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Date : 20140526


Dossiers : IMM-2050-13

IMM-3938-13

Référence : 2014 CF 505

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 mai 2014

En présence de monsieur le juge Simon Noël

ENTRE :

SARBJIT KAUR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.          Introduction

[1]               La Cour prononce conjointement les présents motifs relatifs à deux demandes de contrôle judiciaire présentées par la demanderesse et entendues le même jour.

[2]               La première demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR] (dossier IMM‑2050‑13) vise une décision rendue par Benjamin R. Dolin (le commissaire de la SAI), de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) de la Section d’appel de l’immigration (SAI) du Canada. Dans sa décision en date du 19 février 2013, le commissaire de la SAI a rejeté la demande que la demanderesse a présentée en vue de faire rouvrir son appel devant la SAI en vertu de l’article 71 de la LIPR.

[3]               La deuxième demande de contrôle judiciaire, également présentée en application du paragraphe 72(1) de la LIPR (dossier IMM‑3938‑13), vise une décision rendue par P. Bandan, agent principal d’immigration à Citoyenneté et Immigration Canada (agent d’ERAR), en date du 15 avril 2013, par laquelle il a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) présentée par la demanderesse (la décision relative à la demande d’ERAR).

II.        Les faits

[4]               La demanderesse est une citoyenne de l’Inde. Son premier époux est décédé en 1999. Elle a ensuite épousé un citoyen canadien, lequel est devenu son répondant, et elle est venue au Canada en novembre 2006 à titre de résidente permanente. Le mariage a pris fin lorsque la mère de l’époux de la demanderesse est décédée et que l’époux a répudié la demanderesse parce qu’il la tenait responsable de sa mort. La Cour supérieure de justice de l’Ontario a annulé ce mariage le 22 octobre 2007 (la décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario).

[5]               Dans sa décision, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu que la demanderesse avait contracté un mariage de convenance, de sorte qu’elle a été jugée interdite de territoire au Canada pour fausses déclarations au titre de l’article 40 de la LIPR. La demanderesse a interjeté appel de la décision d’interdiction de territoire, mais la SAI a rejeté son appel le 10 août 2012.

[6]               La demanderesse a demandé la réouverture de son appel le 9 novembre 2012, alléguant que son ancien conseil était incompétent ou négligent et que ses services médiocres étaient assimilables à un manquement à la justice naturelle. Devant la SAI, elle a affirmé que son ancien conseil avait négligé de préciser à la SAI la nature exacte de la mesure demandée et qu’il ne lui avait pas fourni les observations requises sur la décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario selon laquelle elle avait contracté un mariage de convenance.

[7]               À peu près à la même période, la demanderesse a présenté sa demande d’ERAR le 5 novembre 2012, affirmant qu’elle serait exposée à un risque à son retour en Inde en raison de son appartenance à un groupe social, car elle était une divorcée et une veuve et que les personnes de ce groupe sont ostracisées et ridiculisées et se retrouvent à la rue parce qu’elles sont souvent tenues responsables du décès de leur époux. Cette demande d’ERAR a été rejetée le 15 avril 2013.

[8]               La demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse à l’encontre du refus de rouvrir son appel en vertu de l’article 71 de la LIPR a été reçue le 7 juin 2013, et la demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision relative à l’ERAR a été reçue le 18 mars 2013. Les deux demandes ont été entendues lors de la même séance devant la Cour.

III.       Analyse

            A. Refus de rouvrir l’appel devant la SAI en application de l’article 71 de la LIPR

            (1) Décision contrôlée

[9]               Dans sa décision, le commissaire de la SAI a conclu que la SAI avait compétence pour rouvrir un appel s’il était allégué que le conseil du demandeur était incompétent. Toutefois, il a aussi conclu que, lors du premier appel interjeté dans le cadre de la présente affaire, la SAI a conclu que la demanderesse n’était pas un témoin crédible et que sa situation particulière ne justifiait pas la prise de mesures spéciales en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR. Le commissaire de la SAI a aussi conclu que la demanderesse n’avait pas subi un préjudice tel en raison de l’incompétence de son ancien conseil qu’une erreur judiciaire en avait résulté; comme le témoignage de la demanderesse n’était pas crédible, l’appel aurait connu le même dénouement, n’eût été l’incompétence alléguée de son ancien conseil.

            (2) Observations de la demanderesse

[10]           Premièrement, le commissaire de la SAI a commis une erreur en concluant que le manquement à l’équité procédurale nécessaire pour justifier la réouverture d’un appel en vertu de l’article 71 de la LIPR doit être imputable à la SAI. Il est bien établi que l’incompétence d’un conseil peut donner lieu à un manquement à la justice naturelle; qui plus est, le commissaire de la SAI a admis l’incompétence du conseil dans ses motifs, soit exactement ce que la demanderesse devait établir pour obtenir la réouverture de l’appel.

[11]           Deuxièmement, le commissaire de la SAI a commis une autre erreur en concluant qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve montrant que la demanderesse avait subi un préjudice en raison de l’incompétence de son ancien conseil. Le préjudice est manifeste : la SAI avait demandé à obtenir des observations afin de déterminer si elle était ou non liée par la décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario selon laquelle la demanderesse avait contracté un mariage de convenance, et l’ancien conseil de la demanderesse avait omis de fournir ces observations à la SAI. De plus, l’ancien conseil de la demanderesse avait omis de préciser clairement à la SAI quelle mesure était demandée dans le cadre de l’appel et d’exposer les considérations d’ordre humanitaire (CH) qui s’appliquaient au cas de la demanderesse. Le commissaire de la SAI a commis une erreur en concluant que la demanderesse n’avait pas subi de préjudice par suite des actions ou de l’inaction de son ancien conseil.

            (3) Observations du défendeur

[12]           En ce qui concerne le premier argument de la demanderesse, selon lequel le commissaire de la SAI avait conclu que la SAI devait être à l’origine du manquement à la justice naturelle qui doit nécessairement avoir lieu pour qu’un appel soit rouvert en vertu de l’article 71 de la LIPR, le défendeur répond que la SAI n’a jamais tiré une telle conclusion. Au contraire, le commissaire de la SAI Dolin a conclu qu’elle avait compétence pour rouvrir l’appel en l’espèce. Son refus de rouvrir le dossier était fondé sur d’autres motifs.

[13]           En ce qui a trait au deuxième argument, le commissaire de la SAI était en droit de conclure que la demanderesse n’avait pas subi de préjudice constituant un manquement la justice naturelle en raison de l’incompétence alléguée de son ancien conseil parce que la crédibilité de son témoignage, ou son manque de crédibilité, avait été l’élément déterminant pour trancher sa demande. La demanderesse n’a subi aucun préjudice, car l’issue de sa demande aurait été la même, n’eût été l’incompétence de son ancien conseil. La demanderesse a omis de montrer de quelle façon les choses auraient été différentes en fin de compte si son ancien conseil avait présenté les observations demandées par la SAI au sujet de la décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario. En l’espèce, c’était la question de la crédibilité qui était déterminante. De plus, le commissaire de la SAI a bel et bien évalué les deux motifs de recours qui auraient pu être accordés en dépit du fait que l’ancien conseil de la demanderesse n’avait pas précisé quelle était la mesure demandée ni présenté les considérations d’ordre humanitaire applicables dans le cas de sa cliente. La demanderesse n’a pas subi de préjudice au sens de la jurisprudence à cause de l’incompétence de son ancien conseil, entre autres parce qu’il n’y a que dans les cas où l’incompétence exceptionnelle a été clairement établie qu’il est considéré qu’il y a eu manquement à la justice naturelle.

            (4) Question en litige et norme de contrôle

[14]           L’affaire en l’espèce soulève la question suivante : le commissaire de la SAI a‑t‑il commis une erreur en rejetant la demande que la demanderesse a présentée pour faire rouvrir son appel devant la SAI en application de l’article 71 de la LIPR?

[15]           Étant donné que la question sous‑jacente a trait à l’existence d’un manquement à la justice naturelle, la décision du commissaire de la SAI doit faire l’objet d’un contrôle d’après la norme de la décision correcte (voir Hillary c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CAF 51, aux paragraphes 27 à 29, [2011] ACF no 184; voir par exemple Juste c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 670, aux paragraphes 22 à 24, [2008] ACF no 863).

[16]           Comme la demanderesse l’a affirmé à juste titre, la Cour qui applique la norme de la décision correcte « n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick), 2008 CSC 9, au paragraphe 50, [2008] ACS no 9).

            (5) Décision

[17]           Pour les motifs exposés en détail ci‑après, la décision rendue par le commissaire de la SAI était correcte et la Cour n’interviendra pas.

[18]           La demanderesse a demandé à la SAI de rouvrir son appel en application de l’article 71 de la LIPR, qui est ainsi libellé :

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

PARTIE 1

IMMIGRATION AU CANADA

Section 7

Droit d’appel

[…]

Réouverture de l’appel

71. L’étranger qui n’a pas quitté le Canada à la suite de la mesure de renvoi peut demander la réouverture de l’appel sur preuve de manquement à un principe de justice naturelle.

 

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27


PART 1

IMMIGRATION TO CANADA

Division 7

Right of Appeal

[…]

Reopening appeal

71. The Immigration Appeal Division, on application by a foreign national who has not left Canada under a removal order, may reopen an appeal if it is satisfied that it failed to observe a principle of natural justice.

 

[19]           Pour décider de rouvrir un appel, la SAI doit essentiellement déterminer s’il y a eu ou non un manquement à la justice naturelle. Comme le défendeur l’a judicieusement souligné, et contrairement à l’affirmation de la demanderesse, le commissaire de la SAI n’a jamais affirmé que la SAI devait être à l’origine du manquement à la justice naturelle. Par ailleurs, bien que le commissaire de la SAI a effectivement traité la question de la compétence de façon quelque peu alambiquée – faisant référence à l’existence de nouveaux éléments de preuve et au principe de dessaisissement –, il a terminé cette analyse en soulignant que « dans les cas où il n’y a pas de nouveaux éléments de preuve comme fondement d’une demande de réouverture, l’article 71 de la LIPR ne retire pas à la SAI sa compétence de rouvrir les appels où il y a eu, par ailleurs, déni de justice naturelle » (voir les motifs du commissaire de la SAI, au paragraphe 15). Plus précisément, il a également conclu que « [l]a SAI a compétence pour rouvrir un appel fondé sur l’incompétence du conseil de l’appelante » (voir les motifs du commissaire de la SAI, au paragraphe 8). Cette conclusion pourrait difficilement être plus claire.

[20]           Pour l’application de l’article 71 de la LIPR, le commissaire de la SAI devait se demander s’il y avait eu ou non un manquement à la justice naturelle à l’issue de l’affaire, et non si l’incompétence de l’ancien conseil de la demanderesse avait mené à un manquement à la justice naturelle.

[21]           Dans sa décision, le commissaire de la SAI a traité de la question de l’incompétence du conseil, et la demanderesse, dans ses observations écrites, justifie longuement ses allégations selon lesquelles son ancien conseil était incompétent, ce qui lui a causé un préjudice évident duquel a découlé un manquement à la justice naturelle, d’où la possibilité de faire une demande en application de l’article 71 de la LIPR.

[22]           En l’espèce toutefois, il n’y a pas lieu d’effectuer une analyse approfondie des critères applicables permettant de déterminer si les actions ou omissions du conseil constituaient de l’incompétence au sens de la jurisprudence (voir R c GDB, 2000 CSC 22, aux paragraphes 26 à 29, [2000] 1 RCS 520 [GDB]), parce que c’est la question de la crédibilité qui a permis de statuer sur le dossier de la demanderesse. Néanmoins, je traiterai brièvement de la question de l’incompétence du conseil dans les paragraphes suivants.

[23]           Étant donné que le conseil joue un rôle d’agent, il est généralement admis que ses actions ne peuvent être distinguées de celles de son client. Cette règle bien connue tient au fait qu’un client qui choisit librement un agent doit accepter d’assumer les conséquences du choix qu’il a fait pour sa représentation. Il existe toutefois des exceptions à cette règle, dans des cas où la conduite du conseil est empreinte d’une telle négligence que ses actions (ou son incompétence) équivalent à un manquement à l’équité procédurale. Lorsque l’incompétence du conseil est assimilable à un manquement à l’équité procédurale qui modifie l’issue de la demande, l’intervention de la SAI en vue de rouvrir l’appel en application de l’article 71 de la LIPR serait justifiée. À cette fin, le demandeur en question doit satisfaire à un critère à trois volets énoncé dans la jurisprudence (voir GDB, précité, aux paragraphes 26 à 29, et Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 269, aux paragraphes 17 et 24, [2008] ACF no 344 [Yang]), car il lui incombe de prouver l’incompétence du conseil en établissant (Yang, précitée, au paragraphe 17) :

1.  que les actions ou omissions de son conseiller équivalaient à de l’incompétence;

2.  qu’un préjudice lui a été causé; ou

3.  qu’il y a eu erreur judiciaire.

[24]           De plus, comme l’a déclaré mon collègue le juge de Montigny dans la décision Bedoya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 505, au paragraphe 20, [2007] ACF no 680 [Bedoya] :

[20]     Les demandeurs doivent aussi montrer qu’il existe une probabilité raisonnable que, sans cette prétendue incompétence, l’issue de l’audience initiale aurait été autre : Shirvan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] ACF no 1864, 2005 CF 1509; Jeffrey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] ACF no 789, 2006 CF 605; Olia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] ACF no 417, 2005 CF 315.

[25]           La prétention de la demanderesse échoue ici, car l’issue n’aurait été aucunement différente en l’espèce. Comme il a été mentionné, le commissaire de la SAI a rejeté la demande de réouverture d’appel présentée par la demanderesse au motif que la SAI avait conclu, lors du premier appel interjeté devant elle, que la demanderesse n’était pas un témoin crédible étant donné que son témoignage renfermait des incohérences et des invraisemblances (voir la décision initiale de la SAI datée du 10 août 2012, aux paragraphes 45 à 47, dans le dossier certifié du tribunal [DCT] du dossier IMM‑2050‑13, aux pages 105 à 108). La demanderesse avance qu’elle a subi un préjudice évident des suites de l’inaction de son conseil parce que celui‑ci avait omis de présenter à la SAI des observations sur la décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario selon laquelle elle avait contracté un mariage de convenance. Il n’est pas contesté que la conduite de l’ancien conseil de la demanderesse n’était pas conforme avec les normes professionnelles applicables dans une telle situation. Cependant, la demanderesse n’a pas établi en quoi l’issue de son premier appel aurait été différente si son conseil avait présenté les observations appropriées, étant donné que son appel a été rejeté à cause d’un manque de crédibilité – même si le conseil avait présenté les observations, je conclus qu’il n’y a aucune « probabilité raisonnable que […] l’issue de l’audience initiale aurait été autre » (Bedoya, précitée, au paragraphe 20).

[26]           Ainsi, le commissaire de la SAI avait raison de conclure que la demanderesse ne pouvait prétendre avoir subi un préjudice en raison de l’incompétence alléguée de son ancien conseil.

[27]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse à l’encontre de la décision du commissaire de la SAI de refuser de rouvrir son appel en application de l’article 71 de la LIPR doit être rejetée.

            B. Demande d’examen des risques avant renvoi

            (1) Décision contrôlée

[28]           Après avoir examiné les allégations du demandeur, l’agent d’ERAR a énuméré les éléments de preuve qui ont été pris en compte dans le traitement de la demande d’ERAR. À cet égard, l’agent d’ERAR a accordé peu de poids et une faible valeur probante à certains documents fournis par la demanderesse, notamment un affidavit produit par sa mère (considéré comme intéressé) et une lettre écrite par un prêtre (qui n’appuyait pas l’allégation selon laquelle la demanderesse serait personnellement exposée à des risques en Inde). L’agent d’ERAR a également examiné la situation dans le pays en cause et conclu que même si la situation des femmes en Inde n’est pas idéale, le gouvernement déploie des efforts considérables pour pallier les lacunes et que la situation générale des femmes s’est améliorée. La demanderesse a omis de produire des éléments de preuve clairs et convaincants pour réfuter la présomption de la protection de l’État. Pour ce qui concerne les veuves et les divorcées plus particulièrement, la discrimination est généralement plus importante dans les régions rurales, mais la demanderesse pourrait avoir accès à des possibilités de refuge intérieur (PRI) viables dans les régions métropolitaines du pays.

[29]           Au bout du compte, l’agent d’ERAR a conclu que les observations de la demanderesse font état de la situation générale dans le pays et ne permettent pas d’établir qu’elle serait personnellement exposée à un risque prospectif de persécution si elle était renvoyée en Inde. L’agent d’ERAR a conclu qu’aucun motif prévu à la Convention n’était applicable. En conséquence, l’agent d’ERAR a conclu qu’il n’existe aucune possibilité sérieuse que la demanderesse, si elle était renvoyée en Inde, subisse de la persécution au sens de l’article 96 de la LIPR, ni qu’elle soit « [personnellement exposée] à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités » selon l’alinéa 97(1)b) de la LIPR (voir la décision relative à l’ERAR, dans le DCT du dossier IMM‑3938‑13, à la page 9). Enfin, l’agent d’ERAR a conclu que le renvoi de la demanderesse n’exposerait pas personnellement celle‑ci au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’alinéa 97(1)a) de la LIPR (voir la décision relative à l’ERAR, dans le DCT du dossier IMM‑3938‑13, à la page 9).

            (2) Observations de la demanderesse

[30]           En guise de premier argument, l’agent d’ERAR a commis une erreur en concluant qu’aucun motif prévu à la Convention au sens de l’article 96 de la LIPR ne s’appliquait à la demanderesse. De toute évidence, la demanderesse, en tant que veuve, serait exposée à un risque si elle était renvoyée en Inde, d’autant plus qu’elle a été abandonnée par son second époux par la suite. La demanderesse ne peut rien au fait qu’elle est une veuve, et la Cour a affirmé que les femmes pouvaient être reconnues comme un groupe social. De plus, l’agent d’ERAR a laissé de côté certains éléments de preuve parce qu’ils n’établissaient pas que la demanderesse serait exposée personnellement à un risque, mais l’exigence de démontrer l’existence d’un risque « personnalisé » ne s’applique qu’à l’article 97 de la LIPR, tandis qu’une évaluation fondée sur l’article 96 requiert qu’un demandeur établisse le risque de persécution. En fait, la question du risque personnalisé a été déterminante dans la décision de l’agent d’ERAR, ce qui n’aurait pas dû être le cas.

[31]           Deuxièmement, l’agent d’ERAR a commis une erreur dans l’évaluation de la demande de la demanderesse, car il a considéré celle‑ci comme une femme et non comme une veuve. Étant donné que l’agent d’ERAR a évalué la demande uniquement en fonction du sexe de la demanderesse, les éléments de preuve importants montrant que les veuves sont exposées à un risque grave de persécution ainsi qu’à un risque personnalisé ont été laissés de côté. La situation de la demanderesse aurait dû être examinée à la lumière de celle de personnes vivant une situation comparable.

(3) Observations du défendeur

[32]           Il ne ressortait pas des conclusions de l’agent d’ERAR que les veuves et les divorcées ne constituent pas un groupe social, mais seulement que la demanderesse n’a pas réussi à établir une crainte fondée de persécution fondée sur son appartenance à ce groupe social. L’agent d’ERAR a tenu compte de la situation personnelle de la demanderesse et de divers éléments de preuve concernant les femmes en général et les veuves et les divorcées, mais il a conclu que les veuves et les divorcées sont exposées à un risque accru dans les régions éloignées et que la demanderesse pouvait déménager dans une plus grande ville. L’agent d’ERAR n’a donc pas omis de tirer une conclusion relativement à l’article 96 de la LIPR. De plus, l’agent d’ERAR n’a pas fusionné les examens effectués en application des articles 96 et 97 de la LIPR. En fait, la référence à un « risque personnalisé » était raisonnable, car le risque doit être particulier à chacun des demandeurs étant donné que tous les membres d’un groupe social ne sont pas exposés à un même risque. Enfin, il semble y avoir une contradiction dans les arguments de la demanderesse, car celle‑ci affirme d’une part que l’évaluation de l’agent d’ERAR est fondée sur le sexe de la demanderesse et non sur son statut de veuve et que, d’autre part, l’agent d’ERAR a laissé de côté le fait qu’elle était une femme alors que cette caractéristique aurait pu suffire à prouver son appartenance à un groupe social.

            (4) Question en litige et norme de contrôle

[33]           La demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse soulève la question de savoir si l’agent d’ERAR a commis une erreur en rejetant la demande, et plus précisément si la Cour devrait trancher les deux sous‑questions suivantes :

1.  L’agent d’ERAR a‑t‑il commis une erreur en exigeant que la demanderesse établisse l’existence d’un risque personnalisé, et en n’appréciant pas convenablement la question de savoir si la demanderesse craignait avec raison d’être persécutée au sens de l’article 96 de la LIPR; autrement dit, l’agent d’ERAR a‑t‑il fusionné les critères des articles 96 et 97 de la LIPR?

2.  L’agent d’ERAR a‑t‑il commis une erreur en évaluant la demande en fonction du sexe de la demanderesse et non de son statut de veuve ou de divorcée?

[34]           La première question, une question de droit, est susceptible de contrôle d’après la norme de la décision correcte (voir Mahendran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1237, au paragraphe 10, [2009] ACF no 1555 [Mahendran]; voir aussi Pillai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1312, au paragraphe 32, [2008] ACF no 1663).

[35]           La norme de contrôle applicable aux décisions relatives aux ERAR en général, et à la deuxième question en litige dans le cas qui nous occupe, est bien établie, tout comme le degré de retenue dont la Cour doit faire preuve à l’égard de ces décisions. Mon collègue de la Cour fédérale, le juge O’Keefe, a fait les observations suivantes dans la décision Cao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 560, aux paragraphes 21 et 22, [2013] ACF no 632 :

[21]     Il est bien établi en droit que la norme de contrôle des décisions d’ERAR est celle de la raisonnabilité (voir Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 799, [2010] ACF no 980, au paragraphe 11; Aleziri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 38, [2009] ACF no 52, au paragraphe 11). […]

[22]     Lorsqu’elle procède au contrôle de la décision d’un agent selon la norme de la raisonnabilité, la Cour s’abstiendra d’intervenir, à moins que l’agent ne soit arrivé à une conclusion qui n’est pas transparente, justifiée et intelligible et qui n’appartient pas aux issues acceptables pouvant se justifier au regard de la preuve présentée (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59, [2009] 1 RCS 339). Comme l’a statué la Cour suprême dans Khosa, précité, il n’appartient pas à la cour de révision de substituer la solution qu’elle juge ellemême appropriée à celle qui a été retenue, pas plus qu’il n’entre dans ses attributions de soupeser à nouveau les éléments de preuve (au paragraphe 59).

(5) Décision

[36]           Pour les motifs exposés ci‑après, la décision d’ERAR est valide dans son intégralité et ne justifie pas l’intervention de la Cour.

A. L’agent d’ERAR a‑t‑il commis une erreur en exigeant que la demanderesse établisse l’existence d’un risque personnalisé, et en n’appréciant pas convenablement la question de savoir si la demanderesse craignait avec raison d’être persécutée au sens de l’article 96 de la LIPR; autrement dit, l’agent d’ERAR a‑t‑il fusionné les critères des articles 96 et 97 de la LIPR?

[37]           Comme l’a souligné le défendeur, il est nécessaire de lire les motifs de l’agent d’ERAR dans leur ensemble plutôt que d’attirer l’attention sur certains passages seulement. Cette façon de faire est la seule qui permette de déterminer si la décision tient adéquatement compte des critères énoncés aux articles 96 et 97 de la LIPR. Pour cette raison, après lecture de la décision relative à l’ERAR, la Cour est convaincue que le seul fait que l’agent d’ERAR a insisté sur l’importance que le risque de persécution soit personnalisé ne signifie pas nécessairement que l’agent d’ERAR a fusionné les critères prévus aux articles 96 et 97 de la LIPR.

[38]           Mon collègue le juge Beaudry, de la Cour fédérale, a traité exactement de la même question dans la décision Mahendran, précitée, aux paragraphes 17 et 18, et a tiré la conclusion suivante :

[17]     Le demandeur fonde ses prétentions sur la décision Fi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1125, [2006] A.C.F. n° 1401 (QL), du juge Martineau. J’estime toutefois que cette affaire ne peut guère nous servir de guide en raison des nombreuses différences existant entre les faits alors en cause et les faits de l’espèce. Je souscris plutôt aux précédents invoqués par le défendeur, où l’on a statué que le simple emploi d’expressions comme « risque personnel » ne signifie pas qu’on a fusionné les différents critères prévus aux articles 96 et 97 (se reporter à Pillai et à Kaba). Je suis moi aussi d’avis que la simple mention par l’agente de la nécessité d’un risque personnel ne signifie pas qu’elle a mal compris la différence existant entre les deux critères.

[18]     Bien que l’agente ait déclaré que la preuve documentaire ne suffisait pas à elle seule, celle d’un risque individualisé étant aussi nécessaire, je suis convaincu que l’ensemble de ses motifs démontre qu’elle comprenait la différence existant entre les deux critères et qu’elle a appliqué ceux-ci en conséquence. L’agente a pris en compte la preuve sur les conditions au Sri Lanka, notamment en ce qui touche les personnes dans une situation semblable à celle du demandeur, et elle a rejeté la demande sur le fondement de ses conclusions sur l’évolution de la situation dans le pays et de sa conclusion quant à l’absence de caractéristiques individuelles pouvant exposer le demandeur à un risque. Ce faisant, elle a bien évalué les risques courus par le demandeur en tant que jeune homme tamoul, mais a estimé que l’évolution de la situation au Sri Lanka venait contrer ces risques. L’agente a en outre conclu en l’absence de risque personnel, le demandeur n’étant doté d’aucune des caractéristiques qui l’exposeraient à un risque de la part du gouvernement ou des TLET. Je conviens que l’agente aurait pu formuler plus clairement son analyse, mais celle-ci n’avait pas un caractère déraisonnable.

[Non souligné dans l’original.]

[39]           Comme c’était le cas dans l’affaire Mahendran, précitée, je suis convaincu que l’agent d’ERAR a effectué deux analyses distinctes valides relativement à l’article 96 et à l’article 97 en l’espèce, même si celles‑ci aboutissent au même résultat.

[40]           De plus, au contraire de ce que la demanderesse affirme, l’agent d’ERAR a bel et bien évalué la demande de la demanderesse en tenant compte à la fois du fait qu’elle est une femme et de son statut de veuve et de divorcée. En fait, les éléments de preuve que l’agent d’ERAR a examinés et auxquels il a renvoyé portaient sur les deux groupes. En outre, l’agent d’ERAR n’a jamais conclu que les veuves et les divorcées en Inde ne constituent pas un groupe social au sens de la Convention d’après l’article 96 de la LIPR. L’agent d’ERAR a simplement omis de voir que la demanderesse craignait d’être persécutée en raison de son appartenance à ce groupe social particulier. Les veuves et les divorcées ne sont pas toutes traitées de la même manière en Inde, et il est bien connu que la notion de risque au sens de l’article 96 de la LIPR englobe un aspect objectif et un aspect subjectif. L’idée selon laquelle le risque doit être « personnel » ou « individuel » renvoie sans aucun doute au fait qu’un demandeur doit établir le fondement subjectif de sa crainte d’être persécuté.

[41]           En l’espèce, l’agent d’ERAR a pris en compte la situation personnelle de la demanderesse, y compris le fait qu’elle a visité l’Inde pendant une semaine même si elle était déjà veuve et divorcée. Il a également examiné et cité divers éléments de preuve publics et fiables concernant à la fois les femmes en général et les veuves et les divorcées. Ces éléments de preuve comprennent le rapport de 2011 du Département d’État des États‑Unis portant sur les droits de la personne en Inde et un rapport de recherche intitulé IND103726.E, qui traite de la situation particulière des veuves et des divorcées en Inde et qui renvoie à de nombreuses sources d’information crédibles, étant donné qu’il s’agit d’une réponse à une demande d’information. En définitive toutefois, l’agent d’ERAR est venu à la conclusion que la situation des femmes en général n’était pas parfaite, mais qu’elle s’améliorait avec le temps et que les veuves et les divorcées risquaient davantage d’être persécutées dans les régions rurales. Les éléments de preuve diversifiés et la situation personnelle de la demanderesse ont amené l’agent d’ERAR à conclure que la demanderesse n’avait pas produit suffisamment d’éléments de preuve pour réfuter la présomption de la protection de l’État et que, de toute manière, elle pouvait déménager dans une région métropolitaine de l’Inde. Il convient de noter que ces conclusions – relatives à la présomption de la protection de l’État et à l’existence de PRI viables – n’ont pas été réfutées par la demanderesse dans le cadre de l’instance. Compte tenu des éléments qui avaient été produits en preuve, ces conclusions appartiennent « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] ACS no 9).

[42]           En ce qui concerne l’argument de la demanderesse selon lequel l’agent d’ERAR n’a pas tenu compte de tous les éléments de preuve, il est bien établi que le décideur n’est pas tenu de faire référence à chacun des éléments de preuve et qu’il est réputé avoir examiné l’ensemble de la preuve qui lui a été présentée, à moins que l’on fasse la preuve contraire (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF) au paragraphe 1; voir par exemple Andrade c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1074, au paragraphe 64, [2010] ACF no 1348).

[43]           Ainsi, comme il a déjà été conclu que l’agent d’ERAR a eu raison d’affirmer que la demanderesse pourrait se prévaloir de la protection de l’État ou déménager dans un lieu offrant une PRI viable en Inde, la Cour pourrait difficilement déclarer que l’agent d’ERAR avait eu tort de conclure que la demanderesse n’avait pas réussi à établir le fondement subjectif de sa crainte d’être persécutée au sens de l’article 96 de la LIPR. Contrairement à ce que prétend la demanderesse, il ne peut donc être soutenu que l’agent d’ERAR a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait aucun lien entre la situation de la demanderesse et l’un des motifs prévus à la Convention au sens de l’article 96 de la LIPR. En outre, l’existence d’une PRI tranche la question du risque au sens de l’article 97 de la LIPR.

[44]           Par conséquent, je suis convaincu que l’agent d’ERAR n’a pas fusionné les critères prévus aux articles 96 et 97 de la LIPR, et je suis également convaincu que le respect de ces critères a été correctement évalué.

B.    L’agent d’ERAR a‑t‑il commis une erreur en évaluant la demande en fonction du sexe de la demanderesse et non de son statut de veuve ou de divorcée?

[45]           Comme il a été mentionné, l’agent d’ERAR n’a pas limité son évaluation de la demande de la demanderesse au fait qu’elle est une femme. Il a pris en compte la situation personnelle de la demanderesse et divers éléments de preuve relatifs à la situation des veuves et des divorcées en Inde. Mais, tout compte fait, il a été conclu que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État et que plusieurs PRI viables s’offraient à elle dans les régions urbaines du pays. Qui plus est, comme il a été mentionné, l’agent d’ERAR a fait une évaluation raisonnable de la demande de la demanderesse en ce qui a trait à son statut de veuve et de divorcée.

[46]           Étant donné qu’aucun des arguments de la demanderesse n’est bien fondé, la demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre de la décision défavorable relative à l’ERAR doit être rejetée.

IV.       Observations finales

[47]           Pour les motifs susmentionnés, les deux demandes de contrôle judiciaire présentées par la demanderesse en l’instance sont rejetées.

[48]           Les parties ont été invitées à soumettre une question susceptible d’être certifiée, mais aucune n’a été proposée.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que les deux demandes de contrôle judiciaire (dossiers IMM‑2050‑13 et IMM‑3938‑13) visées dans la présente décision soient rejetées. Aucune question n’est certifiée.

« Simon Noël »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra-Belle Béala De Guise


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIERS :

imm-2050-13 ET imm-3938-13

 

INTITULÉ :

SARBJIT KAUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 MAI 2014

 

ordONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE NoËl

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 MAI 2014

 

COMPARUTIONS :

Asiya Hirji

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

John Provart

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Asiya Hirji

Avocate

Mamann, Sandaluk & Kingwell, LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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