaux dans la zone extracôtière. Conformément aux Nova Scotia Offshore Area Petroleum Geophysical Operations Regulations, NS Reg 191/95 (le Règlement), les ATGG prévoient diverses exigences et conditions, dont l’obligation de respecter les Lignes directrices applicables aux programmes, autorisations et rapports de travail dans le cadre des programmes géophysiques et géologiques de la zone extracôtière de la Nouvelle‑Écosse [les Lignes directrices].

[7]               Conformément aux Lignes directrices, GSI a effectué des levés dans la zone extracôtière puis a remis à l’Office les lignes sismiques définitives migrées sous format numérique [SEG‑Y] dans le cadre des programmes NS24‑G005‑2P et NS24‑G5‑4P.

[8]               Les données sismiques brutes ou « données de terrain » sont d’abord recueillies sous un format appelé « SEG‑D ». Afin d’en faciliter la lecture et la manipulation, ces données brutes sont alors converties en un format appelé « SEG‑Y ». Les données SEG‑Y représentent par conséquent une ligne sismique intégralement traitée et « migrée » qui apparaît en général sous forme de coupe transversale de la géologie du sous‑sol sur toute la longueur de la ligne sismique.

[9]               Il est écrit, sur les lignes sismiques définitives migrées remises par GSI à l’Office dans le cadre du programme NS24‑G5‑4P, « CGG‑Data Processing Services » [CGG] pour « Canadian Superior Energy Inc ».

[10]           En avril 2013, l’OCNEHE a publié sur son site Internet, ainsi que sous format papier, l’appel d’offres NS13‑1 [l’appel d’offres de 2013] invitant les SPP à soumissionner sur six parcelles de la zone extracôtière.

[11]           Parmi les informations figurant dans l’appel d’offres de 2013, se trouvait l’évaluation que l’Office avait faite des [traduction] « éventuels pièges et réservoirs » des parcelles faisant l’objet de l’appel d’offres. Cette partie de l’appel d’offres comprend 12 figures tracées par l’Office au moyen des informations que lui avaient transmises divers SPP et opérateurs sismiques, y compris GSI, conformément au Règlement et aux Lignes directrices. Ces figures sont numérotées de 5.1 à 5.12 [les figures].

[12]           Selon la demanderesse, la publication de ces figures sur le site Internet ou ailleurs constitue une violation de son droit d’auteur dans la mesure où elles ont été élaborées à l’aide des données non exclusives dont GSI est la propriétaire inscrite.

[13]           Les figures ont été tracées par les spécialistes de l’interprétation de données sismiques de l’Office, qui se sont basés pour cela sur les lignes sismiques définitives migrées en format SEG‑Y, remises à l’Office par l’un ou plusieurs des 10 fournisseurs de services sismiques et des SPP, dont GSI, et recueillies dans le cadre d’un ou de plusieurs programmes de travaux sismiques.

[14]           Les lignes sismiques définitives migrées remises à l’Office par GSI dans le cadre des programmes de travail NS24‑G005‑2P et NS24‑G5‑4P n’ont servi qu’à tracer la figure 5.5. Dans la documentation à laquelle on reproche une violation du droit d’auteur, seule la figure 5.5 a été élaborée à l’aide des données transmises par GSI.

[15]           Plusieurs centaines de lignes sismiques fournies par de nombreuses entreprises de services sismiques et de SPP ont servi au tracé de la figure 5.5. Les données provenant des lignes sismiques établies par GSI dans le cadre des programmes NS24‑G005‑2P et NS24‑G5‑4P n’ont servi à élaborer qu’environ 8,4 pour cent de la figure 5.5. Les autres données, soit environ 91,6 pour cent  des données sur lesquelles repose la figure 5,5, proviennent de lignes sismiques établies par d’autres opérateurs sismiques ou diverses SPP.

[16]           L’Office a publiquement annoncé son intention de lancer en avril 2014 à un nouvel appel d’offres portant sur la zone extracôtière.

[17]           GSI demande en l’espèce des dommages‑intérêts pour la violation de son droit d’auteur et sollicite de la Cour une injonction permanente interdisant à l’Office de publier à l’avenir des documents analogues à ceux figurant dans l’appel d’offres de 2013, documents qui, selon elle, constituent une violation de son droit d’auteur.

[18]           Dans le cadre de la présente requête, les deux parties ont déposé de nombreux documents, dont des affidavits. Aucun des déposants n’a cependant été contre‑interrogé.

II.                Les questions en litige

[19]           La requête soulève les questions suivantes :

a.                   Y a‑t‑il lieu de rendre une injonction interlocutoire et, dans l’affirmative, quels devraient en être les termes?

b.                  Dans l’hypothèse où est rendue une ordonnance, certaines données mentionnées dans l’affidavit de la demanderesse devraient‑elles être retirées et mises sous scellé?

III.             Injonction interlocutoire – Exposé général de la question

[20]           Nul ne conteste que RJR‑MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311, [1994] ASC no 17 (QL) est l’arrêt de principe en la matière. D’une manière générale, cet arrêt exige (pour paraphraser les paragraphes 78 à 80 de RJR‑MacDonald) :

1)         que soit soulevée en l’espèce une « question sérieuse à juger »;

2)         que le refus de lui accorder une injonction interlocutoire entraînerait pour le requérant un « préjudice irréparable »;

3)         que, selon la « prépondérance des inconvénients », au cas où elle n’obtiendrait pas une injonction interlocutoire, le requérant subirait un préjudice supérieur au préjudice que la délivrance d’une injonction entraînerait pour l’intimé.

IV.             Analyse

A.                Questions sérieuses à juger

a.                   Établir l’existence du droit d’auteur

[21]           Se fondant sur le paragraphe 53(2) de la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C‑42, GSI fait valoir que le certificat d’enregistrement crée une présomption selon laquelle les données en question sont couvertes par le droit d’auteur et que GSI en est la titulaire. Elle reconnaît que l’enregistrement du droit d’auteur ne porte pas création d’un tel droit, mais ne fait que le déclarer et que, faute de preuve contraire, la personne figurant à l’enregistrement est tenue pour titulaire du droit qu’elle revendique. Voir Grignon c Roussell, [1991] ACF no 557, 44 FTR 121.

[22]           Le défendeur soutient quant à lui que la preuve présentée par GSI tend à indiquer que CGG a dû faire preuve de savoir‑faire et de discernement pour transformer les données sismiques brutes [SEG‑D] en la compilation [SEG‑Y] fournie à l’Office et dont celui‑ci s’est servi pour élaborer ses figures. D’après le défendeur, la preuve de GSI ne suffit pas à établir l’existence d’un droit d’auteur; on est en présence d’une simple affirmation selon laquelle il existe un droit d’auteur.

[23]           Le défendeur renvoie à l’inscription figurant sur la version .PDF de la ligne sismique SG 01‑0137 établie par GSI dans le cadre du programme NS24‑G5‑4P, soit « CGG‑Data Processing Services ». Il n’y a aucune indication expliquant de qui il s’agit ou si GSI est titulaire d’une licence délivrée par cette entité.

[24]           Il ne saurait y avoir de droit d’auteur sur des données sismiques ou géophysiques. Le droit d’auteur ne peut porter que sur l’analyse des compilations de ces données (voir Tele‑Direct (Publications) Inc c American Business Information, Inc, [1997] ACF no 1430 [CA] aux paragraphes 28 et 29, 221 NR 113).

[25]           La demanderesse signale que, sur ce point, la preuve consiste en un seul paragraphe de l’affidavit produit par GSI, où le déposant laisse entendre que les employés de GSI font preuve [traduction] « de discernement, de circonspection, de créativité, de savoir, d’efforts et d’imagination ».

[26]           Malgré la minceur de la preuve produite par la demanderesse et les éléments de preuve tendant à indiquer qu’une autre entité a participé aux travaux livrés à l’Office, j’estime que, du point de vue de la demanderesse, on peut tout au plus dire que la propriété du droit d’auteur soulève au moins une question sérieuse, étant donné l’ensemble de faits démontrant que GSI est bien propriétaire des données en question et qu’elle a joué un rôle majeur dans leur collecte et leur compilation.

[27]           Autrement dit, le fait que le nom CGG figure sur les documents en question ne suffit pas à réfuter la question sérieuse de la présomption de l’existence d’un droit d’auteur.

b.                  Violation du droit d’auteur

[28]           Cela dit, je souscris à l’avis du défendeur selon lequel aucune question sérieuse ne semble se poser quant à la violation du droit d’auteur que l’on reproche à l’Office, étant donné que la similarité objective entre l’œuvre contrefaite et l’œuvre protégée par le droit d’auteur ou, du moins, une part substantielle de cette œuvre, semble insuffisante pour que l’on conclue que la figure 5.5 constitue une copie, une reproduction ou une adaptation de l’œuvre protégée par le droit d’auteur.

[29]           La figure 5.5 est une carte géographique sur laquelle a été superposé l’emplacement de certaines lignes sismiques employées par l’Office pour élaborer d’autres figures. Aucune des autres figures assorties de lignes sismiques n’a de rapport avec GSI.

[30]           Les données recueillies par GSI ont uniquement servi à établir une carte comportant un code de couleurs [la carte J150] d’un événement sismique qui s’est produit il y a 150 millions d’années. Selon le témoin appelé par le défendeur, la figure 5.5 a essentiellement pour fonction d’indiquer, dans la zone visée par l’appel d’offres de 2013, l’emplacement géographique approximatif des lignes sismiques et diagrammes figurant dans d’autres figures. Selon lui [traduction« Les géoscientifiques de l’Office auraient pu aboutir à ce résultat sans utiliser la carte J150, mais cette carte a permis d’améliorer la présentation de la figure 5.5 et de fournir au lecteur un peu de contexte géologique ».

[31]           Pour tracer la figure 5.5, les géoscientifiques de l’Office ont dû interpréter l’ensemble des données SEG‑Y que l’Office a obtenues dans le cadre de 20 programmes sismiques, y compris les programmes conduits par GSI. Les données étant alors grossièrement mises sur des coordonnées rectangulaires puis aplanies à l’aide d’un logiciel afin de combler les données manquantes et obtenir la moyenne des valeurs interprétatives découlant de l’interprétation des données sismiques. Cette figure ne correspond qu’à [traduction] « une des interprétations possibles des données ». En outre, la figure 5.5 ne ressemble en rien à la coupe transversale d’une ligne sismique définitive migrée.

[32]           Compte tenu de l’apport relativement réduit des données recueillies par la demanderesse au tracé de la figure 5.5, des opérations importantes de manipulation et de remaniement des données effectives par l’Office, et du fait que la grande majorité des données provenaient d’autres sources, j’estime que la figure 5.5 n’est pas une reproduction ou une adaptation violant le droit d’auteur de GSI.

V.                Le préjudice irréparable

[33]           Invoquant le paragraphe 56 de la décision Diamant Toys Ltd c Jouets Bo‑Jeux Toys Inc, 2002 CFPI 384, 218 FTR 245 [Diamant Toys], la demanderesse invite la Cour à accepter sa prétention selon laquelle lorsque « les demanderesses ont établi […] qu’il s’agit d’un cas prima facie de violation du droit d’auteur […] elles n’ont pas à démontrer qu’elles souffriraient d’un préjudice irréparable pour obtenir une injonction ».

[34]           Dans cette affaire, la Cour a employé, pour décrire la copie en question, le mot « flagrant ». Selon la demanderesse, la Cour devrait considérer qu’une copie est flagrante si elle peut conclure qu’il y a manifestement eu copie. Selon moi, l’emploi du mot « flagrant » va au‑delà de la constatation objective d’une copie manifeste. Alors que la copie manifeste satisfait au critère de la preuve prima facie évoqué dans la citation reproduite ci‑dessus, j’estime que lorsqu’on emploie un mot aussi fort que le mot « flagrant », c’est que l’on reproche au défendeur d’avoir, dans une certaine mesure, agi sciemment ou de manière insouciante.

[35]           Ajoutons que les trois volets du critère conditionnant la délivrance d’une injonction interlocutoire doivent être considérés, dans une certaine mesure, comme formant un tout et non pas comme des éléments distincts : Robert J. Sharpe, Injunctions and Specific Performance, volume à feuillets mobiles (Aurora : Canada Law Book, 2010 au paragraphe 2.600) cité dans Morguard Corporation c InnVest Properties Ottawa GP Ltd, 2012 ONSC 80 au paragraphe 12 :

[traduction]
Les termes « préjudice irréparable », « statu quo » et « prépondérance des inconvénients » n’ont pas un sens précis. Il convient de les considérer comme des principes d’orientation qui s’étoffent et se définissent en fonction des circonstances propres à chaque affaire. Il importe avant tout de ne pas les considérer comme des catégories distinctes et imperméables. Ces divers éléments sont en effet reliés entre eux et la force que peut avoir, dans un cas donné, un volet du critère doit permettre de compenser la faiblesse d’un autre volet.

[36]           Dans certains cas, le dossier d’un demandeur est suffisamment solide pour que l’on puisse fixer pour les deux autres volets un seuil si bas qu’ils perdent leur pertinence. D’après moi, c’est peut‑être l’approche qui, dans la décision Diamant Toys, précitée, sous‑tend l’affirmation selon laquelle il n’est pas nécessaire de démontrer le risque d’un préjudice irréparable lorsque le plagiat est flagrant.

[37]           Mais ce n’est pas le cas en l’espèce. La figure 5.5 a été obtenue après que l’office a beaucoup retravaillé et adapté des données qui ne provenaient pas seulement de la demanderesse, mais également de nombreux autres collaborateurs. Le document final n’a, tant par son aspect extérieur que par son contenu, que très peu de ressemblance avec les données protégées par le droit d’auteur.

[38]           Par conséquent, j’estime qu’il appartient à la demanderesse de démontrer par des preuves claires et non conjecturales que si elle n’obtient pas une injonction, elle subira, d’ici à l’issue du procès, un préjudice irréparable que ne saurait indemniser l’octroi de dommages‑intérêts.

[39]           À l’appui de l’argument touchant le risque de préjudice irréparable, la demanderesse se fonde sur la supposition suivante, décrite au paragraphe 27 de l’affidavit joint à sa demande :

[traduction]
27.       Les entreprises de prospection pétrolière et gazière qui auraient souhaité évaluer la prospectivité en matière d’hydrocarbures avant de décider si elles entendaient répondre à l’appel d’offres numéro NS13‑1 lancé par l’OCNEHE auraient pu, ou auraient dû, si l’OCNEHE n’avait pas publié la documentation constituant une violation du droit d’auteur de GSI, conclure avec GSI des accords de licence non exclusive aux termes desquels les soumissionnaires en puissance auraient pu eux‑mêmes avoir accès aux données appartenant à GSI afin de les soumettre aux opérations de manipulation et d’analyse leur permettant d’évaluer la prospectivité des zones sous‑marines visées par l’appel d’offres, cela étant la manière normale de procéder en matière d’exploration. Or, entre le 18 mars 2013 et la date du présent affidavit, aucune entreprise d’exploration gazière ou pétrolière ne s’est adressée à GSI pour obtenir une licence d’exploitation des données de GSI portant sur la zone extracôtière de la Nouvelle‑Écosse.

[40]           Comme le défendeur, j’estime que GSI n’a pas produit une preuve claire et non conjecturale du préjudice qu’elle aurait subi. On relève notamment l’absence de statistiques ou de chiffres concernant ses ventes, qui seraient l’indice d’un lien entre les appels d’offres et les licences d’exploitation accordées par GSI pour l’utilisation de ses données sismiques.

[41]           Le fait qu’aucune société d’exploration pétrolière ou gazière ne se soit adressée à GSI dans le cadre de l’appel d’offres de 2013 ne permet pas de déduire qu’il y a vraisemblablement eu préjudice. L’Office n’a reçu aucune soumission, ce qui indique que la branche d’activité concernée ne portait guère d’intérêt à cet appel d’offres. Parmi les éléments de preuve produits, rien ne permet de conclure que GSI aurait été sollicité par les entreprises concernées, même dans l’hypothèse où l’appel d’offres de 2013 n’aurait pas contenu la figure 5.5.

[42]           Il est également plausible que si l’appel d’offres de 2013 avait suscité de l’intérêt, les entreprises se seraient adressées à la demanderesse pour obtenir des données plus détaillées ou se procurer divers services connexes.

[43]           Je ne vois en outre pas très bien pourquoi on ne parviendrait pas à calculer le préjudice résultant des divulgations des données qui pourraient avoir lieu à l’avenir. L’affidavit de GSI contient des éléments de preuve indiquant que la licence accordée à un seul utilisateur aurait rapporté 1 245 231,65 $. C’est dire qu’il est possible de quantifier le préjudice résultant d’une perte de bénéfices due aux ventes non réalisées, à supposer cependant que l’on puisse établir l’existence d’un lien de causalité entre la violation du droit d’auteur et le nombre de licences que la clientèle aurait sollicitées de la demanderesse.

[44]           Les principes applicables en matière de dommages‑intérêts laissent une certaine place à la conjecture lorsqu’il s’agit d’évaluer les ventes à venir ainsi que d’autres pertes de nature indéterminée. Ce principe est décrit par M. Waddams, dans son ouvrage Law of Damages, 2e édition (feuillets mobiles), au paragraphe 13‑2. Voici ce qu’en dit l’auteur :

[traduction]
En droit anglo‑canadien, en revanche, peut‑être en raison d’un recours moins fréquent aux jurys, les tribunaux ont régulièrement considéré que si le demandeur établit qu’il a vraisemblablement subi un préjudice, la difficulté qu’il y a à en calculer la valeur ne peut jamais être invoquée par l’auteur du préjudice pour éviter de verser des dommages‑intérêts. S’il est difficile de calculer l’étendue du dommage, le tribunal doit faire de son mieux au vu des éléments produits, mais, naturellement, si le demandeur ne produit pas les preuves auxquelles on aurait pu s’attendre de la part de quelqu’un qui se fonde sur un dossier solide, le manque de preuves jouera contre lui.

Ce principe s’appuie sur une jurisprudence abondante remontant au XIXe siècle.

[45]           Dans l’hypothèse où CGI serait en mesure de produire des données justifiant ses ventes, et où des experts qualifiés issus du secteur seraient appelés à se prononcer, la demanderesse devrait pouvoir produire des analyses statistiques et une étude de probabilité concernant les ventes qu’elle aurait perdues afin de justifier l’octroi de dommages‑intérêts pour violation de son droit d’auteur.

[46]           La demanderesse n’a par conséquent pas démontré qu’elle subira un préjudice irréparable si elle n’obtient pas de la Cour une injonction.

VI.             La prépondérance des inconvénients

[47]           La demanderesse affirme que, dans la mesure où aucune soumission n’a été reçue dans le cadre de l’appel d’offres de 2013, le fait d’être tenue de retirer de son site Internet, dans la perspective de l’appel d’offres de 2014, les données protégées par le droit d’auteur ne devrait entraîner pour l’Office aucun inconvénient.

[48]           Le défendeur fait pour sa part valoir que le fait de l’empêcher de continuer à employer, dans la documentation qu’il a préparée en vue de futurs appels d’offres, les données sismiques recueillies par les opérateurs entraînerait pour lui un inconvénient considérable. Il faut entendre par cela non seulement l’inconvénient que cela lui causerait vis‑à‑vis de la demanderesse, mais également le fait que d’autres opérateurs de services géophysiques auraient les mêmes exigences, ce qui aurait pour effet de miner le processus d’appel d’offres.

[49]           Ainsi, on serait porté à penser que l’action en violation du droit d’auteur a pour but non pas de vendre un plus grand nombre de licences d’exploitation, mais d’obliger l’Office à verser à GSI une redevance pour l’utilisation de ses données. J’estime en outre que la demanderesse est allée beaucoup trop loin dans ce qu’elle sollicite de la Cour dans le cadre de la présente requête en injonction. Elle demande en effet que soit interdite la publication des 12 figures, malgré les preuves démontrant que ses propres données n’ont servi qu’à l’élaboration de la figure 5.5.

[50]           L’Accord Canada‑Nouvelle‑Écosse a notamment pour but de permettre que soient mises en valeur dans les meilleurs délais les ressources pétrolières de la zone extracôtière de la Nouvelle‑Écosse, et ce, dans l’intérêt du Canada en général et des habitants de la Nouvelle‑Écosse en particulier. Il s’agit entre autres d’assurer à cette branche d’activité un cadre stable pour l’ensemble de la zone extracôtière et de faire en sorte que la Nouvelle‑Écosse bénéficie des avantages financiers découlant de la mise en valeur de cette zone.

[51]           Il est évident que les interprétations géoscientifiques de l’Office, dont la figure 5.5, font partie intégrante de ce que l’Office doit faire pour remplir la mission qui lui a été confiée.

[52]           Ajoutons qu’à l’audience, la demanderesse a précisé que la restriction sollicitée devrait également s’appliquer à l’accès du public aux études menées par l’Office, dans la mesure où ces études renvoient à des données fournies par des opérateurs de services géophysiques. Une telle restriction entraînerait pour l’Office un inconvénient, le gênerait dans l’accomplissement de sa mission d’éducation, de formation, et de recherche et de mise en valeur des ressources pétrolières de la zone extracôtière.

[53]           Étant donné le caractère conjectural et en grande partie non confirmé des pertes éventuelles dans une zone où l’exploitation des ressources pétrolières et gazières extracôtières n’a pas encore débuté, il convient d’accorder la priorité aux efforts engagés par l’Office pour mener à bien sa mission tant dans l’intérêt des Néo‑Écossais que de l’ensemble des Canadiens.

VII.          Conclusion

[54]           La requête en injonction interlocutoire enjoignant à l’Office de retirer de ses sites Internet la documentation qui violerait des données protégées par le droit d’auteur, documentation constituant la pièce « H » jointe à l’affidavit de Paul Einarsson, est rejetée, comme l’est la demande d’injonction interdisant à l’Office de publier sur ses sites Internet des documents analogues à ceux qui figurent dans la pièce « H », ainsi que la demande de la demanderesse visant à faire mettre la pièce « H » sous scellé dans l’attente d’une ordonnance de la Cour.

[55]           Sur consentement des parties et en application du paragraphe 373(4) des Règles des Cours fédérales, la Cour ordonne que les affidavits de Paul Einarsson, datés du 28 janvier et du 20 février 2014, signifiés et déposés à l’appui de la présente requête, soient considérés comme des preuves produites à l’audience et, plus particulièrement, que la signification à l’Office du dossier de la requête aux fins de la présente requête soit considérée comme la signification à l’Office de ces deux affidavits aux fins de l’article 306 des Règles.

[56]           Le défendeur aura droit aux dépens de la requête. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant des dépens, le défendeur devra accompagner son mémoire de frais d’observations écrites ne dépassant pas trois pages dans les 14 jours suivant la date de la présente ordonnance. La demanderesse aura alors 14 jours pour y répondre.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                  La requête en injonction interlocutoire est rejetée.

2.                  Le défendeur a droit aux dépens de la requête. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant des dépens, le défendeur devra accompagner son mémoire de frais d’observations écrites ne dépassant pas trois pages dans les 14 jours suivant la date de la présente ordonnance. La demanderesse aura alors 14 jours pour y répondre.

« Peter Annis »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIER :

T‑467‑14

 

 

 

INTITULÉ :

GEOPHYSICAL SERVICE INCORPORATED c

OFFICE CANADA‑NOUVELLE‑ÉCOSSE DES HYDROCARBURES EXTRACÔTIERS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 AVRIL 2014

 

ORDONNANCE ET MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 MAI 2014

 

COMPARUTIONS :

A. William Moreira

Scott Campbell

 

Pour la demanderesse

 

Thomas Hart

Daniel Watt

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart McKelvey

Avocats

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

Pour la demanderesse

 

 

McInnes Cooper

Avocats

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

Pour le défendeur

 

 

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