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Date : 20140617


Dossier : IMM-6035-13

Référence : 2014 CF 572

Ottawa (Ontario), le 17 juin 2014

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

LEONARDO DOMINGUEZ ROMO

LEONARDO DOMINGUEZ GOMEZ

ANDREA DOMINGUEZ GOMEZ

VANESSA MONTSER GOMEZ GUTIERREZ

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en application de l’article 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi] à l’encontre d’une décision [la Décision] de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [le Tribunal], rendue le 30 août 2013 par Patrick Lemieux, aux termes de laquelle il a été décidé que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugiés ni celle de «personnes à protéger » au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

[2]               Pour les raisons énoncées ci-dessous, je suis d’avis que la demande doit être rejetée.

I.                   LE CONTEXTE FACTUEL

[3]               Madame Vanessa Montserrat Gomez Gutierrez (la demanderesse), son époux et leurs deux enfants mineurs (collectivement, les demandeurs) sont citoyens du Mexique. Ils basent tous leur réclamation sur le récit de la demanderesse.

[4]               Selon ses déclarations, la demanderesse a travaillé pour le gouvernement mexicain au sein du Service d’administration tributaire [le SAT]. À ce titre, elle a enquêté en juin 2009 sur les activités d’une société, « Incomersat », dont elle aurait mis à jour des pratiques frauduleuses. Alors que l’enquête tirait à sa fin en mai 2010, elle a été informée qu’un certain Jose Carlos Calleja Lopez [Calleja] se joindrait à sa division. La demanderesse soutient qu’elle connaissait Calleja puisque ce dernier était intervenu dans le cadre de certaines de ses activités d’enquête en 2007 et 2008 et elle avait alors conclu qu’il était lié au groupe criminel les « Zetas ». Craignant de travailler avec Calleja, la demanderesse a démissionné du SAT en juin 2010.

[5]               Le 25 décembre 2012, soit quelque deux ans et demi après sa démission, et alors que la demanderesse travaillait pour une autre organisation, elle aurait reçu, à son domicile, un appel d’un inconnu se présentant comme un membre des Zetas. Cet individu l’aurait avisée de prendre garde à elle-même et à sa famille en raison du tort qu’elle pourrait infliger à Calleja.

[6]               Le lendemain, le 26 décembre 2012, un individu aurait volé la caméra et le téléphone cellulaire de la demanderesse alors qu’elle se baladait au centre-ville de Léon avec son fils, sur qui l’homme aurait d’ailleurs pointé une arme. L’homme aurait alors avisé la demanderesse que Calleja réclamait son départ du pays.

[7]               Le 27 décembre 2012, la demanderesse a déposé une dénonciation à la police. Elle a ensuite démissionné de son travail, retiré ses enfants de l’école et aurait avec eux passé les 4 mois suivants enfermée dans sa maison, sans en sortir.

[8]               Le 27 avril 2013, la demanderesse est sortie de la maison pour se rendre au parc d’amusement avec ses enfants. Elle aurait été approchée par un homme menaçant de lui donner une leçon pour ne pas avoir quitté le pays, tel que préalablement demandé. Elle aurait aspergé son agresseur de poivre de Cayenne et réussi à prendre la fuite avec ses enfants.

[9]               La demanderesse avait par ailleurs acheté des billets d’avion pour le Canada pour elle et sa famille le 22 avril 2013, soit quelques jours avant l’incident au parc d’amusement, prévoyant voyager le 4 mai suivant afin de s’installer définitivement au Canada.

[10]           Le 4 mai 2013, la demanderesse et sa famille ont quitté le Mexique pour les États-Unis, où ils ont séjourné deux semaines. Ils se sont ensuite rendus au Canada, où ils ont réclamé l’asile quelque deux mois plus tard.


II.                LA DÉCISION CONTESTÉE

[11]           Après avoir analysé l’ensemble de la preuve présentée par les demandeurs, le Tribunal a conclu que la crédibilité de la demanderesse était irrémédiablement compromise à plusieurs égards. Compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve, le Tribunal a déclaré que les demandeurs ne s’étaient  pas déchargés de leur fardeau de preuve.

[12]           Tout d’abord, à l’audience, la demanderesse a témoigné que Calleja lui avait personnellement proféré des menaces voilées en juin 2010. Elle n’a pourtant mentionné cette menace, un élément-clef, dans aucune de ses déclarations antérieures. La demanderesse prétend que « Calleja souhait[e] l’éliminer parce qu’il croit qu’elle peut l’incriminer » et que cette prétention repose en partie sur la menace précitée du mois de juin 2010. Or, la demanderesse a procédé à des amendements de ses déclarations antérieures à deux reprises sans toutefois faire état de cette menace et elle a confirmé sous serment en début d’audience que son formulaire de Fondement de Demande d’Asile [FDA] était complet. Ce n’est qu’une fois confrontée à cette omission par le Tribunal que la demanderesse a déclaré qu’elle croyait l’avoir mentionné auparavant. Le Tribunal a estimé que cette explication était non crédible et la vraisemblance de la crainte de représailles par Calleja conséquemment amoindrie.

[13]           Le Tribunal a également estimé non crédible l’explication fournie par la demanderesse pour justifier le délai de deux ans et demi écoulé entre la menace précitée de juin 2010 et l’appel téléphonique du membre des Zetas du 25 décembre 2012. Le Tribunal n’a pas accepté la prétention de la demanderesse selon laquelle Calleja se serait de nouveau intéressé à elle parce qu’il allait « passer en justice » sous peu. En effet, la prépondérance de la preuve était à l’effet qu’aucun tel procès n’était alors prévu et la demanderesse n’a d’ailleurs pas été en mesure d’expliquer adéquatement pourquoi, si cette allégation était fondée, n’avait-elle toujours pas été contactée par les autorités responsables des procédures visant Calleja ou Incomersat. Le Tribunal a plutôt estimé que l’absence de manifestation d’intérêt de Calleja envers la demanderesse pendant cette période de plus de deux ans était incompatible avec la possibilité de représailles sur la foi d’information détenue par la demanderesse. Le Tribunal a donc considéré comme invraisemblable l’allégation de la demanderesse selon laquelle la menace du 25 décembre 2012 était en lien avec Calleja ou avec les Zetas.

[14]           La demanderesse a fourni une déclaration écrite notariée récente d’un membre de son équipe d’enquête au SAT chargé particulièrement de documenter le lien entre Calleja et les Zetas. Le Tribunal a trouvé éloquent l’absence de toute mention de Calleja, des Zetas, d’une enquête en cours ou de l’existence même d’un problème dans cette déclaration. Le Tribunal n’a pas été satisfait des explications fournies par la demanderesse pour justifier ce silence.

[15]           Concernant l’incident daté du 26 décembre 2012, le Tribunal n’a pas jugé crédible le témoignage de la demanderesse. Ce n’est qu’à la toute fin de sa narration de l’incident que la demanderesse a indiqué que l’individu ayant volé son téléphone cellulaire et sa caméra avait fait allusion à Calleja, et ce n’est qu’à la suggestion du tribunal qu’elle a confirmé que cet individu lui aurait indiqué de quitter le pays. Elle ne pouvait initialement se rappeler ce qu’il lui avait dit.

[16]           Au surplus, la dénonciation de cet incident, datée du 27 décembre 2012, ne fait pas état de paroles prononcées par l’agresseur en lien avec Calleja ou de menaces de quitter le pays. Ainsi, compte tenu de l’ensemble des éléments soulevés, le Tribunal a conclu que la demanderesse n’a pas établi que l’incident du 26 décembre 2012 était lié à Calleja et aux Zetas.

[17]           Le Tribunal a estimé que les circonstances invoquées par la demanderesse, la décision de remettre sa démission, de retirer ses enfants de l’école et de demeurer à la maison pendant les mois suivants les événements de décembre 2012 étaient incompatibles avec les menaces alléguées, puisque les individus de qui elle se cachait connaissaient son lieu résidence. En effet, ils avaient contacté la demanderesse par téléphone à cet endroit, et elle a de plus confirmé dans son témoignage que son numéro de téléphone et son adresse étaient publiés. Le Tribunal a estimé déraisonnables les explications avancées par la demanderesse pour justifier son comportement et a conclu qu’elle n’avait pas pris les précautions correspondant à des menaces provenant de Calleja ou des Zetas.

[18]           Le Tribunal a estimé que la survenance de l’évènement du 27 avril 2013 au parc d’amusement était improbable compte tenu des allégations de la demanderesse. En effet, le Tribunal a conclu que la décision d’aller au parc était incompatible avec l’existence de menaces de la part de Calleja et des Zetas et avec la crainte exprimée par la demanderesse, cette crainte étant d’une telle intensité qu’elle avait déjà planifié quitter le pays définitivement avec sa famille une semaine plus tard, après avoir abandonné son travail et s’être enfermée dans sa maison pendant 4 mois.

[19]           Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal a conclu que la demanderesse n’a pas établi ses allégations principales de manière crédible et selon la prépondérance de la preuve. Il n’a accordé aucune force probante aux autres éléments de preuve de la demanderesse pour appuyer l’allégation principale selon laquelle Calleja ou les Zetas ont cherché ou chercheraient encore à éliminer la demanderesse ou les autres demandeurs. Il n’a donc pas jugé nécessaire d’élaborer davantage sur d’autres éléments de preuve.

[20]           Compte tenu de ces conclusions, le Tribunal a également considéré comme non fondée la prétention soulevée par la demanderesse à l’audience selon laquelle Calleja serait aujourd’hui informé de sa présence au Canada en raison de la démarche effectuée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] ayant conduit à la Réponse à une demande d’information – MEX104543.F : Information sur une affaire de fraude contre le gouvernement national et les procédures judiciaires qui impliqueraient, entre autres, la société mexicaine « Incomersa, S.A. de C.V. » et l’organisation criminelle Los Zetas; information sur la protection offerte aux employés du Servicio de Administracion Tributaria qui seraient menacés pour avoir enquêté sur des affaires de corruption ou de fraude [Réponse à la demande d’information] datée du 7 août 2013.

[21]           Ainsi, le Tribunal a conclu que les demandeurs n’ont pas établi les allégations principales quant à l’intérêt présent, passé ou futur de Calleja ou des Zetas d’éliminer la demanderesse ou d’autrement la menacer ou la maltraiter, et qu’ils n’ont conséquemment pas établi i) une possibilité sérieuse de persécution, ii) une menace à leur vie ou iii) un risque de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités.

III.             POINT EN LITIGE ET NORME DE CONTRÔLE

[22]           La présente demande soulève la question en litige suivante :

Les conclusions négatives tirées par le Tribunal au sujet de la crédibilité des demandeurs l’ont-elles été de façon abusive ou arbitraire sans tenir compte des éléments dont disposait le Tribunal?

[23]           Il est bien établi que la norme de contrôle applicable en matière de crédibilité est celle de la décision raisonnable (Hidalgo Carranza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de Immigration), 2010 CF 914 au para 16; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9  [Dunsmuir]; Wa Kabongo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de Immigration), 2008 CF 348 au para 7). La jurisprudence nous enseigne effectivement que le Tribunal est mieux placé que cette Cour pour évaluer la crédibilité d’un demandeur d’asile ainsi que pour juger du bien-fondé de ses explications (Berber c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 497 au para 31; Cortes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 583). La Cour doit faire preuve de retenue face aux déterminations du Tribunal et n’intervenir que si ce dernier a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou s’il a rendu sa décision sans tenir compte des éléments de preuve dont il disposait (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF 732 [Aguebor] au para 4; Dunsmuir au para 47).

IV.             DISPOSITIONS PERTINENTES

[24]           Les articles 96 et 97 de la Loi se lisent comme suit

NOTIONS D’ASILE, DE RÉFUGIÉ ET DE PERSONNE À PROTÉGER

Définition de « réfugié »

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

REFUGEE PROTECTION, CONVENTION REFUGEES AND PERSONS IN NEED OF PROTECTION

Convention refugee

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

Personne à protéger

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Person in need of protection

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Person in need of protection

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

V.                PRÉTENTIONS DE LA DEMANDERESSE

[25]           Selon la demanderesse, le Tribunal a erré dans l’évaluation de la crédibilité de son témoignage. La demanderesse s’en prend essentiellement à l’appréciation de divers faits par le Tribunal et soumet que celui-ci a commis plusieurs erreurs.

[26]           Elle soumet d’abord que la Réponse à la demande d’information lui a été communiquée seulement le 7 août 2013, soit la veille de l’audition devant le Tribunal, donc hors délai. Ainsi, selon la demanderesse, l’analyse de celle-ci pendant l’audience était « illégale » et constitue une erreur de procédure. Elle conteste également l’affirmation du défendeur selon laquelle ce document constitue une preuve minant la crédibilité de la demanderesse. Au surplus, la demanderesse soumet que le simple fait que la Commission ait demandé une recherche sur une éventuelle procédure judiciaire contre Cajella et les Zetas fait en sorte que la vie de la demanderesse et celle des membres de sa famille sont dorénavant plus en danger qu’auparavant.

[27]           Le Tribunal a noté qu’alors que la demanderesse a témoigné à l’audience que Calleja lui avait proférée en personne des menaces voilées en juin 2010 à son départ du SAT, elle avait pourtant omis jusqu’alors de déclarer cette menace dans ses déclarations antérieures. La demanderesse soumet plutôt que la lecture des explications fournies à la question 2a) de son formulaire FDA permet de conclure qu’elle avait implicitement mentionné dans des déclarations antérieures que sa vie était en danger.

[28]           Elle soumet ensuite que le Tribunal a commis une erreur en considérant comme une seule procédure deux types distincts de procédure, i.e. l’une administrative et l’autre judiciaire. Ainsi, la demanderesse prétend que le délai de deux ans et demi serait raisonnable, puisqu’attribuable au temps requis pour la procédure administrative, puis pour la judiciarisation de l’affaire. Il s’ensuit donc que la conclusion du tribunal selon laquelle il « considère comme invraisemblable l’allégation de la demandeure à l’effet que le 25 décembre 2012, après deux années et demie de silence, elle a été menacée par Las Zetas en lien avec Calleja » ne tient pas compte du temps requis pour ces deux procédures séparées, ce qui constitue, selon la demanderesse, une conclusion déraisonnable.

[29]           Concernant la déclaration écrite notariée récente d’un membre de son équipe d’enquête chargé particulièrement de documenter le lien entre Calleja et les Zetas, celle-ci soutient que ce document constituait une attestation de sa bonne conduite, et non pas une déclaration sur des faits relativement à l’enquête sur Incomersat et les Zetas. Conséquemment, elle prétend que le passage où il est écrit que « l’absence de toute mention de Calleja, Las Zetas, une enquête en cours ou même l’existence d’un problème à ces égards […] est éloquent à cet égard, le tribunal n’étant par ailleurs pas satisfait des nombreuses explications avancées par la demandeure pour expliquer ce silence »  est erroné. La demanderesse soumet qu’elle a précisément dit à l’audience qu’il s’agissait d’une déclaration relative au fait qu’ils travaillaient ensemble et qu’ainsi, la conclusion tirée par le Tribunal n’était pas raisonnable.

[30]           La demanderesse soumet que le Tribunal a miné sa crédibilité relativement à des erreurs qui étaient superficielles et insuffisantes afin de mettre en doute ses propos quant aux circonstances entourant l’incident du 26 décembre 2012.

[31]           Relativement à la dénonciation du 27 décembre 2012 qui ne rapportait pas les propos en question de l’individu ayant volé son cellulaire et sa caméra, la demanderesse soumet que le Tribunal a eu tort de ne pas accepter ses explications à l’effet que l’agent du Ministère public a refusé de consigner certains éléments de la déclaration de la plaignante alors qu’elle est d’avis que ses explications étaient plus que raisonnables, i.e. que l’agent ne consignait que ce qui était pertinent, soit qu’il s’agissait d’un vol. Les autres faits mentionnés n’avaient aucune pertinence.

[32]           La demanderesse soumet que le Tribunal n’a pas pris en considération le contexte du pays relativement aux relations hommes-femmes. Essentiellement, elle soumet qu’elle désirait quitter la maison plus rapidement, mais que son mari souhaitait quant à lui rester, croyant que  la situation se calmerait. Elle devait respecter sa décision.

[33]           Finalement, relativement à la décision de se rendre au parc d’amusement  avec ses enfants après être demeurés enfermés à la maison pendant quatre mois, la demanderesse soumet qu’elle n’avait pas le choix, en dépit du risque encouru. Elle soumet que le Tribunal a mal évalué sa motivation de mère désespérée.

VI.             PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[34]           Essentiellement, le défendeur s’en remet aux conclusions du Tribunal.

[35]           Le défendeur soumet que la décision du Tribunal est raisonnable, c’est-à-dire que les conclusions d’appréciation de crédibilité sont raisonnables. Il est également d’avis que les lacunes contenues dans chacun des aspects essentiels du récit tel qu’allégué par la demanderesse justifient la conclusion d’absence de crédibilité à laquelle est parvenue le Tribunal. Il était donc justifié de conclure que la demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau de démontrer le bien-fondé de ses allégations, n’ayant pas réussi à « établir ses prétentions selon la prépondérance des probabilités »   (Daissala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 324 au para 14).

[36]           Concernant l’évaluation de la crédibilité de la demanderesse et s’appuyant sur Zeferino c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 456 aux paragraphes 31-32, le défendeur soumet que le Tribunal peut tenir compte de l’omission de la demanderesse de mentionner dans son formulaire FDA la menace que Calleja lui aurait proférée en personne au moment où elle a démissionné d’Incomersat en juin 2010 :

Cette Cour a confirmé à plusieurs reprises que tous les faits importants d’une revendication devaient apparaître dans un FRP et que l’omission de les mentionner pouvaient affecter la crédibilité d’une portion ou de la totalité d’un témoignage. En outre, la SPR est en droit d’examiner la teneur du FRP avant et après sa modification, et peut tirer des conclusions défavorables sur la crédibilité si des questions qu’elle considère comme importantes ont été ajoutées au FRP lors d’un amendement tardif (Taheri c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 FCT 886 (CanLII), 2001 FCT 886, [2001] A.C.F. no 1252, aux para 4 et 6; Grinevich c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1997), 70 A.C.W.S. (3d) 1059, [1997] A.C.F. no 444).

Il est loisible au Tribunal de jauger la crédibilité de la demanderesse principale et de tirer des inférences défavorables au sujet des disparités entre sa déclaration telle que mentionnée au FRP initial, celle contenue dans les notes d’entrevue, la déclaration au narratif modifié du FRP, et dans le témoignage viva voce, pour lesquelles la demanderesse principale n’a pas fourni d’explications satisfaisantes, vraisemblables ou crédibles dans les circonstances (He c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1994), 49 A.C.W.S. (3d) 562, [1994] A.C.F. no 1107). En l’espèce, et la Cour est d’accord avec la procureure du défendeur, la preuve démontre que l’histoire et le récit des demandeurs a changé au cours des deux dernières années.

[37]           Le Tribunal était également fondé de se fier sur des critères de rationalité et de sens commun afin d’évaluer la plausibilité de l’histoire alléguée, ce qui lui a permis de juger invraisemblable d’abord que la demanderesse ait été inquiétée par Calleja deux ans et demi après avoir démissionné de son poste au SAT et alors qu’aucun procès n’est en vue, et ensuite que les Zetas aient tenté de l’enlever avec ses enfants dans un lieu public alors que si un tel enlèvement avait réellement été leur objectif, ils auraient bien pu y procéder lorsque la demanderesse et ses enfants vivaient cachés dans leur maison dont l’emplacement était connu des Zetas.

[38]           Conséquemment, le défendeur soumet que la décision du tribunal appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »  (Dunsmuir au para 47).

VII.          ANALYSE

[39]           Le cadre dans lequel la Cour doit se prononcer est celui de la révision judiciaire. Tel qu’indiqué dans Ortez Villalta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1126 au paragraphe 3, la Cour doit, dans le cadre de l’appréciation de la crédibilité par le Tribunal, exercer une grande retenue et analyser la décision selon la norme de la décision raisonnable.

[40]           Dans les circonstances, il n’appartient pas à cette Cour de substituer sa propre appréciation des faits à celle faite par le Tribunal. Effectivement, « le tribunal administratif a eu l’occasion d’entendre le témoignage de vive voix et qu’il est donc bien mieux placé pour évaluer la crédibilité des témoins. Le rôle de notre Cour consiste à s’assurer que le tribunal a exécuté son mandat en conformité avec le cadre législatif établi par sa loi constitutive et en tenant dûment compte des règles d’équité et de justice fondamentale. » (Utrera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 360 para 13).

[41]           À la lumière de ces faits, après révision de la preuve au dossier et après avoir entendu les procureurs des parties en ce qui a trait à la question soulevée dans cette affaire, soit l’appréciation des faits par le Tribunal, la Cour est convaincue que les inférences tirées par le Tribunal pouvaient raisonnablement l’être (Aguebor au para 4). Les invraisemblances et incohérences soulignées par le Tribunal sont généralement bien supportées par la preuve.

[42]           Le raisonnement suivi par le Tribunal permet à la Cour de conclure qu’il a considéré les prétentions des parties et l’ensemble de la preuve présentée devant lui, tant la preuve documentaire que testimoniale, d’une durée d’environ cinq heures. Ainsi, puisqu’il a eu le bénéfice d’entendre et d’évaluer la portée des témoignages, la Cour conclut que la décision à laquelle le Tribunal est parvenu se situe à l’intérieur du spectre des décisions auxquelles il lui était raisonnable d’arriver.

[43]           Aucune erreur n’a été commise justifiant l’intervention de la Cour.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

2.                  Les parties n’ont soumis aucune question d’importance générale à certifier et aucune n’est certifiée.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6035-13

 

INTITULÉ :

LEONARDO DOMINGUEZ ROMO, LEONARDO DOMINGUEZ GOMEZ, ANDREA DOMININGUEZ GOMEZ, VANESSA MONTSER GOMEZ GUTIERREZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 mai 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE ST-LOUIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 juin 2014

 

COMPARUTIONS :

Me Claude Brodeur

 

Pour la partie demanderesse

 

Me Simone Truong

 

Pour la partie défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Claude Brodeur

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour la partie demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la partie défenderesse

 

 

 

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