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Date : 20140620


Dossier : IMM‑701‑13

Référence : 2014 CF 593

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 juin 2014

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

NELSON VASQUEZ GUTIERREZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’espèce

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), de la décision datée du 17 décembre 2012 de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La commissaire a conclu que le demandeur, Nelson Vasquez Gutierrez, n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la LIPR.

[2]        Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.                Faits

[3]        Le demandeur est un citoyen du Honduras. Il est arrivé illégalement aux États‑Unis le 12 septembre 2007 et est resté dans ce pays jusqu’au 1er avril 2011, date à laquelle il est arrivé au Canada. Sa conjointe de fait et leur fille née aux États‑Unis étaient déjà arrivées au Canada, en mars 2011, et avaient demandé l’asile.

[4]        Le demandeur soutient que, au début de 2005, il craignait que la famille de son ancienne petite amie lui inflige des sévices ou le tue quand il était au Honduras. En 2005, il a eu un enfant avec son ancienne petite amie, Rosa Deras. Le fond de la demande du demandeur tient au fait que les cousins de Mme Deras, Victor Landaverde et Hugo Orellana, qui appartenaient au gang appelé Mara‑Salvatrucha 18 (MS 18), ont menacé de le tuer s’il ne leur donnait pas de l’argent pour subvenir aux besoins de son fils.

[5]        Le demandeur a affirmé qu’il avait rencontré Mme Deras en août 2004 et que, en février 2005, elle lui a fait savoir qu’elle attendait un enfant de lui et qu’elle voulait rompre. Le 26 octobre 2005, le demandeur s’est rendu au domicile de Mme Deras pour voir l’enfant et se présenter à la famille de Mme Deras en tant que père de l’enfant. La famille l’a insulté parce qu’il provenait d’une famille pauvre. Elle lui a dit de quitter les lieux.

[6]        Le demandeur soutient que, en novembre 2005, les cousins de Mme Deras l’ont battu et ont exigé qu’il leur donne 3 000 lempiras (unité monétaire du Honduras) à titre de pension alimentaire pour l’enfant. Lorsque le demandeur s’est dit incapable de donner l’argent, ils ont sorti une arme à feu et l’ont menacé. L’un des cousins l’a frappé au pied avec une machette, et le demandeur a passé 10 jours à l’hôpital à la suite de l’incident. Il n’a pas déclaré l’affaire à la police, alléguant qu’il ne croyait pas que la police fasse quoi que ce soit quant aux actes criminels au Honduras.

[7]        Quelque quatre mois plus tard, en mars 2006, le demandeur a quitté le Honduras pour la première fois et est entré illégalement aux États‑Unis en mai 2006. Les autorités américaines de l’immigration l’ont par la suite renvoyé au Honduras. Le demandeur soutient que les cousins de Mme Deras avaient appris qu’il était de retour au pays et se sont lancés à sa recherche.

[8]        En juillet 2007, le demandeur a à nouveau quitté le Honduras et est arrivé aux États‑Unis en septembre 2007. Il n’a pas demandé l’asile aux États‑Unis les deux fois, alléguant qu’il craignait d’être déporté.

[9]        En juillet 2008, le demandeur a rencontré sa conjointe de fait actuelle, et leur fille est née le 8 décembre 2010.

[10]      Le demandeur soutient que, s’il était renvoyé au Honduras, les cousins de Mme Deras lui extorqueraient de l’argent ou le tueraient.

III.             Décision visée par le contrôle

[11]      La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR.

[12]      Premièrement, au titre de l’article 96, la SPR a établi que le demandeur n’avait pas démontré l’existence d’un lien avec l’un des motifs prévus à la Convention. La commissaire a souligné que la Cour avait statué à maintes reprises que les victimes d’actes criminels, de corruption ou de vendettas ne parviennent  généralement pas à établir un lien entre leur crainte de persécution et l’un des motifs prévus à la Convention. En l’espèce, la commissaire a établi que la crainte du demandeur n’était pas liée à la race, à la religion, à la nationalité, à l’opinion politique ou à l’appartenance à un groupe social. Elle a conclu que la crainte du demandeur d’être ciblé par des gangs et, particulièrement, d’être victime d’extorsion sous la menace de sévices est un risque auquel sont exposés les autres citoyens du Honduras et que, par conséquent, sa demande d’asile échoue au titre de l’article 96 de la LIPR. Cet aspect de la décision de la commissaire n’est pas contesté.

[13]      En ce qui concerne la question du risque personnalisé par rapport au risque généralisé, au titre de l’article 97, la commissaire a conclu que les risques allégués par le demandeur constituent des risques auxquels sont généralement exposés les autres citoyens du Honduras, qui sont soumis aux mêmes tactiques d’intimidation de la part des gangs criminels. La commissaire a renvoyé aux éléments de preuve documentaire selon lesquels la criminalité, particulièrement la violence liée aux gangs, est répandue au Honduras, et qu’un grand nombre des meurtres commis au Honduras sont attribués aux gangs du MS, ce qui fait du Honduras l’un des pays les plus violents au monde. De plus, la police participe aux activités criminelles.

[14]      En ce qui concerne la question du risque personnalisé, la commissaire a effectué une analyse de l’exposé circonstancié du demandeur au sujet de sa relation avec Mme Deras. Elle a conclu que le demandeur n’avait pas produit d’éléments de preuve objectifs corroborant ses allégations; plus précisément, des éléments de preuve étayant son allégation selon laquelle il a été victime d’une violente agression à la machette lui ayant causé une blessure grave au pied et ayant nécessité un séjour de dix jours à l’hôpital.

[15]      La commissaire a souligné que le père du demandeur d’asile n’avait pas indiqué dans sa déclaration notariée que le demandeur avait été menacé ou agressé à la machette et hospitalisé.

[16]      La commissaire a demandé au demandeur comment il avait pu obtenir un certificat de naissance daté de 2011 pour son enfant à son nom, fourni par Mme Deras, étant donné que la naissance de cet enfant constitue le fondement de sa demande d’asile. La commissaire a conclu que ces circonstances ne corroborent pas les allégations du demandeur quant à l’extorsion et la blessure.

[17]      La commissaire a aussi affirmé que le défaut du demandeur de demander l’asile ailleurs ou plus tôt que quatre ans après son départ du Honduras minait la crédibilité de ses allégations selon lesquelles il avait une crainte subjective d’être tué au Honduras. Elle a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était parti pour les États‑Unis pour des raisons économiques afin d’apporter une aide financière à sa famille élargie, et non pas parce qu’il craignait d’être tué par les cousins de Mme Deras.

IV.             Questions en litige

[18]      Le demandeur fait les allégations qui suivent, que la Cour adopte aux fins du contrôle judiciaire, reformulées en ces termes :

1.                  Dans ses notes sur les allégations du demandeur, la commissaire a souligné la situation personnelle qui a donné lieu à la persécution du demandeur. Cependant, elle n’a pas pris en compte ce contexte lorsqu’elle a établi que le risque appréhendé par le demandeur était le même que celui auquel sont exposés les autres citoyens du Honduras de la part des mêmes gangs criminels.

2.                  La commissaire n’a pas pris en compte les explications fournies par le demandeur concernant les raisons pour lesquelles il n’avait pas demandé l’asile aux États‑Unis et a plutôt eu recours à une méthode abstraite, théorique, ce qui n’était pas raisonnable dans les circonstances de l’espèce.


V.                Norme de contrôle

[19]      L’appréciation par la commissaire de la question de savoir si le risque auquel est exposé le demandeur est personnalisé ou généralisé est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Balcorta Olvera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1048, au paragraphe 28; Samuel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 973).

[20]      Quant à l’examen de la façon dont l’agent a pris en compte et traité les éléments de preuve, la norme de contrôle qui s’applique est celle de la raisonnabilité (voir, par exemple, Y.Z. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 749, [2009] ACF no 904, au paragraphe 22).

VI.             Analyse

[21]      Malgré le fait que je ne suis pas d’accord pour dire que la commissaire n’a pas appliqué le bon critère pour établir si le demandeur serait exposé à un risque personnel à sa vie, la question, en dernière analyse, a été englobée dans la conclusion de la commissaire quant à la crédibilité, selon laquelle le demandeur a quitté le Honduras, non pas parce qu’il craignait de subir des sévices, mais pour des raisons économiques, afin de subvenir aux besoins de sa famille élargie.

[22]      Quand la décision est examinée globalement, il en ressort clairement que la commissaire n’a pas trouvé le demandeur crédible en ce qui concerne ses allégations voulant que les menaces et la violence l’ont amené à quitter le Honduras. Cette conclusion est étayée par les éléments de preuve.

[23]      D’abord, le défaut du demandeur de demander l’asile ailleurs ou plus tôt que quatre ans après son départ du Honduras justifie une conclusion défavorable quant à la crédibilité de sa prétention selon laquelle il craignait d’être tué au Honduras.

[24]      De plus, la commissaire a souligné que, quand on lui a demandé pourquoi il était entré illégalement aux États-Unis, le demandeur a d’abord répondu qu’il voulait être en mesure d’aider sa famille en travaillant dans ce pays. Il a affirmé qu’il tentait toujours d’entrer aux États‑Unis pour pouvoir envoyer des denrées alimentaires à ses parents et à ses frères et sœurs. Il a aussi versé une pension alimentaire à Mme Deras pendant cette période. La commissaire a souligné qu’il a travaillé aux États‑Unis dès son arrivée jusqu’à son départ.

[25]      La commissaire, à titre d’autre préoccupation relative à la crédibilité, a souligné la contradiction entre le Formulaire de renseignements personnels du demandeur et d’autres formulaires d’immigration dans lesquels il a indiqué qu’il vivait à la même adresse au Honduras avant et après sa déportation des États‑Unis, et son témoignage à l’audience, où il a déclaré qu’il vivait, à son retour au Honduras après son premier renvoi des États‑Unis, dans une autre ville, soit Tierra Blanca.

[26]      Enfin, la commissaire a souligné ce que signifiait le fait que le demandeur était en possession du certificat de naissance de sa fille, qui a été délivré en 2011 à son nom et qui, aux dires du demandeur, lui a été remis par Mme Deras. L’explication du demandeur, à savoir que Mme  Deras lui a remis le certificat parce qu’il lui avait expliqué qu’il demandait le statut de réfugié pour aider leur fils, représente une preuve supplémentaire du fait que le demandeur d’asile a quitté le Honduras pour des raisons économiques, afin de subvenir aux besoins de sa famille élargie.

[27]      Je suis convaincu que la conclusion de la commissaire quant à la crédibilité selon laquelle le demandeur n’a pas quitté le Honduras parce qu’il craignait pour sa sécurité personnelle, mais bien pour d’autres raisons, à savoir de meilleures perspectives économiques, est suffisamment étayée par la preuve.

[28]      Par conséquent, j’estime que la décision est raisonnable et suffisamment exposée, conformément aux préceptes énoncés dans Dunsmuir c Nouveawu‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190. La demande est rejetée. Aucun des avocats n’a demandé qu’une question soit certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.      La demande est rejetée;

2.      Aucune question n’est certifiée.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑701‑13

 

INTITULÉ :

NELSON VASQUEZ GUTIERREZ c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 MAI 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 20 JUIN 2014

 

COMPARUTIONS :

Luis Antonio Monroy

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Aleksandra Lipska

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Luis Antonio Monroy

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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