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Date : 20140619


Dossier : T-1377-13

Référence : 2014 CF 590

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), 19 juin 2014

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

JEFFREY KORN

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (la Section d’appel) qui a confirmé la décision de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (la CLCC) entérinant la révocation de la libération conditionnelle totale du demandeur.

I.                   LE CONTEXTE

[2]               Les faits de la présente affaire sont quelque peu inhabituels en raison de l’ancienneté de l’infraction initiale pour laquelle le demandeur, Jeffrey Korn, est actuellement incarcéré. M. Korn fut arrêté en octobre 1971 et fut par la suite déclaré coupable d’importation et d’exportation de 88 livres de haschisch. Il fut condamné à sept ans de prison. En septembre 1972, il s’évada et se trouva illégalement en liberté. Il ne fut appréhendé qu’au mois de septembre 1991, quelque 19 ans plus tard.

[3]               Lorsqu’il fut appréhendé, il fut réincarcéré et une peine consécutive de quatre mois lui fut imposée pour avoir été illégalement en liberté.

[4]               C’est ici qu’il convient de mentionner que M. Korn n’est pas citoyen canadien, mais est citoyen des États-Unis. En raison de l’infraction criminelle qu’il avait commise, une mesure d’expulsion fut prise. Lors de sa mise en liberté le 2 avril 1994, M. Korn bénéficia d’une libération conditionnelle totale assortie de la condition suivant laquelle il devait [traduction] « réside[r] au CRC St-Léonard jusqu’à l’exécution de la mesure d’expulsion ».

[5]               Jusqu’ici, les faits sont admis. Toutefois les choses s’embrouillent par la suite. Pour des motifs qu’il n’a pas expliqués, M. Korn n’attendit pas l’exécution de la mesure d’expulsion par un agent de l’immigration. Il devint illégalement en liberté le jour de sa libération. Il soutient que, ce même jour, il quitta le Canada à bord d’une voiture conduite par sa petite amie de l’époque, Wendy Roberts. Il ajoute qu’il ne s’était pas arrêté pour aviser les autorités frontalières du Canada lors de son départ, parce qu’il [traduction] « faisait un temps maussade et pluvieux et [qu’il] avai[t] la grippe ». Il ajoute par ailleurs qu’il posta des documents relatifs à son expulsion aux autorités canadiennes.

[6]               Le CRC St-Léonard reçut ce même jour un appel d’un homme s’identifiant comme M. Korn et les avisant qu’il appelait du Vermont. Des agents du Service correctionnel du Canada (SCC) obtinrent une adresse et un numéro de téléphone correspondant à un hôtel de Stowe, au Vermont (le Gable Inn), où, semblait-il, M. Korn logeait. Les agents du SCC appelèrent à l’hôtel afin de parler à M. Korn. Même s’ils ne purent lui parler, les personnes qui répondirent à leurs appels confirmèrent qu’il logeait à cet endroit. De plus, en mai 1994, la police de Montpelier, au Vermont, les avisa que M. Korn avait été arrêté pour conduite avec facultés affaiblies et qu’il résidait au Vermont.

[7]               Ces renseignements suffirent à convaincre le SCC que M. Korn avait bel et bien déménagé au Vermont. Ils décidèrent qu’il n’était pas nécessaire de faire délivrer un mandat d’arrêt à l’encontre de M. Korn au Vermont et, le 2 juin 1994, ils établirent un rapport selon lequel l’expulsion de M. Korn avait été confirmée. Le SCC annula le mandat de suspension de la libération conditionnelle totale de M. Korn qui avait été délivré par suite de la disparition de celui‑ci.

[8]               En dépit du retrait de la suspension de la libération conditionnelle totale de M. Korn par le SCC, la CLCC (sous son ancien nom de Commission nationale des libérations conditionnelles) décida, le 28 juin 1994, de révoquer sa libération conditionnelle totale. Ce qui eut pour conséquence qu’un mandat d’arrestation fut délivré le 30 juin 1994.

[9]               Le développement important qui suit dans la présente affaire fut l’arrestation de M. Korn en décembre 2012 (plus de 18 ans après sa deuxième disparition) à Westmount, au Québec, où il vivait avec sa conjointe de fait et ses deux filles, nées en 2001 et 2003. M. Korn soutient qu’il est revenu au Canada en 1998.

[10]           Un rapport postsuspension, daté du 31 décembre 2012, conclut que M. Korn présentait un faible risque de récidive et recommanda l’annulation de la décision de révoquer sa libération conditionnelle [traduction] « afin qu’il puisse officiellement être donné suite à son expulsion du Canada ».

[11]           La CLCC pris note de cette recommandation, mais se montra préoccupée par un certain nombre de questions dont :

a)            Un doute sérieux pour ce qui est de savoir si M. Korn a véritablement quitté le Canada en 1994 comme il le prétendait;

b)            Le manque de respect de M. Korn à l’égard des lois du Canada et la minimisation de ses infractions antérieures;

c)            L’absence d’information sur les activités de M. Korn et ses moyens de subsistance depuis 1994;

d)           Le report de l’expulsion de M. Korn fait en sorte qu’il ne serait pas immédiatement expulsé s’il devait bénéficier d’une libération conditionnelle totale et passerait au moins une partie de la période au cours de laquelle il bénéficierait d’une telle libération conditionnelle au Canada.

[12]           La CLCC s’est montrée fortement préoccupée par le fait que, si M. Korn devait à nouveau se voir octroyer une libération conditionnelle totale, il se retrouverait une fois de plus illégalement en liberté. La CLCC décida donc d’entériner la révocation de sa libération conditionnelle le 21 mars 2013. Cette décision fut confirmée par la Section d’appel le 10 juillet 2013.

II.                LA NORME DE CONTRÔLE

[13]           Bien que, en théorie, il s’agisse du contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel, étant donné que cette décision a confirmé la décision de la CCLC, je dois m’assurer en dernier ressort que la décision de la CCLC est conforme à la loi. (Cartier c Canada (Procureur général) (CA), [2003] 2 CF 317, [2002] ACF no 1386 (QL), au paragraphe 10; Aney c Canada (Procureur général), 2005 CF 182, [2005] ACF no 228 (QL) (Aney), au paragraphe 29).

[14]           Je comprends qu’au vu de l’expertise dont la CCLC et la Section d’appel jouissent, je leur dois un certain degré de déférence (Sychuk c Canada (Procureur général), 2009 CF 105, au paragraphe 45). Dans les affaires portant sur une libération conditionnelle, « cette Cour ne doit pas intervenir dans une décision [de la CCLC] en l’absence d’éléments de preuve clairs et non équivoques que celle-ci est tout à fait injuste et entraîne une injustice à l’égard du détenu » (Desjardins c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1989] ACF no 910 (QL), 29 FTR 38 (CF 1re inst), citée dans Aney, précitée, au paragraphe 31).

[15]           Aux termes de l’alinéa 107(1)b) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 (la LSCMLC), la CCLC a toute compétence et latitude pour révoquer la libération conditionnelle d’un délinquant. La libération conditionnelle est un privilège, et non un droit. Bien entendu, la CCLC doit exercer son pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable et en conformité avec la loi.

[16]           Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans Mooring c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 RCS 75 :

17        La Commission n’agit pas de manière judiciaire ou quasi judiciaire […]

18        […] la Commission n’entend et n’évalue aucun témoignage, […] elle agit plutôt sur la foi de renseignements. Elle exerce des fonctions d’enquête sans la présence de parties opposées […]

19        Les facteurs prédominants que la Commission doit prendre en considération dans son évaluation du risque sont ceux qui concernent la protection de la société. […]

28        En matière de libération conditionnelle, la Commission doit s’assurer que les renseignements sur lesquels elle se fonde pour agir sont sûrs et convaincants. […]

[17]           Les parties s’entendent pour dire que la norme de contrôle applicable à la présente affaire est la raisonnabilité. Comme il a été déclaré dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 (Dunsmuir), aux paragraphes 47 et 48 :

[47] […] Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables.  La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[48] […] Que faut-il entendre par déférence dans ce contexte?  C’est à la fois une attitude de la cour et une exigence du droit régissant le contrôle judiciaire.  Il ne s’ensuit pas que les cours de justice doivent s’incliner devant les conclusions des décideurs ni qu’elles doivent respecter aveuglément leurs interprétations.  Elles ne peuvent pas non plus invoquer la notion de raisonnabilité pour imposer dans les faits leurs propres vues.  La déférence suppose plutôt le respect du processus décisionnel au regard des faits et du droit.  Elle « repose en partie sur le respect des décisions du gouvernement de constituer des organismes administratifs assortis de pouvoirs délégués » [ …] Nous convenons avec David Dyzenhaus que la notion de [TRADUCTION] « retenue au sens de respect » n’exige pas de la cour de révision [TRADUCTION] « la soumission, mais une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » […]

[18]           La Cour suprême du Canada a également analysé la norme applicable aux décisions administratives dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve et Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 (Newfoundland Nurses). La question portait sur un pourvoi formé par un syndicat à l’encontre d’une décision qui avait infirmé la décision d’un juge siégeant en chambre, qui annulait la décision d’un arbitre en se fondant sur l’insuffisance des motifs. Le juge siégeant en chambre avait annulé la décision de l’arbitre en se fondant sur l’insuffisance des motifs, sans égard à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables.

[19]           Récapitulant l’arrêt Dunsmuir, la juge Abella écrivait :

12        Il importe de souligner que la Cour a souscrit à l’observation du professeur Dyzenhaus selon laquelle la notion de retenue envers les décisions des tribunaux administratifs commande [TRADUCTION] « une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision ».  Dans son article cité par la Cour, le professeur Dyzenhaus explique en ces termes comment le caractère raisonnable se rapporte aux motifs :

[TRADUCTION]  Le « caractère raisonnable » s’entend ici du fait que les motifs étayent, effectivement ou en principe, la conclusion.  Autrement dit, même si les motifs qui ont en fait été donnés ne semblent pas tout à fait convenables pour étayer la décision, la cour de justice doit d’abord chercher à les compléter avant de tenter de les contrecarrer.  Car s’il est vrai que parmi les motifs pour lesquels il y a lieu de faire preuve de retenue on compte le fait que c’est le tribunal, et non la cour de justice, qui a été désigné comme décideur de première ligne, la connaissance directe qu’a le tribunal du différend, son expertise, etc., il est aussi vrai qu’on doit présumer du bienfondé de sa décision même si ses motifs sont lacunaires à certains égards.  [Je souligne.] 

(David Dyzenhaus, "The Politics of Deference: Judicial Review and Democracy", dans Michael Taggart, dir., The Province of Administrative Law (1997), 279, p. 304)

Voir aussi David Mullan, « Dunsmuir v. New Brunswick, Standard of Review and Procedural Fairness for Public Servants : Let’s Try Again! » (2008), 21 C.J.A.L.P. 117, p. 136; David Phillip Jones, c.r., et Anne S. de Villars, c.r., Principles of Administrative Law (5e éd. 2009), p. 380; et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 (CanLII), 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, par. 63.

13        C’est dans cette optique, selon moi, qu’il faut interpréter ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir lorsqu’elle a parlé de « la justification de la décision [ainsi que de] la transparence et [de] l’intelligibilité du processus décisionnel ».  À mon avis, ces propos témoignent d’une reconnaissance respectueuse du vaste éventail de décideurs spécialisés qui rendent couramment des décisions — qui paraissent souvent contreintuitives aux yeux d’un généraliste — dans leurs sphères d’expertise, et ce en ayant recours à des concepts et des termes souvent propres à leurs champs d’activité.  C’est sur ce fondement que notre Cour a changé d’orientation dans Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du NouveauBrunswick, 1979 CanLII 23 (CSC), [1979] 2 R.C.S. 227, où le juge Dickson a insisté sur le fait qu’il y avait lieu de faire preuve de déférence en appréciant les décisions des tribunaux administratifs spécialisés.  Cet arrêt a amené la Cour à faire preuve d’une déférence accrue envers les tribunaux, comme en témoigne la conclusion, tirée dans Dunsmuir, qu’il doit être « loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables » (par. 47).

[…]

15        La cour de justice qui se demande si la décision qu’elle est en train d’examiner est raisonnable du point de vue du résultat et des motifs doit faire preuve de « respect [à l’égard] du processus décisionnel [de l’organisme juridictionnel] au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 48).  Elle ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat. 

16        Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision.  Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., 1973 CanLII 191 (CSC), [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391).  En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables. 

III.             ANALYSE

[20]           Je comprends que la révocation de la libération conditionnelle de M. Korn repose sur le paragraphe 135(7) de la LSCMLC, qui vise les cas où « une récidive — avant l’expiration légale de la peine — du délinquant présentera un risque inacceptable pour la société ». Toutefois aucune source suivant laquelle la violation d’une condition de libération conditionnelle, y compris le fait de se retrouver illégalement en liberté, constitue une infraction ne m’a été soumise. En fait, les nombreuses dispositions de l’article 135 de la LSCMLC font une nette distinction entre les cas d’inobservation des conditions de la libération conditionnelle conduisant à sa suspension et ceux conduisant à sa révocation ou à sa cessation. Il doit toujours exister au moins un risque de récidive pour révoquer une libération conditionnelle ou y mettre fin, tandis qu’une libération conditionnelle peut être suspendue à la suite d’une simple violation de l’une des conditions. En outre, les conséquences de la révocation d’une libération conditionnelle sont beaucoup plus sérieuses que celles résultant d’une suspension, particulièrement dans le cas de délinquants condamnés pour des crimes graves. Je conclus que le risque de récidive qui doit exister pour justifier la révocation d’une libération conditionnelle représente plus qu’un risque de violation d’une condition de la libération conditionnelle. La révocation de la libération conditionnelle de M. Korn ne peut se fonder uniquement sur le risque qu’il se retrouve à nouveau illégalement en liberté. Le risque doit être lié à une infraction.

[21]           Bien que la CCLC ait été manifestement préoccupée par le risque que M. Korn se retrouve une fois de plus, si une libération conditionnelle totale lui était accordée, illégalement en liberté, il existe des éléments à l’appui de la préoccupation connexe suivant laquelle M. Korn pourrait continuer à commettre d’autres infractions. Il a pu subvenir à ses besoins pendant plusieurs décennies au cours desquelles il était illégalement en liberté (en bonne partie sous un nom d’emprunt) mais s’est montré vague et inconstant au sujet de ses activités et de ses ressources financières au cours de ces périodes. Il semble clair qu’il a menti au sujet de la mort de son père, alors qu’il avait affirmé en 1992 que ses parents étaient décédés, pour affirmer en 2012 que son père était décédé en 2011 et lui avait laissé un héritage. Il est difficile de concevoir que l’on puisse commettre une erreur de bonne foi au sujet de la mort de son père. Le comportement de M. Korn dénote un manque de respect continu à l’égard des lois et règlements du Canada s’appliquant à lui et il a minimisé les infractions qu’il avait commises par le passé.

[22]           Même si les motifs de la CCLC auraient pu être plus clairs, je suis convaincu que, conformément à la directive de la Cour suprême du Canada dans Newfoundland Nurses, je ne devrais pas m’immiscer dans la décision de la CCLC.

[23]           La CCLC a également fait mention des allégations de 1992 suivant lesquelles au cours de la période où il s’est trouvé illégalement en liberté pour la première fois, M. Korn fut impliqué à un niveau élevé dans un complot pour importer 70 tonnes de haschich au Canada par bateau. Les avocats de M. Korn font observer que ces allégations ont été soumises à la CCLC en 1993. La CCLC n’avait pas tenu compte de ces allégations à l’époque, au motif qu’aucune accusation n’avait été portée au Canada. Toutefois, dans sa décision de 2013 faisant l’objet du présent contrôle judiciaire, la CCLC a mentionné ces allégations.

[24]           M. Korn soutient qu’il s’agit de vieilles allégations et qu’il était arbitraire et déraisonnable de la part de la CCLC d’en tenir compte après tant d’années. Toutefois, étant donné que la CCLC exerce des fonctions d’enquête, et, encore une fois, à la lumière des enseignements de l’arrêt Newfoundland Nurses, je m’en remets à l’opinion de la CCLC suivant laquelle il était pertinent de tenir compte des allégations de 1992.

[25]           Selon moi, la CCLC est bien placée pour déterminer la pertinence des renseignements qui lui sont soumis, et il était raisonnable qu’elle fasse mention de ces allégations dans le contexte de ses préoccupations relatives au fait que M. Korn puisse se retrouver illégalement en liberté une fois de plus et des explications vagues et contradictoires offertes par M. Korn en ce qui a trait à ses activités et ses ressources financières au fil des ans.

[26]           M. Korn critique la « supposition » de la CCLC suivant laquelle il se pourrait qu’il n’ait jamais quitté le Canada en 1994 et se soit plutôt retrouvé illégalement en liberté (la deuxième fois) afin d’éviter d’être remis aux autorités américaines. La CLCC a analysé cela à titre d’explication possible de la disparition de M. Korn à l’époque. On doit remarquer que, bien que M. Korn ait offert une explication pour ne pas s’être arrêté pour se présenter aux autorités frontalières canadiennes lorsqu’il avait quitté le Canada en 1994 (il pleuvait et il avait la grippe), il n’a pas offert la moindre explication sur la raison pour laquelle il avait senti le besoin de quitter le Canada sans, de toute façon, se faire accompagner par les autorités canadiennes. La CCLC a tiré une inférence à partir des faits dont elle disposait. Sans égard au fait que cette inférence puisse être qualifiée de supposition, je la trouve raisonnable.

[27]           M. Korn soutient qu’il fut confirmé en 1994, après sa seconde disparition, qu’il avait en fait quitté le Canada et résidait au Vermont et qu’il était inapproprié de revisiter cette question devant la CCLC en 2013, étant donné que la CCLC était tout à fait convaincue à l’époque qu’il avait quitté le Canada. Toutefois, des renseignements ultérieurs, y compris le fait que M. Korn fut appréhendé alors qu’il vivait au Canada, jettent un doute raisonnable sur toute l’histoire entourant son départ. Je n’accepte pas que la CCLC ait été obligée, en 2013, d’adopter les conclusions tirées par la CCLC en 1994. Il n’est pas inconcevable que M. Korn n’ait jamais quitté le Canada.

[28]           M. Korn a également critiqué le refus de la CCLC de considérer sa situation familiale comme un facteur favorable. Il se plaint de ce que la CCLC [TRADUCTION] « semble en fait reconnaître que le fait “d’avoir une conjointe et des enfants serait habituellement un facteur protecteur” », mais n’offre aucune explication pour refuser d’appliquer ce principe en sa faveur. Une fois de plus, je suis d’avis que, compte tenu des faits dont elle était saisie, il était loisible à la CCLC de conclure que la situation familiale de M. Korn n’était pas une preuve qui militait contre le fait qu’il puisse se retrouver illégalement en liberté et récidiver.

IV.             LA DÉCISION DU 28 JUIN 1994 RÉVOQUANT LA LIBÉRATION CONDITIONNELLE

[29]           M. Korn consacre une partie de son argumentation à contester le caractère juste et raisonnable de la décision du 28 juin 1994 de révoquer en premier lieu sa libération conditionnelle. Il existe au moins deux motifs pour lesquels cet argument ne peut prévaloir.

[30]           Premièrement, cette décision n’est pas soumise à l’examen de la Cour. Par suite de la décision du 21 mars 2013 de la CCLC, M. Korn a interjeté appel de cette décision et de celle du 28 juin 1994. Par lettre datée du 10 mai 2013, la CCLC a avisé M. Korn qu’elle avait reçu et accepté l’appel de la décision du 21 mars 2013, mais qu’elle n’accepterait pas l’appel de la décision du 28 juin 1994. L’appel était hors délai, étant donné que M. Korn était au courant de la révocation de sa libération conditionnelle depuis un bon moment : voir les observations de M. Korn sur l’appel de la décision en révision, 13 avril 2013, à la page 7. La présente demande ne recherche pas le contrôle judiciaire de la décision de ne pas entendre l’appel de la décision du 28 juin 1994.

[31]           La deuxième raison pour laquelle il n’est pas nécessaire de procéder à un contrôle séparé de la décision du 28 juin 1994 portant sur la révocation est que la décision du 21 mars 2013, qui fait l’objet du présent contrôle, était elle-même une révision de la révocation de la libération conditionnelle. M. Korn a été entendu sur les questions pertinentes.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

« George R. Locke »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T-1377-13

 

INTITULÉ :

JEFFREY KORN

c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDITION :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDITION :

LE 3 JUIN 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

JUGE LOCKE

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

 

LE 19 JUIN 2014

COMPARUTIONS :

Julius Grey

Simon Gruda

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Véronique Forest

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS AU DOSSIER :

Grey Casgrain

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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