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Date : 20140623


Dossier : IMM-7417-13

Référence : 2014 CF 601

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 juin 2014

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

SIVAEESAN THAVACHCHELVAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur est un Tamoul du Sri Lanka âgé de 25 ans. Le 10 avril 2012, la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] a rejeté sa demande d’asile. Le 28 janvier 2013, la Cour a rejeté sa demande de contrôle judiciaire. Le 16 septembre 2013, ses demandes d’examen des risques avant renvoi [ERAR] et de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ont aussi été rejetées.

[2]               Le demandeur a déposé sans délai une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision rendue le 16 septembre 2013 par Thierry Alfred N’kombe, un agent chargé de l’examen des risques avant renvoi [l’agent d’ERAR ou l’agent], rejetant sa demande d’ERAR, parce qu’il n’était pas réputé être une personne exposée au risque de persécution, de torture, de menace à la vie ou de traitements ou peines cruels et inusités, s’il devait retourner au Sri Lanka.

[3]               Entre-temps, le renvoi du demandeur était prévu pour le 20 décembre 2013 et, le 11 décembre 2013, sa demande de report du renvoi a été rejetée par Henry Kwan, un agent chargé de l’application de la loi [l’agent de renvoi]. Toutefois, le 18 décembre 2013, le juge Noël a fait droit à la requête du demandeur visant le sursis à son renvoi, dans l’attente du contrôle judiciaire de la décision de l’agent de renvoi (dossier IMM‑7938‑13).

[4]               Dans son ordonnance, le juge Noël a déclaré que [traduction] « il est de l’intérêt de la justice que la […] demande [visant la décision rendue par l’agent de renvoi] soit examinée par un juge de la Cour disposant de tous les éléments » (dossier IMM‑7938‑13). Selon une ordonnance rendue le 20 mars 2014, la présente demande de contrôle judiciaire visant la décision défavorable de l’agent d’ERAR a été entendue par la Cour le 11 juin 2014, en même temps que la demande de contrôle judiciaire contestant la légalité de la décision de refuser le report du renvoi prise par l’agent de renvoi (dossier IMM‑7938‑13).

[5]               Il est bien établi que l’appréciation de la preuve faite par un agent d’ERAR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Essentiellement, l’agent d’ERAR rejette les allégations du demandeur selon lesquelles il est exposé au risque parce qu’il est à la fois un Tamoul originaire du Nord ou de l’Est du Sri Lanka et un demandeur d’asile débouté. L’avocate du demandeur soutient que les raisons pour lesquelles l’agent d’ERAR a rejeté des éléments de preuve hautement pertinents du risque sont arbitraires, qu’il a fait une lecture sélective de la preuve documentaire et que, par ailleurs, sa conclusion d’absence de risque personnalisé est déraisonnable.

[6]               L’avocat du défendeur convient que la preuve documentaire est contradictoire, mais il réfute l’argument selon lequel l’agent en a entrepris une lecture sélective. Il soutient que l’agent n’a pas agi de façon déraisonnable lorsqu’il a conclu qu’il y avait des renseignements insuffisants établissant que le demandeur serait personnellement exposé à un risque à son retour au Sri Lanka. Bien que l’agent reconnaisse que certains Tamouls sont ciblés à des fins d’interrogatoire ou même détenus à leur arrivée, il en est ainsi en raison de la suspicion que les Sri Lankais de retour sont des partisans des Tigres de libération de l’Eelam tamoul [TLET] ou qu’ils soutiennent ces derniers. Il n’y avait pas d’éléments de preuve dans le dossier selon lesquels le demandeur était une personne susceptible de présenter de l’intérêt pour les forces de sécurité. En particulier, l’agent d’ERAR a fait référence au témoignage du demandeur à la SPR duquel il ressortait que le demandeur n’était pas soupçonné d’être un partisan des TLET.

[7]               J’accepte les arguments avancés en l’espèce par le demandeur.

[8]               Lorsqu’il a rejeté l’ensemble des très récents éléments de preuve de risque présentés par le demandeur, le raisonnement de l’agent d’ERAR était essentiellement fondé sur la seule opinion de certains fonctionnaires de l’Agence des services frontaliers du Royaume‑Uni (UK Border Agency [UKBA]), qui ont [traduction] « expliqué que, sur la foi de renseignements limités et anonymes fournis par les organisations Human Rights Watch et Freedom from Torture, […] ils ont estimé qu’il ne s’agissait pas d’éléments de preuve suffisants pour changer leur politique sur les renvois des Sri Lankais ». Une référence est aussi faite, dans le rapport de l’UKBA de décembre 2012, à la décision d’une Cour supérieure de la chambre de l’immigration et de l’asile du Royaume‑Uni (Upper Tribunal of the Immigration and Asylum Chamber) qui a aussi déclaré que les allégations de Human Rights Watch et de Freedom from Torture n’avaient pas de fondement. L’agent a aussi examiné le Cartable national de documentation du Canada qui rejetait la réponse à la demande d’information LKA104245.EF (12 février 2013), encore une fois, parce que les allégations selon lesquelles les Tamouls de retour qui sont arrêtés ou détenus sont [traduction] « pour l’essentiel fondées sur des sources qui se sont révélées non fiables ». Sur la foi des observations faites par l’UKBA et d’autres fonctionnaires du Royaume‑Uni, l’agent a déclaré : [traduction] « j’accorde peu de poids aux allégations de détention et de torture formulées dans la LKA104245.EF ».

[9]               Il y a un problème de fond dans le rejet catégorique de tous les renseignements pertinents produits par Human Rights Watch, Freedom from Torture et ceux issus de la Réponse à la demande d’information du cartable national de documentation du Canada, au seul motif que de tels renseignements sont [traduction] « anonymes ». Il s’agit d’organisations internationales reconnues et très crédibles. La protection de leurs sources de renseignements est essentielle à leur mandat qui consiste à faire connaître les violations des droits de la personne. Si des renseignements personnels qui peuvent être utilisés pour identifier les personnes signalant des abus, notamment les Tamouls de retour et les demandeurs d’asile déboutés, ainsi que les membres de leurs familles et leurs amis étaient connus, les vies de ces personnes pourraient être menacées.

[10]           En juin 2013, Freedom from Torture a présenté des observations au comité des affaires étrangères du Royaume‑Uni relativement à cette question; selon l’organisation :

[traduction]

[…] a expliqué avec insistance qu’elle n’était pas en position de divulguer des détails permettant d’identifier des personnes, parce que cela irait à l’encontre de ses obligations en matière de confidentialité et de protection des données et, quoi qu’il en soit, en tant que témoin expert ou témoin expert potentiel, dans une procédure contradictoire contre le secrétariat d’État pour le ministère de l’Intérieur à laquelle sont parties des personnes dont les affaires sont incluses dans ses recherches, il ne serait pas approprié que l’organisation discute directement des détails de l’affaire avec l’UKBA.

Un aspect général est […] le danger que cette approche puisse être interprétée comme un soutien aux efforts des autres gouvernements visant à miner les recherches sur les droits de la personne au moyen de la contestation des méthodes de présentation des fruits de la recherche, notamment l’anonymat et la compilation, visant à protéger l’identité des victimes des violations des droits de la personne et à souligner les tendances aux abus.

[11]           Le fait que l’identité des sources est souvent dissimulée apparaît même dans les documents sur lesquels l’agent s’est fondé pour rejeter la demande du demandeur. En particulier, l’agent cite une lettre, de décembre 2012, du haut‑commissariat du Royaume‑Uni à Colombo qui identifie simplement les personnes comme [traduction] « un porte‑parole de l’ambassade suisse », « un porte-parole du haut‑commissariat de l’Australie », « un agent de cas au Sri Lanka », « une agence internationale », « une agence internationale », « une organisation indépendante située à Colombo », et ainsi de suite.

[12]           De façon similaire, dans un rapport de 2010 intitulé [traduction] « Droits de la personne et questions de sécurité concernant les Tamouls au Sri Lanka » (Human Rights and Security Issues concerning Tamils in Sri Lanka), le Service d’immigration du Danemark souligne qu’en consultation avec les autorités sri lankaises, les missions diplomatiques, les organisations internationales, les ONG locales et les médias, certaines sources refusent d’être citées par leur nom [traduction] « parce qu’elles ont des inquiétudes à la fois pour leur sécurité personnelle et (possiblement) pour la sécurité des personnes qu’elles aident » (à la page 5).

[13]           En outre, il ressort du Bulletin de politique nationale de l’UKBA de mars 2013 sur le Sri Lanka que le rapport de Freedom from Torture n’a pas été complètement écarté par les tribunaux du Royaume‑Uni ou les autorités, en dépit de ses sources anonymes. Le bulletin fait mention d’une décision d’une Cour supérieure du Royaume-Uni, rendue en 2012, qui a fait droit à une demande d’ordonnance provisoire au motif que [traduction] « [c]’est une combinaison à la fois de résidence au Royaume‑Uni et d’association réelle ou supposée, à quelque niveau que ce soit, avec les TLET qui expose les personnes au risque » (R (on the application of Qubert) & Ors c Secretary of State for Home Department, [2012] EWHC 3052 (Admin), au paragraphe 10), cité dans le Bulletin de politique nationale de l’UKBA sur le Sri Lanka (mars 2013). Cette Cour supérieure relève que [traduction] « de nombreux documents importants ont été mis au jour, en particulier sous la forme de nombreux rapports, mais aussi précisément sous la forme d’un rapport de Freedom from Torture, daté du 13 septembre, dont il est dit pour le compte des demandeurs, qu’il rend évident qu’il y a un risque suffisant que tout Tamoul qui est renvoyé du Royaume‑Uni au Sri Lanka serait exposé au risque de torture ».

[14]           La Cour supérieure du Royaume‑Uni continue sa décision par l’analyse de la question de savoir si le rapport de Freedom from Torture justifie la suspension de toutes les expulsions dans l’attente de la révision de la politique [traduction] « à la lumière de ce qui est révélé dans ce rapport, et dans le rapport d’autres organisations similaires » (au paragraphe 8). La Cour supérieure conclut que, bien que [traduction] « ce rapport ne soit pas suffisant pour justifier l’adoption d’une approche globale et, par conséquent, faire droit aux demandes d’ordonnances provisoires de façon générale, au point d’entraîner dans les faits l’abandon de cette procédure », néanmoins, le rapport [traduction] « exige que les demandes individuelles soient examinées au cas par cas dans le but d’établir quels éléments de preuve révèlent qu’une ou toutes les personnes peuvent appartenir à cette catégorie, ce qui les expose au risque » (au paragraphe 10).

[15]           Au passage, l’agent d’ERAR semble aussi accorder une grande importance au fait qu’il y a [traduction] « des signes que le gouvernement du Sri Lanka est centré sur la reconstruction », notamment, la levée de l’état d’urgence en août 2011 et la remise en liberté de beaucoup (même si ce n’est pas de tous) de membres présumés des TLET détenus tout en relevant que les retours volontaires continuent. Le problème est que la torture continue au Sri Lanka, comme en témoignent de nombreux documents récents et qu’une telle réinstallation a lieu sous les auspices du HCR, et n’inclut pas les demandeurs d’asile déboutés comme le demandeur.

[16]           Le demandeur avance aussi qu’un certain nombre de rapports et de communiqués de presse ne sont pas examinés par l’agent, notamment, le rapport de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture [ACAT], de juin 2012, intitulé « Le règne de l’arbitraire – Étude du phénomène tortionnaire au Sri Lanka », et [traduction] « Sri Lankais expulsés du Canada torturés à Colombo » (Lankasri news, le 10 octobre 2012). Le demandeur a aussi produit un certain nombre d’autres documents actuels, y compris l’article [traduction] « Trop tard, le Bureau fédéral des migrations suspend le rapatriement au Sri Lanka » (Forum Asile, le 3 septembre 2013), selon lequel le gouvernement de la Suisse a adopté un moratoire des expulsions de demandeurs d’asile sri lankais déboutés, en raison de rapports faisant état de leurs arrestations et de leur torture.

[17]           La Cour a récemment réitéré que « la non‑prise en considération d’éléments de preuve substantielle par un tribunal administratif constitue une erreur donnant lieu à révision et que la Commission est tenue de mentionner les éléments de preuve importants relatifs à la situation du pays d’origine qui contredisent ses conclusions finales; voir Polgari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 626 (CF 1re inst.) » (Suppaiah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 429, au paragraphe 30).

[18]           Malgré les points de vue divergents qu’on peut avoir relativement au niveau de risque en raison de l’origine ethnique ou du fait d’être un demandeur d’asile débouté, il ressort de façon claire et non équivoque des documents que les personnes qui sont perçues comme ayant des liens avec les TLET sont ciblées et peuvent être arrêtées et torturées (parfois même de nombreux mois après leur retour au Sri Lanka). Par exemple, le rapport de l’ACAT déclare :

En 2011 et 2012, des Sri Lankais d’ethnie tamoule, renvoyés dans leur pays, parfois après avoir été déboutés de leur demande d’asile, ont indiqué avoir été torturés et soumis à des mauvais traitements à leur retour au Sri Lanka, pour leur faire avouer des liens présumés avec les Tigres tamouls. Un Tamoul renvoyé du Royaume-Uni et arrêté le 29 décembre 2011 allègue avoir été frappé et brûlé avec des cigarettes par des militaires pendant son interrogatoire. On lui aurait plongé la tête dans du kérosène. Il aurait été également suspendu par les pieds et la tête immergée dans un seau d’eau et du piment lui aurait été appliqué sur la tête et sur le torse. Ces méthodes auraient visé à lui faire avouer qu’il était membre des LTTE. Une note de la Commission d’immigration et du statut de réfugié du Canada corrobore ce type d’informations et fait état de mauvais traitements et de tortures pour des personnes détenues à l’aéroport et soupçonnées d’avoir des liens avec les LTTE (à la page 16, non souligné dans l’original).

[19]           Le demandeur soutient aussi que l’agent a commis une erreur lorsqu’il ne s’est pas fondé sur les très récents principes directeurs du HCR, du 21 décembre 2012, relatifs à l’évaluation des besoins de protection internationale des demandeurs d’asile originaires du Sri Lanka [les principes directeurs], et qu’il s’est plutôt fondé sur les principes directeurs de 2010. Le demandeur souligne en particulier que selon ces principes directeurs, la détention arbitraire est pratiquée à grande échelle après la fin du conflit et la majorité des personnes de retour reçoivent des visites des militaires ou de la police à leur résidence ou pour exiger d’elles qu’elles s’enregistrent à nouveau.

[20]           À la page 27 des principes directeurs :

[traduction]

[…] liens antérieurs (réels ou perçus) qui remontent à plus loin que la résidence dans une région contrôlée par les TLET continuent d’exposer les personnes à un traitement qui peut donner naissance au besoin de protection internationale des réfugiés, en fonction des particularités de chaque cas. La nature de ces liens très élaborés aux TLET peut varier, mais peut inclure des personnes ayant les profils suivants :

1) des personnes qui ont occupé des postes supérieurs assortis de grands pouvoirs dans l’administration civile des TLET, lorsque les TLET contrôlaient d’immenses parties de celles qui sont maintenant les provinces du Nord et de l’Est du Sri Lanka;

2) d’anciens combattants des TLET ou des « cadres »;

3) d’anciens combattants des TLET ou des « cadres » qui en raison d’une blessure ou pour toute autre raison ont travaillé pour les TLET dans des fonctions au sein de l’administration, des services de renseignements, de la « division informatique » ou des médias (presse et radio);

4) d’anciens partisans des TLET qui n’ont peut-être jamais reçu de formation militaire, mais qui ont participé à la mise à l’abri ou au transport des employés des TLET ou à l’approvisionnement et au transport de marchandises pour les TLET;

5) des collecteurs de fonds des TLET et des activistes et ceux qui sont perçus comme ayant des liens à la diaspora sri lankaise qui a donné du financement et d’autres moyens de soutien aux TLET;

6) des personnes ayant des liens familiaux ou qui sont à la charge ou qui sont autrement étroitement liées aux personnes qui ont les profils susmentionnés. [Non souligné dans l’original.]

[21]           Les principes directeurs continuent par la déclaration selon laquelle [traduction] « les personnes ayant les profils susmentionnés ont, en fonction des circonstances personnelles du cas, vraisemblablement besoin de la protection internationale des réfugiés en raison de leurs opinions politiques (perçues) habituellement reliées à leur origine ethnique. Il en est vraisemblablement de même pour les membres de leurs familles et d’autres personnes à charge qui ont les profils susmentionnés » (à la page 28, non souligné dans l’original). Il ressort également des principes directeurs que [traduction] « des renseignements ont été publiés qui documentent des cas de mauvais traitements et de torture de femmes et d’hommes pendant leur détention (la garde à vue ou d’autres formes de détention), en raison de leurs liens ou de liens anciens prétendus des membres de leurs familles avec les TLET » (à la page 27).

[22]           De façon semblable, le journal The Guardian cite Keith Best, président directeur de Freedom from Torture, selon lequel [traduction] « nous avons établi que ceux qui ont ne serait-ce que des liens de faible envergure avec les TLET, qu’ils soient réels ou perçus, sont exposés au risque de torture, mais on n’a encore donné aucune suite à nos écrits » (« Sri Lankais expulsés du Royaume‑Uni, allégations de torture après leur expulsion à Colombo, le 12 février 2013 »). Le rapport de l’organisation suisse d’aide aux réfugiés révèle aussi que [traduction] « les autorités étendent aussi leur suspicion aux connaissances et aux parents d’anciens membres des TLET » ([traduction] « Sri Lanka : la situation actuelle », le 15 novembre 2012, à la page 12).

[23]           En l’espèce, il y a une autre raison précise justifiant l’intervention. Bien que ce ne soit pas par la faute du demandeur, il appert qu’en raison de la seule négligence de son ancien consultant en immigration, ce ne sont pas tous les éléments de preuve reliant le demandeur à un membre des TLET déclaré coupable qui ont été présentés dans l’ERAR. Dans ses deux affidavits (requête en sursis et demande), le demandeur explique que, lorsqu’il est arrivé au Canada, il ne savait pas parler anglais. L’interprète tamoul qui l’a aidé à préparer son Formulaire de renseignements personnels (FRP) lui a dit de ne pas faire mention des difficultés judiciaires de son cousin, étant donné qu’il serait alors désigné comme un partisan des TLET et que sa demande serait rejetée. Le demandeur a aussi divulgué cette information au consultant qui a préparé sa demande d’ERAR, M. Surendra Sivagnanam, qui a dit qu’il allait travailler avec un avocat du bureau de M. Joseph Allen. Le demandeur lui a donné les documents pertinents du tribunal concernant son cousin, ainsi qu’une pétition de son oncle, du 12 août 2012, adressée au président du Sri Lanka qui demandait la libération de son fils.

[24]           La demande du demandeur visant l’obtention d’un sursis administratif au renvoi était fondée sur ce fait nouveau, lequel n’était pas mentionné par l’agent d’ERAR dans la décision contestée : la déclaration de culpabilité du cousin au premier degré du demandeur pour des activités terroristes, en juillet 2012, au Sri Lanka. Ce renseignement important n’a pas été invoqué dans sa demande d’asile à la SPR étant donné que son cousin n’avait pas encore été déclaré coupable. Malheureusement, il appert maintenant que les renseignements postérieurs à l’audience à la Commission à l’appui de la demande d’ERAR déposée le 1er mai 2013 n’ont jamais été produits par le consultant en immigration. Le 6 décembre 2013, le juge Noël a décidé de surseoir à la mesure de renvoi, parce que les nouveaux documents présentés à l’agent de renvoi qui a refusé le report du renvoi [traduction] « avaient été présentés de façon incomplète à l’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi et auraient pu, du moins en partie, être présentés à la Section de la protection des réfugiés ». Au vu de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale (Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique de la Protection civile), 2009 CAF 81, au paragraphe 25), le fait que le juge Noël a accordé le sursis constitue un indice très solide que l’agent de renvoi a commis une erreur susceptible de contrôle qui rend le refus du report déraisonnable.

[25]           La nouvelle preuve du demandeur était hautement pertinente et aurait pu modifier la conclusion de l’agent d’ERAR selon laquelle le demandeur n’appartient pas à la catégorie des personnes soupçonnées d’avoir des liens avec les TLET. La nouvelle preuve est directement liée à l’arrestation du cousin du demandeur, aux accusations portées contre ce cousin et à la déclaration de culpabilité de ce dernier. Par exemple, l’ordonnance de détention du cousin précise que [traduction] « il y a des raisons de soupçonner qu’il a participé à la perpétration d’infractions au [traduction] Règlement sur l’urgence (diverses dispositions et pouvoirs), no 1 de 2005, en raison de ses liens avec le réseau international de renseignements des TLET » et qu’il est [traduction] « un membre actif des TLET », tandis que l’acte d’accusation à la Cour supérieure du district judiciaire de Colombo, daté du 23 février 2012, déclare que le cousin [traduction] « a planifié […] la provocation ou la production d’actes haineux durant la période du 5 juillet au 5 décembre 2006 à Kelaniya […] quand, sous les ordres de Shanmugasundaram Kanthaskaran, une personne qui a participé à l’action des TLET contre l’État, il a acheté 10 tracteurs pour le mouvement des TLET ».

[26]           En outre, le demandeur déclare que les autorités ont des traces écrites de documents qui le relient à son cousin : nommément, il a résidé avec le père de son cousin à Colombo de décembre 2007 jusqu’à son départ, et il a aussi rendu visite à son cousin en prison. Le demandeur s’est inscrit auprès de la police à son arrivée, déclarant notamment qu’il vivait avec son oncle à l’adresse précisée. Le demandeur a rendu visite à son cousin deux fois à la prison Magazine à Colombo. Chaque visite a prétendument été enregistrée. Au risque de me répéter, comme la preuve documentaire susmentionnée le donne à penser, une personne peut être personnellement exposée au risque en raison de ses liens avec un membre de sa famille qui a des liens avec les TLET.

[27]           Pour ces motifs, la présente demande est accueillie. La décision contestée, rendue le 16 septembre 2013, est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent chargé de l’examen des risques avant renvoi pour nouvel examen et afin que ce dernier rende une nouvelle décision. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le report du renvoi du demandeur au Sri Lanka a été rejeté est devenue théorique et la Cour l’a rejetée le même jour (2014 CF 602).

[28]           La présente demande est accueillie.

[29]           Les avocats conviennent qu’il n’y a pas de question de portée générale qui justifie la certification.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision contestée, rendue le 16 septembre 2013, est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent chargé de l’examen des risques avant renvoi pour nouvel examen et afin qu’il rende une nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7417-13

 

INTITULÉ :

SIVAEESAN THAVACHCHELVAM

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 juin 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

Le 23 juin 2014

 

COMPARUTIONS :

Rachel Benaroch

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Michel Pépin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rachel Benaroch

Avocate

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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