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Date : 20140611


Dossier : T-1314-12

Référence : 2014 CF 549

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 juin 2014

En présence de monsieur le juge O'Reilly

ENTRE :

CATHAY PACIFIC AIRWAYS LIMITED

demanderesse

et

AIR MILES INTERNATIONAL TRADING B.V.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La défenderesse, Air Miles International Trading BV, s’est opposée au dépôt par la demanderesse de la demande d’enregistrement de la marque de commerce « Asia Miles ». La Commission des oppositions des marques de commerce a fait droit à l’opposition de Air Miles principalement parce que Cathay Pacific n’avait pas établi l’emploi de sa marque au Canada et qu’il existait une possibilité de confusion entre la marque « Asia Miles » de Cathay Pacific et la marque « Air Miles » utilisée par Air Miles. Cathay Pacific m’a demandé d’annuler la décision de la Commission et a déposé de nouveaux éléments de preuve qui, selon elle, auraient eu une incidence importante sur la décision de la Commission. 

[2]               Il n’y a pas lieu que je tienne compte des nouveaux éléments de preuve étant donné que j’en suis arrivé à la conclusion que la décision de la Commission était déraisonnable au vu des éléments de preuve dont elle était saisie. Par conséquent, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner à la Commission de procéder à un nouvel examen des demandes de Cathay Pacific.

[3]               La seule question en litige consiste à déterminer si les conclusions de la Commission portant sur l’emploi et la confusion sont déraisonnables. Bien que Cathay Pacific ait soulevé d’autres questions relativement aux conclusions de la Commission, celles-ci sont intimement liées aux questions relatives à l’emploi et à la confusion. Il n’y a donc pas lieu que je les examine séparément.

[4]               Cathay Pacific a demandé l’enregistrement de cinq marques de commerce qui comprenaient la marque verbale « Asia Miles », ainsi que le dessin-marque dans lequel « Asia Miles » apparaît près d’une lettre « A » stylisée sous forme d’un « V » inversé encerclé par un arc : 

[5]               La marque employée par Air Miles utilise souvent les mots « Air Miles » dans une image circulaire affichant un avion en vol au-dessus de la terre : 

II.                La décision de la Commission

[6]               La Commission n’était pas convaincue que l’emploi de la marque Asia Miles par une filiale en propriété exclusive de Cathay Pacific dont le nom est Cathay Pacific Loyalty Programmes Limited (CPLP) (maintenant appelée Asia Miles Limited (AML)), puisse être attribué à Cathay Pacific. Elle a conclu que les modalités des soi-disant contrats de licence d’emploi conclus entre Cathay Pacific et CPLP n’étaient pas claires et que par conséquent Cathay Pacific n’avait pas pu démontrer qu’elle contrôlait la marque employée par CPLP.

[7]               En ce qui concerne la question de la confusion, la Commission a conclu que Cathay Pacific ne s’était pas acquittée de son obligation de démontrer qu’il n’y avait aucune possibilité raisonnable de confusion entre « Asia Miles » et « Air Miles ». La Commission a tenu compte de tous les facteurs énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, T-13. La question de l’emploi était pertinente quant à certains d’entre eux et a constituait un facteur important dans la conclusion de la Commission. 

A.                Le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues 

[8]               La Commission a conclu que « Air Miles » et « Asia Miles » avaient un faible caractère distinctif inhérent. Les deux sont formés de deux mots d’usage courant. Le mot « miles » est souvent employé dans le contexte des programmes de fidélisation des clients. Le mot « Asia »donne évidemment à penser à un lien géographique avec ce continent. 

[9]               Étant donné que Cathay Pacific n’a pas pu démontrer qu’elle (plutôt que CPLP) avait tiré un avantage de l’emploi de « Asia Miles » au Canada, elle ne pouvait pas prétendre que sa marque avait acquis un caractère distinctif. En revanche, la marque bien connue d’Air Miles avait acquis un caractère distinctif en raison d’un emploi généralisé au Canada. Ce facteur jouait donc en faveur d’Air Miles.

B.                 La période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage

[10]           La Commission a conclu que ce facteur jouait également en faveur d’Air Miles dont la marque est en usage depuis 1992, environ 13 ans avant que Cathay Pacific ne dépose la partie de sa demande à l’origine du présent litige.

C.                 Le genre de marchandises, services ou entreprises

[11]           Une fois de plus ce facteur jouait en faveur d’Air Miles étant donné que les parties exploitent essentiellement le même genre de programme de fidélisation, essentiellement de la même façon.

D.        Le degré de ressemblance entre les marques

[12]           La Commission a reconnu que ce facteur est souvent le plus important : Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27, au paragraphe 49.

[13]           La Commission a conclu que bien que le premier mot d’une marque soit habituellement plus important que le reste, en l’espèce, les mots « Asia » et « Air » sont tout simplement des termes descriptifs d’usage commun, ce qui les rend moins importants (Conde Nast Publications Inc c Union des Éditions Modernes (1979), 46 CPR (2d) 183 (CFPI), au paragraphe 34; Phantom Industries Inc c Sara Lee Corp (2000), 8 CPR (4e) 109 (COMC), au paragraphe 13).

[14]           Bien que la Commission ait conclu que les marques se ressemblaient, elle a conclu qu’elles comportaient plus de différences que de ressemblances. Par conséquent, la Commission a conclu que ce facteur jouait en faveur de Cathay Pacific, mais seulement dans une certaine mesure.

[15]           La Commission a conclu que Cathay Pacific ne s’était pas acquittée de son fardeau de la preuve par prépondérance des probabilités. Alors que la preuve démontre que la marque « Air Miles » est largement employée depuis longtemps au Canada, Cathay Pacific, contrairement à CPLP, ne pouvait prétendre que sa marque « Asia Miles » avait acquis une réputation. En outre, en raison du chevauchement qui existe entre les entreprises des parties et de la ressemblance entre les marques, l’opposition d’Air Miles reposant sur la confusion était bien fondée. 

III.             Les conclusions de la Commission relativement à l’emploi et à la confusion étaient-elles déraisonnables?

[16]           Air Miles soutient que la Commission a adéquatement examiné et apprécié les facteurs pertinents. La décision de la Commission ne peut pas être annulée tout simplement parce que ces facteurs auraient pu être appréciés différemment. Selon Air Miles, les conclusions de la Commission appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et il n’y a pas lieu de les modifier par voie de contrôle judiciaire.

[17]           Selon moi, la Commission a commis une erreur en omettant de reconnaître que Cathay Pacific employait sa marque au Canada. La preuve démontrait que Cathay Pacific employait sa marque au Canada depuis 1999 par l’intermédiaire de son titulaire de licence d’emploi, à savoir CPLP. La Commission a écarté cette preuve de façon déraisonnable au motif que le contrat de licence d’emploi n’était pas clair. Cette erreur a eu pour conséquence que la Commission a accordé peu de poids aux facteurs jouant en faveur de Cathay Pacific dans son analyse relative à la confusion. Par conséquent, la Commission en est arrivée à une conclusion déraisonnable. 

[18]           CPLP, une filiale en propriété exclusive de Cathay Pacific, gérait et contrôlait directement la marque « Asia Miles », et Cathay Pacific supervisait les activités de CPLP. À titre d’exemple, CPLP relevait directement du directeur des ventes et du marketing de Cathay Pacific.

[19]           En outre, la preuve démontrait que la marque « Asia Miles » était très employée au Canada. En 1999, il y avait plus de 6 000 membres de Asia Miles au Canada; en 2007 il y en avait plus de 250 000. Avant l’année 2000, les passagers de Canadian Airlines pouvaient accumuler des Asia Miles. Depuis 1999, les Canadiens ont converti plus d’un milliard de Asia Miles. Le programme Asia Miles a fait l’objet de vastes campagnes publicitaires au Canada et les marques liées sont apparues sur des formulaires d’adhésion, des lettres d’information, des dépliants, des affichages, des sites Web et des cartes de membres. Cathay Pacific a dépensé plusieurs millions de dollars pour faire la promotion de ses marques « Asia Miles ».

[20]           La Commission a conclu que Cathay Pacific n’avait pas soumis d’éléments de preuve suffisamment précis relativement à la licence d’emploi octroyée à CPLP ou de précisions relativement au contrôle exercé par Cathay Pacific sur les marchandises et services offerts par CPLP. Par conséquent, elle a conclu que l’emploi de la marque Asia Miles ne pouvait pas être attribué à Cathay Pacific.

[21]           Toutefois, la preuve démontrait clairement que la seule raison d’être de CPLP était la gestion du programme de fidélisation de Cathay Pacific. Son nom décrit sa vocation : Cathay Pacific Loyalty Programmes Limited. Cathay Pacific, grâce à la licence d’emploi octroyée à CPLP, contrôlait la marque « Asia Miles ». Cela ressort clairement du contrat conclu entre Cathay Pacific et Canadian Airlines et du rapport hiérarchique entre CPLP et Cathay Pacific. De plus, la documentation promotionnelle que CPLP utilise au Canada a été conçue par le bureau de Vancouver de Cathay Pacific ou par son siège social de Hong-Kong.

[22]           La Commission fait également observer que Cathay Pacific n’a soumis aucun document écrit quant au contrat de licence d’emploi conclu entre elle et CPLP, mais a reconnu qu’il n’est pas nécessaire qu’une licence d’emploi soit constatée par un écrit. La Commission a également conclu que les témoins de Cathay Pacific n’ont pas pu fournir de plus amples précisions sur le contrôle exercé par cette société sur CPLP. Toutefois, aucun d’entre eux n’a été interrogé à cet effet lors du contre-interrogatoire. La preuve non contredite dont la Commission était saisie démontrait que Cathay Pacific autorisait CPLP à employer la marque « Asia Miles ». La Commission était saisie de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que Cathay Pacific « contrôl[ait], directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité » de l’emploi de la marque de sorte que l’emploi de la marque par CPLP aurait dû être attribué à Cathay Pacific (article 50, Loi sur les marques de commerce).

[23]           N’eut été la conclusion déraisonnable de la Commission quant à l’emploi, son analyse relative à la question de la confusion aurait été différente. La Commission aurait été amenée à déterminer si « Asia Miles » avait acquis, par l’emploi, un caractère distinctif au Canada, réduisant ainsi la possibilité de confusion. De plus, elle aurait tenu compte du fait qu’il n’y avait, en dépit de l’emploi simultané des deux marques pendant de nombreuses années au Canada, aucune preuve de confusion réelle entre elles. Par conséquent, son erreur déraisonnable quant à l’emploi l’a amenée à tirer une conclusion déraisonnable quant à la confusion. 

IV.             Conclusion et disposition

[24]           La Commission a conclu de façon déraisonnable que l’emploi de la marque de commerce « Asia Miles » par sa filiale CPLP ne pouvait pas être attribué à Cathay Pacific. L’analyse relative à la question de la confusion possible avec la marque « Air Miles » à laquelle la Commission a procédé s’en est trouvée viciée puisqu’elle n’a pas tenu compte de l’emploi de cette marque au Canada. Je dois par conséquent accueillir la demande de contrôle judiciaire avec dépens et renvoyer l’affaire à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci procède à un nouvel examen de la demande d’enregistrement de marque de commerce de Cathay Pacific.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens. 

2.      L’affaire est renvoyée à la Commission des oppositions des marques de commerce pour nouvel examen.

« James W. O’Reilly »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


Annexe

Loi sur les marques de commerce, LRC (1985), ch T-13

Trade-marks Act, RSC 1985, T-13

Éléments d’appréciation

6. (5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

What to be considered

6. (5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including:

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

(c) the nature of the wares, services or business;

d) la nature du commerce;

(d) the nature of the trade; and

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them

Licence d’emploi d’une marque de commerce

Licence to use trade-mark

50. (1) Pour l’application de la présente loi, si une licence d’emploi d’une marque de commerce est octroyée, pour un pays, à une entité par le propriétaire de la marque, ou avec son autorisation, et que celui-ci, aux termes de la licence, contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des marchandises et services, l’emploi, la publicité ou l’exposition de la marque, dans ce pays, par cette entité comme marque de commerce, nom commercial — ou partie de ceux-ci — ou autrement ont le même effet et sont réputés avoir toujours eu le même effet que s’il s’agissait de ceux du propriétaire.

50. (1) For the purposes of this Act, if an entity is licensed by or with the authority of the owner of a trade-mark to use the trade-mark in a country and the owner has, under the licence, direct or indirect control of the character or quality of the wares or services, then the use, advertisement or display of the trade-mark in that country as or in a trade-mark, trade-name or otherwise by that entity has, and is deemed always to have had, the same effect as such a use, advertisement or display of the trade-mark in that country by the owner.

(2) Pour l’application de la présente loi, dans la mesure où un avis public a été donné quant à l’identité du propriétaire et au fait que l’emploi d’une marque de commerce fait l’objet d’une licence, cet emploi est réputé, sauf preuve contraire, avoir fait l’objet d’une licence du propriétaire, et le contrôle des caractéristiques ou de la qualité des marchandises et services est réputé, sauf preuve contraire, être celui du propriétaire.

(2) For the purposes of this Act, to the extent that public notice is given of the fact that the use of a trade-mark is a licensed use and of the identity of the owner, it shall be presumed, unless the contrary is proven, that the use is licensed by the owner of the trade-mark and the character or quality of the wares or services is under the control of the owner.

(3) Sous réserve de tout accord encore valide entre lui et le propriétaire d’une marque de commerce, le licencié peut requérir le propriétaire d’intenter des procédures pour usurpation de la marque et, si celui-ci refuse ou néglige de le faire dans les deux mois suivant cette réquisition, il peut intenter ces procédures en son propre nom comme s’il était propriétaire, faisant du propriétaire un défendeur.

(3) Subject to any agreement subsisting between an owner of a trade-mark and a licensee of the trade-mark, the licensee may call on the owner to take proceedings for infringement thereof, and, if the owner refuses or neglects to do so within two months after being so called on, the licensee may institute proceedings for infringement in the licensee’s own name as if the licensee were the owner, making the owner a defendant.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1314-12

 

INTITULÉ :

CATHAY PACIFIC AIRWAYS LIMITED c AIR MILES INTERNATIONAL TRADING B.V.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 22 ET 23 JanVIER 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O'REILLY

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 11 JUIN 2014

 

COMPARUTIONS :

Steven B. Garland

Daniel M. Anthony

POUR LA DEMANDERESSE

 

Stephen Selznick

Steven Kennedy

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

Cassels Brock & Blackwell LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

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