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Date : 20140610


Dossier : IMM-7893-13

Référence : 2014 CF 556

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 juin 2014

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

MORSHED ALAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               « Il est dans l’intérêt légitime du Canada d’éviter de devenir un “refuge pour des criminels et d’autres individus que nous ne souhaitons légitimement pas avoir dans notre pays” et qui violent sa législation nationale et ses obligations internationales, et cela “pour promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne …” » (voir Zazai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] RCF 78, [2004] ACF no 1649 (CF) (QL); conf par 2005 CAF 303, [2005] ACF no 1467 (CA) (QL)  (Jayasinghe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 193, 309 FTR 185); nous ne sommes toutefois pas en présence d’un tel cas en l’espèce.

[2]               De plus, comme il est indiqué dans la décision Jayasinghe, précitée :

Dans Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 2 C.F. 642, [1998] no 131 (1re inst.) (QL); confirmé [2001] 2 C.F. 297, [2001] A.C.F. no 2043 (C.A.) (QL); autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada rejetée, [2001] S.C.C.A. no 71 (QL), le Juge Jean-Eudes Dubé a expliqué la norme des « motifs raisonnables » ainsi qu’il suit :

[27]      La norme de la preuve par croyance fondée sur des « motifs raisonnables » exige davantage que de vagues soupçons, mais est moins rigoureuse que celle de la prépondérance des probabilités en matière civile. Et bien entendu, elle est bien inférieure à celle de la preuve « hors de tout doute raisonnable » requise en matière criminelle. Il s’agit de la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi.

(Voir également : l’arrêt Zazai, précité; Moreno c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298, [1994] A.C.F. no 912 (QL); Qu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 3 C.F. 3, [2002] A.C.F. n1945 (C.A.) (QL), par. 28.

[3]               Eu égard aux éléments de preuve de l’espèce, et au regard tant de la jurisprudence antérieure à l’arrêt Ezokola c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CSC 40, [2013] 2 RCS 678, que de la jurisprudence actuelle qui fait suite à l’arrêt Ezokola, la présente affaire ne semble pas, après analyse, satisfaire aux exigences de la conclusion tirée par la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission]. Les déclarations susmentionnées relatives aux clauses d’exclusion, tirées de la jurisprudence, ne sont pas en tant que telles modifiées par l’arrêt Ezokola.

II.                Introduction

[4]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision, datée du 14 novembre 2013, par laquelle la SPR a jugé qu’il n’avait pas qualité de réfugié en vertu de l’alinéa 1Fc) de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies [Convention relative au statut des réfugiés] et de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 [LIPR].

III.             Contexte

[5]               Le demandeur, M. Morshed Alam, est un citoyen du Bangladesh. Avant son arrivée au Canada, il était un membre actif du Parti national du Bangladesh [PNB], parti politique opposé au parti qui est actuellement au pouvoir dans le pays, à savoir la Ligue Awami [LA].

[6]               Le demandeur s’est joint en 2001 au PNB à titre de membre général de la section de Deoti, du district de Noakhali. Il est par la suite devenu membre de la direction de cette section en 2003, puis secrétaire publicitaire en 2006. Ses responsabilités en tant que secrétaire publicitaire consistaient essentiellement à suivre la couverture médiatique du PNB, à imprimer des affiches pour des activités et à recruter des électeurs.

[7]               Le demandeur soutient avoir fait l’objet d’intimidation et d’agressions physiques de la part de membres locaux de la Ligue Awami à plusieurs occasions après s’être engagé politiquement auprès du PNB. Le demandeur n’a toutefois pas cessé de servir son parti.

[8]               Le demandeur affirme que le contexte politique a changé au Bangladesh en 2007 lorsqu’un gouvernement intérimaire, appuyé par l’armée, a pris le contrôle du pays. Il prétend que ce nouveau gouvernement a interdit les activités politiques et mené une campagne de répression à l’endroit du PNB. Le demandeur déclare que, malgré l’interdiction, lui et deux autres membres du PNB ont organisé des réunions secrètes chez lui et décidé de créer et de publier des affiches dans leur district.

[9]               Le demandeur soutient avoir été capturé et détenu dans un camp militaire en septembre 2007. Craignant pour sa vie après cet incident, le demandeur aurait obtenu un visa de travail temporaire au Canada pour travailler en tant que découpeur de viande halal.

[10]           Le demandeur est arrivé au Canada en septembre 2008 et a demandé l’asile le 9 mai 2012.

[11]           Le 14 novembre 2013, la SPR a rejeté sa demande d’asile au Canada. C’est cette décision qui est visée par la présente demande.

IV.             Décision faisant l’objet du présent contrôle

[12]           Sans trancher le bien-fondé de la demande d’asile du demandeur, la SPR a rejeté la demande en application de l’alinéa 1Fc) de la Convention relative au statut des réfugiés, au motif que le demandeur était complice des actes violents commis par le PNB entre 2001 et 2008, lesquels étaient [traduction] « contraires aux buts et aux principes des Nations Unies » (au paragraphe 10).

[13]           La SPR n’a pas cru que le demandeur n’était pas au fait de la violence commise par le PNB au cours de la période durant laquelle il était membre de l’organisation, particulièrement à la lumière du fait qu’il occupait le poste de secrétaire publicitaire de sa section locale depuis 2006 et que les incidents violents commis par le PNB avaient fait l’objet d’une vaste couverture médiatique. La SPR a estimé qu’il était impossible qu’une personne ayant le profil du demandeur n’ait pas été au courant des actes de violence commis par le PNB, en particulier dans son propre district. Dans ses conclusions quant à la crédibilité, la SPR a également accordé une grande importance au fait que le demandeur avait blâmé le rival politique du PNB, la Ligue Awami, pour la majorité des actes de violence rapportés dans les médias.

[14]           La SPR a conclu en affirmant que le demandeur n’était pas un simple membre du PNB, mais plutôt un complice de la violence perpétrée par ce parti. Elle a souligné que le demandeur avait occupé un poste de direction au sein du PNB, qu’il avait passé beaucoup de temps au bureau principal local du parti et qu’il avait recruté plus de 100 membres. Selon la SPR, ces facteurs constituent des exemples manifestes d’une [traduction] « contribution importante » aux activités violentes du PNB (au paragraphe 23). Par conséquent, la SPR a conclu que le demandeur, bien qu’il n’ait pas participé directement aux actes de violence, avait rempli les conditions d’exclusion visées à l’alinéa 1Fc) de la Convention relative au statut des réfugiés.

V.                Question à trancher

[15]           La décision de la SPR selon laquelle le demandeur devrait être exclu en application de l’alinéa 1Fc) de la Convention relative au statut des réfugiés est-elle raisonnable?

VI.             Dispositions législatives pertinentes

[16]           Les dispositions suivantes de la LIPR sont pertinentes.

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

[…]

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

[…]

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

[17]           La disposition suivante de la Convention relative au statut des réfugiés est également pertinente.

1F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

1F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

[…]

c) Qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

(c) he has been guilty of acts contrary to the purposes and principles of the United Nations.

VII.          Norme de contrôle

[18]           La complicité du demandeur en ce qui a trait à la violence perpétrée par le PNB et son exclusion en application de l’alinéa 1Fc) de la Convention constituent une question mixte de fait et de droit, et la norme de contrôle est celle de la raisonnabilité (Plaisir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 264, 325 FTR 60; Salgado c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1, 289 FTR 1; Harb c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 39, 238 FTR 194).

VIII.       Analyse

[19]           Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur dans son évaluation de la preuve en ce qui a trait à sa prétendue complicité, notamment en ignorant la preuve documentaire portant sur la structure du gouvernement de coalition de quatre partis au pouvoir à l’époque où les actes de violence ont été perpétrés, gouvernement constitué du parti Jamaat-e-Islami, du Parti Jatiya du Bangladesh [BJP], du Islami Oikko Jote [IJO] et du PNB. Le demandeur affirme que chacun des partis en question avait son propre programme.

[20]           Il soutient également que la SPR n’a pas pris connaissance de la preuve documentaire figurant à la pièce D de son dossier, laquelle corroborait son affirmation selon laquelle c’était le plus souvent les membres de la Ligue Awami qui étaient à l’origine des actes de violence, et faisait état du climat qui régnait dans ce pays. Ainsi, l’affaire ne peut être rejetée sommairement, comme si la SPR disait : « la peste sur vos deux Maisons ».

[21]           Enfin, le demandeur soutient que la SPR a mal interprété les éléments de preuve de son témoignage. Il souligne, par exemple, ne pas avoir affirmé que son parti n’avait jamais été à l’origine d’incidents violents. Il a plutôt reconnu que le PNB comportait certains mauvais éléments, à l’instar de toute organisation formée de millions de membres. Toutefois, il a déclaré qu’il n’a jamais pris part aux activités violentes et qu’il aurait tenté d’y faire obstacle ou de les prévenir s’il en avait été témoin.

[22]           Le défendeur soutient que la SPR a évalué de façon raisonnable la preuve concernant les activités du demandeur ainsi que la preuve documentaire portant sur la violence politique qui régnait de façon générale au Bangladesh. Selon le défendeur, il était loisible à la SPR de conclure que le demandeur avait sciemment et volontairement participé aux actes de violence commis par le PNB. Le défendeur affirme qu’il ressort de la preuve dont disposait la SPR que les partis politiques ont couramment recours à la violence au Bangladesh. Il est donc peu probable que le demandeur n’ait pas été au courant de la situation puisqu’il a témoigné avoir suivi les médias dans le cadre de ses fonctions de secrétaire publicitaire dans sa section.

[23]           La Cour reconnaît que la SPR avait pleine compétence pour soupeser la preuve et tirer des déductions et des conclusions qu’elle jugeait appropriées. Dans la mesure où ces conclusions ne sont pas déraisonnables au point de justifier l’intervention de la Cour, elles ne peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315 (CAF)). Se fondant simplement sur l’ensemble du dossier, la Cour est toutefois d’avis que son intervention est justifiée en l’espèce, conformément à Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654 et Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708.

[24]           Après avoir examiné attentivement le dossier, la Cour conclut que la SPR a, de façon déraisonnable, remis en question la crédibilité du demandeur quant à sa connaissance des actes de violence commis par le PNB et à sa participation à ces derniers en interprétant mal le témoignage du demandeur et en s’appuyant sur des invraisemblances non étayées, voire carrément contredites, par la preuve.

[25]           Selon la SPR, le demandeur n’était pas crédible essentiellement parce qu’il avait déclaré que la plus grande partie des actes de violence dont il était question dans les médias avaient été perpétrés par le parti politique au pouvoir au Bangladesh, la Ligue Awami, et que le PNB était principalement une victime des affrontements entre les deux partis. D’après la SPR, ce témoignage démontre que le demandeur était [traduction] « aveuglé par sa loyauté au parti » et [traduction« semblait vouloir croire une seule version de l’histoire » (aux paragraphes 30 et 31). La SPR a jugé invraisemblable qu’un membre du PNB ayant un profil comme le sien, soit celui de secrétaire publicitaire, ait une telle opinion.

[26]           La Cour est d’avis qu’il est complètement déraisonnable que la SPR conclue, pour ce motif, que le demandeur n’était pas crédible. En tirant sa conclusion défavorable à l’égard du témoignage du demandeur, la SPR semble s’être appuyée sur la simple allégeance du demandeur envers le PNB pour remettre en question son intégrité (transcription de l’audience, au troisième paragraphe de la page 53). La SPR disposait de peu d’éléments de preuve, voire aucun, indiquant que la croyance du demandeur était erronée ou trompeuse. Au contraire, l’élément de preuve le plus récent au dossier appuyait clairement la croyance du demandeur. Le rapport déposé par le demandeur intitulé Report on the Electorate Violence - 17 October to 30 October 2006 [le rapport], publié par la Asia Foundation, le confirme. (Ce rapport faisant état d’un niveau de violence accru et soutenu au sein de la Ligue Awami à l’endroit du PNB a récemment été reconnu dans Mohammed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1268, au paragraphe 37.)

[27]           Étant donné que la SPR est parvenue à sa décision sans prendre en considération cet élément de preuve important, la Cour estime que la conclusion d’invraisemblance est viciée. La SPR n’était pas tenue de se reporter à chaque élément de preuve dans son évaluation du bien‑fondé de l’affaire ni d’analyser chacun de ces éléments (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, au paragraphe 17). Toutefois, la Cour juge qu’elle devait au moins se pencher sommairement sur le rapport, vu sa pertinence particulière relativement à l’affirmation du demandeur. Selon la Cour, le fait de ne pas en avoir tenu compte dans son analyse a mené à la conclusion déraisonnable que le demandeur manquait de crédibilité.

[28]           En examinant la transcription de l’audience, la Cour en vient également à la conclusion que la SPR a mal interprété le témoignage du demandeur en ce qui concerne la participation du PNB à des actes de violence.

[29]           Il ressort clairement de la lecture de la transcription de l’audience que le demandeur n’a pas nié que le PNB avait commis des actes de violence et n’a pas affirmé que la violence politique [traduction] « était unilatéralement à l’encontre du PNB » (décision de la SPR, aux paragraphes 31, 32 et 36). Comme l’a déclaré le demandeur, le Bangladesh est un pays souvent plongé dans un climat de violence. Le demandeur a avoué à maintes occasions, lors de ses échanges avec le membre de le commissaire, qu’il savait que des membres du PNB avaient pris part à des actes violents ou illégaux alors qu’il était membre du parti (voir la transcription aux pages 21, 45, 53, 54 et 55). Par exemple, la Cour renvoie à l’échange suivant qui figure aux pages 21 et 22 :

[traduction]

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE (s’adressant au demandeur d’asile)

-           Les attaques sont-elles toujours unilatérales?

LE DEMANDEUR D’ASILE (s’adressant au président de l’audience)

-                      Il y en a  – lorsque des millions de gens participent à ce genre d’activités, il est évident que certains d’entre eux font partie de notre faction.

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE (au conseil du ministre)

-                      Veuillez poursuivre.

[30]           Le demandeur a confirmé qu’il y avait [traduction] « des bons et des mauvais éléments » au sein du PNB, mais qu’il n’avait jamais participé à des activités violentes et qu’il n’approuvait pas de telles activités (transcription de l’audience, aux pages 53 et 54).

[31]           La Cour ne peut admettre que cette preuve démontre que le demandeur a sciemment ignoré les actes de violence commis par son parti. La Cour est d’accord avec le demandeur lorsqu’il dit que la SPR a commis une erreur dans l’appréciation de son témoignage, lequel contredit manifestement la conclusion de la SPR, si l’on tient compte de la preuve objective concernant la situation dans le pays.

[32]           Dans l’ensemble, la Cour ne considère pas que la preuve susmentionnée évaluée par la SPR constitue un fondement raisonnable à la conclusion voulant que le demandeur ne soit pas crédible. Malgré les éléments de preuve au dossier qui démontrent que le PNB a commis des actes de violence alors que le demandeur était un membre actif du parti, il n’est pas du tout [traduction] « évident », comme il a été mentionné, que le demandeur avait consciemment ignoré ces actes et y avait donc sciemment contribué. Il semble plutôt que l’incertitude plane encore quant à ce que le demandeur savait ou ne savait pas, ce que l’on pouvait envisager ou croire qu’il pouvait même savoir et quant au rôle, le cas échéant, qu’il a joué dans l’exécution de tout acte ou objectif criminels, à quelque endroit que ce soit dans sa zone d’influence, en tenant notamment compte de son lieu d’origine et de son rôle dans l’appareil du parti.

[33]           La Cour rappelle que, comme l’a affirmé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ezokola, précité, le critère servant à déterminer la complicité ne se limite pas à prouver que la personne était un simple membre d’une organisation. Il faut inclure les facteurs d’une « personne [qui] a volontairement et consciemment contribué de manière significative à la perpétration d’un crime par un groupe ou à la réalisation du dessein criminel de ce groupe » (Ezokola, au paragraphe 8 [non souligné dans l’original]). En l’espèce, le demandeur semble, de manière crédible, ne pas être au courant d’un quelconque dessein criminel que le groupe aurait pu avoir. Comme elle l’a déjà fait, la Cour incite également à la prudence les décideurs, qui ne devraient tirer des conclusions d’invraisemblance que dans les cas les plus manifestes corroborés par des contradictions ou des invraisemblances : Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, 208 FTR 267; voir également Diaz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 389. Suivant la preuve propre à la présente affaire, ce n’est pas le cas en l’espèce.

[34]           Eu égard à la jurisprudence tant antérieure que postérieure à Ezokola, la présente affaire ne semble pas du tout satisfaire aux exigences permettant de tirer la conclusion à laquelle est parvenue la SPR. La Cour souligne à juste titre qu’il s’agit d’une affaire qui repose grandement sur la preuve, à savoir celle présentée par le demandeur et le témoignage de ce dernier, qui est corroboré par la preuve objective au sujet de la situation du pays. Cette preuve objective n’a pas en tant que telle été remise en question.

IX.             Conclusion

[35]           Pour tous les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre membre de la Commission pour qu’il rende une nouvelle décision (de novo).


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire du demandeur est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre membre de la Commission pour qu’il rende une nouvelle décision (de novo). Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Stéphanie Pagé, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7893-13

 

INTITULÉ :

MORSHED ALAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 juin 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 JUIN 2014

 

COMPARUTIONS :

Michael Dorey

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sherry Rafai Far

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Dorey

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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