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Date : 20140620


Dossier : IMM-5400-13

Référence : 2014 CF 595

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 juin 2014

En présence de monsieur le juge LeBlanc

 

ENTRE :

 

CLOTHILDE NICAYENZI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire de la décision, rendue par une déléguée du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, rejetant la demande de résidence permanente de la demanderesse fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, au titre de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 (la Loi).

I.                   Le contexte

[2]               La demanderesse est une citoyenne du Burundi. Elle est arrivée au Canada en 2008 munie d’un visa de résident temporaire. Peu après, elle a présenté une demande d’asile au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi, au motif qu’elle avait été enlevée, détenue et violée au Burundi. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa demande. La Commission a fondamentalement conclu que le récit de la demanderesse n’était pas crédible. La demanderesse n’a pas sollicité le contrôle judiciaire de cette décision.

[3]               En janvier 2012, la demanderesse a sollicité une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, au titre du paragraphe 25(1) de la Loi, de l’exigence normale de demander le statut de résident permanent de l’extérieur du Canada (la demande CH). La demanderesse a soutenu qu’elle ferait face à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives découlant de l’application normale de la règle tant en raison de son départ du Canada, qu’en raison de son degré d’établissement dans ce pays et qu’en raison de son renvoi au Burundi, parce qu’elle est une veuve et séropositive au virus du VIH. À cet égard, elle a dit qu’elle craignait qu’une fois au Burundi, elle serait soumise à d’autres violences sexuelles, parce qu’elle est une veuve sans protecteur masculin, et qu’elle ne serait pas en mesure d’avoir accès aux traitements médicaux appropriés.

[4]               La demanderesse a aussi allégué que le fait d’être dispensée de l’obligation de présenter sa demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada serait dans l’intérêt supérieur de ses deux jeunes cousines résidant au Burundi. Elle a dit qu’elle s’inquiétait de leur bien-être, étant donné la violence à laquelle elles pouvaient faire face dans ce pays, et qu’elle aimerait donc les adopter afin de les faire venir au Canada.

[5]               Le 25 juillet 2013, une agente principale d’immigration agissant pour le compte du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (l’agente) a rejeté la demande CH de la demanderesse. En particulier, l’agente a conclu que l’établissement de la demanderesse au Canada était insuffisant pour justifier une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, et qu’il ne lui était pas loisible de faire droit à la demande fondée sur l’intérêt supérieur des deux jeunes cousines, étant donné que ces dernières n’étaient plus mineures lorsque la demande a été présentée.

[6]               En ce qui a trait aux considérations d’ordre humanitaire liées au fait d’être renvoyée au Burundi, l’agente n’a pas accordé de poids aux allégations de la demanderesse selon lesquelles celle-ci ferait face à des difficultés en tant que veuve sans protecteur masculin, en raison des nombreuses contradictions dans la preuve quant à son statut de veuve. L’agente a aussi conclu qu’étant donné la formation et le statut social de la demanderesse, il était raisonnable de supposer que celle-ci avait le profil correspondant à un pourcentage relativement faible de la population du Burundi qui a accès aux traitements médicaux appropriés.

[7]               La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de cette décision. Elle allègue que la décision de l’agente est viciée de trois façons : premièrement, lorsque l’agente a méconnu son statut de veuve; deuxièmement, lorsque l’agente a émis des conjectures quant à sa capacité à avoir accès aux traitements médicaux appropriés; troisièmement, lorsque l’agente ne lui a pas accordé d’audience ou une occasion de dissiper ces doutes, vu la nature de ces conclusions, l’une fondée sur la crédibilité et l’autre sur une pure conjecture.

[8]               La demanderesse ne conteste pas les conclusions de l’agente quant à ses allégations fondées sur l’établissement au Canada et sur l’intérêt supérieur de ses deux jeunes cousines.

II.                Les questions en litige et la norme de contrôle

[9]               Sur le fond, la présente affaire soulève deux questions litigieuses, l’une qui a trait à la façon dont l’agente a apprécié la preuve dont elle disposait, et l’autre qui a trait à l’équité du processus menant à la décision de l’agente.

[10]           Il est bien établi en droit que la norme de contrôle applicable à l’analyse de la preuve menée par un délégué du ministre dans le cadre d’une demande présentée au titre du paragraphe 25(1) de la Loi est la décision raisonnable (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, [1999] ACS no 39 (QL) [Baker]; Walker c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 447, [2012] ACF no 479 (QL), au paragraphe 31; De Leiva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 717, [2010] ACF no 868 (QL), au paragraphe 13; Adams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1193, [2009] ACF no 1489 (QL), au paragraphe 14; Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, [2009] ACF no 713 (QL), au paragraphe 18). Cela signifie qu’une grande retenue doit être accordée à l’issue à laquelle le délégué est arrivé selon le dossier de la preuve dont il disposait. Par conséquent, si la décision du délégué appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, la Cour ne peut pas intervenir, même si l’appréciation de la preuve dont disposait le délégué aurait pu mener à une issue différente (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47; Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CAF 113, [2014] ACF no 472 (QL), aux paragraphes 81 à 84).

[11]           En ce qui a trait aux questions d’équité procédurale, la norme de contrôle est très stricte; il s’agit de la décision correcte. Cela signifie que lorsque de telles questions se posent, le devoir de la Cour est de déterminer si le processus suivi par le délégué du ministre répond au degré d’équité requis dans les circonstances (Canada (Citoyenneté Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43; Eshete c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 701, [2012] ACF no 697 (QL, au paragraphe 9; Prieto c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 253, [2010] ACF no 307 (QL), au paragraphe 24).

III.             Analyse

[12]           L’objectif des demandes fondées sur l’article 25 de la Loi est de solliciter une dispense de l’application des lois canadiennes en matière d’immigration qui sont, par ailleurs, appliquées universellement. Selon le libellé du paragraphe 25(1), le ministre peut accorder cette dispense « s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché ».

[13]           La Cour a décidé, à maintes reprises, que les demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire n’avaient pas pour but d’éliminer les conséquences inhérentes au fait de quitter le Canada après avoir été ici pendant un certain temps, mais plutôt pour lui offrir une dispense des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives » auxquelles la partie demanderesse serait exposée si on exigeait d’elle qu’elle quitte le Canada et qu’elle présente sa demande d’immigration par les voies normales (Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CAF 113, [2014] ACF no 472 (QL), aux paragraphes 40 à 42; Monteiro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1322, [2006] ACF no 1662 (QL), au paragraphe 20; Irimie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16640 (CF), [2000] ACF no 1906 (QL), au paragraphe 26).

[14]           Comme la Cour d’appel fédérale l’a décidé récemment, lorsqu’il est examiné dans le contexte global de la Loi, le paragraphe 25(1) ne vise pas à créer une filière d’immigration de remplacement, ni à offrir un mécanisme d’appel aux demandeurs d’asile déboutés (Kanthasamy, précité, au paragraphe 40).

[15]           Par conséquent, il a été décidé que les demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire sont hautement discrétionnaires (Monteiro, précitée au paragraphe 18). Le fardeau pèse entièrement sur les demandeurs qui doivent convaincre le décideur que leur situation personnelle est telle que leurs difficultés à devoir obtenir le statut d’immigrant de l’extérieur du Canada, par la voie normale, seraient inhabituelles et injustifiées ou excessives (Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, [2009] ACF no 713 (QL), au paragraphe 45; Irimie, précitée, au paragraphe 10).

[16]           Ce fardeau est très lourd. Le manque d’éléments de preuve ou l’omission de renseignements utiles à l’appui de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire se fait au péril du demandeur (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] ACF no 158 (QL), au paragraphe 5). Cela signifie que le décideur n’est nullement tenu d’aider les demandeurs à s’acquitter du fardeau de plaider leur cause ni de signaler les lacunes de la demande et de réclamer d’autres observations afin de permettre aux demandeurs de les combler. En d’autres termes, il n’appartient pas au décideur de chercher à obtenir d’autres renseignements pour découvrir des éléments de preuve qui auraient pu être favorables à la thèse défendue par un demandeur (Kisana, précité, aux paragraphes 43 à 45).

[17]           En ce qui concerne le processus, il est maintenant bien établi que les personnes qui présentent une demande au titre du paragraphe 25(1) de la Loi n’ont pas de droit ni d’attente légitime selon laquelle elles seront interviewées par le délégué du ministre (Owusu, précité, au paragraphe 5; Eshete, précitée, au paragraphe 12; Leonce c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 831, [2011] ACF no 1033 (QL), au paragraphe 6).

[18]           Toutefois, les principes de justice naturelle peuvent être souples lorsque les circonstances le justifient et la jurisprudence reconnaît que dans les cas où la décision rendue par le décideur est de toute évidence fondée sur une conclusion quant à la crédibilité ou sur des préoccupations qui n’auraient pas pu être raisonnablement prévues par le demandeur, le décideur a l’obligation de faire part de ces préoccupations au demandeur afin de permettre à ce dernier d’y répondre de façon valable. En matière de crédibilité, la manière de répondre de façon valable prendra généralement la forme d’une audience (Leonce, précitée, au paragraphe 6; Duka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1071, [2010] ACF no 1334 (QL), aux paragraphes 11 et 12).

[19]           Comment ces principes s’appliquent-ils en l’espèce?

[20]           Il y a deux questions principales à trancher à cet égard. La première a trait à la conclusion de l’agente selon laquelle la demanderesse n’est pas véritablement une veuve, et, par conséquent, ses allégations de difficultés possibles en tant que veuve, sans protecteur masculin, ne sont pas fondées. La seconde est la conclusion de l’agente selon laquelle étant donné les antécédents professionnels de la demanderesse, elle aurait vraisemblablement accès aux traitements contre le VIH, si elle devait retourner au Burundi.

[21]           Pour les motifs exposés ci-dessous, les arguments de la demanderesse portant sur la première question sont irrecevables, mais pas les arguments qu’elle a formulés quant à la seconde question.

[22]           En ce qui a trait à la première question, la demanderesse prétend que l’agente n’a pas tenu compte de la preuve relative à la date exacte du décès prétendu de son époux. La demanderesse dit qu’il ressort clairement de la preuve que les contradictions que l’agente a perçues comme étant un problème lorsqu’elle a examiné la demande CH n’étaient pas réelles et n’auraient donc pas dû être un facteur dans la décision de l’agente.

[23]           Dans ses observations écrites, la demanderesse allègue que l’exactitude de la date du décès de son époux représentait [traduction] « au moins 50 % » de la conclusion de l’agente selon laquelle elle n’était pas une veuve. Même si on suppose que l’agente a tiré une conclusion de toute évidence erronée à cet égard, la demanderesse ne conteste pas les autres facteurs dont l’agente a tenu compte. En d’autres termes, elle n’examine pas l’autre partie des motifs de l’agente sur ce point précis.

[24]           Cette autre partie a trait aux renseignements contradictoires que la demanderesse a produits dans sa demande de visa de 2008, dans laquelle elle a déclaré être mariée, et dans sa demande CH, dans laquelle elle a déclaré être veuve.

[25]           Il incombait à la demanderesse d’établir qu’elle était veuve sans protecteur masculin, comme elle l’a allégué dans sa demande CH. Comme souligné ci-dessus, ce fardeau, étant donné le caractère exceptionnel des demandes CH, est très lourd. En l’espèce, la demanderesse connaissait ou aurait dû connaître l’existence de cette contradiction évidente dans son dossier canadien d’immigration, et elle devait donc être préparée à fournir une explication raisonnable quant à sa situation actuelle. Elle ne l’a pas fait.

[26]           Comme le défendeur le souligne dans ses observations écrites, la demanderesse n’a fourni d’explication à ses déclarations contradictoires à aucun endroit dans la demande CH, pas même lorsqu’elle renvoie, comme elle l’a fait dans le cadre de sa demande d’asile, au fait que ce n’est pas elle, mais la personne qui l’a fait sortir du Burundi, qui a rempli sa demande de visa canadien. Il en est peut-être ainsi par ce que cette explication a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié comme n’étant pas crédible. Ce débat a eu lieu à la Commission dans le cadre des renseignements contradictoires dans la demande de visa de la demanderesse et dans sa demande d’asile, en ce qui a trait à la nature de son emploi au Burundi quand elle a quitté ce pays.

[27]           Finalement, cet élément de preuve contradictoire portant sur le statut prétendu de veuve de la demanderesse n’a été mentionné d’aucune manière en aucune occasion dans les documents relatifs à la demande CH. Comme l’agente l’a aussi fait remarquer dans sa décision, la demanderesse n’a fourni aucun renseignement sur la personne qui s’occupait de ses deux jeunes cousines âgées de 14 et de 18 ans lorsqu’elle a quitté le Burundi, une information qui aurait pu être convaincante dans l’étude de la question de savoir si elle pouvait compter sur une certaine forme de protection à son retour au Burundi.

[28]           Dans de telles circonstances, lorsque le fardeau pesait de toute évidence sur la demanderesse, je suis d’accord avec le défendeur qu’il était raisonnable que l’agente refuse d’accorder du poids à cette allégation, au vu de la preuve contradictoire produite par la demanderesse; la conclusion défavorable quant à la crédibilité tirée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et l’absence de toute preuve corroborante était raisonnable. La demanderesse savait ou aurait dû savoir qu’il y avait des lacunes dans son récit. Elle avait l’obligation de les combler. Elle a échoué.

[29]           Il s’agit d’une question de suffisance de la preuve, non pas de pure crédibilité. L’agente n’était nullement tenue d’aider la demanderesse à s’acquitter du fardeau de plaider sa cause ni de signaler les lacunes de la demande et de réclamer d’autres observations afin de permettre à la demanderesse de les combler (Owusu, précité, Kisana, précité, aux paragraphes 43 à 45).

[30]           Il ne s’agit certainement pas d’une question que la demanderesse n’aurait raisonnablement pas pu prévoir étant donné, encore une fois, qu’elle connaissait ou aurait dû connaître l’existence de ses déclarations contradictoires dans son dossier canadien d’immigration. Par conséquent, l’agente n’avait aucune obligation de faire part de ces préoccupations à la demanderesse afin de lui permettre d’y répondre (Leonce, précitée, au paragraphe 6; Duka, précitée, aux paragraphes 11 et 12).

[31]           Il y a un obstacle supplémentaire à cette considération précise d’ordre humanitaire avancée par la demanderesse. Comme la Cour d’appel fédérale l’a déclaré dans l’arrêt Kanthasamy, précité, pour qu’il soit fait droit à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par un demandeur, il doit y avoir une preuve que les difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives qui constituent le fondement de la demande dans toute affaire donnée toucheront le demandeur « personnellement et directement » (Kanthasamy, précité, au paragraphe 48). Comme le défendeur l’a fait remarquer, et je suis d’accord avec lui, l’argument de la demanderesse fondé sur son veuvage équivaut à déclarer que toutes les veuves du Burundi devraient se voir accorder la résidence permanente au Canada sur le fondement de l’existence de facteurs d’ordre humanitaire. Cela ne suffit pas à satisfaire au critère établit au paragraphe 25(1) de la Loi.

[32]           En résumé, la demanderesse n’a pas prouvé que la conclusion de l’agente quant à son prétendu statut de veuve était, soit déraisonnable, soit non équitable sur le plan de la procédure.

[33]           On ne peut pas en dire autant de la deuxième question qui a trait à l’inférence que l’agente a tirée quant à l’accès de la demanderesse aux traitements médicaux en raison de son emploi antérieur. La demanderesse allègue qu’une telle inférence de la part de l’agente était une pure spéculation. La Cour est d’accord avec la demanderesse.

[34]           Il est bien établi que les conclusions de fait fondées sur de simples conjectures sont intrinsèquement déraisonnables, puisque de telles conclusions sont généralement qualifiées de simples suppositions, et, par conséquent, dénuées de toute valeur juridique (Ukleina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1292, [2009] ACF no 1651 (QL), aux paragraphes 8 et 14). En revanche, une inférence est valide lorsqu’elle est fondée sur des faits prouvés et établis comme étant probables dans les circonstances (Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2008 CF 533, [2008] ACF no 678 (QL), au paragraphe 3; Newfoundland (Workers’ Compensation Commission) c Miller, 2001 NFCA 20, (2001), 199 NFLD & PEIR 186, au paragraphe 11; Weng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1483, [2011] ACF no 1811 (QL), au paragraphe 30; Matthews c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 535, [2012] ACF no 563 (QL), au paragraphe 37).

[35]           Il est donc inacceptable qu’un agent d’immigration tire des inférences qui ne sont pas fondées sur des faits établis ou sur la preuve. En l’espèce, l’agente a accepté l’élément de preuve documentaire de la demanderesse selon lequel seuls 23 % des Burundais séropositifs au VIH dont le virus est à une étape avancée ont accès aux traitements médicaux appropriés. Elle a conclu que le profil de la demanderesse en tant que conférencière et chargée de mission pour le Laboratoire national de l’Industrie Pharmaceutique signifiait qu’il était raisonnable de conclure que la demanderesse ferait probablement partie des 23 % de Burundais qui bénéficieraient de traitements médicaux.

[36]           La Cour décide que la conclusion de l’agente selon laquelle la demanderesse aurait accès aux traitements médicaux était purement conjecturale et n’était fondée sur aucune preuve documentaire. En fait, selon la Cour, la demanderesse a établi que son accès aux traitements était peu probable ou soumis à de sérieux doutes, étant donné la preuve selon laquelle seuls 23 % des patients atteints de VIH dont le virus est à une étape avancée au Burundi ont un tel accès. En l’espèce, il y avait une inférence selon laquelle la demanderesse, dont l’état de santé en tant que séropositive au VIH et le besoin de traitement sont bien documentés, pourrait faire face à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives qui l’affecteraient personnellement et directement si elle était renvoyée au Burundi.

[37]           Je suis d’accord avec la demanderesse que pour déplacer cette inférence, l’agente avait besoin de plus d’éléments de preuve que ceux dont elle disposait, tels que le salaire d’une conférencière, la preuve quant à savoir si la demanderesse pourrait ou voudrait retourner à son ancien poste, qui a accès aux traitements contre le VIH au Burundi et sur quelle base, et le coût de ses médicaments contre le VIH.

[38]           La conclusion de l’agente selon laquelle la demanderesse ferait partie de la minorité de Burundais qui reçoivent un traitement médical contre le VIH n’était pas fondée sur des faits établis. Il n’y avait simplement pas de preuve étayant cette conclusion. L’agente a tiré une inférence qu’il ne lui était pas loisible de tirer. Sa conclusion à cet égard était déraisonnable.

[39]           L’état de santé de la demanderesse atteinte de VIH est un élément nouveau dans son récit. Il a été découvert après son arrivée au Canada. Les risques de difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives sont réels et individualisés. Les préoccupations que l’agente avait sur la capacité de la demanderesse à avoir accès aux traitements médicaux pouvaient difficilement être prévues par la demanderesse qui avait établi qu’au Burundi, l’accès aux traitements contre le VIH est grandement limité. Dans de telles circonstances, la demanderesse avait au moins le droit d’être informée des préoccupations de l’agente et de se voir donner l’occasion d’y répondre de façon valable. Cela n’a pas été fait.

[40]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[41]           Aucune partie n’a proposé de question de portée générale, et aucune ne sera certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à la même agente d’immigration pour qu’elle statue à nouveau conformément aux présents motifs de jugement;

2.                  Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 


DOSSIER :

IMM-5400-13

INTITULÉ :

CLOTHILDE NICAYENZI

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 MAI 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 20 juin 2014

 

COMPARUTIONS :

Pia Zambelli

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Andrea Shahin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet d’avocat Pia Zambelli

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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