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Date : 20140605


Dossier : IMM-3523-13

Référence : 2014 CF 547

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 5 juin 2014

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

MOHAMMAD JAMROZ GULABZADA (ALIAS : MUSTAPHA ADAMKHAN)

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 2 avril 2013 dans laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a conclu qu’il n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

Contexte

[2]               Le demandeur est un citoyen de l’Afghanistan. Il prétend que, tandis qu’il se rendait à un mariage, sa voiture a été frappée par Zarghun, dont le frère est député, quand Zarghun a tenté de doubler son véhicule. Lors de l’altercation qui a suivi, Zarghun a sorti une arme à feu et menacé de tuer le demandeur et d’autres membres du cortège. En état de légitime défense, le cousin du demandeur a tiré et tué Zarghun. Le demandeur et Zarghun venaient du même village et, suite à cet incident, une vendetta a été déclenchée. Le demandeur s’est caché, mais des hommes en motocyclette ont ensuite tenté de lui tirer dessus. Craignant pour sa vie, il a obtenu l’aide d’un passeur et est venu au Canada. À son arrivée au Canada, il a présenté une demande d’asile à l’aéroport et, suivant les conseils du passeur, il s’est identifié comme étant son cousin. Peu de temps après, lors d’une audience relative à la détention, il a reconnu sa véritable identité.

Décision faisant l’objet du contrôle

[3]               La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de l’article 96 puisqu’il n’avait pas une crainte fondée et qu’il n’avait pas non plus qualité de personne à protéger en vertu de l’article 97 puisque son renvoi ne mettrait pas sa vie en danger ou ne l’exposerait pas à des traitements ou peines cruels ou inusités, ou à un risque de torture. La question déterminante était la crédibilité.

[4]               La principale question de la crédibilité portait sur le fait que, lorsque le demandeur est arrivé au Canada, il a « systématiquement menti » dans le but d’obtenir l’asile en affirmant qu’il était son cousin et qu’il avait tiré et tué Zarghun. La SPR a constaté que le demandeur avait modifié son témoignage quand il a révélé sa véritable identité à l’audience relative à la détention. Elle a également fait remarquer que le demandeur avait expliqué qu’il avait fait une erreur et qu’il avait donné une fausse identité en suivant les conseils du passeur qui lui avait dit que, s’il donnait son véritable nom, il serait renvoyé en Afghanistan à bord de l’avion même qu’il avait pris pour venir au Canada et qu’il y avait plus de chances que sa demande soit accueillie s’il usurpait l’identité de son cousin. Cependant, une fois au Canada, il sentait qu’il pouvait révéler sa vérité. La SPR n’a pas accepté son explication.

[5]               La SPR a dit qu’il ne s’agissait pas d’une demande fondée sur l’article 96 puisqu’elle n’avait aucun lien avec l’un des motifs énoncés dans la Convention, mais que, même s’il s’agissait d’une telle demande, elle serait rejetée pour des motifs liés à la crédibilité. S’agissant de la demande fondée sur l’article 97, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas établi de manière convaincante que la fusillade avait eu lieu, que son cousin ou Zarghun existaient ou que le frère de ce dernier était député. La SPR a aussi souligné que le demandeur a formulé une nouvelle allégation dans son troisième formulaire de renseignements personnels (FPR), lequel a été déposé plus d’un an après les deux premiers, dans lequel il déclarait que les aînés des familles tentaient de mettre fin à la vendetta opposant les deux familles. La SPR estimait qu’il s’agissait là d’une allégation importante vu les directives relatives au FRP selon lesquelles le demandeur doit décrire les mesures prises pour obtenir la protection de l’État. Comme le demandeur ne pouvait pas expliquer pourquoi ces renseignements ne figuraient pas dans les deux premiers formulaires, la SPR a considéré cette allégation comme un embellissement. Elle en a donc tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

[6]               En ce qui concerne la lettre rédigée par les aînés du village, elle datait de 2009 alors que les événements en question sont survenus en août 2010. Le demandeur a laissé entendre que tout était désuet en Afghanistan et que les aînés avaient peut-être simplement utilisé le timbre dateur qu’ils avaient en leur possession. La SPR a conclu que cela n’expliquait pas pourquoi il était aussi écrit 2009 dans le corps d’une des lettres. Le demandeur a affirmé que les aînés savent à peine lire et écrire, mais il ne pouvait pas expliquer comment ils avaient pu écrire ces lettres détaillées. La SPR a accordé peu de poids aux lettres. Elle a conclu que la preuve du demandeur dans son ensemble n’était pas crédible et que les éléments de preuve fournis étaient insuffisants pour étayer sa demande.

Analyse

[7]               Le demandeur prétend notamment que la SPR a commis une erreur en concluant que les efforts déployés par les aînés du village pour mettre fin à la vendetta constituaient un embellissement. Cela ne constituait pas une omission importante puisque le règlement des différends dans la collectivité ne vise pas à obtenir la protection de l’État; il faut plutôt que les parties s’entendent. De plus, les événements qui auraient eu lieu et les efforts déployés par les aînés étaient corroborés par leur lettre, laquelle n’a pas été expressément considérée comme frauduleuse. La SPR ne peut pas accepter la lettre et s’en servir pour attaquer la crédibilité du demandeur. Ce dernier a aussi raisonnablement expliqué sa décision de déposer un FPR modifié et le fait que certains éléments de preuve corroborants n’existaient pas ou n’avaient pas été produits, mais la SPR n’en a pas tenu compte. La SPR a commis une erreur en attaquant la crédibilité du demandeur sans tenir compte de l’explication offerte et, vu le fait qu’il a avoué avoir menti, en omettant d’apprécier la preuve qui permettait de tirer une conclusion contradictoire (Tahmoursati c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1278, au paragraphe 14). Le deuxième FPR a été déposé le lendemain du FPR initial; il n’était ni signé ni complet. La SPR a donc commis une erreur en le considérant comme une occasion manquée de fournir plus de détails. Le demandeur a aussi affirmé que les motifs fournis par la SPR pour justifier sa conclusion générale défavorable en matière de crédibilité n’étaient pas adéquats.

[8]               À mon avis, la SPR a raisonnablement conclu que le demandeur n’était pas crédible et qu’il n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour corroborer ses allégations. De plus, ses motifs sont suffisants pour permettre à la Cour de comprendre sa décision et de déterminer si elle appartient aux issues acceptables (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, au paragraphe 16). La SPR a conclu que le demandeur n’était pas crédible principalement parce qu’il a falsifié son identité au point d’entrée, qu’il a modifié son récit quand il a révélé sa véritable identité et qu’il a omis de mentionner la participation des aînés dans ses deux premiers FPR. La SPR a aussi conclu que le demandeur n’avait pas produit suffisamment d’éléments de preuve pour étayer sa demande.

[9]               Il ne fait aucun doute que la SPR peut tirer une inférence négative quant à la crédibilité du demandeur en se fondant sur le fait qu’il a falsifié son identité, plus particulièrement parce que cela avait pour but de renforcer sa demande d’asile (Ren c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 973, aux paragraphes 15 et 16; Sanaei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 402, aux paragraphes 37 et 38; Polasi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 897, au paragraphe 13), ce qui était le fondement de l’explication offerte par le demandeur. La demande d’asile au Canada du demandeur, datée du 30 décembre 2010, contenait les faux renseignements. Pendant qu’il était en détention, il a révélé sa véritable identité et, dans son premier FPR daté du 3 février 2011, il a reconnu ce fait et a déclaré que c’était son cousin qui avait tiré sur Zarghun. Par conséquent, bien qu’on puisse contester le fait que la SPR ait affirmé que le demandeur avait « systématiquement menti », il reste qu’il a falsifié son identité. Il a offert une explication, c’est‑à‑dire que le passeur lui aurait dit qu’il avait plus de chances de voir sa demande accueillie s’il était la personne qui avait tiré sur Zarghun et la SPR en a tenu compte, mais ne l’a pas acceptée. La SPR avait le droit de rejeter l’explication (Houshan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 650, au paragraphe 19), surtout parce qu’il est peu probable que le Canada soit plus tolérant envers les personnes ayant commis un meurtre.  

[10]           De plus, la conclusion quant à la crédibilité ne reposait pas seulement sur ce fait. La SPR a aussi souligné que le demandeur n’a pas mentionné les efforts déployés par les aînés pour mettre fin à la vendetta dans ses deux premiers FPR. Il l’a mentionné pour la première fois dans son FPR du 20 juin 2012, plus d’un an plus tard. À mon avis, il s’agissait d’une omission importante puisqu’elle démontrait que les aînés du village avaient tenté, en vain, de résoudre la situation. Il s’agissait là d’un aspect fondamental de la demande du demandeur puisqu’il se rapportait à la question de savoir s’il serait exposé à un risque en Afghanistan. La SPR peut fonder ses conclusions relatives à la crédibilité sur les omissions et les incohérences qui entachent la preuve du demandeur, y compris quand les omissions se rapportent directement à des faits qui touchent le fondement même de la demande de protection, comme c’était le cas en l’espèce (Gonzalez Hernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1097, aux paragraphes 32 à 36; Shatirishvili c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 407, au paragraphe 35 [Shatirishvili]). La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas justifié cette omission, mais la transcription de l’audience indique qu’il a affirmé que personne ne lui a demandé. Il est clair que la SPR aurait pu trouver cette explication satisfaisante. Elle a raisonnablement conclu que l’ajout à son dernier FPR constituait un embellissement.

[11]           En ce qui concerne les documents à l’appui de la demande, il était, à mon avis, justifié pour la SPR d’être préoccupée par l’absence de documents corroborants vu la conclusion qu’elle avait rendue quant à la crédibilité (Rosales c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 323, au paragraphe 19; Vargas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 484, au paragraphe 17). La SPR pouvait également examiner les lettres rédigées par les aînés en tenant compte de ses doutes en matière de crédibilité (Lebrun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 233, au paragraphe 6; Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 202, au paragraphe 40). Les deux lettres des aînés, lesquelles sont essentiellement la même lettre, portent, selon la traduction, un timbre indiquant « 2008/2009 ». Par conséquent, bien que les lettres soient censées établir que les aînés ont été témoins de la fusillade et décrire leurs efforts pour mettre fin à la vendetta, les événements en question n’ont eu lieu qu’en 2010. La SPR a raisonnablement rejeté la proposition du demandeur selon laquelle les aînés ont utilisé un vieux timbre dateur ou que la date était attribuable au fait qu’ils ne savent pas bien lire et écrire vu qu’ils ont écrit la lettre. Le demandeur soutient que la SPR a confondu la lettre des aînés avec une lettre de la police puisqu’il est indiqué dans la décision que la date se retrouvait aussi dans le corps de la lettre. Il est vrai que la lettre des aînés porte seulement le timbre (année 2008/2009) et que la lettre de la police indique la date du 20 août 2009, en haut et dans le corps de la lettre, mais je ne vois pas en quoi cela aide le demandeur. Les deux lettres portent une date antérieure à 2010, soit l’année où le demandeur prétend que la fusillade et les événements subséquents ont eu lieu.

[12]             La préoccupation de la SPR quant à la date était fondée. Il lui était donc loisible d’accorder peu d’importance à ces lettres (Kazondunge c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1310, aux paragraphes 14 et 16). Je conviens avec le défendeur que ce que le demandeur sollicite équivaut à une nouvelle appréciation de la preuve, ce que la Cour ne peut pas faire (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, aux paragraphes 59 à 61). J’estime aussi, contrairement à ce que soutient le demandeur, qu’il ne faut, dans les circonstances, attacher aucune importance au fait que la SPR n’a pas conclu que les lettres n’étaient pas authentiques. 

[13]           Comme je l’ai déjà dit, s’agissant de l’argument selon lequel la SPR n’a pas apprécié la preuve qui aurait pu contredire sa conclusion quant à la crédibilité parce qu’elle a conclu que le demandeur avait avoué avoir menti, la SPR a bel et bien évalué les lettres des aînés. À l’exception d’une lettre qui confirmait qu’il avait travaillé pour un concessionnaire automobile, le demandeur n’a fourni aucun autre document corroborant. En l’espèce, la SPR a évalué la preuve, et n’a pas omis d’en tenir compte (Skoric c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 617, au paragraphe 6).

[14]           Le demandeur soutient que la Commission a agi de manière déraisonnable lorsqu’elle a demandé d’autres éléments de preuve corroborants, comme des rapports de police, le certificat de décès de Zarghun et une preuve des dommages causés à sa voiture et qu’il avait raisonnablement expliqué les raisons pour lesquelles il lui était impossible de fournir de tels documents, mais rien n’indique que la SPR ait tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur du fait que ce dernier n’ait pas produit d’autres éléments de preuve corroborants. Elle semble plutôt avoir conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour étayer les allégations du demandeur. Cette conclusion était raisonnable, compte tenu des motifs énoncés ci-dessus. Quoi qu’il en soit, il incombe toujours au demandeur d’établir le bien-fondé de sa demande. Comme le juge Pinard l’a souligné dans l’affaire Samseen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 542, au paragraphe 14, « il est de droit constant qu’il revient au demandeur d’établir les éléments de sa demande d’asile » (Gill c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1498). Et, je le répète, même si la Commission a invoqué l’absence de documents corroborants pour étayer sa conclusion quant à la crédibilité, elle pouvait le faire puisqu’elle doutait de la crédibilité du demandeur.  

[15]           Les conclusions relatives à la crédibilité sont susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable (Zhou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 619, au paragraphe 26; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF nº 732 (CA)). Cette norme s’applique aussi à l’appréciation et à l’interprétation de la preuve par la SPR (Shatirishvili, précité, au paragraphe 19). À mon avis, compte tenu de l’ensemble de la décision et du dossier dont disposait la SPR, la décision était raisonnable puisqu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).


JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.         la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.         aucune question n’est certifiée.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3523-13

 

INTITULÉ :

MOHAMMAD JAMROZ GULABZADA (ALIAS : MUSTAPHA ADAMKHAN) c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 JUIN 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 JUIN 2014

 

COMPARUTIONS :

Eve Sehatzadeh

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Christopher Crighton

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Eve Sehatzadeh

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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