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Date : 20140530


Dossier : T-1700-12

Référence : 2014 CF 526

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 30 mai 2014

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

S. MICHAEL KENNEDY

demandeur

et

WALDEMAR RUMINSKI

défendeur

et

Me HAROLD ASHENMIL

mis en cause

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande, présentée en vertu du paragraphe 57(4) de la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985 c C-42 [la Loi], visant à faire ordonner au registraire des droits d’auteur qu’il rectifie le nom du titulaire de trois certificats de droits d’auteur enregistrés le 14 septembre 2009 en inscrivant le nom du demandeur à titre de titulaire de ces droits.

[2]               Les certificats d’enregistrement sont les suivants :

                     Enregistrement no 1071140 (« LOL Data Manager »)

                     Enregistrement no 1071141 (« Workflow Designer »)

                     Enregistrement no 1071142 (« MS Word Add-Ins »)

Les enregistrements ont trait à un logiciel de système de gestion des données d’entreprise appelé Law of the Lan, système destiné à être utilisé par des cabinets d’avocats pour le dépôt de documents de sociétés. Le logiciel n’est pas terminé et n’a pas été mis en marché ou vendu.

[3]               Les certificats sont enregistrés au nom du défendeur, Waldemar Ruminski, qui a travaillé pour ou avec S. Michael Kennedy en tant que programmeur entre 2001 et 2010. La principale question en litige consiste à déterminer la propriété des œuvres, plus précisément si les œuvres ont été créées dans l’exercice de l’emploi allégué avec le demandeur.

[4]               Les certificats ne décrivent pas les œuvres et le défendeur a refusé de fournir d’autres descriptions.

[5]               Les dispositions législatives pertinentes sont les paragraphes 13(3) et 57(4) de la Loi.

13. (3) Lorsque l’auteur est employé par une autre personne en vertu d’un contrat de louage de service ou d’apprentissage, et que l’oeuvre est exécutée dans l’exercice de cet emploi, l’employeur est, à moins de stipulation contraire, le premier titulaire du droit d’auteur; mais lorsque l’oeuvre est un article ou une autre contribution, à un journal, à une revue ou à un périodique du même genre, l’auteur, en l’absence de convention contraire, est réputé posséder le droit d’interdire la publication de cette oeuvre ailleurs que dans un journal, une revue ou un périodique semblable.

13. (3) Where the author of a work was in the employment of some other person under a contract of service or apprenticeship and the work was made in the course of his employment by that person, the person by whom the author was employed shall, in the absence of any agreement to the contrary, be the first owner of the copyright, but where the work is an article or other contribution to a newspaper, magazine or similar periodical, there shall, in the absence of any agreement to the contrary, be deemed to be reserved to the author a right to restrain the publication of the work, otherwise than as part of a newspaper, magazine or similar periodical.

 

 

57. (4) La Cour fédérale peut, sur demande du registraire des droits d’auteur ou de toute personne intéressée, ordonner la rectification d’un enregistrement de droit d’auteur effectué en vertu de la présente loi :

57. (4) The Federal Court may, on application of the Registrar of Copyrights or of any interested person, order the rectification of the Register of Copyrights by

a) soit en y faisant une inscription qui a été omise du registre par erreur;

(a) the making of any entry wrongly omitted to be made in the Register,

b) soit en radiant une inscription qui a été faite par erreur ou est restée dans le registre par erreur;

(b) the expunging of any entry wrongly made in or remaining on the Register, or

c) soit en corrigeant une erreur ou un défaut dans le registre.

(c) the correction of any error or defect in the Register,

Pareille rectification du registre a effet rétroactif à compter de la date que peut déterminer la Cour.

and any rectification of the Register under this subsection shall be retroactive from such date as the Court may order.

II.                Contexte

[6]               Dire que les faits de la présente affaire prêtent à confusion et que les parties n’ont guère fait d’efforts pour les clarifier est un euphémisme.

[7]               Le demandeur a commencé le processus de conception et de développement du système Law of the Lan en 1986 avec la collaboration de l’épouse de son avocat. Il a retenu les services de plusieurs programmeurs pour l’aider dans ce projet.

[8]               Les parties ont fait connaissance en 2001 et le demandeur a embauché le défendeur le 29 mai 2001 à titre de salarié dans le but d’améliorer et de renforcer le projet Law of the Lan. Le dossier de la preuve comprend les feuillets T‑4 remis au défendeur en reconnaissance de la rémunération hebdomadaire que celui-ci a reçue. Cet élément de preuve contredit toute affirmation selon laquelle les paiements étaient des « retraits ».

[9]               Le défendeur prétend qu’il a créé des « œuvres » en propre entre 1998 et 2000, et ce, avant toute relation avec le demandeur. J’accepte le témoignage du défendeur selon lequel les « œuvres » étaient des bibliothèques techniques dont l’existence et le développement indépendants sont confirmés dans l’accord écrit daté du 3 novembre 2003 conclu par les parties.

[10]           La singularité de la présente affaire réside dans le fait que le demandeur ne peut réfuter la prétention du défendeur et, plus important encore, ne peut établir ce qui fait l’objet des certificats parce que le défendeur refuse de révéler au demandeur, sauf si un tribunal le lui ordonne, ce que visent les certificats. Le demandeur n’a pas obtenu ce type d’ordonnance.

[11]           Étant donné que c’est le demandeur qui réclame la propriété des œuvres, il est raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur sache ce qu’il possède ou obtienne une preuve pour en établir la propriété.

[12]           Le 3 novembre 2003, les parties ont conclu un accord pour fixer la proportion de leurs parts respectives dans la propriété intellectuelle du projet. Le protocole a été rédigé par un non-juriste et cette rédaction n’est pas un modèle de clarté. Les principales dispositions sont rédigées comme suit :

[traduction]
Les parties reconnaissent qu’elles ont toutes deux apporté une contribution au projet LoL (Law of the Lan) et au produit (aux derniers stades d’élaboration), et souhaitent établir le partage de la PI (propriété intellectuelle) qui revient à chacune des parties.

Mike Kennedy (Conception du produit et financement du projet)

80 %

 

Val Ruminski (Conception de la base de données et programmation)

20 %

[…]

De plus, certaines bibliothèques techniques ont été élaborées de façon indépendante par Val Ruminski et utilisées dans le projet LoL. Ces bibliothèques techniques doivent faire l’objet d’une licence, sans frais, en vue de leur utilisation par le produit LoL et ses dérivés directs.

[13]           Au printemps 2009, le défendeur a avisé le demandeur que le projet était terminé. Toutefois, lors des essais, on a constaté plusieurs lacunes auxquelles le défendeur devait remédier.

[14]           Le 14 septembre 2009, le défendeur a enregistré les trois certificats.

[15]           Deux semaines après l’enregistrement des certificats (inconnus alors du demandeur), le demandeur a demandé au défendeur d’installer le logiciel, le code source, le code exécutable et d’autres documents dans un ordinateur de bureau pour une évaluation indépendante. Le défendeur a refusé de s’exécuter.

[16]           Les relations entre les parties se sont détériorées et le défendeur a toujours refusé de fournir le code source au demandeur. Finalement, le demandeur a refusé de verser les paiements hebdomadaires, a changé les serrures et a mis fin dans les faits à la relation.

[17]           Le 21 février 2010, le défendeur a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi. Sa demande a été initialement rejetée au motif que son refus de se plier aux directives de son employeur constituait une inconduite, mais en appel, il a été conclu que les délais exigés par l’employeur pour ses demandes étaient déraisonnables.

[18]           À aucun moment dans la procédure de demande de prestations d’assurance-emploi il n’a été conclu que le défendeur n’était pas l’employé qu’il disait être.

III.             Analyse

[19]           Les questions en litige en l’espèce sont les suivantes :

a)                  Le demandeur s’est-il acquitté du fardeau qui lui incombait de prouver la présence d’inexactitudes dans les certificats?

b)                  Le défendeur était-il un employé?

c)                  Qui est le propriétaire des œuvres visées par les certificats?

A.                Fardeau de présentation

[20]           Cette affaire se complique du fait qu’il n’est plus possible d’identifier la contribution du défendeur au projet ou l’état d’avancement du projet au moment où les certificats ont été enregistrés. Il semble que les bibliothèques techniques, dans l’état où elles étaient en 2000, ont été amalgamées aux œuvres réalisées par le défendeur durant sa relation d’emploi avec le demandeur et ne sont plus identifiables.

[21]           Par conséquent, le demandeur n’a pas établi quel logiciel est visé par les enregistrements. D’ailleurs, il admet ignorer quel logiciel est visé par les certificats. Il admet également qu’il n’a pas pris connaissance des bibliothèques techniques dont il est fait mention dans l’accord et qu’il ne les a jamais vues.

[22]           Le demandeur a toutefois établi que des travaux supplémentaires ont été effectués par le défendeur dans le cadre du projet, ce qui, selon la prépondérance des probabilités, comprend davantage que les bibliothèques techniques. Le défendeur n’a pas démontré que seules les bibliothèques techniques sont visées par les certificats. Pour les motifs expliqués ci-dessous dans la section Emploi, le demandeur a établi qu’il possède un droit sur les certificats et que, par conséquent, leur délivrance (y compris la façon dont cela a été fait) était une erreur qui ne reflète pas le droit du demandeur.

B.                 Emploi

[23]           Je ne vois aucun fondement dans la prétention du défendeur selon laquelle la relation en question était un partenariat s’accompagnant d’un retrait bancaire hebdomadaire.

[24]           Le défendeur a déclaré son revenu à titre de revenu d’emploi aux fins de l’impôt et a désigné le demandeur comme étant son employeur. Il savait que le demandeur effectuait les déductions à la source nécessaires de ses chèques de paie hebdomadaires.

Sa demande de prestations d’assurance-emploi constitue une admission qu’il se voyait du moins lui-même comme un employé. Ce fait, combiné à la nature des paiements hebdomadaires et au fait qu’il les qualifie de revenus d’emploi, suffit en l’espèce à établir qu’il était un employé.

[25]           Étant donné cette conclusion, le paragraphe 13(3) de la Loi est pertinent. Selon ce paragraphe, le droit d’auteur sur les œuvres créées durant l’emploi du défendeur est dévolu au demandeur, sauf s’il y a entente à l’effet contraire.

[26]           L’accord conclu constitue une telle entente. Il régit la proportion des droits de propriété respectifs du demandeur et du défendeur dans les œuvres créées par le défendeur durant la relation d’emploi.

C.                 Propriété

[27]           L’accord est censé créer des « parts de PI » et/ou des « droits de PI », ce qui n’est pas compatible avec l’intégralité de la possession des droits d’auteur dans les œuvres créées durant la relation d’emploi appartenant aux deux parties.

[28]           L’accord crée une propriété de 20 p. cent dans le projet avec les 80 p. cent détenus par le demandeur, lequel est responsable du financement.

[29]           Les bibliothèques techniques, dans la mesure où elles peuvent maintenant être identifiées, sont exclues de la propriété dans les certificats, ayant été créées avant l’emploi. Les librairies techniques ont été intégrées au projet, mais seulement au moyen d’une licence sans frais.

[30]           Rien ne prouve que les certificats ne visaient que les bibliothèques techniques. La preuve tend à indiquer qu’ils visent les œuvres réalisées après l’entrée en vigueur de l’accord.

[31]           Par conséquent, les certificats auraient dû refléter la propriété conjointe du demandeur et du défendeur.

IV.             Conclusion

[32]           La demande est accueillie en partie. Il sera enjoint au registraire des droits d’auteur de rectifier l’inscription des droits d’auteur afin qu’elle reflète la propriété conjointe. Comme les deux parties ont eu partiellement gain de cause, aucuns dépens ne seront adjugés.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est accueillie en partie. La Cour enjoint au registraire des droits d’auteur de rectifier l’inscription des droits d’auteur afin qu’elle reflète la propriété conjointe. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1700-12

 

INTITULÉ :

S. MICHAEL KENNEDY c WALDEMAR RUMINSKI ET Me HAROLD ASHENMIL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 JANVIER 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DU JUGEMENT :

LE 30 MAI 2014

 

COMPARUTIONS :

Felipe Morales

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Harold W. Ashenmil, c.r.

 

POUR LE DÉFENDEUR

ET LE MIS EN CAUSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Colby Monet Demers Delage & Crevier S.E.N.C.R.L.

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Harold W. Ashenmil, c.r.

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

ET LE  mis en cause

 

 

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