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Date : 20140619


Dossier : IMM-2891-13

Référence : 2014 CF 582

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 juin 2014

En présence de monsieur le juge Manson

 

ENTRE:

SARAH FELIX

demanderesse

et

 LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de K. Carlile, agent principal d’immigration de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agent), présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi). L’agent a refusé de dispenser la demanderesse, dans le cadre de sa demande de visa de résident permanent, de l’application des critères de sélection de la Loi pour des considérations d’ordre humanitaire au titre de l’article 25 de la Loi (la demande CH).

I.                   Les questions en litige

[2]               Voici les questions en litige en l’espèce. La décision de l’agent concernant les difficultés auxquelles la demanderesse serait exposée si elle retournait à Sainte-Lucie était-elle raisonnable? L’agent a-t-il omis de se montrer réceptif, attentif ou sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant canadien de la demanderesse?

II.                Le contexte

[3]               La demanderesse est citoyenne de Sainte‑Lucie et elle est née le 29 octobre 1970.

[4]               Selon son Formulaire de renseignements personnels (le FRP), la demanderesse a entamé une relation avec un homme appelé Allan Marius lorsqu’elle avait 17 ans. La relation s’est détériorée après quelques mois, et, en 1991, M. Marius a commencé à être violent. La demanderesse a affirmé dans son témoignage avoir été victime de plusieurs actes de violence physique et verbale. Elle n’a pas signalé ces incidents à la police. En 1992, elle a quitté sa maison ainsi que son emploi dans une épicerie afin d’éviter de rencontrer M. Marius. La demanderesse a travaillé dans une manufacture de 1992 à 1996 et dans un hôtel de 1996 à 2003.

[5]               Le 25 mai 2003, la demanderesse a quitté Sainte-Lucie pour venir au Canada et elle demeure en Ontario depuis ce temps. En 2007, elle a donné naissance à son fils, Jacob. La demanderesse allègue ne pas connaître le père de Jacob.

[6]               Le 8 juillet 2009, la demanderesse a été impliquée dans un accident d’automobile. Elle a reçu des traitements de réadaptation prodigués par un physiothérapeute. Selon une lettre de son médecin, la demanderesse, en date de juin 2012, était relativement en bonne santé, mais elle prenait encore des médicaments pour soulager des douleurs découlant de son accident.

[7]               Le 2 décembre 2010, une demande CH présentée antérieurement par la demanderesse a été rejetée. La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée par la suite. En 2012, la demanderesse a présenté une demande d’asile, laquelle a été rejetée le 21 décembre 2012.

[8]               À l’heure actuelle, la demanderesse travaille à temps plein dans une entreprise spécialisée en dotation. Des lettres de recommandation révèlent que la demanderesse va à l’église et fait parfois du bénévolat à la garderie de Jacob. Selon une lettre de son professeur, Jacob est intelligent, amical et actif, et il s’investit à l’école.

[9]               Le 19 juin 2012, la demanderesse a présenté la demande CH dont il est question en l’espèce. Dans les observations écrites fournies avec sa demande, la demanderesse affirme qu’elle est établie dans la communauté et qu’elle serait exposée à des difficultés si on l’obligeait à retourner à Sainte-Lucie. Voici certains exemples de ces difficultés :

         Le danger que représente M. Marius, et le fait que la demanderesse ait déjà été victime de violence familiale;

         La difficulté de se trouver un emploi et de gagner sa vie compte tenu de la mauvaise situation économique à Sainte-Lucie et de son âge;

         La difficulté d’obtenir des soins médicaux appropriés;

         Les difficultés auxquelles la mère de la demanderesse serait exposée, puisqu’elle ne pourrait plus compter sur l’aide financière que la demanderesse lui envoie grâce au salaire que cette dernière gagne au Canada;

         Les difficultés auxquelles serait exposé Jacob, y compris le fait que Jacob n’aurait plus accès à l’éducation fournie au Canada ni au système de santé canadien.

[10]           L’agent a reconnu que la demanderesse était établie au Canada : il a accepté ses antécédents d’emploi, son absence de casier judiciaire, son implication au sein de la communauté et les lettres d’appui de ses amis. Cependant, l’agent a conclu que le degré d’établissement de la demanderesse n’est pas plus important que ce à quoi on aurait pu s’attendre d’une personne dans une situation semblable et que ce degré d’établissement, en soi, ne justifiait pas l’exercice de son pouvoir discrétionnaire sur le fondement de considérations d’ordre humanitaire.

[11]           L’agent a souligné que, selon le paragraphe 25(1.3) de la Loi, il ne faut pas tenir compte, dans le cadre des demandes CH, des facteurs qu’il convient d’examiner pour établir si une personne a qualité de réfugié aux termes des articles 96 et 97 de la Loi. Pensons notamment aux risques auxquels la demanderesse serait exposée à cause de M. Marius à son retour à Sainte‑Lucie. Cependant, l’agent s’est bel et bien penché sur la question des difficultés qu’éprouveraient la demanderesse si elle retournait à Sainte-Lucie du fait qu’elle a déjà victime de violence familiale.

[12]           L’agent a renvoyé au rapport sur les droits de la personne concernant Sainte-Lucie produit par le département d’État des États-Unis afin d’établir que les forces de police à Sainte-Lucie sont disposées à arrêter les auteurs de violence familiale et qu’elles l’ont déjà fait. Les forces de police de Sainte-Lucie se sont aussi dotées d’une unité chargée des personnes vulnérables qui traite les cas de violence familiale. En outre, le tribunal de la famille de Sainte‑Lucie peut rendre des ordonnances de protection, et les victimes d’abus ont accès à des services d’aide gouvernementaux. Sur le fondement de ce qui précède, l’agent a conclu que la demanderesse disposerait de recours à Sainte-Lucie afin d’atténuer toutes difficultés qu’elles pourraient subir à l’avenir du fait qu’elle a déjà été victime de violence familiale.

[13]           L’agent a aussi examiné des rapports sur la situation au pays concernant Sainte‑Lucie qui montraient que le taux de criminalité a augmenté au cours des dernières années. L’agent a toutefois conclu que le taux de criminalité à Sainte-Lucie n’aurait pas une incidence disproportionnée sur la demanderesse et que les forces de police aident les victimes de crime.

[14]           L’agent a reconnu que la mauvaise situation économique à Sainte-Lucie et l’âge de la demanderesse constitueraient probablement un obstacle à l’emploi. Il a cependant estimé que les antécédents d’emploi de la demanderesse et sa débrouillardise l’aideraient à se trouver un emploi. L’agent en est également venu à la conclusion que ce sont les régions rurales de Sainte‑Lucie qui connaissent le pire taux de chômage et que, si la demanderesse déménageait dans un milieu urbain, elle aurait plus de chance de trouver un emploi. En outre, selon l’agent, rien ne donne à penser que les blessures de la demanderesse ont nui à sa capacité de trouver et de conserver un emploi.

[15]           L’agent a reconnu que les soins de santé offerts à Sainte-Lucie ne sont peut-être pas aussi complets que ceux offerts au Canada. Quoi qu’il en soit, rien ne donne à penser que la demanderesse doit subir d’autres traitements médicaux ou suivre une thérapie. Bien que la demanderesse ait laissé entendre qu’elle prend des médicaments pour atténuer une douleur chronique, rien ne prouve qu’elle en prenait en date de l’audience ou qu’elle ne pourrait pas obtenir de médicaments antidouleur à Sainte-Lucie.

[16]           En ce qui concerne la mère de la demanderesse, l’agent a conclu que les membres de la fratrie de la demanderesse ou la demanderesse elle-même, après avoir obtenu un emploi à Sainte-Lucie, pourraient l’aider financièrement.

[17]           En ce qui concerne l’intérêt supérieur de Jacob, l’agent a estimé que, malgré que celui-ci détienne la citoyenneté canadienne, il serait dans son intérêt qu’il suive la demanderesse à Sainte-Lucie. L’agent a conclu que le jeune âge, l’intelligence et la bonne humeur de Jacob l’aideraient à s’adapter à une nouvelle routine quotidienne et à se faire de nouveaux amis à Sainte-Lucie. Vu les conclusions de l’agent sur la sécurité et les perspectives d’emploi de la demanderesse, Jacob serait en sécurité et ne manquerait de rien. En outre, l’agent a renvoyé à un rapport de l’UNICEF intitulé A Study of Child Vulnerability in Barbados, St. Lucia and St. Vincent and the Grenadines afin de conclure que les jeunes sont obligés d’aller à l’école à Sainte-Lucie et que rien ne donne à penser que Jacob serait incapable d’obtenir de la formation ou de s’instruire à Sainte-Lucie. De façon semblable, selon le rapport de l’UNICEF, les jeunes ont accès à des soins de santé dans les hôpitaux et les grands centres de santé, et rien ne prouvait que Jacob ne pourrait pas y avoir accès.

III.             La norme de contrôle applicable

[18]           La norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, paragraphes 47 et 50; Gill c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 863, paragraphe 16).

IV.             Analyse

A.                Les difficultés

[19]           Pour les motifs exposés ci-après, bien que je convienne avec le défendeur que l’agent s’est montré raisonnable dans son examen des difficultés auxquelles la demanderesse serait exposée, je conclus que l’analyse de l’agent concernant l’intérêt supérieur du fils de la demanderesse, Jacob, était déraisonnable.

[20]           L’agent a accordé bien peu d’attention à de nombreux aspects de la preuve sur les difficultés, mais son raisonnement sur les difficultés auxquelles la demanderesse serait exposée était raisonnable compte tenu de la nature exceptionnelle du recours fondé sur des motifs d’ordre humanitaire.

[21]           En ce qui concerne la situation économique, l’agent a souligné que [traduction« […] l’économie de Sainte-Lucie est chancelante et que les hauts taux de chômage et de pauvreté constituent de graves problèmes récurrents ». Il a tenu compte des antécédents d’emploi de la demanderesse et de ses caractéristiques personnelles pour conclure qu’elle ne serait pas exposée à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. J’estime que l’analyse de l’agent laissait à désirer, mais elle était à tout le moins intelligible. Le défendeur n’était pas tenu de renvoyer à tous les éléments de preuve documentaire, et la demanderesse, dans ses observations, demande en fait à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve dont l’agent disposait.

[22]           De la même manière, les conclusions de l’agent concernant le risque que représente M. Marius et le haut taux de criminalité à Sainte-Lucie étaient raisonnables. Comme il a été établi dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CAF 113, paragraphes 48 et 49, un risque généralisé ne justifie pas une conclusion de difficultés excessives dans le cadre d’une analyse fondée sur l’article 25. Je crois qu’il était raisonnable que le défendeur analyse les diverses formes de recours dont dispose la demanderesse pour établir si le risque que représente M. Marius équivaudrait à des difficultés excessives. Je ne pense pas que l’agent, dans son analyse, ait importé dans l’analyse fondée sur l’article 25 l’analyse fondée sur les articles 96 et 97. Je crois plutôt que l’agent a examiné la question des difficultés excessives sur le fondement de risques qui seraient pertinents dans les deux analyses.

[23]           Je ne pense pas que la demanderesse se soit acquittée de son obligation de prouver qu’elle aurait besoin de quelque traitement médical continu que ce soit à Sainte-Lucie. La lettre de son médecin affirmant qu’elle prend parfois des médicaments antidouleur ne suffit pas pour établir qu’elle en a besoin de façon continue ou qu’elle ne serait pas en mesure d’en obtenir à Sainte-Lucie à un prix raisonnable.

[24]           Qui plus est, puisque j’ai estimé que la conclusion de l’agent concernant les perspectives d’emploi de la demanderesse est raisonnable et vu que la demanderesse a des frères et sœurs, je ne pense pas que l’agent, dans son analyse, ait déraisonnablement omis de tenir compte de la mère de la demanderesse. 

B.                 L’intérêt supérieur de l’enfant

[25]           Cependant, l’analyse de l’agent concernant le fils de la demanderesse, Jacob, est déraisonnable. La tâche d’analyser l’intérêt supérieur de l’enfant dans le contexte d’une demande CH a été décrite dans l’arrêt Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475 (l’arrêt Hawthorne), paragraphe 6 :

Il est quelque peu superficiel de simplement exiger de l’agente qu’elle décide si l’intérêt supérieur de l’enfant milite en faveur du non-renvoi--c’est un fait qu’on arrivera à une telle conclusion, sauf dans de rares cas inhabituels. En pratique, l’agente est chargée de décider, selon les circonstances de chaque affaire, du degré vraisemblable de difficultés auquel le renvoi d’un parent exposera l’enfant et de pondérer ce degré de difficultés par rapport aux autres facteurs, y compris les considérations d’intérêt public, qui militent en faveur ou à l’encontre du renvoi du parent.

[26]           Je crois que le juge James Russel, dans la décision Williams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 166 (la décision Williams) paragraphe 63, nous éclaire aussi sur la façon dont cette analyse devrait être menée :

Lorsqu’il analyse l’intérêt supérieur d’un enfant, l’agent doit d’abord déterminer en quoi consiste l’intérêt supérieur de l’enfant, en deuxième lieu, jusqu’à quel point l’intérêt de l’enfant est compromis par une décision éventuelle par rapport à une autre et, enfin, à la lumière de l’analyse susmentionnée, le poids que ce facteur joue lorsqu’il s’agit de trouver un équilibre entre les facteurs positifs et les facteurs négatifs dont il a été tenu compte lors de l’examen de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire.

[27]           Rien dans l’arrêt Hawthorne ou dans toute autre décision d’une instance supérieure ne donne à penser que la décision William établit un critère contraignant applicable dans le cadre de l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant. Cependant, peu importe le critère appliqué, où l’ordre dans lequel l’analyse a été faite, l’agent n’a pas vraiment essayé d’établir ce qui est dans l’intérêt supérieur de l’enfant. L’agent a conclu [traduction« […] [qu’]il serait dans l’intérêt supérieur de Jacob de retourner à Sainte-Lucie avec la demanderesse et de ne pas en être séparée ». Je conviens avec la demanderesse qu’il s’agit d’une conclusion injustifiée et inintelligible. On ne peut aucunement justifier la conclusion selon laquelle il serait dans l’intérêt supérieur d’un enfant de six ou sept ans de l’empêcher d’avoir accès aux réseaux de la santé et de l’éducation du Canada, de ne plus lui permettre de bénéficier de l’emploi stable de sa mère et de l’obliger à déménager dans un pays en développement où il n’est pas du tout certain, c’est le moins qu’on puisse dire, que sa mère puisse avoir un revenu et où, selon diverses sources, les réseaux de la santé et de l’éducation laissent à désirer.

[28]           L’agent n’a pas suivi les principes établis dans l’arrêt Hawthorne : il n’a pas apprécié le degré de difficulté auquel Jacob serait exposé ou ne l’a pas pondéré par rapport aux autres facteurs pertinents dans l’analyse fondée sur l’article 25. C’est évident, puisque l’agent ne fait presque aucunement mention des conséquences négatives que le renvoi aurait sur Jacob et il se contente de mentionner certains éléments permettant de conclure que les besoins de Jacob seraient comblés à Sainte-Lucie.

[29]           Bien que le contexte soit différent, j’adopte la description que la juge Judith Snider a faite quant à des conclusions semblables dans la décision Shallow c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 749, paragraphes 19 et 20; il s’agit de « vœux pieux » qui n’ont pas leur place dans une analyse raisonnable des motifs d’ordre humanitaire.

[30]           L’agent ne s’est pas non plus montré raisonnable dans son analyse officielle de l’intérêt supérieur de Jacob, puisqu’il semble avoir mis l’accent sur la question de savoir si les besoins de Jacob seraient comblés malgré le déménagement à Sainte‑Lucie ou, à tout le moins, si le déménagement ne lui nuirait pas. Cela ressort clairement de plusieurs extraits de la décision :

[traduction]

         « Je conclus que les recours disponibles à Sainte‑Lucie permettraient […] à la demanderesse de créer un milieu sécuritaire pour Jacob »;

         « J’ai déjà conclu que la demanderesse serait vraisemblablement capable de se trouver un emploi à Sainte‑Lucie qui lui permettrait de fournir un foyer stable à Jacob »;

         « J’estime […] que le taux de criminalité à Sainte‑Lucie n’aurait pas de répercussions directes et négatives sur la demanderesse et Jacob »;

         « Peu d’éléments de preuve laissent croire que Jacob n’aurait pas accès aux soins de santé auxquels les autres enfants à Sainte‑Lucie ont accès […] [et les] éléments de preuve soumis par la demanderesse à l’appui de l’allégation selon laquelle les soins de santé auxquels les enfants à Sainte‑Lucie ont accès ne donnent pas à penser que ces soins ne répondraient pas aux besoins de Jacob ».

[31]           Cette analyse fait écho au type d’analyse contre laquelle le juge Russel Zinn nous met en garde dans la décision Sebbe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 813, paragraphes 15 et 16 :

15  Lorsqu’il mentionne que [traduction] « la preuve dont je dispose n’est pas suffisante pour me permettre de penser que ses besoins fondamentaux ne seraient pas comblés au Brésil », l’agent incorpore dans l’analyse un critère qui ne devrait pas s’y trouver. Il semble affirmer que le fait de demeurer au Canada ne servira l’intérêt supérieur d’un enfant que si l’autre pays n’est pas en mesure de répondre aux « besoins fondamentaux » de ce dernier. Or, ce n’est ni le critère ni l’approche applicable pour déterminer l’intérêt supérieur d’un enfant. Comme le juge Russell l’a récemment indiqué dans Williams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 166, au paragraphe 64:

Il n’existe pas de norme minimale en matière de besoins fondamentaux qui satisferait au critère de l’intérêt supérieur. De plus, il n’existe pas de critère minimal en matière de difficultés suivant lequel à un certain point dans l’échelle des difficultés et seulement à ce point pourrait‑on considérer que l’intérêt supérieur de l’enfant est « compromis » au point de justifier une décision favorable. La question n’est pas celle de savoir si l’enfant « souffre assez » pour que l’on considère que son « intérêt supérieur » ne sera pas« respecté ». À cette étape initiale de l’analyse, la question à laquelle il faut répondre est la suivante : « en quoi consiste l’intérêt supérieur de l’enfant? »

16  Il ne fait aucun doute qu’on ne pourra jamais prétendre qu’il est dans l’intérêt supérieur d’un enfant de le placer dans un milieu où ses besoins fondamentaux ne sont pas comblés. Cependant, laisser entendre que l’intérêt de l’enfant à demeurer au Canada est neutralisé si l’autre pays offre un niveau de vie minimal est abusif. Cette approche escamote complètement la question à laquelle l’agent est chargé de répondre : Quel est l’intérêt supérieur de cet enfant? L’agent était tenu de décider en premier lieu s’il était dans l’intérêt supérieur de Leticia d’aller avec ses parents au Brésil, où elle n’avait jamais mis les pieds, ou plutôt de demeurer au Canada, où elle bénéficiait de [traduction] « meilleures possibilités sur le plan social et financier ». Ce n’est qu’après avoir clairement défini ce qui était dans l’intérêt supérieur de Leticia que l’agent pouvait apprécier ce résultat en tenant compte des autres éléments favorables et défavorables que révèle la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[32]           Le défendeur a raison de dire que l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas déterminant dans le cadre de l’analyse d’une demande CH, mais, vu l’analyse déraisonnable que l’agent a faite à l’égard de l’intérêt supérieur de Jacob en l’espèce, je crois qu’il est justifié de faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de la demanderesse est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen;

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2891-13

 

INTITULÉ :

SARAH FELIX c CANADA (MINISTRE DE LA CITOTENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

toronto (ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 JUIN 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE manson

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 19 JUIN 2014

 

COMPARUTIONS :

M. Daniel Kingwell

 

pour la demanderesse,

SARAH FELIX

 

M. Christopher Ezrin

 

pour le défendeur,

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Avocats spécialisés en droit de l’immigration

Toronto (Ontario)

 

pour la demanderesse,

SARAH FELIX

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur,

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

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