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Date : 20140606


Dossier : IMM-2287-13

Référence : 2014 CF 544

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 6 juin 2014

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

LIJIN LI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit de la décision connexe au dossier IMM-4109-13 de la Cour fédérale. Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse conteste la décision d’un commissaire de la Section de la protection des réfugiés [SPR] par laquelle sa demande d’asile a été rejetée, de même que deux requêtes en récusation. La décision du commissaire par laquelle il a refusé de se récuser constitue la question de fond de la présente demande de contrôle judiciaire. La requête en récusation a été présentée au motif que le commissaire a tranché l’affaire sans entendre les observations.

Il s’agit d’une affaire fort inusitée et malheureuse concernant une femme atteinte d’une maladie mentale grave qui était vulnérable, tant dans un contexte juridique que pratique.

II.                Contexte

[2]               Les antécédents de maladie mentale de la demanderesse sont exposés dans Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 545.

[3]               L’audience relative à la demande d’asile de la demanderesse s’est déroulée en trois séances sur une période d’un an.

[4]               Après la première séance qui a eu lieu en février 2012, la demanderesse a demandé à ce que le commissaire se récuse du fait qu’il avait accueilli 0 % des demandes d’asile présentées par des demandeurs chinois en 2011 alors que le taux moyen d’acceptation de la SPR pour de telles demandes s’élève à 59 %. La décision à l’égard de cette requête a été rendue lors de la deuxième séance tenue en juin 2012. La requête a été rejetée et n’est pas en litige dans la présente instance.

[5]               À la fin de la deuxième audience, le commissaire a avisé la demanderesse qu’il devait obtenir des renseignements supplémentaires auprès de Citoyenneté et Immigration Canada relativement à toute demande de visa canadien qu’elle aurait pu déposer.

[6]               En juillet 2012, un membre de la SPR a écrit à CIC en vue d’obtenir les notes du SSOBL ainsi que toutes les demandes de visa ou de parrainage. Les documents en question ont été fournis. D’après les notes du SSOBL, une demande pour motifs d’ordre humanitaire avait été déposée en juillet 2012.

[7]               Le 18 septembre 2012, la SPR a demandé d’obtenir des copies de la demande pour motifs d’ordre humanitaire. Peu de temps après, la demanderesse a été avisée de l’étendue des renseignements divulgués à la SPR par CIC.

[8]               Les événements qui ont suivi ont donné lieu à la principale contestation fondée sur le manquement à l’équité procédurale dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Le 1er novembre 2012, l’avocate de la demanderesse a écrit à la SPR pour l’aviser de son intention de présenter une requête pour la récusation du commissaire au motif qu’il avait commis un abus de procédure en demandant d’obtenir et en obtenant la demande pour motifs d’ordre humanitaire après l’audience sans en avoir avisé la demanderesse.

L’avocate a également indiqué dans cette même lettre que la demanderesse avait besoin de certains renseignements pour déposer la requête en récusation, entre autres la source de l’autorisation de la demande pour obtenir la demande pour motifs d’ordre humanitaire, la pertinence de cette dernière, la raison pour laquelle aucun avis préalable n’a été donné et une explication pour toute démarche entreprise après l’audience relativement à des questions qui n’ont pas été abordées par les parties.

Cette lettre est restée sans réponse de la SPR. Toutefois, le commissaire a envoyé un formulaire de consentement à la demanderesse en vue d’obtenir des renseignements auprès d’un refuge de l’Armée du Salut [le FOR].

[9]               Dans une autre communication écrite datée du 12 décembre 2012, l’avocate de la demanderesse a rappelé au commissaire qu’elle avait, dans son envoi par télécopieur daté du 1er novembre 2012, manifesté l’intention de déposer une requête en récusation pour abus de procédure. Aucune requête de la sorte n’a été déposée avant le 17 décembre 2012.

[10]           Le 17 décembre 2012, le commissaire a rendu une décision de six (6) pages par laquelle il a rejeté la requête en récusation qui aurait été déposée le 1er novembre en affirmant qu’il avait le droit d’obtenir tout renseignement qu’il jugeait pertinent au regard de l’instance et que le fait de s’être prévalu de ce droit ne donnait pas lieu à une allégation de partialité.

[11]           Le 27 décembre 2012, l’avocate a soulevé le problème voulant que la décision du commissaire ait été prise sur la base d’une requête dont le dossier n’avait pas été mis en état (en fait, aucune requête n’avait été déposée). L’avocate a réitéré que le FOR était inapproprié étant donné que la question de la récusation n’avait pas été réglée et s’est opposée une fois de plus à la décision du commissaire.

L’avocate a également souligné qu’elle déposerait une autre requête en récusation fondée sur la décision prise par le commissaire alors que « le dossier de requête n’était pas en état ».

[12]           Lors de la troisième séance, le commissaire a invité (voire encouragé) la demanderesse à présenter des observations sur la requête dont le dossier n’avait pas été mis en état au sujet de l’accès à des documents après l’audience, requête pour laquelle une décision avait déjà été rendue. Le commissaire a laissé entendre que sa décision était interlocutoire et qu’il demeurait ouvert d’esprit. L’avocate a refusé d’aller de l’avant, car le commissaire avait déjà pris sa décision. S’en est suivi une discussion houleuse, déplaisante et très longue entre l’avocate et le commissaire.

[13]           Le commissaire a ensuite demandé à la demanderesse de défendre sa deuxième requête en récusation – le déni du droit de présenter des observations au sujet de la première requête en récusation dont le dossier n’avait pas été mis en état. L’avocate a invoqué un manquement à l’équité procédurale, mais le commissaire a rejeté la requête.

[14]           La demande d’asile de la demanderesse a été rejetée pour des raisons de crédibilité.

III.             Analyse

[15]           Comme cette affaire sera renvoyée en raison d’erreurs touchant l’équité procédurale, les commentaires de la Cour au sujet de la demande d’asile en soi seront brefs. On peut s’attendre à une évaluation plus équilibrée dans le cadre du nouvel examen. Assurément, le renvoi de l’affaire devrait dissiper la crainte raisonnable de partialité dont l’affaire était entachée.

[16]           À mon avis, c’est la façon dont le commissaire a traité la requête en récusation dont le dossier n’avait pas été mis en état et la deuxième requête en récusation dont le dossier avait été mis en état qui est au cœur de la présente demande de contrôle judiciaire. La première requête en récusation, dont le dossier avait été mis en état, concernant les taux d’acceptation n’est pas pertinente pour ce qui précède.

[17]           Le critère qui permet de conclure à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité est nécessairement rigoureux. Tel qu’il a été exprimé dans Committee for Justice and Liberty c Canada (L’Office national de l’énergie), [1978] 1 RCS 369, le critère applicable est le suivant : « [À] quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique? » Le critère tient compte de la question de savoir si le décideur trancherait ou pourrait trancher, consciemment ou inconsciemment, la question de façon équitable.

[18]           Lorsqu’elle doit déterminer s’il y a une crainte raisonnable de partialité, la Cour doit faire attention de donner trop d’importance ou trop peu d’importance à la transcription de l’audience. Une transcription ne rend pas le contexte, le ton, la présence physique ni d’autres aspects des interactions humaines.

[19]           En tenant compte de tous ces aspects, on constate que la transcription porte à croire que le commissaire s’est engagé dans une confrontation houleuse avec l’avocate, ce qui a peu contribué à redorer l’image des procédures judiciaires. Il n’est pas question en l’espèce d’un décideur qui pose des questions difficiles (ce qui arrive souvent dans nos procédures judiciaires), mais plutôt d’un commissaire qui tente d’expliquer une décision relative à une requête qui n’avait pas officiellement été déposée.

[20]           Le fait que le commissaire a tenté d’expliquer l’affaire touchant la première requête en la qualifiant de [traduction] « malentendu » pose problème. Il est clair à la lecture du dossier que la demanderesse [traduction] « avait l’intention » de déposer une requête en récusation, qu’on attendait toujours des réponses aux questions posées à la SPR (même si la SPR n’est pas tenue d’y répondre) et que d’autres observations seraient présentées. Il est difficile de concevoir comment le commissaire aurait pu mal interpréter l’utilisation répétée d’expressions comme [traduction] « prévoir » ou « avoir l’intention ».

[21]           Le commissaire a commis une erreur de droit ainsi qu’un manquement à l’équité procédurale en tranchant une affaire pour laquelle il ne disposait pas de tous les éléments d’information.

[22]           Le manquement à l’équité procédurale a été aggravé par la nouvelle tentative du commissaire d’amener la demanderesse à présenter de nouveau ses arguments. Dans le contexte de l’affaire en question, le commissaire a agi de façon malhonnête en laissant entendre qu’il était ouvert d’esprit. Il ne s’agit pas d’une affaire où seraient présentés des éléments de preuve supplémentaires pouvant changer le fondement de la décision initiale. Malgré le fait qu’aucune observation n’avait été présentée, le commissaire a été en mesure de prononcer une décision de six pages par laquelle il a rejeté la requête.

[23]           La décision du commissaire en ce qui a trait à la deuxième requête en récusation ‑ que l’avocate de la demanderesse n’avait pas formellement présentée au moment où la décision a été rendue, n’ayant fait part au commissaire que de son intention de la présenter, et dont le dossier n’avait pas été mis en état ‑ fondée sur le déni du droit de présenter des observations confirme que, d’un point de vue réaliste et pratique, la demanderesse ne s’est jamais vu accorder une occasion raisonnable de défendre sa requête en récusation. Il est impossible de conclure que le commissaire, ayant prononcé la première décision, aurait été ouvert à une décision en faveur de la demanderesse dans le cadre de la deuxième requête. Cela est particulièrement vrai si l’on tient compte du fait que le commissaire a invité l’avocate de la demanderesse à [traduction] « trouver des failles dans ses arguments » tel qu’il est mentionné dans la décision rendue le 17 décembre. Par cette affirmation, le commissaire offre d’entendre la requête à titre d’appel de la décision initiale et non, en fait, à titre de nouvelle requête. La transcription contredit toute prétention voulant que le commissaire ne soit pas [traduction] « intervenu » dans le débat.

[24]           Il s’agit là d’un motif suffisant pour annuler la dernière décision. Il est difficile d’être convaincu que le bien‑fondé de la demande d’asile soit évalué de façon objective.

[25]           Le commissaire a commis une erreur en rendant sa première décision. Il aurait alors dû se récuser. Cette erreur a été aggravée dans le cadre de la deuxième requête. Il y a déni de l’équité procédurale.

IV.             Conclusion

[26]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de la SPR sera annulée et l’affaire sera renvoyée devant la Commission pour qu’un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l’affaire.

[27]           Il n’y a aucune question à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Section de protection des réfugiés est annulée et l’affaire est renvoyée à la Commission pour qu’un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l’affaire.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Stéphanie Pagé, traductrice

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2287-13

 

INTITULÉ :

LIJIN LI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 MAI 2014

 

JUGEMENTS ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 JUIN 2014

 

COMPARUTIONS :

Elyse Korman

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Margherita Braccio

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis & Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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