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Date : 20140611


Dossier : IMM-576-13

Référence : 2014 CF 558

[Traduction française certifiée, non révisée]

 

Ottawa (Ontario), le 11 juin 2014

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

ALEJANDRO ESPINOSA BARRAGAN SOLEDAD ADRIANA CABALLERO SALINAS ANGEL ALEJANDRO ESPINOSA CABALLERO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Alejandro Espinosa Barragan, son épouse Soledad Adriana Caballero Salinas et leur fils adulte Angel Alejandro Espinosa Caballero sollicitent le contrôle judiciaire de la décision d'un agent principal de l'immigration rejetant leur demande de résidence permanente, fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (CH) faite à partir du Canada.

[2]               Les demandeurs allèguent que l'agent d'immigration a manqué à l'obligation d'agir équitablement envers eux en menant une recherche indépendante sur une question sans leur offrir la possibilité de répondre à l'information obtenue et que l'agent a commis d'autres erreurs dans l’appréciation des difficultés auxquelles seraient exposés les demandeurs s'ils rentraient au Mexique.

[3]               Je suis convaincue que l'agent a manqué à l'équité procédurale en se fondant sur des éléments de preuve extrinsèques pour rejeter la demande CH des demandeurs.

[4]               Pour ce motif, la demande est accueillie.

II.                Contexte

[5]               Les demandeurs sont arrivés au Canada le 6 juin 2009. Ils ont présenté des demandes d'asile et d'examen des risques avant renvoi, qui ont toutes été rejetées.

[6]               Entretemps, les demandeurs ont demandé la résidence permanente à partir du Canada pour des considérations d'ordre humanitaire, en invoquant leur degré d’établissement au Canada et les difficultés qu'ils rencontreraient s'ils rentraient au Mexique. Un agent principal d'immigration a jugé que les demandeurs étaient bien établis au Canada, mais n'en a pas moins rejeté leur demande, concluant qu'ils ne seraient pas exposés à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s'ils rentraient au Mexique. Cette décision sous‑tend la présente demande de contrôle judiciaire.

III.             Manquement à l'obligation d'équité en raison des recherches externes menées par l'agent

[7]               Les demandeurs ont fourni à l'agent des éléments de preuve émanant du psychiatre traitant de Mme Salinas voulant que celle-ci pourrait souffrir à nouveau du syndrome de stress post‑traumatique (SSPT) et de dépression, maladies découlant des traumatismes qu’elle a déjà subis au Mexique à cause du gang criminel Los Zetas, si elle retournait vivre dans les mêmes conditions au Mexique. Les demandeurs ont soutenu que cela constituerait une difficulté excessive pour la famille.

[8]               En réponse à cette prétention, l'agent a mené une recherché indépendante sur Internet et constaté que l'un des principaux agents de persécution désigné par les demandeurs avait été arrêté par la police mexicaine. Sur la foi de cet élément, l'agent a établi que l'un des éléments déclencheurs du SSPT de Mme Salinas avait disparu, ce qui atténuait les difficultés anticipées. Cette information n'a pas été communiquée aux demandeurs pour qu'ils y répondent avant qu'une décision ne soit prise au sujet de leur demande CH.

[9]               À l'audience, la Couronne, à juste titre, a concédé que, à la lumière de la décision de la Cour d'appel dans Mancia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 3 CF 461, [1998] ACF no 565 (CA), l’information, qui n'était pas de nature générale, mais très pertinente quant au cas des demandeurs, aurait dû être communiquée.

[10]           La véritable question en litige en l’espèce, par conséquent, consiste à établir la mesure dans laquelle cette information était déterminante quant à la conclusion de l'agent voulant que les demandeurs ne seraient pas exposés à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s'ils rentraient au Mexique.

[11]           Le défendeur soutient que l’information n'était pas déterminante parce que l'agent avait conclu que les difficultés auxquelles seraient peut-être exposés les demandeurs s'ils rentraient au Mexique pourraient être atténuées s'ils s'installaient dans une autre région.

[12]           Je ne souscris pas à cet argument.

[13]           Comme l'a correctement indiqué l'agent, il n'est pas nécessaire que les agents CH prennent en compte les facteurs de risque qui sont examinés aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Ils doivent plutôt prendre en compte les circonstances relatives aux difficultés qui concernent les ressortissants étrangers, soit, en l'espèce, en quoi ce qu’ont vécu les demandeurs en tant que cibles du gang Los Zetas a trait aux difficultés que la famille connaîtrait à son retour au Mexique.

[14]           Vue sous cet angle, l'appréciation par l'agent de la question de savoir si les difficultés auxquelles seraient exposée Mme Salinas à son retour – plus particulièrement, la possibilité qu’elle souffre à nouveau du SSPT même après s'être installée dans une autre région – ne peut pas être isolée de la conviction de l'agent selon laquelle l'un des principaux éléments déclencheurs du SSPT a disparu.

[15]           Par conséquent, je suis convaincue que les nouveaux éléments de preuve extrinsèques auxquels s’est fié l'agent pour rejeter la demande étaient importants quant à l’issue de la demande. L'agent a manqué à l'équité procédurale en ne communiquant pas l'information aux demandeurs pour qu'ils y répondent.

[16]           Étant donné que ce manquement à l'équité procédurale est déterminant quant à l’issue de la présente demande, il n'est pas nécessaire que j'examine les autres arguments des demandeurs.

IV.             Conclusion

[17]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Je conviens avec les parties que l'affaire ne soulève pas de questions à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il rende une nouvelle décision.

« Anne L. Mactavish »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Line Niquet

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-576-13

 

INTITULÉ :

ALEJANDRO ESPINOSA BARRAGAN, SOLEDAD ADRIANA CABALLERO SALINAS, ANGEL ALEJANDRO ESPINOSA CABALLERO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

LE 28 MAI 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 11 JUIN 2014

 

COMPARUTIONS :

Hart A. Kaminker

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Nicole Rahaman

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hart A. Kaminker

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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