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Date : 20140428


Dossier :

IMM-6017-13

Référence : 2014 CF 395

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Toronto (Ontario), le 28 avril 2014

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

GAUSETTE KENGE KIANGEBENI

ADELYSE NSANGA

KENDRY NSANGA WA NSANGA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Gausette Kenge Kiangebeni et ses enfants, Adelyse et Kendry, sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), par laquelle celle‑ci a rejeté leur demande d’asile pour des motifs liés à la crédibilité.

[2]               Les demandeurs soutiennent qu’un certain nombre de conclusions défavorables relatives à la crédibilité tirées par la Commission étaient déraisonnables. En particulier, ils affirment que la Commission a commis une erreur en abordant que du [traduction] « bout des lèvres » la présomption de crédibilité et sa Directive concernant la persécution fondée sur le sexe sans même en appliquer [traduction] « l’esprit ou le fond ».

[3]               Pour les motifs exposés ci‑après, je ne suis pas convaincue que la Commission a commis les erreurs alléguées. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

I.                   Le contexte

[4]               Mme Kenge est âgée de 27 ans, elle est une citoyenne de la République démocratique du Congo (la RDC) et elle est la mère des deux codemandeurs. Elle affirme avoir trois autres enfants en RDC, mais elle ne sait pas où ils se trouvent à l’heure actuelle.

[5]               Mme Kenge affirme que son père, qui est d’origine rwandaise, a été assassiné par le gouvernement congolais en 1998 lors du massacre rwandais. Deux mois plus tard, des soldats congolais sont retournés à la maison familiale et ont violé sa sœur. La famille de Mme Kenge est par la suite déménagée à Kimpese, au Bas-Congo, où elle a vécu pendant environ deux ans.

[6]               En 2000, lorsque Mme Kenge avait 15 ans, elle a épousé un homme de 10 ans son aîné. Elle a eu quatre enfants avec lui, et elle a adopté l’une de ses filles. Mme Kenge a par la suite déménagé avec sa tante et son époux à Sonabata, au Bas-Congo, où elle est allée à l’école.

[7]               En 2003, la famille a déménagé à Kinshasa. Vers avril 2005, l’époux de Mme Kenge a été arrêté par la police congolaise et a été emprisonné pendant deux semaines; il était accusé d’appuyer le mouvement Bundu Dia Kongo (le BDK). Il a fini par être relâché faute de preuve.

[8]               En juillet 2007, l’époux de Mme Kenge a déménagé à Bukavu afin de travailler pour une organisation qui vient en aide aux réfugiés. Par la suite, il a visité sa famille environ cinq fois par année. En décembre 2010, Mme Kenge a elle aussi déménagé à Bukavu avec sa benjamine; ses autres enfants sont restés avec sa tante parce qu’ils allaient à l’école.

[9]               Entre temps, les deux frères les plus âgés de Mme Kenge auraient été tués parce qu’ils appartenaient au mouvement BDK et parce qu’ils étaient d’origine rwandaise. Mme Kenge allègue qu’elle a alors perdu contact avec sa mère et le reste de sa fratrie.

[10]           Le 11 février 2011, l’époux de Mme Kenge est parti au travail le matin, comme d’habitude, mais il n’est pas retourné à la maison à la fin de la journée. Le jour suivant, quatre hommes en habit d’armée se sont présentés chez elle. Selon Mme Kenge, ils lui ont posé des questions sur le travail de son époux et ils ont pris quelques documents.

[11]           Mme Kenge affirme avoir été violée et battue devant sa fille de 18 mois pendant que les soldats étaient encore chez elle. L’un des hommes a dit qu’ils savaient que son époux participait à des activités contre le gouvernement, et ils lui ont dit que, s’ils revenaient, se seraient pour décapiter tous les membres de la famille. Mme Kenge affirme qu’elle a alors perdu connaissance et qu’un voisin l’a amené voir une infirmière.

[12]           Selon Mme Kenge, des gens les ont aidées, elle et sa fille, à prendre l’avion de Kinshasa pour Bukavu afin qu’elles soient en sécurité. Lorsque Mme Kenge est arrivée à Bukavu, elle a été informée que sa tante et ses enfants avaient disparu. Mme Kenge a dit que, après environ un mois, deux « blancs » les avaient aidées, elle et sa fille, à se rendre en bateau de Kinshasa à Brazzaville.

[13]           Mme Kenge dit que, lorsqu’elle est arrivée à Brazzaville, elle a rencontré un blanc nommé Jean Lambert, qui était un ami de son époux. M. Lambert l’a aidée en lui permettant de rester dans une maison pendant quatre mois. Le 31 août 2011, Mme Kenge et Adelyse ont quitté Brazzaville. Mme Kenge a affirmé qu’elle ne savait pas où on l’emmenait et qu’elle comptait sur Jean Lambert et d’autres étrangers altruistes pour faire tous les arrangements de voyages nécessaires pour elle et sa fille.

[14]           Selon Mme Kenge, elle et sa fille ont d’abord été accompagnées par deux personnes pendant leur déplacement. Cependant, lors d’une brève escale dans un endroit non identifié en route vers le Canada, une autre blanche a pris le relais et les a escortées jusqu’à Winnipeg; elles y sont arrivées le 1er septembre 2011. Cette femme a accompagné Mme Kenge et Adelyse au refuge « Welcome Place », puis elle est rapidement partie.

[15]           Mme Kenge a présenté une demande d’asile pour elle et Adelyse plusieurs semaines plus tard, le 28 septembre 2011.

[16]           Mme Kenge dit que, en décembre 2011 ou en janvier 2012, elle a reçu un appel d’un homme qui aurait pu être, à son avis, Jean Lambert et qui lui a dit que Kendry avait été retrouvé. Il n’a pas été expliqué comment Jean Lambert aurait pu être capable de retrouver Mme Kenge à Winnipeg.

[17]           Mme Kenge dit que, le 7 mai 2012, elle a reçu un appel d’une personne non identifiée qui lui a dit qu’un homme appelé Gilles avait amené son fils à l’aéroport de Winnipeg et qu’elle devait aller le chercher. Quelques mois plus tard, Mme Kenge a présenté une demande d’asile au nom de Kendry.

II.                La décision de la Commission

[18]           La Commission a fait remarquer que le témoignage de Mme Kenge correspondait de manière générale à l’exposé circonstancié de son Formulaire de renseignements personnels (le FRP) et que son récit était compatible avec les renseignements sur la situation en RDC. La Commission a aussi souligné que la demanderesse « a été très émotive pendant la partie du témoignage consacrée à son récit des évènements ».

[19]           Certains éléments ont tout de même laissé la Commission perplexe : il y avait des omissions dans le récit de Mme Kenge; cette dernière a présenté « très peu d’éléments de preuve documentaire » pour établir son identité; et elle n’a pas expliqué de manière satisfaisante la raison pour laquelle elle n’avait pas fourni d’éléments de preuve documentaire à l’appui de sa demande.

[20]           La Commission a aussi conclu que Mme Kenge n’avait pas fourni d’explications raisonnables concernant les omissions dans son FRP et que certains aspects de sa demande n’étaient tout simplement pas crédibles.

III.             Analyse

[21]           Mme Kenge a contesté un certain nombre de conclusions défavorables relatives à la crédibilité tirées par la Commission; elle allègue que ces conclusions ne respectent pas la norme de justification, de transparence et d’intelligibilité énoncée dans l’arrêt Dunsmuir : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, paragraphe 47, [2008] 1 R.C.S. 190.

[22]           Il ressort clairement de la transcription de l’audience relative à la demande d’asile de la demanderesse que la Commission a eu beaucoup de difficulté à comprendre la demande des demandeurs. Le témoignage de Mme Kenge était souvent difficile à suivre et, parfois, tout simplement incohérent.

[23]           L’avocat des demandeurs souligne que Mme Kenge a eu recours aux services d’un interprète à quelques reprises pendant son témoignage. C’est peut‑être le cas, mais rien ne donne à penser que l’interprétation ait laissé à désirer et que cela ait posé un problème quelconque.

[24]           En outre, certains aspects du récit de Mme Kenge étaient, à première vue, hautement improbables. Sans qu’elle lève le petit doigt, Mme Kenge et sa fille ont été amenées au Canada par une suite d’inconnus qui, selon Mme Kenge, ont agi par pure bonté, parce qu’ils connaissaient son époux. Mme Kenge a, en plus, été incapable de fournir à la Commission quelque renseignement que ce soit sur l’itinéraire qu’elle a suivi pour venir au Canada.

[25]           Mme Kenge a dit que, huit ou neuf mois plus tard, elle a reçu un appel l’informant qu’elle devait aller chercher son fils de cinq ans à l’aéroport de Winnipeg. Malgré que, selon ses dires, ses autres enfants soient encore portés disparus, Mme Kenge a affirmé ne pas avoir demandé à « Gilles » où Kendry avait été trouvé ou bien s’il savait d’une façon ou d’une autre où pourraient être ses autres enfants. Mme Kenge n’a pas non plus demandé à Kendry s’il savait où ses frères et sœurs se trouvaient. La Commission a conclu que cela n’était tout simplement pas crédible, et cette conclusion était plus que raisonnable.

[26]           Mme Kenge dit qu’elle a fait quelques appels téléphoniques pour essayer de trouver les membres de sa famille, mais elle n’a pas demandé aux organismes sociaux auxquels elle s’était déjà adressée de l’aider à les trouver. Il importe peu de savoir si ces demandes d’aide auraient donné quelque résultat que ce soit : la Commission n’a pas accepté les explications que Mme Kenge a fournies pour justifier son manque d’effort. La Commission pouvait raisonnablement tirer cette conclusion au vu du dossier dont elle disposait.

[27]           Puisque les demandes d’asile des membres de la famille étaient en partie fondées sur leur origine ethnique rwandaise, il était aussi raisonnable que la Commission s’interroge quant à l’omission de Mme Kenge de mentionner dans son FRP les actes de persécutions dont les membres de sa famille auraient été victimes du fait de leur origine rwandaise.

[28]           Il était en outre tout à fait raisonnable que la Commission rejette l’explication que Mme Kenge a fournie pour justifier l’omission de mentionner ces incidents dans son FRP. De toute évidence, Mme Kenge se sentait suffisamment en sécurité pour révéler aux employés du refuge « Welcome House » des détails intimes d’une horrible agression sexuelle dont elle avait été victime, et ce, malgré l’énorme stigmatisation sociale qui est liée à pareils incidents. Il paraît donc illogique que Mme Kenge ne se soit pas sentie suffisamment en confiance pour leur parler d’un incident lors duquel des roches avaient été lancées à son fils Kendry ainsi que du fait que ce dernier a été obligé de se battre dans la cour d’école parce qu’elle n’avait pas suffisamment confiance en ces employés et qu’elle était [traduction] « trop effrayée ».

[29]           On pourrait reprocher à la Commission d’avoir trop insisté sur la question des documents de voyage manquants de Mme Kenge, et je suis d’accord avec les demandeurs pour affirmer que la conclusion de la Commission sur la façon dont des passeurs altruistes agiraient concernant les documents de voyage n’était fondée que sur des conjectures.

[30]           Cela étant dit, la décision de la Commission, dans son ensemble, est intelligible, est conforme à la preuve dont elle disposait et est raisonnable.

IV.             La Directive concernant la persécution fondée sur le sexe

[31]           La demanderesse soutient également que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de façon appropriée de sa Directive concernant la persécution fondée sur le sexe (la Directive). La demanderesse reconnaît que la Commission a expressément dit avoir tenu compte de la Directive, mais elle allègue néanmoins que la Commission ne l’a abordée que [traduction] « du bout des lèvres ».

[32]           Je ne souscris pas à cette prétention. La Commission a non seulement expressément mentionné à plusieurs reprises avoir tenu compte de la Directive dans le cadre de l’examen du témoignage de la demanderesse, mais elle a aussi montré qu’elle comprenait comment la Directive s’applique aux gens qui se trouvent dans la situation de la demanderesse : voir, par exemple, le paragraphe 15 de la décision de la Commission.

[33]           Selon la Directive, les commissaires, pour être en mesure de bien comprendre le témoignage des femmes qui sollicitent la protection du Canada et d’évaluer de manière équitable leurs demandes d’asile, doivent être conscients du fait que ces femmes peuvent être influencées par des considérations d’ordre culturel ou autres. La Directive ne saurait constituer une « panacée » pour dissiper les doutes sérieux qui, comme en l’espèce, ont été soulevés quant à la crédibilité.

V.                Conclusion

[34]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Je conviens avec les parties que l’affaire ne soulève aucune question à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

 

1.         La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Anne L. Mactavish »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6017-13

 

INTITULÉ :

GAUSETTE KENGE KIANGEBENI, ADELYSE NSANGA, KENDRY NSANGA WA NSANGA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 AVRIL 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 28 April 2014

 

COMPARUTIONS :

M. David Matas

 

POUR LES DEMANDEURS

 

M. Brendan Friesen

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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