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Date : 20140613


Dossier : T-1412-13

Référence : 2014 CF 569

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 juin 2014

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

DODIE FERGUSON, MALCOLM DELORME, ERNEST DELORME, CAROL LAVALLEE et KEVIN DELORME

demandeurs

et

TERRENCE LAVALLEE,

EDWARD AISAICAN, WALTER PELLETIER, WILLIAM TANNER et VALERIE TANNER

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               Mme Dodie Ferguson, M. Malcolm Delorme, M. Ernest Delorme, Mme Carol Lavallee, et M. Kevin Delorme (les demandeurs) sollicitent, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le conseil de bande de la Première Nation de Cowessess (le conseil de bande) a refusé de déclencher une élection partielle pour combler le poste de chef de la Première Nation de Cowessess (la PNC). Lors d’une réunion du conseil de bande tenue le 25 septembre 2013, cette décision a été officialisée à la suite d’une motion sur la tenue d’une élection partielle, qui s’est soldée par un vote à égalité des voix, soit quatre contre quatre.

[2]               De façon générale, la présente demande concerne un différend au sujet de la question de savoir si le poste de chef de la PNC est actuellement vacant, par l’effet de la loi. La divergence porte sur le respect par M. Terrence Lavallee des conditions de résidence énoncées dans la First Nation of Cowessess #73 Custom Election Act (la Loi électorale).

[3]               Les défendeurs cherchent à obtenir les réparations suivantes :

[traduction]

1.         une déclaration portant que la First Nation of Cowessess #73 Custom Election Act [la Loi électorale] constitue la loi applicable ou contient les procédures requises régissant les questions en cause;

2.         une ordonnance de la nature d’un quo warranto portant que le défendeur n’occupe pas validement la charge de chef de la Première Nation de Cowessess et lui interdisant de continuer d’usurper la charge et les fonctions de chef de la Première Nation de Cowessess;

3.         une ordonnance portant qu’une élection partielle doit être tenue pour pourvoir le poste de chef de la Première Nation de Cowessess en conformité avec la Loi électorale, et obligeant les autres demandeurs conseillers de la Première Nation de Cowessess (ou sinon les conseillers de la Première Nation de Cowessess) à faciliter toutes les étapes requises par la Loi électorale pour faire en sorte que cette élection partielle ait lieu;

4.         une déclaration portant que toute mesure officielle censée avoir été prise par le défendeur Lavallee à titre de chef de la Première Nation de Cowessess après le 27 juillet 2013 est nulle et sans effet;

5.         une déclaration portant que toute résolution du conseil de bande adoptée par le conseil après le 27 juillet 2013, où le quorum d’une réunion du conseil est censé être de cinq personnes et avoir été établi par comptage par le défendeur Lavallee en tant que membre du conseil est nulle et sans effet;

6.         une déclaration portant que, conformément à la coutume de la bande, Malcolm Delorme est le chef par intérim de la Première Nation de Cowessess tant que le poste de chef ne sera pas pourvu au moyen d’une élection partielle;

7.         des ordonnances de la nature d’un mandamus, d’une prohibition, d’un quo warranto et d’un certiorari qui pourraient être nécessaires pour donner effet à la réparation demandée par les présentes et à toute autre réparation que la Cour estime appropriée.

[4]               M. Edward Aisaican, M. Walter Pelletier, M. William Tanner, Mme Valerie Tanner et M. Terrence Lavallee sont désignés à titre de défendeurs (les défendeurs).

[5]               Les demandeurs, sauf Mme Ferguson, et les défendeurs, sauf M. Terrence Lavallee, sont conseillers du conseil de bande de la PNC. Mme Ferguson est membre de la PNC, mais n’est pas conseillère. M. Lavallee est actuellement chef de la PNC, à la suite d’une élection tenue le 27 avril 2013.

[6]               À cette élection, les demandeurs, sauf Mme Ferguson, et les défendeurs, sauf M. Lavallee, ont été élus en tant que membres du conseil de bande de la PNC. M. Lavallee a été élu chef de la PNC.

II.                LA PREUVE

[7]               La preuve dans la présente affaire a été présentée sous forme d’affidavits et de transcriptions de contre‑interrogatoires.

[8]               Les demandeurs ont présenté les affidavits de M. Kevin Delorme, de M. Malcolm Delorme, de Mme Dodie Ferguson, de M. Curtis Lerat et de Mme Carol Lavallee. Les demandeurs ont fourni deux affidavits de M. Kevin Delorme, le premier souscrit le 20 août 2013 et le second, le 23 octobre 2013.

[9]               Dans son premier affidavit, M. Kevin Delorme relate les événements qui ont conduit à la présente demande. Il décrit la situation de résidence du défendeur M. Terrence Lavallee, notamment le différend avec Mme Adrienne Sparvier sur l’occupation de l’unité 134 dans la réserve, et les votes litigieux aux réunions du conseil de bande. Sont joints à son affidavit un extrait du procès‑verbal de la réunion du 17 juin 2013 du conseil de bande, une copie de la Loi électorale et une copie de la politique de gouvernance du chef et du conseil.

[10]           Dans son second affidavit, M. Kevin Delorme fait état de ses communications avec M. Curtis Lerat, employé de la PNC. Les communications portent sur la résidence de M. Terrence Lavallee dans la réserve et sur la question de savoir si une résidence lui a été attribuée ou s’il a le droit d’occuper l’unité 134. Un certain nombre de courriels entre M. Kevin Delorme et M. Curtis Lerat sont joints en tant que pièces à cet affidavit.

[11]           L’affidavit de Mme Dodie Ferguson a été souscrit le 20 août 2013. Mme Ferguson est membre de la PNC. Son affidavit relate une conversation avec une des défenderesses, Mme Valerie Tanner, au sujet de l’éviction de Mme Adrienne Sparvier de l’unité 134. Mme Dodie Ferguson lui avait alors exprimé ses préoccupations quant à la légalité de l’éviction de Mme Sparvier ainsi que ses inquiétudes au sujet de certaines décisions de gouvernance prises par le conseil de bande. Mme Dodie Ferguson avait également fait part à Mme Valerie Tanner des préoccupations de Mme Adrienne Sparvier au sujet de son éviction.

[12]           Mme Ferguson fait remarquer que la PNC est actuellement assujettie au programme Bénéficiaire – Plan d’action de gestion d’Affaires autochtones et Développement du Nord Canada. Elle s’inquiète de ce que le non‑respect de ce plan entraînera l’application soit du programme Soutien des ressources spécialisées – Plan d’action de gestion, soit du programme Gestion par un séquestre‑administrateur, qui réduirait, l’un comme l’autre, l’autonomie de la PNC.

[13]           M. Curtis Lerat a signé son affidavit le 20 août 2013. Avant l’élection de M. Lavallee comme chef, il a occupé le poste d’agent de relations avec les locataires au Service du logement de Cowessess. Dans son affidavit, il décrit ses fonctions à ce poste, puis il mentionne le nombre de maisons inoccupées dans la réserve et dit qu’il sait qu’aucune maison n’a été attribuée à M. Terrence Lavallee dans la réserve. Il décrit aussi les mesures qu’il a prises pour rechercher l’historique de location de l’unité 134 et certaines tentatives de M. Terrence Lavallee pour évincer Mme Adrienne Sparvier de cette unité.

[14]           M. Lerat parle aussi de son congédiement le 16 août 2013 et dit croire que ce congédiement avait des motivations politiques liées au différend touchant la résidence de M. Lavallee. M. Lerat joint à son affidavit une lettre qu’il affirme avoir écrite à M. Malcolm Delorme, mais qu’il n’a pas signée, laquelle confirme qu’en date du 29 juillet 2013, M. Lavallee n’avait pas de maison en son nom dans la réserve de la PNC.

[15]           L’affidavit de Mme Carol Lavallee a été souscrit le 16 octobre 2013. Dans cet affidavit, elle mentionne brièvement sa participation à la réunion du conseil de bande du 25 septembre 2013. Elle décrit la motion concernant l’élection partielle présentée par M. Kevin Delorme et son rejet.

[16]           L’affidavit de M. Malcolm Delorme a été souscrit le 20 août 2013. Il relate les événements qui ont conduit à la présente demande, notamment l’élection contestée du 27 avril 2013, le différend au sujet de la résidence de M. Lavallee et les réunions conflictuelles de la communauté et du conseil de bande à ce sujet.

[17]           M. Malcolm Delorme explique aussi comment il en est arrivé à occuper le poste de chef par intérim. Il présente le programme Bénéficiaire – Plan d’action de gestion et la situation financière de la PNC et décrit un contrat de prêt hypothécaire, négocié par M. Terrence Lavallee, entre la PNC et une société appelée USand Group. M. Malcolm Delorme se dit d’avis que M. Lavallee s’est placé en situation de conflit d’intérêts en raison de cette négociation et que le contrat de prêt hypothécaire va mettre en danger les intérêts financiers de la Première Nation et de ses membres.

[18]           Les défendeurs ont déposé les affidavits de M. Terrence Lavallee, de M. Walter Pelletier, de Mme Valerie Tanner, de M. William Tanner, de M. Edward Aisaican et de Mme Shelley Fairbairn. Ils ont également déposé les contre‑interrogatoires de M. Terrence Lavallee, de Mme Carol Lavallee, de M. Malcolm Delorme, de M. Kevin Delorme et de M. Curtis Lerat.

[19]           L’affidavit de M. Terrence Lavallee a été souscrit le 13 septembre 2013. Dans ce document, il conteste la plupart des témoignages fournis dans les affidavits présentés par les demandeurs et donne son point de vue sur les événements ayant conduit à la présente demande. Il relate son élection en tant que chef et fournit un document sur la définition autochtone traditionnelle de l’expression [traduction] « établir sa résidence permanente ».

[20]           M. Lavallee décrit aussi le différend avec Mme Adrienne Sparvier au sujet du logement et décrit l’entente conclue entre la PNC et le USand Group. Il fournit des documents au sujet du non‑renouvellement de contrats d’enseignants et allègue que l’avocat des demandeurs est en situation de conflit d’intérêts puisqu’il représente aussi les enseignants dont le contrat n’a pas été renouvelé par la PNC. Il expose ensuite les mesures prises par les demandeurs, comme le verrouillage des portes du bureau du conseil de bande, mesures qu’il qualifie d’intimidation ou de harcèlement.

[21]           De plus, M. Lavallee explique la relation de la PNC et Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, et affirme que la PNC ne risque pas d’être assujettie au programme Gestion par un séquestre‑administrateur. Un certain nombre de pièces sont jointes à son affidavit pour étayer son témoignage.

[22]           L’affidavit de M. Walter Pelletier a été souscrit le 13 septembre 2013. M. Pelletier témoigne des événements qui ont eu lieu à la réunion du conseil de bande du 30 juillet 2013, convoquée par M. Malcolm Delorme à titre de chef par intérim. M. Pelletier déclare qu’il n’a été présent à cette réunion que pendant quatre minutes environ et que lorsqu’il s’est rendu compte qu’on tentait de présenter des motions, il a quitté les lieux parce qu’il estimait que la réunion était illégale.

[23]           M. Pelletier affirme que la coutume veut que ce soit le chef qui convoque les réunions. Il n’est pas resté assez longtemps pour entendre une motion complète et n’a voté sur aucune motion présentée à la réunion. M. Pelletier déclare aussi s’être présenté à l’unité 134 en compagnie de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et de M. Terrence Lavallee le 29 août 2013 pour tenter d’évincer Mme Adrienne Sparvier. Il confirme que Mme Sparvier continue d’occuper l’unité 134.

[24]           Dans son affidavit souscrit le 13 septembre 2013, Mme Valerie Tanner fait état de ses entretiens avec Mme Dodie Ferguson. Elle a parlé du non‑renouvellement des contrats d’enseignement, de l’élimination des comités communautaires ainsi que de la situation du logement de Mme Adrienne Sparvier. Elle nie avoir dit que Mme Sparvier n’avait qu’à s’adresser aux tribunaux si elle n’était pas d’accord avec son éviction. Elle témoigne que, selon la coutume et les traditions de la bande et d’après les dispositions de la politique de logement de la PNC, l’unité 134 devrait être occupée par M. Terrence Lavallee.

[25]           L’affidavit de M. William Tanner a été souscrit le 13 septembre 2013. M. Tanner y décrit une conversation avec Mme Carol Lavallee qui a eu lieu le 3 septembre 2013. Il a alors demandé à Mme Lavallee pourquoi des affirmations inexactes figuraient dans les affidavits des demandeurs au sujet d’une motion concernant l’élection partielle le 22 octobre 2013. Selon M. Tanner, Mme Lavallee a répondu qu’il n’y avait pas eu de motion à cet effet.

[26]           Dans son affidavit, souscrit le 13 septembre 2013, M. Edward Aisaican confirme avoir assisté à la réunion du conseil de bande du 27 juin 2013 et avoir appuyé la motion visant à attribuer l’unité 134 à M. Terrence Lavallee. Il déclare que Mme Adrienne Sparvier a emménagé dans la maison le jour de l’élection. D’après les coutumes de la bande et compte tenu des circonstances de l’éviction antérieure de M. Lavallee de l’unité et du paiement des arriérés par ce dernier, il estime que l’unité devrait être attribuée à M. Lavallee. M. Aisaican affirme par ailleurs que M. Lavallee avait l’intention de faire de l’unité 134 sa résidence permanente.

[27]           L’affidavit de Mme Shelley Fairbairn a été souscrit le 25 octobre 2013. Mme Fairbairn est une sténographe judiciaire de Regina qui était présente à la réunion du conseil de bande du 25 septembre 2013 et qui en a fait la transcription. Sont joints à son affidavit en tant que pièces la transcription de cette réunion, le procès‑verbal de la réunion, le rapport sur le parc de logements ayant fait l’objet de discussions à la réunion et une lettre au sujet de la PNC et de son compte de services SaskTel.

[28]           Les demandeurs ont déposé une transcription du contre‑interrogatoire de M. Terrence Lavallee. Le contre‑interrogatoire porte principalement sur la résidence de M. Lavallee et sa compréhension de la différence entre une interprétation non autochtone de la résidence permanente et une interprétation autochtone traditionnelle de la résidence permanente.

[29]           Les défendeurs ont déposé les contre‑interrogatoires de Mme Carol Lavallee, de M. Malcolm Delorme, de M. Kevin Delorme et de M. Curtis Lerat. Ces contre‑interrogatoires ont eu lieu le 25 octobre 2013 et portent sur les documents contenus dans les affidavits présentés par ces personnes.

III.             LE CONTEXTE

[30]           Les faits ci‑dessous sont tirés des affidavits, y compris des pièces déposées par les parties.

[31]           Avant 1992, M. Lavallee avait habité dans une maison, à savoir l’unité 134, dans la réserve. Toutefois, en 1992, il en a été évincé parce qu’il n’avait pas payé son loyer. Il prétend que la principale raison de son éviction est d’ordre politique, mais il ne nie pas avoir omis de payer le loyer de la maison. Il n’a plus de logement dans la réserve et réside à Regina. M. Lavallee entretient des champs agricoles dans la réserve et entrepose son équipement agricole sur place.

[32]           Après l’éviction de M. Lavallee, la maison qu’il occupait avant 1992 a été réattribuée à un autre membre de la PNC. Malgré ce qu’il appelle ses prétentions traditionnelles à l’égard de la maison et de la terre, M. Lavallee s’est vu dire par les anciens chefs et les conseillers de la bande qu’il n’avait plus de prétention valable à l’égard de ce logement. L’occupante actuelle de la maison, Mme Adrienne Sparvier, s’est vu attribuer l’unité 134 par l’ancien chef et l’ancien conseil de bande. En date de la réunion du conseil de bande du 17 juin 2013, elle avait des arriérés de loyer sur le logement.

[33]           Le 17 juin 2013, le conseil de bande a adopté une motion évinçant Mme Adrienne Sparvier de l’unité 134. Le vote initial s’est soldé par une égalité des voix : quatre conseillers de la bande étaient en faveur de l’éviction et quatre s’y opposaient. M. Terrence Lavallee a, par son vote prépondérant du fait de son statut de chef, décidé de l’éviction de Mme Sparvier de l’unité 134. Le 11 juillet 2013, Mme Sparvier a porté en appel la décision de son éviction. Cet appel a été rejeté le 19 août 2013.

[34]           Le 19 août 2013, à une réunion du conseil de bande, le demandeur Kevin Delorme a présenté une motion visant à transférer l’unité 134 à M. Lavallee. M. Delorme prétend que la motion a été présentée à la condition que M. Lavallee présente au conseil de bande, avant le 27 juillet 2013, des documents démontrant la légitimité de ses prétentions à l’égard de la propriété. La question de savoir si ces conditions constituaient une obligation pour le transfert de la propriété ne fait pas consensus. Quoi qu’il en soit, la motion a été adoptée par sept voix. Personne ne s’y est opposé. Deux autres motions ont également été adoptées à cette réunion : l’une visait à autoriser M. Lavallee à faire installer l’électricité à son nom à l’unité 134, l’autre, à lui attribuer cette propriété par voie de résolution du conseil de bande. Ces motions ont été adoptées par quatre voix contre deux.

[35]           Pour des raisons inconnues, Mme Sparvier a refusé de quitter l’unité 134. M. Lavallee n’a pu prendre possession des lieux. Le 27 juillet 2013, trois mois après l’élection de M. Lavallee au poste de chef, le demandeur Malcolm Delorme est allé le voir et l’a invité à convoquer une réunion pour discuter des questions concernant sa résidence et la Loi électorale. M. Lavallee a refusé de convoquer cette réunion.

[36]           M. Malcolm Delorme a peu après confirmé qu’aucune maison de la réserve n’avait été attribuée à M. Lavallee et ce dernier a convoqué une réunion du conseil de bande. Cette réunion s’est tenue le 30 juillet 2013; M. Malcolm Delorme ainsi que les autres demandeurs conseillers étaient présents. Un des défendeurs, M. Walter Pelletier, est arrivé en retard et s’est assis à la table du conseil.

[37]           À ce moment, les demandeurs conseillers se sont rendu compte que le quorum était atteint : il y avait les cinq personnes nécessaires à la tenue d’une réunion officielle du conseil de bande. Une motion visant à maintenir et à appliquer la Loi électorale a été présentée. D’après les demandeurs, M. Walter Pelletier a été le seul à voter contre. M. Pelletier conteste la validité de la réunion du conseil de bande et nie avoir voté sur la motion.

[38]           Le 3 août 2013, une réunion communautaire spéciale a été tenue en présence des membres de la PNC. Les demandeurs étaient présents à la réunion. Les membres de la PNC ont discuté de la Loi électorale et de ses exigences en matière de résidence. Ils ont voté pour le maintien de la Loi électorale et ont exigé que M. Malcolm Delorme assure l’intérim au poste de chef. Son éligibilité au poste de chef par intérim reposait sur une coutume locale voulant que le conseiller ayant reçu le nombre le plus élevé de votes à la dernière élection devienne chef par intérim lorsque le poste de chef est vacant.

[39]           Le 9 août 2013 s’est tenue une réunion du conseil de bande à laquelle tous les demandeurs et les défendeurs ont participé. En sa qualité de chef, M. Lavallee a assumé la présidence de la réunion. Les demandeurs ont déclaré qu’ils ne reconnaissaient pas M. Lavallee comme chef étant donné que son poste était vacant par l’effet de la Loi électorale. M. Kevin Delorme a demandé à M. Lavallee de renoncer à la présidence de l’assemblée et de nommer un nouveau président à sa place. M. Lavallee a rejeté cette demande.

[40]           M. Kevin Delorme a alors présenté une motion visant à adopter une résolution pour la tenue d’une élection partielle afin de pourvoir le poste vacant de chef de la PNC. Cette motion a été appuyée par M. Malcolm Delorme. La motion a été déclarée non recevable par M. Lavallee et les défendeurs ont refusé de voter. Les demandeurs ont alors quitté la réunion en signe de protestation et les défendeurs ont poursuivi la réunion du conseil de bande.

[41]           Les demandeurs ont présenté une requête en vue d’obtenir une injonction contre les défendeurs visant à empêcher M. Lavallee d’exécuter les fonctions de chef de la PNC ou de se présenter comme tel. La requête a été ajournée sine die par le juge Harrington le 18 septembre 2013 sous réserve que M. Lavallee fournisse un engagement à la Cour selon lequel il autoriserait la tenue d’un vote sur la question de savoir si une élection partielle devrait être déclenchée.

[42]           Une réunion du conseil de bande a eu lieu le 25 septembre 2013. M. Kevin Delorme a présenté une motion en vue du déclenchement d’une élection partielle pour pourvoir le poste de chef. La motion a été appuyée par M. Malcolm Delorme. Le vote a eu lieu et s’est soldé par une égalité des voix : quatre conseillers étaient en faveur de la motion et quatre s’y sont opposés. Tous les demandeurs ont voté en faveur de la motion et tous les défendeurs, à l’exception de M. Lavallee, ont voté contre elle. M. Lavallee s’est abstenu de voter. Étant donné l’égalité des voix, la motion est restée sans effet et, de fait, a été rejetée.

[43]           La décision que les demandeurs contestent, à savoir le vote tenu par le conseil de bande, ne contient pas de motifs. La motion qui a fait l’objet du vote, présentée par M. Kevin Delorme, est libellée comme suit :

[traduction]
Kevin Delorme : Je présente cette motion au titre de l’article 14 de la Loi électorale coutumière, attendu que Terrence Lavallee n’a pas obtenu de résidence avant le 27 juillet et que la résolution du différend n’a été reconnue que le 2 août. Je souhaite donc présenter une motion afin que nous déclenchions une élection partielle.

Carol Lavallee : Et attendu que le poste de chef est vacant.

Kevin Delorme : Au poste de chef, lequel aurait dû être réputé vacant le 27 juillet.

[44]           Le conseil de bande n’a discuté ni de la motion, ni de la signification précise des dispositions de la Loi électorale. Le vote a été tenu et la motion a été rejetée.

IV.             LES QUESTIONS EN LITIGE

[45]           Deux questions sont soulevées dans la présente instance :

i)                  Quelle est la norme de contrôle appropriée?

ii)                La décision du conseil de bande respecte‑t‑elle la norme de contrôle applicable?

V.                LES OBSERVATIONS

a)                  Les observations des demandeurs

[46]           Les demandeurs soutiennent que la norme de contrôle appropriée est la norme de la décision correcte puisque les questions soulevées ont trait à l’interprétation de la Loi électorale. Ils font valoir que le tribunal, c’est‑à‑dire le conseil de bande, a omis d’interpréter les dispositions de la Loi électorale et que, par conséquent, la norme de la décision correcte s’applique, comme l’a expliqué la Cour d’appel fédérale dans York c Bande indienne de Lower Nicola, [2013] 2 CNLR 388, au paragraphe 6.

[47]           Selon les demandeurs, la Loi électorale est claire. Un chef qui ne réside pas dans la réserve doit s’y installer en permanence dans les trois mois suivant son élection, à défaut de quoi le poste de chef devient vacant. Aucune disposition de la Loi électorale n’autorise le conseil de bande à exempter le chef de cette obligation.

[48]           Les demandeurs affirment que si le délai de trois mois n’est pas respecté, le poste de chef est vacant par effet de la loi et le conseil de bande doit déclencher une élection partielle dans les 90 jours suivant la vacance. Le seul pouvoir discrétionnaire dont dispose le conseil est la fixation de la date exacte de l’élection partielle à l’intérieur de la période de 90 jours. Comme le poste de chef était vacant, le conseil de bande ne pouvait refuser de déclencher une élection partielle.

[49]           De plus, les demandeurs font observer que l’interprétation avancée par les défendeurs quant au sens autochtone traditionnel du concept de l’établissement permanent ne résiste pas à un examen minutieux. Les demandeurs soutiennent que les explications de cet autre sens données par M. Lavallee sont incohérentes et contradictoires et qu’elles ont changé continuellement durant son contre‑interrogatoire. Selon eux, établir sa résidence permanente exige de la personne qu’elle déménage dans la réserve, qu’elle s’y installe et qu’elle y maintienne son lieu principal de résidence.

[50]           Les demandeurs estiment de plus que le différend avec Adrienne Sparvier au sujet de l’unité 134 n’a pas eu pour effet de prolonger le délai à l’intérieur duquel M. Lavallee était tenu de s’installer de façon permanente. Si cela avait été le cas, le délai aurait été prolongé tout au plus jusqu’au 7 septembre 2013.

[51]           Selon les demandeurs, la preuve est claire : même à cette date tardive, M. Lavallee n’avait toujours pas de résidence permanente dans la réserve. M. Lavallee n’a pas respecté le délai d’établissement de résidence permanente prescrit par la Loi électorale. Les demandeurs soutiennent que cette omission a rendu vacant le poste de chef et que le conseil de bande était tenu de déclencher une élection partielle.

b)                  Les observations des défendeurs

[52]           Pour leur part, les défendeurs soutiennent que les questions en litige sont des questions mixtes de fait et de droit. Par conséquent, selon Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 53, la norme de contrôle applicable est celle du caractère raisonnable de la décision.

[53]           De plus, les défendeurs font valoir qu’on doit faire preuve d’une grande retenue à l’égard de l’interprétation par le conseil de bande de sa loi constitutive, soit la Loi électorale, ce qui commande l’application de la norme de la décision raisonnable; voir Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, [2011] 3 RCS 654.

[54]           Les défendeurs soutiennent aussi que les précédents invoqués par les demandeurs à l’appui de leur prétention selon laquelle il faut appliquer la norme de la décision correcte peuvent être facilement écartés. Ces précédents ne tiennent pas compte de la jurisprudence pertinente de la Cour suprême du Canada et ne préconisent pas l’application de la norme de la décision correcte. Les défendeurs affirment que l’arrêt de principe est Première Nation de Fort McKay c Orr (2012), 438 N.R. 379. La norme de la décision raisonnable suffit dans la présente affaire à assurer la position de la Cour comme garante de l’équité administrative.

[55]           Les défendeurs allèguent que la Loi électorale n’est pas un code complet régissant les élections de la PNC. La coutume de la bande a un rôle à jouer. La Loi électorale doit être interprétée comme un tout, et les demandeurs se fondent à tort sur les exigences en matière de résidence ordinaire pour éclairer une interprétation de la résidence permanente. Selon les défendeurs, il s’agit là de deux concepts différents qui visent des membres différents du conseil de bande.

[56]           Les défendeurs font observer que la résidence permanente n’est pas définie dans la Loi électorale. Ils font valoir que cette omission est voulue et que le sens à donner au concept de résidence permanente doit être inféré de la tradition et de la coutume de la bande.

[57]           Les défendeurs soutiennent que les traditions de la bande en ce qui a trait à la gouvernance consensuelle et au droit d’occuper des terres traditionnelles héréditaires sont importantes pour comprendre le concept de résidence permanente. Il existe une différence essentielle entre la compréhension autochtone traditionnelle de la résidence permanente et la compréhension non autochtone de ce concept. Les défendeurs font valoir que selon la tradition et la coutume de la bande, la résidence permanente repose principalement sur une intention à long terme.

[58]           De plus, les défendeurs estiment que le concept de résidence permanente au sens de la Loi électorale devrait être apprécié d’une manière conforme au concept de domicile propre à la common law. En common law, il n’est pas nécessaire de résider physiquement à un endroit pour y avoir son domicile; voir Foote Estate, Re, [2011] 6 WWR 453, au paragraphe 19. Dans le même ordre d’idées, les défendeurs prétendent que selon la compréhension traditionnelle de la PNC, la résidence permanente ne nécessite pas une occupation physique.

[59]           Quoi qu’il en soit, les défendeurs affirment que la preuve démontre que M. Terrence Lavallee a établi sa résidence permanente dans la réserve. Il a l’intention de résider dans la réserve à l’unité 134, sur sa terre traditionnelle. Il est né sur cette terre, qui a des liens avec quatre générations de ses ancêtres. Ces actions objectives de M. Terrence Lavallee forment un fondement incontestable de la décision, en date du 25 septembre 2013, du conseil de bande selon laquelle M. Lavallee s’était installé de façon permanente. Cette décision était raisonnable et la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

VI.             ANALYSE ET DÉCISION

[60]           La première question à examiner est celle de la norme de contrôle applicable. Comme nous l’avons vu, les parties ont des approches différentes sur cette question, les demandeurs étant en faveur de la norme de la décision correcte et les défendeurs, de celle de la décision raisonnable.

[61]           Les demandeurs se fondent sur l’arrêt York de la Cour d’appel fédérale, précité, pour avancer que la décision du conseil de bande devrait être contrôlée selon la norme de la décision correcte. Leur argument est mal fondé selon moi. Cette affaire comportait des questions d’équité procédurale, lesquelles sont contrôlables selon la norme de la décision correcte. Dans la présente demande, aucune question n’est soulevée au sujet de l’équité procédurale et la norme de la décision correcte ne s’applique pas.

[62]           La question de fond à trancher dans la présente demande consiste à savoir si le défendeur M. Lavallee satisfait aux exigences de la Loi électorale qui obligent le chef de la PNC à avoir une résidence permanente dans la réserve. La réponse dépend de l’interprétation des dispositions pertinentes de la Loi électorale et de l’application de cette interprétation aux faits. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit. D’après l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 53, ce type de question est contrôlable selon la norme de la décision raisonnable.

[63]           La Cour d’appel fédérale a confirmé que lorsqu’un conseil de bande interprète et applique un code électoral coutumier, comme la Loi électorale, le caractère raisonnable de la décision est la norme de contrôle applicable; voir l’arrêt Orr, précité, aux paragraphes 10 et 11.

[64]           À cet égard, les observations du juge Stratas au paragraphe 12 de l’arrêt Orr, précité, sont instructives :

Toutefois, dans les circonstances, la distinction entre les deux normes de contrôle est très mince. Si la décision du conseil de suspendre M. Orr de son poste de conseiller par simple résolution ne peut se justifier par le libellé du code électoral ou toute autre source de pouvoir, on ne saurait affirmer que la décision est acceptable ou justifiable au regard du droit. Je vais maintenant me pencher sur cette question.

[65]           Dans la présente affaire, la gamme des issues possibles acceptables pour le conseil de bande est restreinte : soit M. Terrence Lavallee s’est installé de façon permanente dans la réserve dans les délais impartis et dans le respect du sens la Loi électorale et il est chef de la PNC, soit il n’y a pas établi sa résidence permanente et le poste de chef est vacant, ce qui exige la tenue d’une élection partielle.

[66]           Trois dispositions de la Loi électorale sont pertinentes quant à la question de la « résidence », à savoir l’alinéa 5.01b), l’article 12.03 et le sous‑alinéa 13.01a)(v), libellés comme suit :

[traduction]

ARTICLE 5 – ÉLIGIBILITÉ

Aux fins la présente Loi :

[…]

b) lors d’une élection ou d’une élection partielle et sans égard à son lieu de résidence, toute personne habilitée à voter peut poser sa candidature au poste de chef. Toutefois, conformément aux dispositions de l’article 11.03 de la présente loi, une personne qui se fait élire au poste de chef et qui résidait ordinairement à l’extérieur de sa réserve d’origine lors de la tenue de l’élection ou de l’élection partielle est tenue d’établir sa résidence permanente dans sa réserve d’origine dans les trois (3) mois suivant son entrée en fonction.

[…]

ARTICLE 12 – ENTRÉE EN FONCTION

[…]

12.03 Tout candidat qui se fait élire au poste de chef est tenu d’établir sa résidence permanente dans sa réserve d’origine dans les trois (3) mois suivant son entrée en fonction et de maintenir sa résidence dans sa réserve d’origine pour la durée de son mandat.

[…]

ARTICLE 13 – VACANCES ET RÉVOCATION

[…]

13.01 À la suite de l’entrée en fonction du conseil conformément à l’article 12.02 ci‑dessus, la charge de chef, de conseiller résident ou de conseiller non résident est réputée vacante uniquement dans les circonstances suivantes :

a) la personne occupant cette charge :

[…]

(v) dans le contexte du poste du chef, omet d’établir ou de maintenir sa résidence dans sa réserve d’origine conformément aux dispositions de la présente loi après son entrée en fonction;

[67]           Le texte même de l’alinéa 5.01b) est clair. Il oblige la personne élue au poste de chef qui ne réside pas dans la réserve au moment de l’élection à établir sa résidence permanente dans la réserve dans les trois mois suivant son entrée en fonction comme chef.

[68]           L’article 12.03 est également sans ambiguïté : il oblige le candidat qui s’est fait élire chef à installer sa résidence permanente dans la réserve dans les trois mois suivant son entrée en fonction. Cette disposition exige aussi du chef qu’il maintienne en permanence sa résidence dans la réserve pendant toute la durée de son mandat de chef.

[69]           Le libellé du sous‑alinéa 13.01a)(v) est tout aussi clair. Il dispose que la charge de chef est réputée vacante si la personne qui s’est fait élire n’établit pas sa résidence permanente dans les trois mois suivant son entrée en fonction.

[70]           D’après la preuve soumise, M. Lavallee réside à Regina. Il a accès à des champs agricoles dans la réserve, mais il ne réside pas dans la réserve.

[71]           À mon sens, la preuve touchant la disponibilité de l’unité 134 n’est pas pertinente. La non‑disponibilité de l’unité 134 pour M. Lavallee, quelle qu’en soit la raison, ne constitue pas une réponse à l’obligation que fait la Loi électorale à une personne occupant le poste de chef de résider dans la réserve.

[72]           Même si cette preuve était pertinente, les défendeurs ont selon moi soutenu à tort que le délai à l’intérieur duquel M. Lavallee devait établir sa résidence permanente était suspendu par l’appel touchant l’élection et le différend avec Mme Sparvier concernant le logement.

[73]           La Loi électorale ne prévoit aucune exception. La période de trois mois commence dès que le chef entre en fonction. Comme il l’admet lui‑même dans son affidavit déposé dans la présente instance, M. Terrence Lavallee est entré en fonction le 27 avril 2013. Il disposait de trois mois à compter de cette date pour établir sa résidence permanente dans la réserve, conformément à l’article 12.03.

[74]           Les défendeurs ont soutenu que les exigences de la Loi électorale en matière de résidence devraient recevoir une interprétation large, c’est‑à‑dire une interprétation fondée sur une définition autochtone traditionnelle de la résidence permanente.

[75]           Le problème que soulève cet argument est que la seule preuve d’une définition coutumière traditionnelle de la résidence permanente se trouve dans l’affidavit de M. Lavallee. Cet affidavit est de toute évidence intéressé et n’a guère de valeur probante. De fait, cet argument ne repose sur aucune preuve fiable.

[76]           Je suis consciente de l’importance de la tradition et de la coutume lorsqu’il s’agit d’interpréter les codes électoraux des Premières Nations, comme la Loi électorale. Je suis aussi consciente de la directive de la Cour suprême du Canada selon laquelle, dans le contexte du droit autochtone, il y a lieu d’assouplir ou de modifier les règles traditionnelles en matière de preuve; voir Delgamuukw c Colombie‑Britannique, [1997] 3 RCS 1010, au paragraphe 98. Cela ne signifie pas pour autant que l’on puisse ignorer complètement les règles de preuve. Je ne suis pas convaincue que les défendeurs aient présenté des éléments de preuve suffisants permettant de démontrer une compréhension traditionnelle de la notion de résidence permanente.

[77]           Les défendeurs ont tort de se fonder sur le concept traditionnel de domicile de la common law. Rien ne permet de croire que ce concept soit pertinent pour déterminer une résidence permanente, et cet argument vient en contradiction avec leur plaidoyer en faveur d’une compréhension traditionnelle de la résidence permanente.

[78]           Le mot « résider » peut donner lieu à plus d’une interprétation en fonction du contexte dans lequel il est utilisé. À cet égard, je renvoie au paragraphe 27 de l’arrêt Sifton c Sifton, [1938] 3 D.L.R. 577, où le Comité judiciaire du conseil privé écrit ce qui suit :

[traduction]
Dans l’argumentation, ont été portés à l’attention de Leurs Seigneuries de nombreux précédents où la Cour a été appelée à se pencher sur le sens à donner aux mots « résider » et « résidence » et autres mots apparentés. Mais ces précédents n’aident en rien Leurs Seigneuries à interpréter l’intention présente. Le sens de ces mots dépend de toute évidence du contexte dans lequel on les utilise.

[79]           À mon sens, les dispositions pertinentes de la Loi électorale, si on les interprète bien correctement, supposent la présence physique obligatoire du chef dans la réserve. Le fait que la Loi électorale donne à la personne un délai, fixé à trois mois, pour « établir » sa résidence permanente donne poids à l’interprétation de la présence physique. Les trois mois constituent une période de grâce pour permettre à une personne de déménager dans la réserve.

[80]           Malgré les observations des défendeurs à l’effet contraire, le dossier démontre que M. Lavallee n’a pas établi sa résidence permanente dans la réserve. La Loi électorale ne mentionne ni l’intention d’obtenir la résidence permanente ni les étapes à franchir pour l’obtenir, pas plus qu’elle ne traite de la question des terres traditionnelles. Il n’a pas été satisfait à l’obligation de résidence permanente et M. Lavallee n’a pas établi sa résidence permanente dans la réserve à l’intérieur du délai de trois mois prescrit par la Loi électorale.

[81]           Cette constatation permet selon moi de trancher la présente demande.

[82]           Le défaut d’établir une résidence dans la réserve dans les trois mois suivant l’entrée en fonction déclenche l’application du sous‑alinéa 13.01a)(v) de la Loi électorale, comme il a été mentionné ci‑dessus. Aux termes de ce sous‑alinéa, lorsqu’une personne qui est élue chef omet d’établir sa résidence permanente comme le prescrit la Loi électorale, le poste de chef doit être réputé vacant.

[83]           M. Lavallee a omis d’établir sa résidence permanente dans la réserve dans les trois mois suivant son entrée en fonction comme chef. Conformément à l’application des dispositions pertinentes de la Loi électorale, le poste est considéré comme étant vacant. M. Lavallee a occupé le poste de chef pendant trois mois après son entrée en fonction le 27 avril 2013. À compter du 27 juillet 2013, il n’était plus légalement le chef.

[84]            L’article 14.01 de la Loi électorale énonce les exigences à remplir dans le cadre d’une élection partielle lorsqu’un poste au conseil de bande devient vacant. Cet article prévoit ce qui suit :

[traduction]

ARTICLE 14 – ÉLECTIONS PARTIELLES

[…]

14.0.1 Lorsque, pour une raison quelconque, un poste au conseil devient vacant conformément aux dispositions des articles 12 et 13 des présentes, les membres restants du conseil fixent, dans les meilleurs délais, la date d’une élection partielle à tenir dans les quatre‑vingt‑dix (90) jours suivant l’événement qui a donné lieu à la vacance. Sauf disposition contraire, toutes les dispositions touchant l’éligibilité et les procédures relatives à la conduite des élections s’appliquent également à toute élection partielle déclenchée en vertu de la présente loi.

[85]           La Loi électorale dispose que lorsque, pour une raison quelconque, un poste au conseil de bande devient vacant, le poste doit être pourvu au moyen d’une élection partielle. Le conseil de bande n’est pas habilité à déroger à l’obligation de déclencher une élection partielle dans un tel cas de vacance. L’article 14.01 exige que le conseil de bande déclenche une élection partielle dans les 90 jours suivant la date où un poste devient vacant. Le poste de chef est devenu vacant le 27 juillet 2013 par l’effet de la loi. La décision du conseil de bande de ne pas déclencher une élection partielle pour pourvoir le poste vacant de chef était déraisonnable.

[86]           En conclusion, la preuve est tout simplement insuffisante pour soutenir l’interprétation que font les défendeurs de la Loi électorale. M. Lavallee ne réside pas en permanence dans la réserve et le poste de chef est vacant en vertu de la Loi électorale.

[87]           La décision du conseil de bande est annulée et il lui est ordonné d’arrêter une date en vue d’une élection partielle conformément à la Loi électorale.

[88]           Les demandeurs ont gain de cause et ont droit aux dépens. Les deux parties ont demandé des dépens sur la base avocat‑client advenant qu’elles aient gain de cause dans la présente instance. Selon Assoc. canadienne des radiodiffuseurs c Canada, [2009] 1 RCF 3, la Cour ne devrait pas adjuger de tels dépens en l’absence d’observations des parties.

[89]           Par conséquent, les parties peuvent formuler des observations : les observations des demandeurs devront être signifiées dans les sept (7) jours suivant la réception du jugement dans la présente affaire et les observations des défendeurs devront être signifiées dans les cinq (5) jours suivant la réception des observations des demandeurs au sujet des dépens.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est accueillie et les dépens sont adjugés aux demandeurs. Des observations peuvent être faites sur une adjudication des dépens sur la base avocat‑client. Les observations des demandeurs devront être signifiées dans les sept (7) jours suivant la réception du jugement dans la présente affaire et les observations de défendeurs devront être signifiées dans les cinq (5) jours suivant la réception des observations des demandeurs au sujet des dépens.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1412-13

 

INTITULÉ :

DODIE FERGUSON, MALCOLM DELORME, ERNEST DELORME, CAROL LAVALLEE et KEVIN DELORME c TERRENCE LAVALLEE, EDWARD AISAICAN, WALTER PELLETIER, WILLIAM TANNER et VALERIE TANNER

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

regina (saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 novembRe 2013

 

JUGEMENT ET MOTIFS DE JUGEMENT :

LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DU JUGEMENT :

LE 13 JUIN 2014

 

COMPARUTIONS :

E.F. Anthony Merchant

 

POUr Les DEMANDEURS

 

Mervin Phillips

 

PoUr Les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Merchant Law Group LLP

Avocats

Regina (Saskatchewan)

 

POUr Les dEMANDEURS

 

Phillips & Co.

Avocats

Regina (Saskatchewan)

 

POUr Les défendeurs

 

 

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