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Date : 20140623


Dossier : IMM-2613-13

Référence : 2014 CF 598

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 juin 2014

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

MYRIAM ROCHA CORTES, GABRIELA PATRICIA FERNANDEZ ROCHA, MARIA DEL TRANSITO CORTES JIMENEZ

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demanderesses demandent le contrôle judiciaire de la décision datée du 11 mars 2013 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu qu’elles n’étaient ni des réfugiées au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

Faits

[2]               La demanderesse principale, Myriam Rocha Cortes, sa fille, Gabriela Patricia Fernandez Rocha, et sa mère, Maria del Transito Cortes Jimenez, sont citoyennes de la Colombie. Elles allèguent craindre d’être persécutées par des guérilleros des Forces armées révolutionnaires de la Colombie (FARC).

[3]               Les demanderesses affirment que la demanderesse principale était propriétaire d’une entreprise immobilière à Santa Marta. En mai 2010, un homme est venu au bureau et a voulu louer une maison située directement derrière le poste de police. Quelques jours plus tard, il est revenu et s’est présenté comme un membre des FARC, indiquant que les FARC exigeaient que la maison leur soit louée. La demanderesse principale a signalé ce fait à la police le jour même. La police a déclaré que ce n’était pas la première fois qu’une telle situation se produisait, car les FARC cherchaient toujours à se rapprocher de la police. Ajoutant qu’une dénonciation n’était pas nécessaire, la police a toutefois recommandé à la demanderesse principale d’être prudente et de l’appeler si autre chose arrivait. Le 21 mai 2010, les FARC ont téléphoné à la demanderesse principale et, lui rappelant que les dénonciateurs mouraient, ils ont exigé que la maison leur soit louée pour le 30 mai 2010. Après cet incident, la demanderesse principale a commencé à travailler de la maison.

[4]               La demanderesse principale a reçu encore des menaces par la suite. Comme elle avait refusé de louer la maison, elle devait payer un impôt de guerre de 45 millions de pesos. Si elle s’exécutait, les FARC garantiraient sa sécurité et celle de sa mère, dont la ferme avait déjà été occupée par les FARC, mais qui n’avait pas donné aux FARC les titres documentaires de la propriété. La demanderesse principale n’a pas signalé ces incidents à la police, parce que les FARC l’avaient avertie de ne pas le faire.

[5]               La demanderesse principale a emménagé avec un ami et a fermé son bureau le 31 mai 2010. Elle a donné une procuration à une autre personne pour que celle-ci règle les affaires courantes, mais non pour exploiter l’entreprise. Le 20 juin 2010, elle est partie avec sa mère vivre dans la maison de sa fille à Bogota. Elle a vendu son entreprise le 10 juillet 2010.

[6]               Le 19 août 2010, sa fille a été victime d’une tentative d’enlèvement, laquelle a été signalée à la police. Le 21 août 2010, les FARC ont téléphoné à la demanderesse principale et lui ont dit que les demanderesses ne pouvaient pas fuir. Ils ont reconnu la tentative d’enlèvement ratée et déclaré que, si elle ne payait pas l’impôt de guerre dans les quinze jours, les demanderesses paieraient de leur vie, lui rappelant que les informateurs mouraient. Une fois encore, la demanderesse principale n’a pas signalé ces menaces à la police. Le 23 août 2010, la fille de la demanderesse principale a quitté son emploi. Elles se sont enfuies au Canada le 3 septembre 2010 et ont demandé l’asile à leur arrivée. Par la suite, la demanderesse principale a appris que les FARC s’étaient rendus deux fois à son ancien bureau pour poser des questions sur sa mère et sur elle, et affirmant qu’elles avaient une dette envers les FARC.

Décision faisant l’objet du contrôle

[7]               La SPR a déclaré que la question déterminante était la protection de l’État et a donc analysé la protection de l’État et la crédibilité ensemble. Essentiellement, la SPR ne croyait pas que les FARC avaient pris contact avec les demanderesses, ni que les demanderesses s’étaient tournées vers la police pour obtenir protection.

[8]               Étant donné les relations historiques entre la police et les FARC, la SPR a indiqué qu’elle ne pouvait comprendre la réponse nonchalante que la police aurait donnée à la demanderesse principale lorsque celle-ci lui avait signalé que les FARC souhaitaient louer la maison. D’après la preuve documentaire, laquelle, selon la SPR, démontrait que la police prenait les FARC beaucoup plus au sérieux que ne le décrivait la demanderesse principale, la SPR a conclu que la demanderesse principale avait inventé l’histoire des FARC pour étayer sa demande d’asile. La SPR a en outre conclu que la demanderesse principale n’avait pas présenté d’éléments de preuve corroborants, comme un rapport de police, pour appuyer ses problèmes allégués avec les FARC en Colombie.

[9]               La SPR a souligné que la demanderesse principale n’avait pas signalé les menaces reçues après sa première rencontre avec les FARC. Selon la SPR, le témoignage de la demanderesse principale selon lequel la police avait déclaré que ce qui s’était produit ne constituait pas un crime contredisait la preuve documentaire, qui révélait que l’extorsion, les menaces et les enlèvements sont des crimes sur lesquels la police enquête. La SPR ne croyait pas que la demanderesse principale avait eu des problèmes avec les FARC, ni qu’elle avait demandé protection. Toutefois, si la demanderesse principale avait eu les problèmes allégués, la police l’aurait protégée. La SPR a également conclu que la demanderesse principale avait omis de mentionner, dans l’exposé circonstancié de son Formulaire de renseignements personnels (FRP), qu’elle avait demandé protection, et que l’explication selon laquelle la demanderesse principale avait signalé « l’incident du 18 août » ne disait pas pourquoi elle avait fait cette omission. Selon la SPR, cette explication était évasive et déraisonnable, et elle minait la crédibilité de la demanderesse principale. La SPR a souligné que la demanderesse principale était représentée par un conseil chevronné, qu’elle n’avait pas apporté de modifications à son FRP et que l’information omise touchait au cœur même de sa demande d’asile, à savoir la protection de l’État.

[10]           La SPR a reconnu que la fille de la demanderesse principale avait signalé la tentative d’enlèvement à la police, mais elle a conclu que rien dans le FRP de la fille n’indiquait que les policiers auraient répondu qu’ils ne la protégeraient pas. Selon la SPR, l’explication donnée par la demanderesse principale selon laquelle les policiers auraient dit à sa fille qu’une tentative d’enlèvement ne constituait pas un crime et qu’ils ne la protégeraient pas ne permettait pas de comprendre pourquoi la fille avait omis de mentionner cette information. La SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que la fille de la demandeure d’asile n’avait pas signalé l’incident à la police et qu’elle ne l’avait pas fait parce que personne n’avait essayé de l’enlever. Il s’agissait encore une fois d’un effort fait pour étayer les demandes d’asile. De plus, la fille aurait signalé un incident le 20 août 2010, mais fui le pays le 23 septembre 2010. Il était déraisonnable de s’attendre à des poursuites où à des déclarations de culpabilité immédiates. La SPR a conclu que les demanderesses n’avaient pas établi que la protection de l’État en Colombie était inadéquate à l’aide d’une preuve claire et convaincante, parce qu’elles n’avaient pas pris toutes les mesures raisonnables pour obtenir une protection. La présomption de protection de l’État n’a pas été réfutée.

[11]           Dans une section distincte portant sur la protection de l’État, la SPR s’est reportée à divers documents sur la situation en Colombie. Reconnaissant que la preuve documentaire comportait des incohérences, la SPR a néanmoins conclu que la prépondérance de la preuve donnait à penser que la protection offerte par l’État aux victimes d’actes criminels en Colombie était adéquate, à défaut d’être parfaite, et que la Colombie s’efforçait sérieusement d’enrayer la criminalité. La SPR a également passé en revue les éléments de preuve concernant les activités des guérilleros et des organisations paramilitaires, et a constaté que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés avait désigné certains groupes qui étaient exposés à un risque particulier de persécution ou de préjudice grave en Colombie. La Commission a reconnu que les FARC commettaient des violations des droits de la personne, et que la preuve documentaire était nuancée à propos de la portée et de l’influence des FARC. Par conséquent, le tribunal a dû fonder sa décision sur les circonstances personnelles des demandeures d’asile et, du point de vue de la preuve documentaire, évaluer si les FARC voudraient poursuivre une personne qui a déménagé. D’après la preuve documentaire, cette volonté est tributaire de la valeur accordée à la personne en question par les FARC. Les membres de l’élite politique, du milieu des affaires, du milieu universitaire ou de la classe professionnelle ciblés aux fins d’extorsion ou de collaboration forcée auraient une grande valeur aux yeux des FARC.

Norme de contrôle

[12]           Les conclusions relatives à la crédibilité sont essentiellement de pures conclusions de fait qui sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 619, au paragraphe 26 [Zhou]; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CA)). De façon similaire, l’importance attribuée à la preuve de même que l’interprétation et l’appréciation de cette preuve sont aussi susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Zhou, précitée, au paragraphe 26). Cette norme s’applique aussi aux conclusions concernant la protection de l’État (Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 38; Orellana Ortega c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 611, au paragraphe 7).

[13]           Le caractère raisonnable d’une décision tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

Thèses des parties

Thèse des demanderesses

[14]           Les demanderesses soutiennent que les conclusions de la SPR quant à la crédibilité et à la protection de l’État sont déraisonnables. La SPR a remis leur témoignage en question sans raison (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CA)). Elle a jugé invraisemblable que la police, avisée par la demanderesse principale que les FARC l’avaient abordée en vue de louer une propriété située près du poste de police, n’ait pas dressé de rapport. Il s’agissait d’une hypothèse non corroborée par la preuve, inappropriée au regard de la situation colombienne. Les conclusions relatives à la vraisemblance ne devraient être tirées que dans les cas les plus évidents, et la SPR ne doit pas appliquer les yeux fermés les paradigmes canadiens à des cultures et à des pays différents (Divsalar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 653, au paragraphe 24; Yada c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1998), 140 FTR 264; Bains c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 497 (1re inst.)). Par conséquent, les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la SPR, fondées sur un tel raisonnement, sont déraisonnables. En outre, la SPR aurait commis d’autres erreurs susceptibles de contrôle dans son analyse de la crédibilité, y compris en demandant des éléments de preuve corroborants alors qu’elle avait fait abstraction de certains éléments de preuve produits par les demanderesses.

Thèse du défendeur

[15]           Le défendeur affirme que la Commission a exercé sa compétence et son expertise, invoquant des principes reconnus et des motifs de ne pas croire les demanderesses (Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, aux paragraphes 7 et 8; Grewal c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1983] ACF no 129 (CA)). La Commission a conclu de manière raisonnable que plusieurs parties importantes du récit des demanderesses étaient invraisemblables. Elle a examiné les relations entre les FARC et la police, et pris note de la propre preuve documentaire des demanderesses concernant les attaques brutales perpétrées contre des postes de police, et a conclu que l’absence de réaction de la police était déraisonnable. De plus, d’importantes omissions dans le FRP de la demanderesse principale appuient la décision de la SPR, et de quelconques erreurs mineures ne changent rien à sa conclusion générale.

Analyse

[16]           Lors du contrôle de la décision rendue par la SPR dans cette affaire, il est important de noter que, si la SPR a désigné la protection de l’État comme étant la question déterminante, elle a néanmoins analysé la protection de l’État et la crédibilité ensemble. En conséquence, et parce que la SPR n’a essentiellement pas ajouté foi à la demande d’asile tout entière, la crédibilité était aussi déterminante en fait. À mon avis, les erreurs commises dans l’analyse de la crédibilité ont influé sur la conclusion relative à la protection de l’État.

[17]           La présomption selon laquelle le témoignage déposé sous serment d’un demandeur est véridique peut être réfutée s’il existe une raison de douter de sa véracité (Adu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] ACF no 114 (CA), au paragraphe 1; Maldonado, précité). Toutefois, en l’espèce, il semble que le témoignage et les éléments de preuve produits par les demanderesses aient été écartés en raison principalement des conclusions ou des inférences tirées par la SPR quant à la vraisemblance.

[18]           La principale réserve de la SPR concernait le témoignage de la demanderesse principale selon lequel elle avait signalé à la police que les FARC s’intéressaient à la maison à louer. La SPR ne comprenait pas comment la police avait pu réagir avec nonchalance à ce signalement compte tenu des relations historiques entre la police et les FARC et de la preuve documentaire à cet égard. Sur ce fondement, la SPR a conclu que la police aurait pris le signalement beaucoup plus au sérieux, comme son propre intérêt l’exigeait, ce qui aurait cadré davantage avec le bon sens et la raison.

[19]           Quand la SPR conclut à un manque de crédibilité en se fondant sur des inférences, notamment des inférences à l’égard de la vraisemblance de la preuve, la preuve doit appuyer les inférences (Abdul c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 260, [2003] ACF no 352, au paragraphe 15 (1re inst.)). Les conclusions d’invraisemblance ne doivent être tirées que dans les cas les plus évidents, c’est‑à‑dire seulement si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend (Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, aux paragraphes 7 et 17), et ces conclusions doivent reposer sur un raisonnement clair (Saeedi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 146, au paragraphe 30).

[20]           Dans le présent cas, en s’appuyant sur la preuve documentaire, la SPR a conclu qu’il était improbable que la police ait réagi avec nonchalance à la perspective de voir une maison voisine du poste de police louée par les FARC. La preuve documentaire comprenait des articles décrivant des attaques perpétrées par les FARC contre divers postes de police. Partant de cette conclusion, la SPR a déterminé que les demanderesses avaient inventé l’histoire. Toutefois, la preuve documentaire citée ne révèle pas comment la police réagit quand on l’informe au comptoir d’accueil que les FARC s’intéressent à elle. La SPR a plutôt déduit qu’en raison des attaques perpétrées auparavant contre des postes de police, un rapport aurait dû être dressé, c’est‑à‑dire que le policier au poste de police où s’était rendue la demanderesse principale n’avait pas réagi à la plainte de celle‑ci de la manière dont la SPR estimait qu’il aurait dû réagir. Il faut cependant rappeler que la demanderesse principale avait informé la police que les FARC s’intéressaient à une maison offerte en location. Selon son témoignage, la police avait déjà loué cette même maison et savait certainement qu’elle se situait à proximité. Il semble également improbable que la police ait considéré que les FARC avaient commis un crime simplement parce qu’ils souhaitaient louer la maison. De surcroît, la demanderesse principale n’avait pas encore reçu de menaces à ce moment‑là.

[21]           Étant donné ce qui précède, il n’était pas invraisemblable que le policier ait estimé qu’il n’avait pas besoin de dresser un rapport à ce moment-là, comme l’affirme la demanderesse principale. De plus, le traitement interne que le policier a accordé à l’information est inconnu, mais, du point de vue du propre intérêt de la police, une déclaration de la demanderesse principale n’était pas nécessairement requise là non plus. Ainsi, les faits articulés ne débordent pas le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre dans les circonstances, et la preuve documentaire ne démontre pas non plus que les événements ne pouvaient pas se produire comme la demanderesse principale le prétend. À mon avis, la conclusion d’invraisemblance n’a pas été tirée dans un cas des plus évidents.

[22]           Par ailleurs, la SPR déclare que la fille de la demanderesse principale a été victime d’une agression physique alléguée (la tentative d’enlèvement) qui a été signalée à la police, mais que rien dans le FRP de la fille n’indique que les policiers ont refusé de protéger la fille. La SPR s’est rappelé que « la demandeure d’asile doit inclure dans son FRP le résultat de tout incident signalé aux autorités de son pays ». La SPR a jugé évasive l’explication donnée par la demanderesse principale selon laquelle les policiers avaient dit à sa fille qu’une tentative d’enlèvement ne constituait pas un crime et qu’ils ne la protégeraient pas. En outre, la demanderesse principale n’a pas expliqué pourquoi sa fille n’avait pas mentionné cette information. Sur ce fondement, la SPR a conclu selon la prépondérance des probabilités que la fille de la demanderesse principale n’avait rien signalé à la police, et qu’elle ne l’avait pas fait parce que personne n’avait essayé de l’enlever. La SPR a conclu que les demanderesses avaient également inventé cet aspect de leur récit pour étayer leur demande d’asile.

[23]           Les motifs de la SPR sont incohérents, car ils indiquent à la fois que la fille a signalé la tentative d’enlèvement et qu’elle ne l’a pas signalé. La SPR s’est fondée sur cette dernière conclusion pour déterminer qu’il n’y avait pas eu de rapport parce qu’il n’y avait pas eu de tentative d’enlèvement. Toutefois, la fille avait bel et bien signalé l’incident à la police, et le rapport figurait dans le dossier présenté à la SPR. Le rapport énonce clairement les détails de la tentative d’enlèvement, les questions que la police a posées et les réponses données par la fille. Qui plus est, le FRP de la fille indique clairement [traduction] « VEUILLEZ CONSULTER LA DÉCLARATION DE MA MÈRE MYRIAM ROCHA CORTES ». Par conséquent, la SPR a également commis une erreur en concluant que le FRP de la fille ne mentionnait pas le refus des policiers d’accorder leur protection, étant donné que la fille renvoyait à l’exposé circonstancié du FRP de sa mère. Dans son exposé circonstancié, la demanderesse principale déclare que sa fille s’est tournée vers la police pour demander protection, mais que la police s’est dite incapable de la protéger. La SPR a explicitement fondé sa conclusion défavorable quant à la crédibilité sur ces conclusions erronées.

[24]           J’ajouterais également que, si la SPR a reconnu que la demanderesse principale avait signalé l’incident à la police après avoir reçu la visite des FARC à son bureau le 18 mars 2010, visite que la SPR date par erreur du 18 août, elle a néanmoins conclu « qu’il n’est indiqué nulle part dans l’exposé circonstancié de son formulaire de renseignements personnels (FRP) original ou modifié qu’elle a demandé une protection ». Bien que la SPR ait pris note de l’explication de la demanderesse principale selon laquelle elle avait rédigé son FRP dans des termes généraux et inclus des renseignements pertinents, la SPR a jugé cette explication déraisonnable et, sur ce fondement, elle a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité de la demanderesse principale. À mon avis, il était déraisonnable de conclure que la demanderesse principale n’avait pas demandé à l’État de la protéger simplement parce qu’elle ne décrivait pas explicitement dans son FRP la visite qu’elle avait rendue à la police.

[25]           Compte tenu de ces conclusions sur la crédibilité et de ces incohérences, la décision, considérée dans son ensemble, est déraisonnable (arrêt Dunsmuir, précité).

[26]           En ce qui concerne la protection de l’État, comme il est indiqué ci‑dessus, la SPR a confondu son analyse de la crédibilité avec son analyse de la protection de l’État. Si la protection de l’État permet souvent de trancher une demande (Herrera Andrade c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1490, au paragraphe 2), c’est également le cas de la crédibilité. En l’espèce, la conclusion de la SPR selon laquelle les demanderesses n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État à l’aide d’une preuve claire et convaincante était influencée par sa conclusion selon laquelle les demanderesses ne s’étaient pas du tout tournées vers l’État. Les deux conclusions sont donc inextricablement liées. Étant donné que la SPR n’a pas cru le récit des demanderesses en raison de conclusions sur la crédibilité entachées d’erreurs qui ont imprégné son analyse de la protection de l’État, l’analyse de la protection de l’État devient également déraisonnable dans les circonstances (Henriquez de Umaña c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 326, au paragraphe 29; Feradov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 101, au paragraphe 23).

[27]           Ayant conclu que les FARC ne représentaient pas un risque pour les demanderesses en raison d’une conclusion sur la crédibilité erronée, la Commission n’a pas non plus évalué adéquatement le profil de risque des demanderesses en ce qui concerne les FARC.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et la décision est renvoyée pour réexamen à un tribunal différemment constitué de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié;

2.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2613-13

 

INTITULÉ :

MYRIAM ROCHA CORTES, GABRIELA PATRICIA FERNANDEZ ROCHA, MARIA DEL TRANSITO CORTES JIMENEZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 JUIN 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 JUIN 2014

 

COMPARUTIONS :

D. Clifford Luyt

 

POUR Les demanderesses

 

Charles Julian Jubenville

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

D. Clifford Luyt

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR Les demanderesses

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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