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Date : 20140603


Dossier : IMM-12697-12

Référence : 2014 CF 535

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 3 juin 2014

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

MARY GEORGE (ALIAS A. MARY HENARY GEORGE)

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 5 novembre 2012 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et par laquelle elle a conclu que la demanderesse n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger en vertu des articles 96 ou 97, respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

Contexte

[2]               La demanderesse est une citoyenne égyptienne chrétienne de l’Église copte orthodoxe. Elle a allégué que c’est en raison de sa religion que ses voisins ont menacé de la tuer si elle ne partait pas. Elle est venue au Canada le 8 août 2010 pour rendre visite à ses enfants et a prolongé son séjour parce que les relations entre musulmans et chrétiens se sont détériorées après la révolution du 25 janvier 2011. Elle a demandé l’asile par la suite.

Décision faisant l’objet du contrôle

[3]               La SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention selon l’article 96 de la LIPR parce qu’elle n’avait pas une crainte fondée d’être persécutée en Égypte pour l’un ou l’autre des cinq motifs prévus par la Convention. Elle n’était pas non plus une personne à protéger en vertu de l’article 97 étant donné que, selon la prépondérance des probabilités, elle ne serait pas personnellement exposée à un risque de mort ou à un risque de traitements ou de peines cruels et inusités ou à un risque de torture si elle était renvoyée en Égypte.

[4]               La SPR a fondé sa décision sur le manque de crédibilité et de bien‑fondé de la crainte de persécution de la demanderesse. Bien que la demanderesse ait soutenu qu’elle se rendait à l’église deux fois par semaine en Égypte et une fois par semaine au Canada, elle a été incapable de corroborer ses affirmations. La SPR a conclu qu’elle n’était chrétienne que de nom.

[5]               Quant à la crédibilité, la SPR a souligné que la demanderesse avait passé de nombreux longs séjours au Canada ces dernières années pour voir ses enfants, mais qu’elle était toujours retournée en Égypte. À la question de savoir pourquoi elle n’avait pas demandé l’asile avant si, comme elle le prétendait, les chrétiens étaient persécutés en Égypte, elle a déclaré qu’elle n’avait pas eu de difficultés avant la révolution. Invitée à expliquer en quoi sa situation avait changé après la révolution, laquelle s’était déroulée pendant qu’elle se trouvait au Canada, elle a relaté un incident au cours duquel on l’avait mise à la porte de son domicile et on s’était emparé de ses biens. La SPR a fait remarquer que cet incident s’était produit quelque six ou sept ans plus tôt, qu’il n’en était pas question dans l’exposé circonstancié de son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et qu’il n’expliquait pas les raisons pour lesquelles elle avait l’impression que sa situation s’était détériorée après la révolution. La SPR a conclu que ces affirmations n’étaient pas corroborées et qu’elles ne visaient qu’à embellir son récit.

[6]               La SPR a fait remarquer que, même si la demanderesse avait soutenu qu’une semaine environ après la révolution, on l’avait avertie de ne pas retourner en Égypte, elle n’avait présenté une demande d’asile que cinq mois plus tard. La SPR a conclu que cette tardiveté révélait que la demanderesse n’éprouvait pas de crainte subjective de retourner en Égypte et en a tiré une conclusion défavorable quant à sa crédibilité.

[7]               Quant au bien-fondé de sa demande, la SPR a examiné la preuve documentaire et conclu que les chrétiens en Égypte font l’objet de discrimination et de violence sociétale, y compris de la part du gouvernement qui réagit d’une manière exagérément dure aux manifestations de la foi chrétienne et aux lieux de culte chrétiens. Toutefois, comme la demanderesse n’était pas pratiquante, elle ne subirait probablement pas les mauvais traitements infligés aux gens qui fréquentent ces lieux. Par ailleurs, étant donné que l’on compte quelque dix millions de chrétiens en Égypte et deux incidents de violence sectaire en moyenne tous les mois, il était peu probable que la demanderesse subisse des actes de persécution. Rien dans ses antécédents ne permet de croire qu’elle était exposée à plus de risques que tout autre chrétien en Égypte.

Analyse

[8]               La demanderesse avance que la SPR a fait erreur en concluant qu’elle avait omis de prolonger son statut de visiteur au delà de février 2011 étant donné que des éléments de preuve présentés à Citoyenneté et Immigration Canada établissaient que son statut était valide jusqu’au 17 juillet 2011. Par conséquent, la SPR a fait erreur en tirant une conclusion défavorable relativement à sa crainte subjective. Durant l’audience de la présente instance, on a signalé que les notes inscrites dans le Système de soutien aux opérations des bureaux locaux (SSOBL) et la fiche du visiteur, dont disposait la SPR, indiquaient que son statut était valide jusqu’au 17 juillet 2011. Et, tandis que sa demande d’asile est datée du 3 août 2011, son Certificat d’admissibilité au Programme fédéral de santé intérimaire est daté du 12 juillet 2011, à savoir la date à laquelle elle prétend avoir présenté sa demande.

[9]               Selon moi, ce qui importe ici n’est pas tant de déterminer si son statut était toujours valide au Canada, mais plutôt si elle a tardé à présenter sa demande d’asile. Comme l’a fait remarquer la SPR, la preuve indique qu’on lui a recommandé de ne pas retourner en Égypte une semaine après la révolution. Malgré cela, elle a attendu cinq mois pour demander l’asile. L’observation relative à son statut probable a été faite à la suite de ces constatations. La SPR a également conclu que la demanderesse avait séjourné de nombreuses fois au Canada par le passé et que, même si elle alléguait qu’elle était persécutée en raison de sa religion avant la révolution, elle n’a pas cherché à obtenir l’asile durant aucun de ces séjours.

[10]           À mon avis, la SPR a tiré une conclusion défavorable raisonnable quant à la crédibilité en se fondant sur le retard qu’avait mis la demanderesse à demander l’asile. Bien que ce retard ne soit pas déterminant en soi, il constitue un élément pertinent que la SPR peut prendre en considération pour apprécier la crédibilité d’un demandeur, et il est raisonnable de s’attendre à ce qu’un demandeur présente une demande d’asile aussitôt qu’il en a la chance (Garcia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 412, aux paragraphes 19 et 20). Le défaut de demander l’asile à la première occasion a, de façon constante, été considéré comme un indice d’une absence de crainte subjective, ce qui mine la crédibilité du demandeur (Chelaru c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1535, au paragraphe 30). En l’espèce, la demanderesse a été incapable d’expliquer de manière satisfaisante le pourquoi de ce retard à demander l’asile (Espinosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1324, au paragraphe 17; Yurtal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 949, au paragraphe 34). Il était raisonnable pour la SPR d’en arriver à cette conclusion (Godfrey c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1377, au paragraphe 36) étant donné que la demanderesse a expliqué son retard en disant qu’elle espérait que la situation s’améliore, mais son témoignage révèle aussi que la persécution sévissait aussi avant la révolution.

[11]           Par ailleurs, la SPR n’a pas tiré sa conclusion relative à la crédibilité en se fondant uniquement sur le retard, mais aussi sur le fait que la demanderesse n’a pas mentionné dans son FRP l’incident où elle a été chassée de son domicile par ses voisins et qu’elle n’en a parlé qu’à l’audience, sans offrir d’explication raisonnable quant à cette omission. Il est raisonnable pour la SPR de fonder ses conclusions quant à la crédibilité d’un demandeur sur les omissions et les contradictions relevées entre un FRP et la déclaration du demandeur à l’audience (Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 238 (CA); Kaleja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 668, au paragraphe 18). Il faut également signaler que la SPR a pu entendre le témoignage et observer le comportement de la demanderesse, ce qui appelle à la retenue (Basseghi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] ACF n1867 (1re inst.), aux paragraphes 31 et 32; Ayala Alvarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 703, au paragraphe 9).

[12]           La demanderesse fait valoir que la SPR a fait erreur en concluant qu’elle avait modifié son témoignage car, dans sa déclaration, la femme qui avait ôté ses affaires de son domicile n’était plus juive, mais musulmane. Elle soutient que la confusion provient d’une faute d’interprétation et non d’un changement dans son témoignage et que, par conséquent, elle n’a pas modifié son témoignage. Elle estime que cela n’aurait pas dû nuire à sa crédibilité. Selon moi, cette erreur n’a aucune incidence. La demanderesse a relaté cet incident à la question de savoir pourquoi sa situation avait changé après la révolution. Comme il s’est produit de six à sept ans avant la révolution, cet incident n’a rien expliqué. De plus, quelle que soit la personne qui a mis ses affaires dehors, la demanderesse n’avait pas mentionné l’incident dans son FRP. Tous ces éléments remettent en question sa crédibilité et sa crainte subjective.

[13]           Enfin, la demanderesse fait valoir que la SPR a fait erreur en concluant qu’elle n’était chrétienne que de nom, ce qui a influencé sa conclusion sur la question de savoir si elle serait exposée à plus qu’une simple possibilité de persécution en Égypte en raison de sa foi chrétienne. Elle a déclaré aller régulièrement à l’église et la preuve documentaire fait état d’une violence généralisée et impunie à l’égard des chrétiens. La SPR a conclu que la plupart des actes de violence sont perpétrés lors de manifestations religieuses locales. La demanderesse fait valoir qu’elle chercherait à assister à de telles manifestations et qu’elle s’exposerait ainsi à plus qu’une simple possibilité de persécution si elle retournait en Égypte.

[14]           Il ne faut pas oublier que, pour que sa demande au titre de l’article 96 soit accueillie, un demandeur doit montrer qu’il éprouve une crainte fondée de persécution qui comporte à la fois un élément subjectif et un élément objectif. Pour satisfaire à l’élément subjectif, le demandeur doit montrer que la crainte existe dans son esprit. Pour satisfaire à l’élément objectif, le tribunal doit évaluer la crainte du demandeur avec objectivité pour déterminer si elle est fondée (Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1, au paragraphe 33; Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 RCS 593, au paragraphe 120). Il est bien établi en droit qu’une conclusion défavorable quant à la crédibilité peut être déterminante de l’issue d’une demande présentée en vertu de l’article 96 de la LIPR.

[15]           En l’espèce, la SPR a conclu que la demanderesse n’a pas montré éprouver cette peur subjective de manière crédible. Elle a également conclu que la demanderesse n’est pas une chrétienne pratiquante, car elle n’allait à l’église que deux fois par semaine en Égypte et qu’une fois par semaine au Canada et aussi parce qu’elle a été incapable de prouver qu’elle assistait régulièrement aux offices religieux.

[16]           À mon avis, il n’aurait pas été raisonnable que la SPR conclue que la demanderesse n’est pas une chrétienne pratiquante, ou qu’elle est une chrétienne de nom seulement, pour le motif qu’elle ne se rendait à l’église qu’une ou deux fois par semaine. Toutefois, la SPR s’est dite préoccupée non de la fréquence de ses visites à l’église, mais de l’insuffisance de preuves corroborant ses visites à l’église en Égypte ou au Canada. C’est pour ce motif qu’elle a conclu que la demanderesse est [traduction] « chrétienne de nom seulement, qu’elle n’est pas une chrétienne en vue, comme un membre du clergé ou un chef de communauté, ni une chrétienne qui est particulièrement dévote, ni une chrétienne qui est active dans sa communauté ou qui fait du travail de terrain ». La SPR a eu raison de souligner l’absence de documents à l’appui vu sa conclusion défavorable quant à la crédibilité (Rosales c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 323, au paragraphe 19; Vargas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 484, au paragraphe 17).

[17]           La SPR a examiné dans le détail la preuve documentaire et elle a conclu raisonnablement que la plupart des actes de violence commis contre les chrétiens semblaient se produire lors de manifestations religieuses locales et que la demanderesse n’en serait pas touchée davantage que le serait la majorité des chrétiens. Elle a déclaré que, bien qu’il fût possible que la demanderesse soit attaquée ou même persécutée en raison de sa confession chrétienne, elle devait déterminer si cette possibilité était plus qu’une simple possibilité ou qu’une possibilité sérieuse. La SPR a fait remarquer que l’on compte en Égypte plus de dix millions de chrétiens, et que la preuve documentaire révélait qu’il se produit en moyenne deux incidents de violence dus aux tensions sectaires par mois dans toute l’Égypte. Cette situation n’a pas beaucoup changé depuis la révolution. En conséquence, il n’existait qu’une simple possibilité que la demanderesse soit persécutée, et rien dans ses antécédents ne l’exposait à un risque supérieur à celui auquel serait exposé tout autre chrétien en Égypte.

[18]           Il est vrai que la preuve documentaire fait état d’attaques contre des lieux de culte chrétiens ainsi que contre des manifestations de la foi chrétienne. Toutefois, dans l’ensemble, la conclusion de la SPR est corroborée par les faits et le dossier dont elle disposait.

[19]           Les conclusions relatives à la crédibilité sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Zhou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 619, au paragraphe 26; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CA)), tout comme l’est l’appréciation du bien-fondé de la crainte d’un demandeur (Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1055, aux paragraphes 25 et 26; Gabor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 540, au paragraphe 33). Selon moi, compte tenu de la décision dans l’ensemble et des faits dont disposait la SPR, je conclus que la décision de la SPR était raisonnable et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question n’est à certifier.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Marie-Michèle Chidiac, trad. a.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-12697-12

 

INTITULÉ :

MARY GEORGE (ALIAS MARY HENARY GEORGE) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 JUIN 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

La JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 JUIN 2014

 

COMPARUTIONS :

Hart A. Kaminker

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Sybil Thompson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hart A. Kaminker

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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