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Date : 20140507


Dossier : T‑1579‑12

Référence : 2014 CF 436

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

MOTIFS ET JUGEMENT CONFIDENTIELS RENDUS LE 7 MAI 2014
MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT PUBLIÉS LE 4 JUIN 2014

ENTRE :

BAYER INC ET

BAYER PHARMA AKTIENGESELLSCHAFT

demanderesses

et

APOTEX INC ET

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT

Le juge HUGHES

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée par les sociétés demanderesses Bayer Inc. et Bayer Pharma Aktiengesellschaft, collectivement appelées Bayer, en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement AC), visant à interdire au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à la défenderesse Apotex Inc. à l’égard de l’association médicamenteuse drospirénone et éthinylestradiol proposée avant l’expiration du brevet canadien no 2 382 426 (le brevet 426).

[2]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que les allégations d’absence de contrefaçon d’Apotex sont fondées. La demande est donc rejetée.

I.                   TABLE DES MATIÈRES

[3]               Voici un tableau énumérant les divers sujets examinés dans les présents motifs, avec renvois aux numéros des pages correspondantes :

I.      TABLE DES MATIÈRES. 2

II.         L’AFFAIRE COBALT. 2

III.       LES PARTIES ET LE PRODUIT EN LITIGE.. 4

IV.       LE BREVET 426, DANS SES GRANDES LIGNES. 5

V.         LA PREUVE.. 6

VI.       QUESTIONS EN LITIGE.. 10

VII.     FARDEAU DE LA PREUVE.. 12

VIII.        PEUT‑ON ALLER AU‑DELÀ DE L’AVIS D’ALLÉGATION?. 16

IX.       LA PERSONNE VERSÉE DANS L’ART. 17

X.         INTERPRÉTATION DES REVENDICATIONS. 22

XI.       CONTREFAÇON.. 29

XII.     INADMISSIBILITÉ DU BREVET 426 À L’ADJONCTION AU REGISTRE.. 31

XIII.        VALIDITÉ — ANTÉRIORISATION.. 46

XIV.        VALIDITÉ — AMBIGUÏTÉ/INSUFFISANCE.. 57

XV.     VALIDITÉ — AUTRES ALLÉGATIONS. 58

XVI.        CONCLUSION ET DÉPENS. 58

 

II.                L’AFFAIRE COBALT

[4]               J’ai déjà entendu et tranché une demande présentée par Bayer à l’égard du brevet 426 en vertu du Règlement AC, contre une autre défenderesse, Cobalt Pharmaceuticals Company, dans l’instance portant le numéro de dossier T‑215‑12. Ma décision, rendue le 22 octobre 2013, est répertoriée sous le numéro de référence 2013 CF 1061. Pour les besoins de la présente espèce, nous l’appellerons l’« affaire Cobalt ».

[5]               Dans l’affaire Cobalt, j’ai estimé qu’aucune des allégations au sujet de l’absence de contrefaçon ou de l’invalidité du brevet 426, telles qu’elles sont formulées par Cobalt dans son avis d’allégation et telles qu’elles ont été circonscrites par les avocats lors des débats, n’était fondée. Par conséquent, j’ai prononcé un jugement interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Cobalt jusqu’à l’expiration du brevet 426. Le brevet en question expirera le 31 août 2020.

[6]               Cobalt a contesté en appel ma décision devant la Cour d’appel fédérale (dossier de la Cour no A‑376‑13). Selon la liste des entrées associée à cet appel, un dossier a été déposé, tout comme les exposés des arguments respectifs de chacune des parties, mais aucune date n’a encore été fixée pour l’instruction de l’appel.

[7]               Lors d’une conférence préparatoire que j’ai tenue avec les avocats des parties, j’ai indiqué avoir lu le dossier et les exposés des arguments déposés par chacune des parties relativement à cette instance. J’ai indiqué que je serais porté à suivre la décision que j’avais rendue dans l’affaire Cobalt, à moins que l’on ne soulève une autre question dans cette affaire ou que la preuve au dossier ne soit considérablement différente. Le 22 avril 2014, l’avocat d’Apotex a déposé à la Cour une lettre pour le compte d’Apotex et des demanderesses, dans laquelle il était notamment écrit ceci :

[traduction] Les parties ne présenteront pas d’observations relativement au dossier de la Cour no T‑1579‑12 à l’égard de l’allégation d’Apotex selon laquelle le brevet canadien no 2 382 426 est évident, étant entendu que, si la Cour estime qu’il est nécessaire de trancher cette allégation d’évidence, celle‑ci sera déclarée non fondée compte tenu des motifs du jugement prononcé dans l’affaire Cobalt.

[8]               Cela étant, j’ai entendu les observations des avocats des demanderesses Bayer et de la défenderesse Apotex pour la présente instance. Certains des motifs suivants sont tirés plus ou moins directement des motifs du jugement que j’ai rendu dans l’affaire Cobalt, 2013 CF 1061, lorsque les questions en litige ou la preuve ne sont pas considérablement différentes ou que les questions ne sont pas controversées.

III.             LES PARTIES ET LE PRODUIT EN LITIGE

[9]               La demanderesse Bayer Inc. est une « première personne » au sens du Règlement AC. Elle a inscrit le brevet en litige auprès du ministre de la Santé apparemment en conformité avec le règlement en question.

[10]           L’autre demanderesse, Bayer Pharma Aktiengesellschaft, est propriétaire du brevet en litige.

[11]           Bayer distribue au Canada un contraceptif oral sous le nom commercial YAZ. Les comprimés de YAZ contiennent, comme ingrédiens actifs, 3 mg de drospirénone + 20 mg d’éthinylestradiol et sont destinés à une administration orale.

[12]           La défenderesse Apotex Inc. est une « seconde personne » au sens du Règlement AC. Le 10 juillet 2012 ou vers cette date, Apotex a signifié à Bayer un avis d’allégation dans lequel elle déclarait qu’elle avait demandé au ministre de la Santé de lui délivrer un avis de conformité en vue d’être autorisée à distribuer au Canada une version générique des comprimés YAZ de Bayer.

[13]           Le ministre de la Santé défendeur s’acquitte de diverses fonctions aux termes du Règlement AC, y compris, lorsque les circonstances le justifient, la délivrance d’un avis de conformité (AC) à une seconde personne pour l’autoriser à vendre une version générique d’un médicament déterminé au Canada. Le ministre n’est pas intervenu activement dans la présente instance.

IV.             LE BREVET 426, DANS SES GRANDES LIGNES

[14]           Le brevet 426 est intitulé « Mélange pharmaceutique d’éthinylestradiol et de drospirénone utilisé en tant que contraceptif ». Les inventeurs désignés sont Wolfgang Heil, Jurgen Hilman, Ralph Lipp et Renate Heithecker.

[15]           La demande de ce brevet a été déposée sous le régime du Traité de coopération en matière de brevets (PCT), la date de dépôt au Canada étant le 31 août 2000. La demande a été mise à la disposition du public pour consultation le 8 mars 2001. La demande revendiquait une priorité sur le fondement à la fois d’une demande de brevet présentée aux États‑Unis et d’une demande de brevet présentée en Europe. Ces deux demandes avaient été déposées le 31 août 1999.

[16]           Le brevet 426 a été délivré et accordé au Canada le 28 février 2006. Sa date d’expiration est le 31 août 2020.

V.                LA PREUVE

[17]           Comme c’est habituellement le cas dans les instances de ce genre, la preuve est composée des affidavits présentés par chacune des parties et de la transcription du contre‑interrogatoire de ceux des souscripteurs de ces affidavits qui ont été choisis pour être contre‑interrogés. La Cour n’a eu l’occasion d’observer aucun des témoins en personne. Certains témoins ont été présentés comme des experts; aucune partie ne s’est opposée au fait qu’ils soient présentés comme des experts. Je suis convaincu que tous les experts ont présenté un témoignage qui aide la Cour à résoudre les questions en litige et je ne suis pas disposé, à la lumière du dossier, à conclure que l’un ou l’autre d’entre eux manquait de crédibilité ou de connaissances spécialisées suffisantes sur les questions abordées dans leur témoignage.

[18]           Bayer a déposé la preuve du témoin expert suivant :

1.         M. Martyn Christopher Davies, de Nottingham, au Royaume‑Uni. M. Davies est professeur de chimie biomédicale des surfaces au Laboratoire de biophysique et d’analyse des surfaces de la Faculté de pharmacie de l’Université de Nottingham. Il a témoigné au sujet de l’analyse des comprimés du type qu’Apotex souhaite commercialiser au Canada et au sujet de divers aspects des questions de chimie pharmaceutique en litige. Dans son affidavit, M. Davies s’écartait parfois de son rôle de témoin expert pour présenter des arguments juridiques. J’ai accordé peu de poids à ces passages de son affidavit. M. Davies a été contre‑interrogé.

[19]           Bayer a également déposé la preuve des témoins des faits suivants :

2.                   M. Wolfgang Heil, de Seevetal, en Allemagne. M. Heil travaille actuellement comme pharmacien. Il était membre du groupe de développement pharmaceutique chez Schering, qui a été absorbée par Bayer, et est l’un des inventeurs du brevet 426. Il a témoigné au sujet du développement du produit en cause. M. Heil a été contre‑interrogé.

3.         M. Michael Hümpel, de Lübeck, en Allemagne. M. Hümpel est actuellement à la retraite après avoir travaillé chez Schering (Bayer) de 1974 à 2006. Il a témoigné au sujet du développement du produit en cause. M. Hümpel a été contre‑interrogé.

4.         Dr Joachim Marr, de Berlin, en Allemagne. Le Dr Marr est vice‑président du groupe de développement clinique mondial en santé des femmes chez Bayer. Il a témoigné au sujet des essais cliniques du produit en cause. Le Dr Marr a été contre‑interrogé.

5.         Mme Mira Rinnie, d’Aurora, en Ontario. Mme Rinnie est technicienne juridique au cabinet des avocats de Bayer. Son affidavit a servi à verser certains documents au dossier. Mme Rinnie n’a pas été contre‑interrogée.

6.         M. Johannes W. Tack, de Berlin, en Allemagne. M. Tack est actuellement directeur de l’exploitation d’une société pharmaceutique qui n’est aucunement liée aux parties à la présente instance. M. Tack a travaillé chez Schering entre 1978 et 2001. Il a témoigné au sujet du développement du produit en cause. M. Tack a été contre‑interrogé.

[20]           Apotex a déposé la preuve des témoins des faits suivants :

1.         Mme Lisa Ebdon, de Vaughan, en Ontario. Mme Ebdon est technicienne juridique au cabinet des avocats d’Apotex. Son affidavit a servi à verser certains documents au dossier. Mme Ebdon n’a pas été contre‑interrogée.

2.         Mme Raquel Fernandez, de (…). Mme Fernandez travaille chez (…), qui fournit les comprimés en cause à Apotex. Elle a identifié des échantillons de certains produits (…) et a fait état de leur envoi aux avocats d’Apotex. Mme Fernandez a été contre‑interrogée.

[21]           Apotex a déposé la preuve des témoins experts suivants :

3.         M. Michael Cima, de Cambridge, au Massachusetts. M. Cima est titulaire de la chaire de génie David H. Koch et professeur de science et génie des matériaux au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Il a témoigné au sujet des analyses effectuées sur certaines substances et au sujet de questions de chimie pharmaceutique. M. Cima a été contre‑interrogé.

4.         M. Paul J. Jarosz de Westminster, au Colorado. Consultant dans le secteur pharmaceutique, M. Jarosz a travaillé au sein de la division de la recherche d’un certain nombre de sociétés pharmaceutiques et a déjà été professeur auxiliaire. Il a témoigné au sujet d’un certain nombre de questions de chimie pharmaceutique. M. Jarosz a été contre‑interrogé.

5.         M. Donald T. Jung de Cupertino, en Californie. M. Jung est directeur de pharmacologie clinique et non clinique chez Threshold Pharmaceuticals. Son témoignage portait sur la question de savoir si l’invention revendiquée dans le brevet était évidente. M. Jung a été contre‑interrogé. La question de l’évidence et, partant, la preuve apportée par M. Jung n’ont pas été débattues devant moi.

6.         M. David Rosen de Cabin John, au Maryland. Avocat pratiquant aux États‑Unis, M. Rosen est partenaire chez Foley & Lardner LLP, chef du groupe de pratique FDA et coprésident de l’équipe d’intérêt sur les sciences de la vie. Il a témoigné au sujet de l’effet juridique des circonstances liées aux essais cliniques du produit de Bayer menés aux États‑Unis. M. Rosen a été contre‑interrogé.

7.         Dr James A. Simon de McLean, en Virginie. Le Dr Simon est médecin et occupe actuellement un poste de professeur clinique à la Division d’endocrinologie de la reproduction et d’infertilité de l’École de médecine de l’Université George Washington. Son témoignage concernait les essais cliniques. Le Dr Simon a été contre‑interrogé.

VI.             QUESTIONS EN LITIGE

[22]           Nonobstant le règlement par cette Cour des questions de validité et de contrefaçon concernant le brevet 426 dans l’affaire Cobalt, ces questions font actuellement l’objet d’un appel et n’ont donc pas encore été tranchées de façon définitive.

[23]           Dans la présente affaire, les parties ont soulevé des questions de validité et de contrefaçon. En ce qui concerne la contrefaçon, on peut soutenir que le procédé utilisé par Apotex pour fabriquer le produit en cause est différent de celui employé par Cobalt dans l’affaire Cobalt et que, par conséquent, cette question doit être examinée sous un jour nouveau.

[24]           Dans la présente affaire, Apotex a soulevé la question de savoir si le brevet 426 avait été inscrit en bonne et due forme aux termes du Règlement AC. Cette question n’avait pas été soulevée dans l’affaire Cobalt.

[25]           En ce qui concerne la validité du brevet 426, Apotex a soulevé un certain nombre de questions dont certaines avaient été abordées dans l’affaire Cobalt. La question de l’évidence a été traitée dans le cadre de l’affaire Cobalt et, comme il a été mentionné précédemment dans les présents motifs, Apotex a convenu, par l’intermédiaire de ses avocats dans une lettre datée du 22 avril 2014, que je pourrais juger que les allégations d’Apotex quant à l’évidence ne sont pas fondées. Telle est effectivement ma conclusion.

[26]           Par ailleurs, dans une lettre datée du 28 avril 2014, les avocats d’Apotex ont indiqué qu’Apotex n’avait pas l’intention de prononcer de plaidoirie quant à certaines questions relatives à l’interprétation, à la portée excessive et à l’absence d’utilité et de prédiction valable, mais qu’elle s’en tiendrait à son mémoire écrit. Plus particulièrement, la lettre indiquait ce qui suit à la Cour :

[traduction]
Apotex a décidé de limiter sa plaidoirie et n’a pas l’intention d’avancer d’arguments oraux en ce qui a trait aux questions additionnelles suivantes :

         interprétation de la revendication 31 en ce qui concerne le profil de dissolution (paragraphe 30 du mémoire);

         portée excessive des revendications relativement au profil de dissolution et au résultat escompté (paragraphes 92‑93 du mémoire);

         absence d’utilité et de prédiction valable (paragraphes 97‑103 du mémoire).

Apotex s’en tiendra plutôt aux arguments écrits présentés dans son mémoire des faits et du droit concernant ces questions.

[27]           Lors de l’audience, les avocats de Bayer ont avisé la Cour que Bayer se fonderait sur les revendications suivantes du brevet 426 : la revendication 1, ainsi que les revendications dépendantes 2 à 8 et 12; la revendication 30; et la revendication 31, ainsi que les revendications dépendantes 36, 37, 39 à 42 et 47 à 50.

[28]           Cependant, j’aborderai tout d’abord certaines questions préliminaires.

VII.          FARDEAU DE LA PREUVE

[29]           La jurisprudence quant au fardeau de la preuve n’a pas changé depuis que j’ai rendu mon jugement dans l’affaire Cobalt; je reprendrai donc cette portion des motifs que j’ai rendus, portant la citation 2013 CF 1060.

[30]           J’ai résumé la question du fardeau de la preuve qui s’applique dans les affaires dans lesquelles la validité est en cause récemment dans la décision Novartis Pharmaceuticals Canada Inc c Cobalt Pharmaceuticals Company, 2013 CF 985, au paragraphe 23. J’adopte ce résumé en l’espèce :

[23]           La question de savoir à qui incombe le fardeau de la preuve lorsque la validité d’un brevet est contestée dans une instance relative à l’AC a été traitée à de nombreuses reprises devant la Cour. En bref, un brevet est présumé valide sauf preuve contraire (Loi sur les brevets, p. 43(2)). La partie qui allègue une invalidité (en l’espèce Cobalt) a le fardeau de produire une preuve étayant ses allégations. Une fois la preuve produite, la question est jugée par la Cour selon le fardeau de la preuve civile, c’est‑à‑dire selon la prépondérance des probabilités. Si la Cour juge qu’il n’y a aucune prépondérance, elle devrait se prononcer en faveur de la personne alléguant l’invalidité car, selon le Règlement AC, paragraphe 6(2), la première personne (ici Novartis) a le fardeau de démontrer que les allégations d’invalidité ne sont pas fondées.

[31]           Dans le même ordre d’idées, pour ce qui est des allégations d’absence de contrefaçon de la seconde personne (le fabricant de médicaments génériques), il incombe à la première personne (l’innovateur) de démontrer que les allégations en question ne sont pas fondées. Cette question a récemment été examinée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Pfizer Canada Inc c Ministre de la Santé et Ratiopharm Inc, 2011 CAF 215, dans lequel le juge Létourneau, qui s’exprimait au nom de la Cour, a mentionné les arrêts Fournier et Apotex que la Cour d’appel fédérale avait déjà rendus pour insister sur le fait que les instances en question sont de nature administrative et qu’elles visent à déterminer s’il est loisible au ministre de délivrer un avis de conformité; ce genre de procédure ne doit pas être confondu avec une action en contrefaçon ou une action en invalidation. Voici ce qu’il écrit aux paragraphes 15 et 18 :

15     Dans Fournier Pharma Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2004), 38 C.P.R. (4th) 297, 2004 CF 1718, la juge Layden‑Stevenson (plus tard juge à la Cour d’appel fédérale) a fourni un résumé pratique de la nature, de l’objet et de la portée des instances relatives aux avis de conformité et de leur relation avec les actions en invalidation. Elle écrit ce qui suit aux paragraphes 6, 8 et 9 :

[6] Comme je l’ai déjà signalé, le recours à l’origine de la présente instance a été introduit en application du Règlement. Plusieurs arrêts de la Cour d’appel fédérale traitent de l’historique de ce règlement et du régime qu’il établit, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de reprendre ces propos ici. Voir : Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), (1994), 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.); […]. Essentiellement, les questions de non‑contrefaçon et de validité intéressant le titulaire d’un brevet (la première personne) et la personne sollicitant un AC du ministre (la deuxième personne) sont d’abord soulevées dans un avis d’allégation — que la seconde personne signifie à la première personne — dans lequel la seconde personne fait ses allégations et fournit un énoncé du droit et des faits invoqués à l’appui de celles‑ci. La première personne peut s’opposer et demander au tribunal de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un AC à la seconde personne avant l’expiration du brevet.

[...]

 

[8] Le recours prévu à l’article 6 du Règlement n’est pas assimilable à une action par laquelle le tribunal est appelé à décider de la validité d’un brevet et à se prononcer sur la contrefaçon. Il s’agit d’une procédure de contrôle judiciaire expéditive, qui vise à faire déterminer s’il est loisible au ministre de délivrer l’avis de conformité demandé. Elle ne sert que des fins administratives : Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), (1997), 76 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.). Le tribunal doit déterminer si les allégations de la seconde personne sont suffisamment étayées pour justifier une conclusion, à des fins administratives (la délivrance d’un avis de conformité), portant que le brevet du demandeur ne serait pas contrefait si le produit de la seconde personne est commercialisé : Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), (1994), 58 C.P.R. (3d) 209 (C.A.F.).

[9] Du simple fait qu’il exerce le recours prévu à l’article 6, le demandeur peut obtenir l’équivalent d’une injonction interlocutoire sans avoir à satisfaire à l’un ou l’autre des critères qu’un tribunal appliquerait en temps normal avant d’interdire la délivrance d’un avis de conformité : Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), (1998), 80 C.P.R. (3d) 368 (C.S.C.); […]. Le Règlement autorise le tribunal à décider sommairement, sur le fondement de la preuve produite, si les allégations sont fondées. Le recours prévu à l’article 6 ne fait pas appel à la fonction juridictionnelle et la décision qui en résulte n’a pas l’autorité de la chose jugée. Le breveté n’est aucunement privé des recours qui lui sont normalement ouverts en vue de faire respecter ses droits. Si un examen au fond des questions de validité ou de contrefaçon est nécessaire, il pourra procéder suivant la voie ordinaire en introduisant une action :

Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., (2001), 11 C.P.R. (4th) 245 (C.A.F.); […].

[…]

 

18     Notre Cour a examiné le champ d’application de l’article 8 et sa relation avec l’action en invalidation dans l’arrêt Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceuticals International Ltd., 2010 CAF 155. La juge Dawson, pour une cour unanime, a écrit ce qui suit au paragraphe 36 :

 

[36] Aux termes de la version du Règlement de 1993, lorsqu’un innovateur engageait une procédure visant à obtenir une ordonnance d’interdiction, il obtenait l’équivalent d’une injonction interlocutoire interdisant la délivrance d’un avis de conformité jusqu’à un maximum de 30 mois. L’innovateur n’est pas tenu de satisfaire au critère pour l’obtention d’une injonction et de s’engager à payer des dommages‑intérêts. En de telles circonstances, l’article 8 du Règlement visait à fournir un recours au fabricant de médicaments génériques lorsque l’innovateur n’arrivait pas à démontrer que les allégations d’invalidité ou d’absence de contrefaçon du fabricant n’étaient pas justifiées. À mon avis, l’article 8 ne visait pas à fournir un recours lorsque l’innovateur avait gain de cause dans la procédure d’interdiction, même si le fabricant de médicaments génériques avait ultérieurement gain de cause dans un litige en matière de brevets. Par conséquent, je suis d’accord avec le juge pour dire qu’Apotex ne peut « revenir en arrière et demander que le brevet 671 soit déclaré invalide dans le cadre de l’action au motif qu’il était expiré au sens de l’article 8 » de la version du Règlement de 1993.

[32]           En l’espèce, Bayer se plaint du fait que, lors de ces instances, Apotex n’a présenté que des éléments de preuve limités au sujet de son produit en expliquant, par exemple, qu’il contiendra 3 mg de drospirénone et que la drospirénone sera formulée conformément à une technique bien précise qu’elle décrit comme une « dispersion moléculaire ». La Cour doit donc examiner les allégations d’absence de contrefaçon d’Apotex ainsi que les éléments de preuve qui se trouvent au dossier pour décider si les allégations en question sont fondées ou non.

VIII.       PEUT‑ON ALLER AU‑DELÀ DE L’AVIS D’ALLÉGATION?

[33]           La Cour d’appel a statué que la seconde personne (le fabricant de médicaments génériques comme Apotex) est tenue, dans son avis d’allégation, de soulever tous les faits et tous les moyens de droit sur lesquels elle se fonde à l’appui de ses allégations. Elle ne peut formuler de nouveaux arguments ou soulever de nouvelles allégations ou de nouveaux faits ou de nouveaux documents relatifs à l’antériorité qui ne se trouvaient pas dans son avis d’allégation. (AB Hassle c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (2000), 7 CPR (4th) 272, aux paragraphes 21 à 24; Proctor & Gamble Pharmaceuticals Canada, Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2002 CAF 290, aux paragraphes 21 à 26).

[34]           Bien que cette façon de voir puisse sembler radicale, puisque de nouvelles questions peuvent de toute évidence être soulevées par les experts au fur et à mesure que l’on consulte les experts et que la preuve est produite, il est tout aussi radical de la part de la première personne qui a pris l’initiative d’introduire l’instance de devoir faire face à des allégations et des faits mouvants. Il est nécessaire de modifier la procédure, mais aucun intéressé ne semble réclamer pareil changement.

[35]           Dans l’état actuel des choses, la Cour doit rejeter les arguments fondés sur des faits ou des documents qui n’étaient pas mentionnés dans l’avis d’allégation, et la Cour ne peut accepter d’examiner de nouvelles allégations.

[36]           Je reprends à mon compte les observations formulées par le juge Stone dans l’arrêt AB Hassle, précité, au paragraphe 21, selon lesquelles l’avis d’allégation doit énoncer le droit et les faits sur lesquels se fondent les allégations d’une manière suffisamment complète pour permettre à la première personne (en l’espèce, Bayer) d’évaluer ses recours en réponse aux allégations.

IX.             LA PERSONNE VERSÉE DANS L’ART

[37]           Le domaine de l’invention est précisé à la page 1 du brevet :

[traduction]
DOMAINE DE L’INVENTION

La présente invention concerne une composition pharmaceutique contenant de la drospirénone et de l’éthinylestradiol, une méthode permettant à la drospirénone de se dissoudre, des méthodes permettant d’inhiber l’ovulation par l’administration de drospirénone, et l’utilisation de la drospirénone et de l’éthinylestradiol pour inhiber l’ovulation.

[38]           À la section suivante, [traduction] « Contexte de l’invention », on reconnaît comme art antérieur des contraceptifs oraux contenant une association d’un progestatif et d’un œstrogène. On y indique qu’un progestatif, la drospirénone, est présenté comme étant utile pour le traitement de diverses affections, et qu’une association de drospirénone (DRSP) et d’éthinylestradiol (ÉE) serait une association médicamenteuse possible, mais non préférentielle, qui agirait comme contraceptif oral.

[39]           La section suivante est celle du [traduction] « Résumé de l’invention », où l’on indique qu’une dose minimum ainsi qu’une dose maximum de drospirénone ont été déterminées.

[traduction]
RÉSUMÉ DE L’INVENTION

Lors des travaux de recherche ayant mené à la réalisation de la présente invention, on a étonnamment découvert qu’une dose minimum de drospirénone non encore divulguée était requise pour assurer une activité contraceptive fiable. Une dose maximum préférentielle a également été identifiée, à laquelle il est possible d’éviter dans une large mesure des effets secondaires indésirables, et en particulier une diurèse excessive.

[40]           Suit une [traduction] « Divulgation détaillée de l’invention » à la page 4, où l’on indique que, pour assurer une biodisponibilité adéquate de la drospirénone, celle‑ci doit être présentée sous une forme qui en permet une dissolution rapide. Le paragraphe suivant traite de la micronisation, précise les paramètres relatifs à la taille et à la distribution des particules, précise les paramètres relatifs à la dissolution et indique qu’il est possible de fournir le produit, invalide ou micronisé, par pulvérisation sur un vecteur inerte. Sans se limiter à une théorie précise, le brevet indique que la vitesse de dissolution in vivo peut accroître la biodisponibilité de la molécule. L’éthinylestradiol peut aussi être micronisé ou pulvérisé.

 

[traduction]

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Il a été étonnamment observé que, lorsque la drospirénone est fournie sous une forme micronisée (de façon que les particules de la matière active aient une surface de plus de 10 000 cm2/g et qu’elles présentent la distribution suivante, déterminée au microscope, concernant les tailles  : pas plus de deux particules dans un lot donné présentant un diamètre supérieur à 30 µm, et préférentiellement ≤ 20 particules présentant un diamètre ≥ 10 µm et ≤ 30 µm) dans une composition pharmaceutique, on observe une dissolution rapide de l’ingrédient actif in vitro (on définit une « dissolution rapide » par une dissolution d’au moins 70 % de la drospirénone en environ 30 minutes, et plus particulièrement une dissolution d’au moins 80 % de la drospirénone en environ 20 minutes, à partir d’un comprimé contenant 3 mg de drospirénone, dans 900 ml d’eau à 37 °C, selon la méthode XXIII de l’USP utilisant un appareil à palette no 2 à 50 tours/minute). Plutôt que de fournir la drospirénone sous une forme micronisée, il est possible de la dissoudre dans un solvant approprié, par exemple du méthanol ou de l’acétate d’éthyle, puis de la pulvériser sur la surface de particules vectrices inertes et d’incorporer lesdites particules dans la composition.

 

Sans se limiter à une théorie précise, il semble que la vitesse de dissolution in vitro de la drospirénone est liée à la vitesse de dissolution in vivo, ce qui entraîne une absorption rapide de la drospirénone in vivo après l’administration du comprimé par voie orale. Il s’agit d’un avantage, car l’isomérisation du composé dans l’estomac et/ou son hydrolyse dans l’intestin sont considérablement réduites, ce qui permet à la biodisponibilité du composé d’être élevée.

 

En ce qui concerne l’éthinylestradiol, qui est également peu soluble, quoique moins sujet à une dégradation que la drospirénone dans les conditions qui prévalent dans le tube digestif, il est également avantageux de recourir à une forme micronisée ou pulvérisée à partir d’une solution, par exemple une solution d’éthanol, sur la surface de particules vectrices inertes. Cette démarche a un autre avantage, soit celui de permettre une distribution plus homogène de l’éthinylestradiol dans le composé, ce qui pourrait autrement être difficile à réaliser, l’éthinylestradiol étant incorporé en des quantités extrêmement faibles. Lorsqu’il est sous forme micronisée, l’éthinylestradiol présente de préférence la distribution suivante, déterminée au microscope, concernant les tailles  : 100 % des particules présentent un diamètre ≤ 15,0 µm, 99 % des particules présentent un diamètre ≤ 12,5 µm, 95 % des particules ont un diamètre ≤ 10,0 µm et 50 % des particules ont un diamètre ≤ 3,0 µm. De plus, aucune particule ne présente un diamètre supérieur à 20 µm et ≤ 10 particules ont un diamètre ≥ 15 µm et ≤ 20 µm.

 

Afin d’obtenir une meilleure vitesse de dissolution, on utilise préférentiellement des vecteurs ou des excipients qui favorisent la dissolution des deux matières actives. Il peut par exemple s’agir de substances qui sont facilement solubles dans l’eau, comme les dérivés de la cellulose, la carboxyméthylcellulose, l’hydroxypropylcellulose, l’hydroxypropylméthylcellulose, de l’amidon gélatinisé, de la gélatine ou la polyvinylpyrrolidone. Il semble en particulier que la polyvinylpyrrolidone soit particulièrement utile pour favoriser la dissolution.

 

La composition de l’invention comprend préférentiellement une quantité de drospirénone correspondant à une dose quotidienne allant d’environ 2,5 mg à environ 3,5 mg, et en particulier à une dose d’environ 3 mg. La quantité d’éthinylestradiol correspond préférentiellement à une dose quotidienne allant d’environ 0,015 mg à environ 0,04 mg, et en particulier à une dose d’environ 0,015 mg à environ 0,03 mg. Plus particulièrement, la présente composition comprend une quantité de drospirénone correspondant à une dose quotidienne allant d’environ 3,0 à environ 3,5 mg et une quantité d’éthinylestradiol se situant entre environ 0,015 mg et environ 0,03 mg.

 

Outre sa capacité à inhiber l’ovulation, la composition de l’invention s’est révélée posséder des propriétés antiandrogéniques prononcées, et peut par conséquent être utilisée dans la prévention ou le traitement de troubles liés aux androgènes, en particulier l’acné. L’utilisation de la composition à cette fin peut se faire indépendamment de son emploi en guise de contraceptif divulgué ci‑dessus ou en concomitance avec un tel emploi. De plus, étant donné que la drospirénone est un antagoniste de l’aldostérone, elle a des propriétés diurétiques et constitue par conséquent un moyen adéquat de contrecarrer la rétention d’eau causée par l’éthinylestradiol.

 

Dans l’une de ses réalisations, l’invention concerne une préparation pharmaceutique consistant en un nombre donné de formes pharmaceutiques quotidiennes emballées séparément et pouvant être retirées individuellement […]

 

[…] à partir d’une solution, par exemple une solution d’éthanol, sur la surface de particules vectrices inertes. Cette démarche a un autre avantage, soit celui de permettre une distribution plus homogène de l’éthinylestradiol dans le composé, ce qui pourrait autrement être difficile à réaliser, l’éthinylestradiol étant incorporé en des quantités extrêmement faibles. Lorsqu’il est sous forme micronisée, l’éthinylestradiol présente préférentiellement la distribution suivante, déterminée au microscope, concernant les tailles  : 100 % des particules présentent un diamètre ≤ 15,0 µm, 99 % des particules présentent un diamètre ≤ 12,5 µm, 95 % des particules ont un diamètre ≤ 10,0 µm et 50 % des particules ont un diamètre ≤ 3,0 µm. De plus, aucune particule ne présente un diamètre supérieur à 20 µm et ≤ 10 particules ont un diamètre ≥ 15 µm et ≤ 20 µm.

 

DIVULGATION DÉTAILLÉE DE L’INVENTION

 

 

5

 

 

 

 

10

 

 

La drospirénone, qui peut être essentiellement préparée selon la méthode décrite, par exemple, dans le brevet américain 4 129 564 ou le brevet WO 98/06738, est une substance peu soluble dans l’eau et dans les tampons aqueux à divers pH. Par ailleurs, la drospirénone subit un réarrangement et forme un isomère inactif dans des conditions acides, et elle subit une hydrolyse dans des conditions basiques. Par conséquent, pour en assurer une biodisponibilité adéquate, le composé est avantageusement offert dans une forme qui en favorise une dissolution rapide.

 

[41]           La divulgation détaillée décrit ensuite les vecteurs et les excipients, diverses doses, les autres utilités, le conditionnement, la posologie quotidienne et la période d’arrêt.

[42]           À la page 9, le brevet traite de la formulation sous toutes les formes connues dans le domaine pharmaceutique :

 

[traduction]

10

 

 

 

 

15

 

 

 

 

20

 

 

 

 

25

 

 

 

 

 

La composition de l’invention peut être formulée selon toutes les méthodes connues dans le domaine pharmaceutique. Plus particulièrement, comme indiqué ci‑dessus, la composition peut être formulée selon une méthode selon laquelle on fournit de la drospirénone et, facultativement, de l’éthinylestradiol sous forme micronisée ou pulvérisée à partir d’une solution sur des particules vectrices inertes comme adjuvant avec un ou plusieurs excipients pharmaceutiquement acceptables favorisant la dissolution de la drospirénone et de l’éthinylestradiol de façon à permettre une dissolution rapide de la drospirénone et, préférentiellement, de l’éthinylestradiol en administration orale. Les excipients adéquats sont notamment des sucres, comme le lactose, le glucose ou le saccharose; des alcools de sucre, comme le mannitol, le sorbitol et le xylitol; des amidons, comme l’amidon de blé, l’amidon de maïs ou l’amidon de pomme de terre; de l’amidon modifié ou du glycolate d’amidon sodique; des lubrifiants, comme le talc, le stéarate de magnésium, le stéarate de calcium, la silice colloïdale ou l’acide stéarique; et des liants, comme la polyvinylpyrrolidone, les dérivés de la cellulose, la carboxyméthylcellulose, l’hydroxypropylcellulose, l’hydroxypropylméthylcellulose, la méthylcellulose ou la gélatine, pour la fabrication de formes pharmaceutiques destinées à une administration par voie orale, comme des comprimés, des pilules ou des gélules.

 

[43]           Il est ensuite question du fait que les comprimés peuvent être pelliculés (à ne pas confondre avec un enrobage gastrorésistant) et que la composition peut également être présentée sous forme liquide. Il est également question du conditionnement, de la forme pharmaceutique destinée à l’administration parentérale et de la forme pharmaceutique destinée à l’administration transdermique.

[44]           Cinq exemples sont ensuite présentés. Le premier exemple concerne la préparation de comprimés contenant de la drospirénone micronisée et de l’éthinylestradiol micronisé. Le deuxième exemple concerne la vitesse de dissolution de la drospirénone dans ces comprimés. Le troisième exemple concerne la vitesse de dissolution de l’éthinylestradiol. Le quatrième exemple concerne la biodisponibilité de ces composés dans les comprimés. Le cinquième exemple concerne l’efficacité contraceptive.

[45]           Sont ensuite présentées les revendications, lesquelles sont au nombre de 53.

X.                INTERPRÉTATION DES REVENDICATIONS

[46]           Il est bien établi en droit canadien que l’interprétation des revendications en litige doit précéder l’examen des questions relatives à la contrefaçon et à la validité. Pour interpréter les revendications, la Cour peut faire appel à des témoins experts qui l’éclaireront quant à l’état de la technique et au sens de certains termes. La Cour interprète les revendications en fonction de la description fournie dans le brevet, en prenant soin de ne pas simplement choisir certains éléments de l’ensemble de la description.

[47]           L’interprétation des revendications ne se fait pas en vase clos; en effet, la Cour doit être consciente des questions faisant l’objet d’un litige qui sont soulevées par les parties, ce que l’on décrit parfois au moyen de l’expression « là où le bât blesse ». Dans l’affaire Cobalt, la question en litige se résumait à savoir si, à la lumière de toutes les revendications, notamment les revendications 30 et 31, la composante « drospirénone » devait être uniquement constituée de particules de drospirénone « micronisées » ou si d’autres formes étaient également possibles, comme des particules à la surface desquelles de la drospirénone avait été pulvérisée.

[48]           En l’espèce, l’objet du litige est plus vaste, en ce sens que l’on cherche à déterminer si les revendications englobent la drospirénone en dispersion moléculaire (…). On cherche également à déterminer si les revendications englobent l’éthinylestradiol sous forme de clathrate.

[49]           Dans la présente affaire, Bayer se fonde sur davantage de revendications qu’elle ne l’avait fait dans l’affaire Cobalt. Dans l’affaire Cobalt, Bayer ne s’était fondée, au final, que sur les revendications 30 et 31. Or, en l’espèce, Bayer se fonde sur la revendication 1 et les revendications dépendantes 2 à 8 et 12; sur la revendication 30; et sur la revendication 31 et les revendications dépendantes 36, 37, 39 à 42 et 47 à 50.

[50]           Je commencerai en reprenant ce que j’ai écrit aux paragraphes 50 à 59 des motifs du jugement que j’ai rendu dans l’affaire Cobalt, portant le numéro de référence 2013 CF 1061.

[50]      La revendication 1 mentionne la drospirénone micronisée, sans préciser la forme sous laquelle l’éthinylestradiol est présent :

 

[traduction]

 

1.         Une composition pharmaceutique contenant d’environ 2 mg à environ 4 mg de particules micronisées de drospirénone, d’environ 0,01 mg à environ 0,05 mg de 17α‑éthinylestradiol, et d’un ou de plusieurs vecteurs pharmaceutiquement acceptables, la composition étant présentée sous une forme destinée à l’administration orale et étant un contraceptif oral efficace chez la femme.

 

[51] La revendication 3 précise que l’éthinylestradiol peut être micronisé ou pulvérisé :

 

[traduction]

 

3.         Une composition selon la revendication 1 ou 2, dans laquelle l’éthinylestradiol est présent sous une forme micronisée ou pulvérisée à partir d’une solution sur des particules d’un vecteur inerte.

 

[52]      Il est à noter qu’aucune revendication du brevet 426 ne revendique clairement que la drospirénone peut être pulvérisée. Cette situation est différente de celle qui prévalait dans l’affaire Gedeon Richter, précitée, sur laquelle s’était penchée la Cour d’appel du Royaume‑Uni et où l’on peut voir, au paragraphe 30 des raisons citées par cette cour, que la revendication 2, ainsi que toutes les revendications qui en dépendent, précise que la drospirénone peut être sous une forme micronisée ou pulvérisée. Les lois du Royaume‑Uni concernant les brevets permettent aux tribunaux de modifier des revendications.

[53]      La revendication 30 ne définit la drospirénone qu’en fonction de la taille des particules (mais non en fonction de la distribution des particules, comme il est également précisé dans la description du brevet) :

 

[traduction]

 

30.        Une composition pharmaceutique comprenant :

d’environ 2 mg à environ 4 mg de particules de drospirénone, ces particules ayant une surface de plus de 10 000 cm2/g;

d’environ 0,01 mg à environ 0,05 mg de 17α‑éthinylestradiol; et

 

un ou plusieurs vecteurs pharmaceutiquement acceptables;

la composition étant présentée sous une forme destinée à l’administration orale et étant un contraceptif oral efficace chez la femme.

 

[54]      La revendication 31 définit la drospirénone uniquement en fonction de sa vitesse de dissolution :

 

[traduction]

 

31.        Une composition pharmaceutique comprenant :

d’environ 2 mg à environ 4 mg de particules de drospirénone, la drospirénone étant sous une forme qui, lorsqu’elle se trouve dans un comprimé contenant 3 mg de drospirénone, présente une dissolution telle qu’au moins 70 % de la drospirénone est dissoute dans 900 ml d’eau à 37 °C (± 0,5 °C) en 30 minutes, selon la méthode XXIII de l’USP, utilisant un appareil à palette no 2 à 50 tours/minute, à l’aide de six récipients de verre recouverts et de six palettes;

d’environ 0,01 mg à environ 0,05 mg de 17α‑éthinylestradiol; et

un ou plusieurs vecteurs pharmaceutiquement acceptables;

la composition étant présentée sous une forme orale et étant un contraceptif oral efficace chez la femme.

 

[55]      Les parties ont des opinions divergentes en ce qui concerne les revendications 30 et 31. Selon Cobalt, la taille des particules et la vitesse de dissolution ne concernent que la forme micronisée de la drospirénone. Selon Bayer, la vitesse de dissolution concerne tout au moins la drospirénone sous l’une ou l’autre forme, c’est‑à‑dire micronisée ou pulvérisée.

[56]      Pour étayer son argument, Cobalt renvoie à la page 4 de la description du brevet, où la taille des particules (et leur distribution), de même que la vitesse de dissolution, sont présentées après la mention de la drospirénone micronisée, et en s’appuyant sur les revendications qui précisent de façon explicite que la pulvérisation ne concerne que l’éthinylestradiol.

[57]      À l’appui de sa position, Bayer allègue qu’on peut lire, à la page 4 de la description, que la drospirénone peut être pulvérisée, et, à la page 9, que la composition peut être formulée selon toutes les méthodes connues dans le domaine, c’est‑à‑dire micronisée ou pulvérisée. Selon Bayer, le point essentiel du brevet n’est pas la micronisation de la drospirénone, mais plutôt sa dissolution rapide, comme l’indique la dernière phrase du premier paragraphe de la page 4, dans la divulgation détaillée :

[traduction] Afin que le composé présente une bonne biodisponibilité, ledit composé est présenté de façon avantageuse sous une forme qui en favorise la dissolution rapide.

[58]      Cet énoncé est suivi de l’énoncé suivant, au début du dernier paragraphe complet de la page 4 :

[traduction] Sans se limiter à quelque théorie que ce soit, il semble que la vitesse de dissolution in vitro de la drospirénone est liée à la vitesse de dissolution in vivo, ce qui signifie que la drospirénone est absorbée rapidement in vivo lorsque le composé est administré par voie orale.

[59]      Bien que l’on ne puisse nullement affirmer que l’affaire ne suscite aucun doute, je crois que l’interprétation de Bayer est celle qui est juste et que la revendication 31, ainsi que les revendications qui en dépendent, ne se limite pas à la drospirénone sous une forme micronisée, mais concerne toutes les formes permettant d’obtenir la vitesse de dissolution rapide mentionnée dans la revendication.

[51]           En l’espèce, je devrai aller plus loin. Je devrai plus particulièrement chercher à déterminer si la revendication 31 et les revendications qui en dépendent englobent la drospirénone en dispersion moléculaire […]. Je devrai également chercher à déterminer si la mention d’éthinylestradiol dans les revendications en litige englobe l’éthinylestradiol sous forme de clathrate.

[52]           Je commencerai par la revendication 1 et les revendications dépendantes 2 à 8 et 12. J’estime que ces revendications visent uniquement ce qui y est décrit, nommément des « particules micronisées de drospirénone », et non d’autres formes, comme des particules à la surface desquelles de la drospirénone a été pulvérisée ou une composition comportant de la drospirénone en dispersion moléculaire […].

[53]           Dans l’affaire Cobalt, je n’avais pas interprété l’expression « particules de drospirénone » qui apparaît dans la revendication 30; je le ferai en l’espèce, comme je l’ai fait pour la revendication 31, de façon que l’expression englobe non seulement des particules micronisées de drospirénone, mais également des particules à la surface desquelles de la drospirénone a été pulvérisée, dans la mesure où ces particules respectent les paramètres relatifs à la taille énoncés à la revendication 30.

[54]           Dans l’affaire Cobalt, j’ai interprété la revendication 31, ainsi que les revendications qui en dépendent, de façon à englober non seulement la drospirénone sous une forme micronisée, mais également sous toute forme permettant d’obtenir la vitesse de dissolution indiquée dans la revendication.

[55]           En l’espèce, la question d’interprétation à trancher est celle de savoir si la revendication 31 et les revendications qui en dépendent — selon lesquelles les « particules de drospirénone », lorsqu’elles se trouvent « dans un comprimé », doivent avoir un profil de dissolution bien précis — peuvent englober des formes autres que des particules de drospirénone ou que des particules inertes à la surface desquelles de la drospirénone a été pulvérisée.

[56]           La question se résume donc à savoir si l’expression « particules de drospirénone » s’entend uniquement de particules de drospirénone même, ou si elle peut englober des particules à la surface desquelles de la drospirénone a été pulvérisée, comme je l’ai interprété dans l’affaire Cobalt, ou encore si elle peut également englober des « particules d’une matrice solide dans laquelle de la drospirénone a été dissoute ».

[57]           Je me reporterai à la description du brevet, et plus particulièrement aux pages 4 et 9, que j’ai déjà citée dans les présents motifs et que je reproduirai ici. À la page 4 :

[traduction]
DIVULGATION DÉTAILLÉE DE L’INVENTION

La drospirénone, qui peut être essentiellement préparée selon la méthode décrite, par exemple, dans le brevet américain 4 129 564 ou le brevet WO 98/06738, est une substance peu soluble dans l’eau et dans les tampons aqueux à divers pH. Par ailleurs, la drospirénone subit un réarrangement et forme un isomère inactif dans des conditions acides, et elle subit une hydrolyse dans des conditions basiques. Par conséquent, pour en assurer une biodisponibilité adéquate, le composé est avantageusement offert dans une forme qui en favorise une dissolution rapide.

Il a été étonnamment observé que, lorsque la drospirénone est fournie sous une forme micronisée (de façon que les particules de la matière active aient une surface de plus de 10 000 cm2/g et qu’elles présentent la distribution suivante, déterminée au microscope, concernant les tailles  : pas plus de deux particules dans un lot donné présentant un diamètre supérieur à 30 µm, et, préférentiellement, ≤ 20 particules présentant un diamètre ≥ 10 µm et ≤ 30 µm) dans une composition pharmaceutique, on observe une dissolution rapide de l’ingrédient actif in vitro (on définit une « dissolution rapide » par une dissolution d’au moins 70 % de la drospirénone en environ 30 minutes, et plus particulièrement une dissolution d’au moins 80 % de la drospirénone en environ 20 minutes, à partir d’un comprimé contenant 3 mg de drospirénone sous une forme micronisée, il est possible de la dissoudre dans un solvant approprié, par exemple du méthanol ou de l’acétate d’éthyle, puis de la pulvériser sur la surface de particules vectrices inertes et d’incorporer lesdites particules dans la composition.

À la page 9 :

[traduction]
La composition de l’invention peut être formulée selon toutes les méthodes connues dans le domaine pharmaceutique. Plus particulièrement, comme indiqué ci-dessus, la composition peut être formulée selon une méthode comprenant de la drospirénone et, facultativement, de l’éthinylestradiol sous forme micronisée ou pulvérisée à partir d’une solution sur des particules vectrices inertes comme adjuvant avec un ou plusieurs excipients pharmaceutiquement acceptables favorisant la dissolution de la drospirénone et de l’éthinylestradiol de façon à permettre une dissolution rapide de la drospirénone et, préférentiellement, de l’éthinylestradiol en administration orale.

[58]           Ainsi, le brevet décrit deux formes de drospirénone, à savoir une forme micronisée, et une forme dissoute dans un solvant puis pulvérisée à la surface de particules vectrices inertes qu’on laisse ensuite sécher. Le brevet mentionne également que la formulation peut se faire sous « toutes les formes connues dans le domaine pharmaceutique ». Il devient donc possible de formuler ces particules (micronisées ou pulvérisées) avec d’autres excipients, selon l’une ou l’autre des formes connues dans le domaine pharmaceutique.

[59]           Aucune mention n’est faite d’un procédé par lequel la drospirénone serait dissoute dans une matrice […], puis mélangée aux autres ingrédients. Dans un tel procédé, la drospirénone ne serait plus une « particule », ni même pulvérisée sur une « particule », mais elle serait dissoute dans une solution.

[60]           Par conséquent, je considère que le terme « particules de drospirénone », tel qu’il apparaît dans l’ensemble des revendications en litige, n’englobe ni une solution de drospirénone, ni des particules d’une matrice dans laquelle on aurait dissous de la drospirénone.

[61]           Quant à l’autre question en litige, concernant l’éthinylestradiol, j’ai amplement traité de la preuve à cet effet plus loin dans les motifs de ce jugement en cherchant à déterminer si le brevet 426 était admissible à l’adjonction au registre des brevets. Je conclus donc, comme je l’ai fait à l’issue de ce raisonnement, que le terme « éthinylestradiol » dans les revendications en litige englobe également l’éthinylestradiol sous forme de clathrate.

XI.             CONTREFAÇON

[62]           Ayant jugé qu’aucune des revendications en litige ne vise une formulation comprenant de la drospirénone dissoute dans une matrice, j’estime que la préparation du produit d’Apotex fait intervenir une méthode au cours de laquelle la drospirénone est d’abord dissoute dans une matrice. Le procédé se poursuit […], on comprime la matière pour former des comprimés, puis on recouvre les comprimés d’une substance non gastrorésistante; ce processus est décrit de façon plus précise aux paragraphes 124 à 127 de l’affidavit de M. Cima.

[63]           Le profil de dissolution de ces comprimés est presque identique à celui des comprimés YAZ de Bayer et, en ce sens, il respecte les paramètres énoncés à la revendication 31 du brevet 426.

[64]           Les témoins de Bayer et d’Apotex ont témoigné quant aux analyses effectuées sur certains échantillons au moyen d’une technique connue sous le nom de « spectroscopie Raman », ou, dans le cas de M. Cima, par spectroscopie Raman et microscopie électronique à balayage. Dans son témoignage, présenté pour le compte de Bayer, M. Davies commente les analyses effectuées sur les échantillons du produit fabriqué par […] pour le marché sud‑africain. Les analyses de M. Cima, présentées pour le compte d’Apotex, ont été réalisées avec des particules de drospirénone en vrac qui étaient représentatives des comprimés d’Apotex. Comme je l’ai indiqué dans l’ordonnance que j’ai rendue le 22 octobre 2013, en l’espèce, Apotex ne conteste pas le fait que MM. Davies et Cima ont analysé la même chose.

[65]           Les conclusions auxquelles sont parvenus MM. Davies et Cima à la lumière des résultats des analyses qu’ils ont menées sont divergentes. M. Davies fait valoir, et je souligne le mot « faire valoir », aux paragraphes 175 à 183 de son affidavit, qu’Apotex n’a pas démontré que son produit est une dispersion moléculaire de drospirénone. Son opinion repose essentiellement sur une analyse documentaire plutôt que sur des données scientifiques; ce faisant, M. Davies joue le rôle d’un avocat plutôt que celui d’un expert scientifique. En revanche, M. Cima s’en est tenu à un rôle de scientifique. Aux paragraphes 129 et suivants de son affidavit, il passe en revue les analyses effectuées sous sa supervision et conclut, aux paragraphes 153 à 159, qu’il n’y a aucune particule de drospirénone ou particule de drospirénone micronisée dans les échantillons analysés. J’accepte ce qu’écrit M. Cima aux paragraphes 154 et 155 de son affidavit :

[traduction]
154. […]

155.     Les résultats de l’analyse par spectroscopie Raman réalisée sur les échantillons des comprimés dans mon laboratoire corroborent la conclusion selon laquelle la drospirénone est présente dans les granules sous la forme d’une solution solide (dispersion moléculaire). […]

[66]           Je préfère la preuve présentée par M. Cima, mais même si la preuve avait été équilibrée de part et d’autre, Bayer n’a pas réussi à s’acquitter de la tâche qui lui incombait de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations de non-contrefaçon d’Apotex ne sont pas fondées.

[67]           Étant donné que la drospirénone est fournie sous une forme qui, selon moi, n’est visée par aucune des revendications en litige, et puisqu’il s’agit de ce sur quoi se fonde Apotex pour alléguer l’absence de contrefaçon, je conclus que Bayer n’a pas réussi à démontrer que l’allégation d’Apotex à cet égard n’est pas fondée.

XII.          INADMISSIBILITÉ DU BREVET 426 À L’ADJONCTION AU REGISTRE

[68]           Apotex allègue que le brevet 426 est inadmissible à l’adjonction au registre par Bayer en vertu du Règlement AC, en sa version modifiée le 5 octobre 2006. Ces allégations ont été formulées dans l’avis d’allégation d’Apotex, mais aucune requête n’a été présentée à cet égard sous le régime de l’alinéa 6(5)a) dudit Règlement.

[69]           L’essentiel de ce qui est allégué par Apotex est que Bayer a inscrit le brevet 426 en vertu du Règlement AC en décembre 2008, à l’égard des comprimés YAZ. Ces comprimés contiennent, comme ingrédients actifs, de la drospirénone et un complexe d’inclusion moléculaire formé d’éthinylestradiol (ÉE) et de B‑cyclodextrine (c.‑à‑d. un complexe ÉE‑B‑cyclodextrine). C’est ce que M. Jarosz, témoin expert pour le compte d’Apotex, définit comme étant un clathrate. Apotex avance que ce clathrate n’est pas l’éthinylestradiol revendiqué dans le brevet 426 et que, partant, le brevet a été inscrit de façon irrégulière à l’égard du produit YAZ.

[70]           Bayer affirme qu’Apotex ne peut soulever cette question lors de l’audience, arguant qu’Apotex aurait dû présenter une requête à cet effet avant l’audience, ce qu’elle n’a pas fait. Quoi qu’il en soit, Bayer fait valoir que le brevet 426 a été inscrit à bon droit.

[71]           Tout d’abord, quant à savoir si cette question peut être soulevée à l’audience ou si elle doit faire l’objet d’une requête qui serait présentée avant l’audience, mentionnons que la Cour a déjà rendu plusieurs décisions sur le sujet.

[72]           Dans l’affaire Pfizer Canada Inc. c Apotex inc., 2005 CF 1421, le juge Mosley a statué que la question pouvait être soulevée lors d’une audience sans avoir préalablement été l’objet d’une requête. Voici ce qu’il écrit aux paragraphes 177 et 178 :

[177]    Apotex aurait pu présenter une requête sous le régime de l’alinéa 6(5)a) du Règlement avant l’audience portant sur la présente demande. Elle fait valoir qu’il eût été imprudent de le faire, que temps et ressources auraient probablement été ainsi gaspillés en raison des conditions rigoureuses auxquelles est subordonnée la radiation d’une demande, et que l’inscription au registre était si manifestement irrégulière qu’elle n’avait aucune chance d’être sanctionnée : David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc. et al., [1995] 1 C.F. 588, 58 C.P.R. (3d) 209 (C.A.). Le dépôt d’une telle requête à la présente étape — à supposer qu’il soit possible — procurerait un avantage tactique à Apotex, la charge de réfuter les allégations incombant alors aux demanderesses, alors qu’elle aurait dû supporter elle‑même cette charge dans une requête préliminaire en rejet.

[178]    Je conclus qu’Apotex peut présenter son allégation dans le cadre de la présente instance et n’est pas tenue de former une requête sous le régime du paragraphe 6(5) avant l’audience sur la demande visée au paragraphe 6(1). J’estime en outre que Pfizer n’a pas établi suivant la prépondérance de la preuve que le brevet 071 a été inscrit à bon droit au registre, étant donné qu’il était hors délai lorsqu’a été délivré l’avis de conformité relatif au régime de dosage accéléré des comprimés de 500 mg.

[73]           Dans l’affaire Abbott Laboratories c Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 187, la Cour d’appel a déterminé que, bien que la question de l’admissibilité fasse habituellement l’objet d’une requête préalable, le juge de première instance n’a pas commis d’erreur en abordant la question lors de l’audience. S’exprimant au nom de la Cour, le juge Noël a écrit, aux paragraphes 44 et 45 :

[44]      Je signale enfin que la juge Heneghan a parfois dit que le brevet 361 (ou certaines parties de ce brevet) ne satisfont pas « aux critères d’admissibilité pour inscription sur la liste de brevet » (voir, par exemple, le paragraphe 134 de ses motifs). La question de l’admissibilité d’un brevet aux fins de son inscription au registre est généralement invoquée dans le cadre d’une requête distincte présentée en vertu de l’alinéa 6(5)a) du Règlement (voir Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [(2000), 3 C.P.R. (4th) 1 (C.A.F.)], tel qu’il a été appliqué dans la décision Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), CF 650, aux paragraphes 59 à 64). Une telle requête ne semble cependant pas avoir été présentée dans le cadre de la présente affaire.

[45]      Cela importe peu en l’espèce étant donné que la conclusion à laquelle la juge Heneghan est parvenue sur ce point est correctement exposée au paragraphe 133 de ses motifs, où elle statue que pareille revendication « n’est pas admissible sous le régime du Règlement AC ».

[74]           J’ai commenté cette décision dans l’affaire Novartis Pharmaceuticals Inc. c Cobalt Pharmaceuticals Company, 2013 CF 985, et j’ai conclu que j’entendrais la question de l’admissibilité lors de l’audience, en particulier lorsque l’interprétation d’une revendication était en litige. Au paragraphe 109, j’ai écrit ce qui suit :

En l’espèce, Cobalt soutient qu’elle n’aurait pas pu présenter sa requête plus tôt, car elle ignorait quelle interprétation Novartis ferait des revendications et croyait que seules les revendications de type suisse étaient en litige. Je ne vois aucune raison pour laquelle Cobalt aurait dû croire que seules les revendications de type suisse étaient en litige; cependant, si c’était le cas, je consentirais à ce que la question de l’inscription sur la liste soit soulevée au moment de l’audience. Quoi qu’il en soit, les revendications d’« utilisation » 10 à 16 sont en litige et répondent aux critères d’inscription sur la liste.

[75]           Dans l’affaire Solvay Pharma Inc. c Apotex Inc., 2008 FC 308, la juge Gauthier (alors juge de la Cour fédérale) a également examiné la décision de la Cour d’appel fédérale précitée, ainsi que la jurisprudence antérieure, et a déterminé que certaines questions, comme celles qui concernent l’admissibilité, ne pouvaient être soulevées lors de l’audience, et qu’il fallait s’en tenir aux revendications « pertinentes ». Aux paragraphes 56 et 66 de ses motifs, elle fait les observations suivantes :

La Cour a d’abord été tentée d’adhérer au point de vue selon lequel le dépôt d’une requête en vertu du paragraphe 6(5) du Règlement relevait davantage de la nature d’un moyen procédural en vue du rejet rapide des demandes que d’une question de fond et de compétence, si la demande d’interdiction était déposée en réponse à un avis d’allégation qui incluait expressément les arguments de la seconde personne sur l’admissibilité, de telle sorte que la première personne ait la possibilité de prendre connaissance de la preuve à réfuter et de déposer une preuve en réponse. (À cet égard, la Cour signale qu’à l’exception de la lettre du ministre datée du 30 juillet 2007, rien n’indique qu’Altana a demandé sans succès l’autorisation de déposer en réponse une preuve se rapportant à l’admissibilité du brevet à l’inscription, puisque rien de la sorte n’a été discuté dans la décision rendue le 15 juin 2007 par la protonotaire Tabib, ni dans l’ordonnance du juge Pierre Blais datée du 28 août 2007, 2007 CF 857). En outre, l’adjudication des dépens pourrait normalement servir à dissuader les secondes personnes de soulever la question de l’inscription dans la demande même, étant donné que le dépôt d’une requête visée au paragraphe 6(5) au début du processus est la seule manière d’éviter une instance inutile en interdiction, ainsi que l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Wyeth, au paragraphe 39.

[…]

Donc, compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle n’est pas compétente pour se pencher sur les questions relatives à l’admissibilité (article 4) ou les questions relatives aux travaux préalables. Toutefois, ainsi qu’il a été indiqué précédemment, et conformément au sous-alinéa 5(1)b)(iv), la Cour doit examiner la question de savoir si les revendications qui sont encore en litige relativement à la contrefaçon sont des revendications pour le médicament en soi ou pour l’utilisation du médicament parce que, ainsi qu’il a été mentionné, ce sont là les seules revendications pertinentes auxquelles il doit être renvoyé dans l’avis d’allégation et qui peuvent justifier une ordonnance d’interdiction si les allégations d’absence de contrefaçon d’Apotex ne sont pas fondées.

[76]           Il est temps de mettre fin au débat; les instances régies par le Règlement AC sont suffisamment obscures. À bien des égards, elles sont devenues de véritables « champs de mines », où l’une ou l’autre des parties tente de piéger un adversaire ou un avocat non averti ou peu habitué à ce type de stratagème. Si je me reporte au raisonnement de la juge Gauthier dans l’affaire Solvay, au paragraphe 56, je crois qu’il y a des motifs suffisants pour conclure que le point de vue auquel elle a « d’abord été tentée d’adhérer » et selon lequel le paragraphe 6(5) constituait un moyen procédural commode pour rejeter rapidement des demandes relatives à l’admissibilité lors d’une audience et non une interdiction préliminaire visant à empêcher une partie de soulever cette question lors d’une audience, était le bon point de vue à adopter.

[77]           Selon le libellé des paragraphes 5(1) et 5(2) du Règlement AC, la seconde personne « doit » formuler certaines allégations en incluant dans sa présentation :

a) soit une déclaration portant qu’elle accepte que l’avis de conformité ne sera pas délivré avant l’expiration du brevet;

b) soit une allégation portant que, selon le cas :

(i) la déclaration présentée par la première personne aux termes de l’alinéa 4(4)d) est fausse,

(ii) le brevet est expiré,

(iii) le brevet n’est pas valide,

(iv) elle ne contreferait aucune revendication de l’ingrédient médicinal, revendication de la formulation, revendication de la forme posologique ni revendication de l’utilisation de l’ingrédient médicinal en fabriquant, construisant, utilisant ou vendant la drogue pour laquelle la présentation est déposée.

[78]           Bien que ces allégations‑là, ou celles d’entre elles qui sont pertinentes, soient obligatoires, rien n’empêche la formulation d’autres revendications pertinentes, comme en ce qui a trait à l’admissibilité à l’inscription.

[79]           Selon le paragraphe 5(3) du Règlement AC, la seconde personne doit signifier l’avis d’allégation en y insérant « un énoncé détaillé du fondement juridique et factuel de l’allégation ». Ainsi, le cas échéant, chaque allégation doit être étayée par un énoncé détaillé du fondement juridique et factuel de l’allégation en question. Cela engloberait les allégations obligatoires, de même que toute autre allégation qui serait formulée.

[80]           Selon l’alinéa 6(5)a) du Règlement AC, la seconde personne « peut » déposer une requête visant à faire rejeter tout ou partie de la demande lorsque les brevets en cause ne sont pas admissibles. Il est à noter que, dans l’alinéa en question, on utilise le verbe « pouvoir » et non « devoir ». Rien dans le libellé de cet alinéa ou dans le reste du Règlement AC n’exige qu’une telle requête soit déposée ni n’interdit que la question soit soulevée lors de l’audience sur le fond de la question.

[81]           Par conséquent, je juge qu’Apotex, ayant formulé des allégations relativement à l’admissibilité à l’adjonction dans son avis d’allégation, peut aborder la question à l’audience malgré le fait qu’aucune requête n’ait été déposée au titre du paragraphe 6(5) du Règlement AC.

[82]           Je me pencherai maintenant sur le fond de la question. Apotex se fonde sur l’interprétation qu’elle fait de certaines dispositions du Règlement AC, en sa version modifiée le 5 octobre 2006. Apotex se fonde plus particulièrement sur la nouvelle définition de « revendication de l’ingrédient médicinal », ou « claim for the medicinal ingredient », à l’article 2 du Règlement, qui se lit comme suit :

« revendication de l’ingrédient médicinal » S’entend, d’une part, d’une revendication, dans le brevet, de l’ingrédient médicinal — chimique ou biologique — préparé ou produit selon les modes ou procédés de fabrication décrits en détail et revendiqués dans le brevet ou selon leurs équivalents chimiques manifestes, et, d’autre part, d’une revendication pour différents polymorphes de celui‑ci, à l’exclusion de ses différentes formes chimiques. (claim for the medicinal ingredient)

“claim for the medicinal ingredient”

“claim for the medicinal ingredient” includes a claim in the patent for the medicinal ingredient, whether chemical or biological in nature, when prepared or produced by the methods or processes of manufacture particularly described and claimed in the patent, or by their obvious chemical equivalents, and also includes a claim for different polymorphs of the medicinal ingredient, but does not include different chemical forms of the medicinal ingredient; (revendication de l’ingrédient médicinal)

 

 

[83]           Apotex se fonde ensuite sur les alinéas 4(2)a) et 4(2)b) du Règlement AC, selon lesquels un brevet qui se rattache à une présentation de drogue nouvelle, comme celle de Bayer à l’égard de son produit YAZ, doit, pour être admissible à l’adjonction au registre, contenir une revendication visant un « ingrédient médicinal » :

(1) La première personne qui dépose ou a déposé la présentation de drogue nouvelle ou le supplément à une présentation de drogue nouvelle peut présenter au ministre, pour adjonction au registre, une liste de brevets qui se rattache à la présentation ou au supplément.

(2) Est admissible à l’adjonction au registre tout brevet, inscrit sur une liste de brevets, qui se rattache à la présentation de drogue nouvelle, s’il contient, selon le cas :

a) une revendication de l’ingrédient médicinal, l’ingrédient ayant été approuvé par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation;


b
) une revendication de la formulation contenant l’ingrédient médicinal, la formulation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation;

 

(1) A first person who files or who has filed a new drug submission or a supplement to a new drug submission may submit to the Minister a patent list in relation to the submission or supplement for addition to the register.

 

(2) A patent on a patent list in relation to a new drug submission is eligible to be added to the register if the patent contains



(a) a claim for the medicinal ingredient and the medicinal ingredient has been approved through the issuance of a notice of compliance in respect of the submission;

(b) a claim for the formulation that contains the medicinal ingredient and the formulation has been approved through the issuance of a notice of compliance in respect of the submission;

 

[84]           Apotex fait valoir que la modification apportée à la définition d’« ingrédient médicinal » est telle qu’elle englobe les « formes polymorphiques » des ingrédients médicinaux, mais non « diverses formes chimiques » de ces ingrédients. Apotex renvoie au Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR) qui a été publié avec les modifications apportées au Règlement dans la Gazette du Canada, vol. 140, no 21, aux pages 1517‑1518, et qui fait état de cette modification :

Il est nécessaire d’établir une définition de « revendication de l’ingrédient médicinal » pour que les brevets protégeant un produit par procédé continuent de pouvoir bénéficier de la protection

du règlement et pour confirmer qu’il en est de même pour les

brevets relatifs à des médicaments biologiques. Une telle définition sert également à préciser, concernant les médicaments à petites molécules, que les brevets revendiquant différentes formes cristallines, amorphes, hydratées et solvatées de l’ingrédient médicinal approuvé (c.‑à‑d., des « formes polymorphiques »)

peuvent être inscrits au registre lorsqu’ils sont soumis en relation avec la PDN, mais que les diverses formes chimiques comme les sels et les esters ne le sont pas. Ceci est conforme à la politique de Santé Canada, laquelle définit ce qui constitue un « ingrédient médicinal identique » aux fins de l’établissement d’une équivalence pharmaceutique aux termes de l’alinéa C08.001.1 du Règlement sur les aliments et drogues. Ces changements n’ont pas pour objet de modifier la jurisprudence antérieure selon laquelle

les brevets dont les revendications portent seulement sur des intermédiaires ou des métabolites de l’ingrédient médicinal ne peuvent pas être inscrits au registre.          

A definition for the first of these phrases is necessary to ensure that product‑by‑process patents continue to qualify for protection under the regulations, and to confirm that the same is true of patents for biologic drugs. It also serves to clarify, in so far as small molecule drugs are concerned, that patents claiming different crystalline, amorphous, hydrated and solvated forms of the approved medicinal ingredient (i.e. “polymorphs”) are eligible for listing when submitted in relation to the NDS, but that different chemical forms, such as salts and esters, are not. This accords with Health Canada policy on what constitutes an “identical medicinal ingredient” for the purposes of establishing pharmaceutical equivalence under section C08.001.1 of the Food and Drug Regulations. None of these changes is intended to disturb prior jurisprudence to the effect that patents claiming intermediates or metabolites of the medicinal ingredient are ineligible for listing.

 

[85]           L’article C08.001.1 du Règlement sur les aliments et drogues, cité dans le REIR, n’est pas particulièrement instructif; on peut notamment y lire ce qui suit au sujet de l’équivalent pharmaceutique (pharmaceutical equivalent) :

« équivalent pharmaceutique » S’entend d’une drogue nouvelle qui, par comparaison à une autre drogue, contient les mêmes quantités d’ingrédients médicinaux identiques, sous des formes posologiques comparables, mais pas nécessairement les mêmes ingrédients non médicinaux. (pharmaceutical equivalent)

 

“pharmaceutical equivalent” means a new drug that, in comparison with another drug, contains identical amounts of the identical medicinal ingredients, in comparable dosage forms, but that does not necessarily contain the same non‑medicinal ingredients; (équivalent pharmaceutique)

 

[86]           Dans un énoncé de politique intitulé Interprétation de l’expression « ingrédient médicinal identique » approuvé et mis en vigueur le 8 juillet 2003, c’est-à-dire avant la modification du Règlement AC, Santé Canada prétendait fournir, entre autres choses, des « Principes directeurs » et un « Glossaire ».

[87]           Selon les principes directeurs en question :

L’expression « ingrédient médicinal identique » pourrait être interprétée au sens strict pour désigner des ingrédients médicinaux identiques sur les plans physique et chimique. Toutefois, aux termes du Règlement, seule « l’identité chimique » des ingrédients médicinaux est prise en compte pour la détermination de l’équivalence pharmaceutique. Des produits pharmaceutiques qui sont des équivalents pharmaceutiques devraient contenir des ingrédients médicinaux identiques sur le plan chimique, mais pas nécessairement sur le plan physique. On sait que les différences dans les propriétés physiques (taille des particules, polymorphisme, etc.) des ingrédients médicinaux pourraient entraîner des différences dans les profils d’innocuité et d’efficacité des produits pharmaceutiques. Pour apaiser les craintes relatives aux différences de propriétés physiques, il faudrait mener des études in vivo ou in vitro pertinentes et en soumettre les résultats au moment de la présentation de la drogue. Le mot « identique » doit être interprété dans ce sens.

Compte tenu de ce qui vient d’être dit, les ingrédients médicinaux contenant la même fraction active sont classés comme des ingrédients médicinaux identiques ou non identiques selon les principes directeurs suivants :

4.1 Les formes anhydres et anhydrates et les diverses formes hydratées de la même fraction active sont généralement considérées comme identiques.

4.2 Les formes non solvatées et les diverses formes solvatées de la même fraction active sont généralement considérées comme identiques, pourvu que la quantité de solvat soit dans les limites acceptables. Les solvats dont la quantité se situe dans les limites recommandées par la directive Q3C de l’ICH : Impuretés : Directive sur les solvants résiduels, sont considérées comme acceptables sans autre justification. Lorsque la quantité de solvat dépasse les limites recommandées dans la directive Q3C de l’ICH, il faut fournir une justification au cas par cas ainsi que des données à l’appui. Les données à l’appui peuvent être fondées sur les concepts de qualification figurant dans les directives Q3A, Q3B et Q3C de l’ICH.

4.3 Les différents complexes, esters et sels d’une même fraction active sont considérés comme non identiques.

4.4 Les différents isomères ou mélanges d’isomères dans des proportions différentes sont considérés comme non identiques.

[88]           Le glossaire en question présentait notamment les définitions suivantes :

Clathrate
Mélange solide dans lequel de petites molécules d’un composé ou d’un élément sont encagées dans les espaces libres du réseau cristallin d’une autre substance. Les molécules ne sont pas retenues par des liaisons chimiques, mais sont plutôt emprisonnées.

Complexe
Composé formé par l’association en équilibre de deux ou plusieurs molécules ou ions qui interagissent. Les complexes peuvent se former en solution ou à l’état solide
.

Fraction active
Molécule ou ion responsable de l’action physiologique ou pharmacologique de la substance médicamenteuse, à l’exclusion des portions ajoutées à la molécule qui transforment la substance médicamenteuse en un ester, un sel (y compris un sel avec une liaison hydrogène ou une liaison de coordination) ou un autre dérivé non covalent (tels un complexe ou un clathrate) de la molécule.

[89]           En ce qui concerne l’inscription du brevet, Apotex étant celle qui allègue que le brevet 462 n’aurait pas dû être inscrit, c’est à elle qu’il incombe de prouver ce qu’elle avance. Contrairement aux allégations visées par les paragraphes 5(1) et 5(2) du Règlement AC, les allégations relatives à l’inscription ne sont pas des allégations qui « doivent » être faites. Par conséquent, il ne s’agit pas d’une allégation dont Bayer doit démontrer qu’elle n’est pas « fondée ». Cette allégation d’Apotex concernant le caractère approprié de l’inscription d’un brevet donné n’étant pas visée par les paragraphes 5(1) et 5(2), c’est à elle qu’il incombe de prouver ce qu’elle allègue, comme cela se fait normalement dans une affaire civile.

[90]           Apotex se reporte ensuite à la preuve déposée par l’un de ses experts, M. Jarosz, qui écrit dans son affidavit que l’éthinylestradiol qui se trouve dans le produit YAZ de Bayer est présent sous la forme d’un clathrate, c’est-à-dire d’un complexe d’inclusion moléculaire. Il écrit ce qui suit au paragraphe 48 de son affidavit :

[traduction] 48. La formulation de YAZ est‑elle visée par les revendications du brevet 426? : Si l’on se fonde sur la description des comprimés du produit YAZ de Bayer, donnée dans le Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques, édition de 2011, aux pages 2863‑2867 (annexe C, document 13), cette formulation n’est pas visée par les revendications du brevet 426, car l’éthinylestradiol qui se trouve dans le produit YAZ est présent sous la forme d’un clathrate, c’est-à-dire d’un complexe d’inclusion moléculaire, avec du betadex, et cette dernière substance n’est pas mentionnée dans le brevet.

[91]           M. Jarosz explique ce qu’il entend par un clathrate ou un complexe d’inclusion moléculaire au paragraphe 308 de son affidavit :

[traduction] 308.     L’éthinylestradiol qui se trouve dans le produit YAZ est présent sous la forme d’un clathrate, c’est-à-dire d’un complexe d’inclusion moléculaire, avec du betadex. Le terme « clathrate » désigne un composé chimique dans lequel des molécules d’un constituant sont enfermées dans une cage de molécules d’un autre constituant. Le betadex, ou la bêta‑cyclodextrine, est un composé cyclique formé de sept unités de d‑glucopyranosyle liées en alpha‑(1‑4), selon la structure suivante (DIAGRAMME NON PRÉSENTÉ).

[92]           M. Jarosz a été contre‑interrogé à ce sujet. Je reprends ce qui figure aux pages 201‑202 de la transcription de son contre‑interrogatoire :

Q. Vous n’avez aucun souvenir précis d’avoir vu le CPS auparavant?

R. C’est exact.

Q. Et cette entrée concerne le produit YAZ?

R. Oui.

Q. Et on peut y lire… sous le titre « YAZ », on peut lire les mots « drospirénone‑éthinylestradiol », est-ce exact?

R. Oui.

Q. Et ensuite, sous la rubrique « Renseignements sommaires sur le produit », sous « Présentation et teneur », on peut lire qu’il est question d’un comprimé contenant 3,0 milligrammes de drospirénone et 0,020 milligramme d’éthinylestradiol, c’est bien cela?

R. Oui.

Q. Alors ce sont les deux ingrédients actifs de YAZ, n’est-ce pas?

R. Oui.

Q. Avant la formation d’un clathrate, il n’y a pas de réarrangement de la structure moléculaire d’un composé, est-ce exact?

R. Eh bien, il pourrait y avoir un certain réarrangement dans le clathrate, ce qui se passe autour de la molécule. Mais si vous voulez parler de la substance active, l’éthinylestradiol ne modifie pas l’entité moléculaire, mais il est possible qu’il se forme des liaisons avec la substance environnante.

Q. Ce n’est pas… c’est… le composé contient toujours de l’éthinylestradiol, oui?

R. Un clathrate contient de l’éthinylestradiol.

Q. D’accord. Donc, il ne serait pas erroné d’affirmer que les comprimés de YAZ contiennent de l’éthinylestradiol, n’est-ce pas?

R. Non, il ne serait pas erroné d’affirmer que YAZ contient de l’éthinylestradiol.

[93]           Apotex se fonde également sur la demande de brevet canadien no CA2432151 déposée le 20 décembre 2001 par Schering (aujourd’hui Bayer) aux termes du Traité de coopération en matière de brevets (PCT). Dans cette demande, l’un des inventeurs désignés est M. Wolfgang Heil, qui figure également parmi les inventeurs désignés dans le brevet 426, et qui a déposé un affidavit et a été contre‑interrogé relativement à la présente affaire. Cette demande concerne un clathrate contenant de l’éthinylestradiol dont on dit qu’il constitue une amélioration considérable par rapport aux compositions classiques. Étonnamment, M. Heil n’a pas été contre‑interrogé relativement à cette demande. Je considère toutefois que cette demande est d’une utilité limitée en l’espèce, car la question dont je suis saisi est celle de savoir si le clathrate est un « ingrédient médicinal » au sens du Règlement AC, et non celle de savoir s’il s’agit d’une amélioration considérable ou d’une entité distincte de l’éthinylestradiol.

[94]           Il n’existe rien dans la jurisprudence qui puisse être utile en l’espèce. On ne trouve aucune mention d’un clathrate ou d’un complexe moléculaire contenant de l’éthinylestradiol dans la description ou les revendications du brevet 426.

[95]           Dans la portion de la présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) déposée devant le Ministre par Apotex, on décrit les produits de comparaison Jasminelle et YAZ comme contenant de l’éthinylestradiol, et on emploie le même terme tout au long de la PADN malgré le fait qu’il soit écrit, dans une note sous un tableau de la section 3.2.P.2, que la composante éthinylestradiol des deux produits est [traduction] « stabilisée par du betadex dans un clathrate (complexe d’inclusion moléculaire) ».

[96]           Par conséquent, je juge, à la lumière de la preuve de M. Jarosz, de son contre‑interrogatoire et de la PADN d’Apotex, qu’il n’existe pas de distinction entre un clathrate contenant de l’éthinylestradiol et le terme plus simple d’éthinylestradiol, et que l’éthinylestradiol englobe le clathrate. Je note qu’Apotex, en présentant ses allégations de non-contrefaçon, n’a pas soulevé le fait que l’éthinylestradiol était en fait présent sous la forme d’un clathrate dans son produit.

[97]           Ainsi, étant donné la preuve qui, à mon avis, démontre que l’éthinylestradiol englobe la notion d’un clathrate contenant de l’éthinylestradiol aux fins de la présente affaire, je juge que l’inscription du brevet 426 n’était pas irrégulière.

XIII.       VALIDITÉ — ANTÉRIORISATION

[98]           Apotex allègue que les revendications en litige du brevet 426 sont invalides, parce que Bayer avait mené certains essais cliniques en Europe et aux États‑Unis plus d’un an avant le dépôt de la demande visant le brevet en cause, de sorte que ce qui était revendiqué était déjà à la fois divulgué et réalisé.

[99]           Je reprends une partie des allégations d’Apotex à cet égard :

[traduction]
Apotex allègue que, lors des essais de phase II menés d’environ janvier 1990 à septembre 1990 en Europe et des essais de phase III menés d’environ décembre 1992 à avril 1996 en Europe et d’environ décembre 1996 à juillet 1998 aux États‑Unis, le contraceptif oral du breveté était utilisé publiquement par les sujets des essais cliniques.

[…]

Aucune restriction n’avait été imposée aux sujets pour leur interdire de diffuser au public de l’information sur les comprimés de Bayer. De plus, les chercheurs, médecins et sujets étaient libres de divulguer à la population générale que les sujets utilisaient les comprimés de Bayer comme contraceptif oral et que ces comprimés contenaient 3 mg de drospirénone et 0,03 mg d’ÉE. Les chercheurs, médecins et sujets étaient également libres de montrer les comprimés de Bayer à la population générale.

Qui plus est, les chercheurs, médecins et sujets n’avaient pas signé d’entente de confidentialité ou, sinon, n’ont pas préservé le caractère confidentiel des trousses et du contenu de ces trousses.

De surcroît, certains sujets se sont retirés des essais et d’autres ne se sont pas rigoureusement conformés au schéma thérapeutique, de sorte que, intentionnellement ou non, certaines personnes ont omis de prendre un ou des comprimés de Bayer au cours des essais. Dans un cas comme dans l’autre, on n’a pas exigé de ces personnes qu’elles retournent les comprimés non utilisés à Bayer, et celles-ci ne l’ont effectivement pas fait.

Pendant toute la période pertinente, rien n’empêchait les sujets d’analyser ou de faire analyser les comprimés de Bayer.

[100]       Il n’a pas été allégué et il n’a pas été prouvé que les sujets de ces essais avaient été informés de la nature précise des ingrédients des comprimés. Il n’y a non plus aucune preuve que des sujets auraient effectivement analysé ou fait analyser des comprimés dans le but d’en connaître les ingrédients.

[101]       Bayer a déposé l’affidavit du Dr Marr, qui travaille chez Bayer depuis 2008 à la supervision du développement clinique de certains produits destinés à la santé des femmes. Le Dr Marr présente, en tant que dossiers d’entreprise, des documents portant sur les essais cliniques qu’il décrit comme étant des travaux de recherche expérimentale. Il souligne que les sujets avaient reçu des documents portant la mention « confidentiel » et qu’aucune information quant à la nature micronisée du médicament n’avait été divulguée. Les sujets devaient retourner tous les comprimés non utilisés.

[102]       Apotex a déposé la preuve de deux témoins experts, soit celle de M. Rosen, avocat américain spécialisé dans les domaines des soins de santé et de la réglementation aux États‑Unis, et celle du Dr Simon, médecin américain ayant une expérience de la réalisation d’études cliniques. Ces deux témoins ont présenté un témoignage d’opinion concernant les études cliniques menées par Bayer.

[103]       Il est possible de résumer la preuve déposée par M. Rosen en citant les paragraphes 42 et 57 de son affidavit, où il écrit ce qui suit :

[traduction]
42.       En conclusion, je crois que les chercheurs cliniques, les sujets et les sujets potentiels auraient tous été au courant des détails suivants au sujet de YASMIN :

a)         que le produit était un contraceptif oral contenant 3 mg de drospirénone et 0,03 mg d’ÉE;

b)         qu’il s’agissait d’un comprimé;

c)         que le produit était conditionné dans des plaquettes alvéolées de 21 comprimés actifs et de 7 comprimés placebos;

d)         que le produit était utilisé à des fins contraceptives.

[…]

57.       Par conséquent, à mon avis, rien n’empêchait les chercheurs cliniques de divulguer de l’information sur YASMIN aux trois groupes précités, et rien n’empêchait les sujets et les sujets potentiels de divulguer publiquement des détails concernant YASMIN. Ces renseignements à propos de YASMIN étaient connus des chercheurs cliniques, des sujets et des sujets potentiels, et n’étaient pas censés être confidentiels.

[104]       Il est possible de résumer l’opinion du Dr Simon en citant le paragraphe 35 de son affidavit :

[traduction] 35.       D’après mon expérience, peu importe les efforts entrepris par un chercheur clinique, aussi extraordinaires fussent-ils, il est impossible de s’assurer que toutes les plaquettes et tous les comprimés des contraceptifs oraux seront retournés; en fait, on perd la trace d’un grand nombre de comprimés. Par conséquent, un chercheur clinique n’a aucune idée de ce qu’il advient des comprimés disparus. D’après mon expérience, dans un essai clinique d’un contraceptif oral s’échelonnant sur treize cycles et auquel participent des centaines de sujets, il est inévitable que des plaquettes et des comprimés de contraceptif oral ne soient pas retournés aux chercheurs cliniques.

[105]       Les circonstances associées à ces études ont été examinées par la Cour de district américaine du district du New Jersey dans l’affaire Bayer Schering Pharma AG et al v Barr Laboratories, Inc, action civile no 05‑CV‑2308 (PGS), à l’issue de laquelle le juge Sheridan a rendu une longue décision datée du 3 mars 2008. Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel du circuit fédéral des États‑Unis (US CAFC) le 5 août 2009, no 2008‑1282, sans que cette question ne soit abordée.

[106]       Les circonstances associées à ces études ont également été examinées par la Chambre de recours technique de l’Office européen des brevets, no du recours T 0007/07‑3.3.2, dans une décision datée du 7 juillet 2011.

[107]       Je suis préoccupé par le fait que M. Rosen semble avoir ignoré l’existence des décisions rendues par la cour américaine et la Chambre de recours de l’Office européen des brevets. On peut lire à la page 14 de la transcription de son contre‑interrogatoire que M. Rosen a affirmé n’avoir examiné aucune décision juridique concernant la drospirénone, que ce soit aux États‑Unis ou ailleurs. Étant donné qu’une cour américaine et que la Chambre de recours de l’Office européen des brevets avaient rendu des décisions au sujet des circonstances en litige dans la présente instance, je suis déçu par le fait que M. Rosen n’ait pas tenté de déterminer si de telles décisions avaient été rendues et je n’arrive pas à comprendre comment cela aurait pu lui échapper.

[108]       Les motifs du jugement du juge Sheridan au sujet de l’utilisation publique alléguée sont présentés à la partie VII de ses motifs, de la page 71 à la page 82. Je reprends une partie de ses conclusions, présentées aux pages 78 et 81‑82 :

[traduction]
Barr n’a pas réussi à prouver de façon claire et convaincante que l’essai clinique américain était assimilable à un usage public et, par conséquent, ne peut invoquer l’invalidité du brevet au titre de l’alinéa 102b).

À supposer que Barr ait établi que l’essai clinique américain constituait une forme d’utilisation publique, l’alinéa 102b) ne s’applique toujours pas, parce que Bayer a réussi à établir que l’essai clinique américain était de nature expérimentale.

[…]

Barr n’a pas présenté de témoignage afin de répliquer aux déclarations du Dr Shulman et de Mme Heithecker, et n’a pas fait douter la Cour du bien‑fondé de l’interprétation de ces derniers, selon laquelle l’essai clinique américain était nécessaire pour qu’il soit possible d’étudier l’efficacité du médicament au sein d’une population plus diverse, comme celle des États‑Unis. L’envergure des essais cliniques qui ont été menés témoigne d’une hésitation à se limiter aux essais européens pour étayer l’efficacité de l’invention revendiquée.

Les essais réalisés en l’espèce révèlent que l’on cherchait toujours à déterminer si la formule revendiquée par le brevet 531 était efficace, et Barr n’a pas présenté de preuve pour répliquer aux déclarations de Mme Heithecker et des Drs Shulman et Ellman. Par conséquent, Barr n’a pas réussi à démontrer par des preuves claires et convaincantes qu’il y avait eu présentation sous une forme pratique.

[109]       En bref, le juge Sheridan a statué que les études de Bayer étaient expérimentales et que Barr n’a pu démontrer que l’essai clinique était public au sens de la disposition législative pertinente.

[110]       En revanche, la Chambre de recours de l’Office européen des brevets a jugé que, selon le droit applicable, si ne fût-ce qu’un seul membre du public n’étant pas astreint au secret avait un accès théorique à une certaine information, cette information deviendrait publique. Je répète ici une partie des motifs qui ont été rendus, aux pages 16 et 18 :

[traduction]
La défenderesse n’a pas contesté le fait que les essais cliniques avaient été menés avant la date de priorité et que les chercheurs principaux, mais non les sujets, avaient signé une entente de confidentialité. Les sujets ont été informés des ingrédients actifs présents dans le contraceptif, mais ignoraient que la drospirénone était micronisée. La défenderesse n’a pas non plus contesté le fait que le contraceptif oral utilisé dans cette étude comprenait toutes les caractéristiques de l’objet de l’invention, selon la revendication 1.

Selon la jurisprudence de la Chambre des recours, si un seul membre du public n’étant pas astreint au secret a un accès théorique à une certaine information, cette information est jugée accessible au public au sens du paragraphe 54(2) de la Convention sur le brevet européen.

La défenderesse a fait valoir que le médicament n’avait pas été rendu accessible au public avant la date de priorité, car selon la jurisprudence de la Chambre des recours, quiconque participe à un essai clinique est (implicitement) lié par une obligation de confidentialité.

La Chambre n’accepte pas l’interprétation de la jurisprudence que donne la défenderesse. Les deux décisions citées par la défenderesse (T0152/03, datée du 22 avril 2004, et T0906/01, datée du 28 septembre 2004) concernent des prototypes devant être implantés chez un petit nombre de patients. Par conséquent, même si les patients n’avaient pas signé d’entente de confidentialité, ils n’étaient pas en mesure de remettre les prototypes à un tiers ou de les examiner eux‑mêmes.

Il faut établir une distinction entre de tels essais et ceux auxquels participent un grand nombre de patients, à qui l’on remet des comprimés qu’ils doivent apporter à la maison et qu’ils doivent prendre sur une longue période. Une cour américaine a reconnu que les quantités inutilisées des médicaments expérimentaux n’étaient pas toujours retournées. Par conséquent, il semble que le défendeur n’avait dans les faits plus de contrôle sur les médicaments une fois ceux‑ci distribués, car rien n’empêchait les sujets de disposer des médicaments comme bon leur semblait.

Étant donné ces circonstances, la Chambre juge que le fait d’avoir remis les médicaments aux sujets a fait en sorte de les rendre accessibles au public.

[111]       En l’espèce, Bayer fait valoir que rien ne prouve, en fait, que toute personne étant associée aux études cliniques ait eu une information suffisante pour lui permettre de savoir exactement quels étaient les ingrédients des comprimés, et que rien ne prouve qu’une personne aurait effectivement analysé un comprimé ou aurait été susceptible de l’avoir fait. Je suis d’accord.

[112]       Bayer fait également valoir qu’elle avait pris des précautions raisonnables pour préserver la confidentialité de l’information jugée sensible et pour voir à ce que les sujets rapportent les comprimés inutilisés. Encore une fois, je suis du même avis.

[113]       L’avis du Dr Simon, en qualité d’expert, est qu’il est « inévitable » que des comprimés inutilisés ne soient pas retournés. Son avis ne concernait pas uniquement l’étude en cause dans la présente affaire, mais, comme il l’écrit au paragraphe 21 de son affidavit, il concernait aussi un essai clinique qui avait été mené au milieu des années 1990 aux États‑Unis, un essai ouvert auquel avaient participé 300 sujets. Si l’on poussait l’argument du Dr Simon à sa conclusion logique, il serait « inévitable » dans un grand nombre de tels essais que les comprimés ne soient pas tous retournés.

[114]       La preuve de M. Rosen est discutable, car celui‑ci n’a pas tenu compte des décisions de la cour américaine et de la Chambre de recours de l’Office européen des brevets et n’était apparemment pas au courant de leur existence.

[115]       Aucun élément de preuve ne démontre ni ne laisse même entendre que l’un des sujets de l’étude connaissait la composition pharmaceutique des comprimés ou avait les connaissances nécessaires pour être en mesure de déterminer celle‑ci à partir des comprimés qui lui avaient été fournis. Tout au mieux, nous avons l’hypothèse d’un avocat, selon qui, comme l’avait déterminé la Chambre de recours de l’Office européen des brevets, il existe une « possibilité théorique » qu’une telle analyse ait été effectuée.

[116]       Deux facteurs doivent être pris en compte dans la présente affaire au regard de la loi. Le premier concerne la question de savoir s’il y a eu une divulgation de l’invention qui était de nature à constituer une antériorisation au sens de l’alinéa 28.2(1)a) de la Loi sur les brevets, et le second concerne la question de savoir si l’on peut néanmoins invoquer une exception à cette disposition de la Loi, la divulgation ayant été réalisée dans un contexte expérimental.

[117]       En ce qui concerne le premier facteur, le juge Rothstein, alors juge de la Cour d’appel fédérale, a présenté, dans l’affaire Canwell Enviro‑Industries Ltd c Baker Petrolite Corp (2002), 17 CPR (4th) 478, une analyse très approfondie des exigences juridiques qui concernent la divulgation aux termes de l’alinéa 28.2(1)a) de la Loi sur les brevets. Je présente une version modifiée de ce qu’il a écrit aux pages 497 à 500 de la décision, où il énonce huit principes (non exhaustifs) :

1.         La vente au public ou l’utilisation par le public ne suffit pas à elle seule à prouver l’antériorité. Pour qu’il y ait antériorité au sens de l’alinéa 28.2(1)a), il est nécessaire de prouver qu’il y a eu divulgation de l’invention.

2.         Pour qu’une vente ou utilisation antérieure constitue une antériorité opposable à une invention, il doit s’agir d’une divulgation qui permet de réaliser celle‑ci (« enabling disclosure »).

3.         L’utilisation antérieure ou la vente antérieure d’un produit chimique permettra au public de réaliser l’invention s’il est possible d’en découvrir la composition au moyen d’une analyse.

4.         L’analyse doit pouvoir être faite par une personne versée dans l’art conformément aux techniques d’analyse connues et disponibles à la date pertinente.

5.         En ce qui concerne l’antériorité au sens de l’alinéa 28.2(1)a), dans les cas où un procédé de rétroingénierie est nécessaire et permet de découvrir l’invention, une invention devient accessible au public lorsqu’un produit qui la renferme est vendu à un membre du public qui peut l’utiliser comme bon lui semble.

6.         Il n’est pas nécessaire de démontrer qu’un membre du public a effectivement analysé le produit qui a été vendu.

7.         Le temps et l’énergie consacrés à l’analyse ne permettent pas de déterminer de façon concluante si une personne compétente aurait pu découvrir l’invention. Le facteur pertinent à cet égard est uniquement la question de savoir si l’exercice d’un génie inventif était nécessaire. Il doit y avoir des éléments de preuve à partir desquels l’exercice d’un génie inventif peut être déduit. La complexité de la tâche ou le temps et le travail nécessaires ne suffisent pas à eux seuls.

8.         Il n’est pas nécessaire que le produit faisant l’objet de l’analyse soit susceptible de reproduction exacte. C’est l’objet des revendications du brevet (l’invention) qui doit être divulgué à l’aide de l’analyse. La nouveauté de l’invention revendiquée sera détruite s’il y a eu divulgation d’une variante visée par la revendication.

[118]       En appliquant ces principes à la présente espèce, je juge qu’il a été établi qu’il existe une possibilité « théorique » qu’un comprimé ait été conservé et analysé; par conséquent, les exigences de l’alinéa 28.2(1)a) de la Loi sur les brevets sont remplies.

[119]       Toutefois, cela ne règle pas la question. En droit canadien, il est établi depuis longtemps qu’une utilisation expérimentale dans le but de perfectionner une invention ne constitue pas une utilisation publique (Conway c Ottawa Electric Railway Co, (1904), 8 ExCR 432, à la page 442; Gibney c Ford Motor Co of Canada, [1967] 2 ExCR 279, au paragraphe 49, en citant l’affaire Elias c Grovesend Tinplate Co (1890), 7 RPC 455, à la page 466). Cela s’applique notamment lorsque, par nécessité, l’expérience doit être effectuée au sein du public.

[120]       L’on peut voir une application pratique du principe de l’utilisation expérimentale dans la décision rendue par la Cour (juge Tremblay‑Lamer) dans l’affaire Hi‑Qual Manufacturing Ltd c Rea’s Welding Supplies Ltd (1994), 55 CPR (3rd) 224, conf. par 61 CPR (4th) 270 (CAF), où un agriculteur avait placé un distributeur de fourrage avec lequel il effectuait des expériences à l’arrière de sa ferme et où il est possible que l’engin ait été aperçu par un livreur. La juge Tremblay‑Lamer a écrit ce qui suit aux pages 238‑239 de sa décision :

L’avocat de la défenderesse soutient que le demandeur a construit et utilisé son distributeur de fourrage dans sa ferme dès février 1983. Les demandeurs soutiennent que l’appareil a été construit à l’extérieur, dans l’enclos de bétail, mais que l’endroit était protégé et caché à la vue du public.

Les photographies de la propriété montrent que le distributeur de fourrage se trouvait en effet dans un endroit protégé et qu’il n’y avait sur les voies publiques alentour aucun point d’où l’on pourrait le voir clairement. D’après les témoignages, le seul témoin oculaire possible était le livreur de mazout vu la hauteur de son camion‑citerne. Ce point n’est cependant pas confirmé puisque le livreur de mazout ne témoignait pas au procès.

Par surcroît, je conclus du témoignage de M. Delichte, en qui je vois un témoin crédible, que pendant cette période qui précédait la publication de l’article en 1985, il expérimentait encore.

[…]

Ainsi que l’a fait remarquer le juge Noël dans Gibney et al. v. Ford Motor Co of Canada Ltd., en page 297 :

[traduction]
Je dirais qu’il faut user de bon sens lorsqu’on examine les moyens employés par l’inventeur pour parfaire son invention et, partant, pour s’assurer qu’un appareil inachevé n’est pas breveté; pourvu qu’il expérimente, il ne faut pas accorder trop d’importance aux moyens employés.

En effet, l’inventeur solitaire a tout autant droit qu’une grande compagnie à la protection de son invention, et qu’il soit ou non un inventeur à plein temps ou professionnel, il a tout autant droit à ce qu’il invente.

L’avocat de la défenderesse soutient aussi que le demandeur faisait un usage commercial du distributeur de fourrage parce qu’il vendait le bétail servant à l’expérimentation. Je n’accepte pas cet argument. Pour essayer son appareil, M. Delichte n’avait d’autre choix que de se servir du bétail de sa ferme, puisque celui‑ci faisait partie de son exploitation et devait être vendu à un moment donné. On ne saurait dire, à mon avis, qu’il y avait là usage commercial de son invention.

[121]       En l’espèce, les études cliniques étaient nécessaires pour prouver que le médicament était sans danger et efficace et, partant, pour que le gouvernement en autorise la vente. Aucune vente du médicament ne pouvait se faire tant que l’innocuité et l’efficacité du produit n’avaient pas été démontrées. Bayer a pris des mesures raisonnables pour préserver la confidentialité des documents pertinents et pour faire en sorte que les comprimés non utilisés lui soient retournés. La possibilité théorique que certains comprimés aient été conservés et analysés n’est justement que théorique. Cette possibilité théorique n’empêche pas le fait que les études étaient expérimentales et que c’est par nécessité que les comprimés ont été remis à des membres du public. Par conséquent, ces études cliniques ne constituent pas une forme d’utilisation publique.

[122]       Je juge que les allégations d’Apotex, selon lesquelles les études cliniques constituent une antériorisation des revendications en litige, sont non fondées.

XIV.       VALIDITÉ — AMBIGUÏTÉ/INSUFFISANCE

[123]       En bref, Apotex allègue que la revendication 31 du brevet 426 est ambiguë/insuffisante, car une personne versée dans l’art ne pourrait pas déterminer s’il est possible qu’une composition autre qu’un comprimé renfermant 3 mg de drospirénone possède le profil de dissolution énoncé dans cette revendication. Plus particulièrement, Apotex allègue que la revendication 31 vise des compositions comprenant d’environ 2 mg à environ 4 mg de drospirénone, mais que le test de dissolution qui est décrit dans le brevet ne concerne que des comprimés de 3 mg. Elle allègue également que la revendication 31 vise des compositions qui se présentent sous forme liquide ou en comprimés ou en gélules, mais que le test de dissolution qui est décrit dans le brevet ne concerne que des comprimés.

[124]       Dans l’affaire Cobalt, j’ai abordé la question des allégations relatives à l’ambiguïté et à l’insuffisance soulevées par Cobalt aux paragraphes 101 à 106 des motifs de mon jugement (2013 CF 1061). Ces allégations concernaient diverses « ambiguïtés » ou « insuffisances » soulevées par Apotex dans la présente affaire. Il est à noter qu’en soulevant ces allégations, qui sont différentes les unes des autres, Apotex et Cobalt semblent chercher davantage à voir ce qu’elles peuvent obtenir qu’à soulever de réelles ambiguïtés ou insuffisances. Cobalt n’a jamais cru que le fait que les analyses avaient été effectuées avec une quantité de 3 mg empêcherait une revendication visant une quantité de 2 mg à 4 mg, et elle n’a jamais cru que la revendication 31 visait autre chose que des comprimés.

[125]       Pour étayer sa position, Apotex ne se fonde pas sur la preuve qu’elle a présentée, mais critique plutôt la preuve présentée par Bayer par l’intermédiaire de M. Davies.

[126]       À la lumière de la preuve présentée par M. Davies, et en particulier des paragraphes 385 à 387 de son affidavit, je suis tout à fait convaincu que les allégations d’Apotex à cet égard ne sont pas fondées.

XV.          VALIDITÉ — AUTRES ALLÉGATIONS

[127]       Lors de l’audience, l’avocat d’Apotex a abandonné tous les arguments relatifs à la portée excessive; il ne subsiste donc plus aucun argument.

XVI.       CONCLUSION ET DÉPENS

[128]       En conclusion, je juge que l’allégation d’Apotex quant à l’absence de contrefaçon est fondée et que la présente demande doit être rejetée. Je juge que les allégations d’Apotex quant à l’invalidité ne sont pas fondées, mais cela n’a aucune incidence sur le rejet de la demande.

[129]       Bien qu’Apotex ait réussi à faire rejeter la demande, elle n’a réussi qu’en ce qui concerne la question de l’absence de contrefaçon. Par conséquent, sous réserve des modalités suivantes, Apotex n’est fondée à obtenir que la moitié de ses honoraires et débours taxables, calculés selon le nombre d’unités médian de la fourchette prévue à la colonne IV. Les principes suivants s’appliqueront au calcul des honoraires et débours :

  • les honoraires et débours ne seront accordés pour nul autre témoin expert que M. Cima, et les honoraires admissibles ne pourront excéder ceux de l’avocat principal d’Apotex pour un même nombre d’heures;
  • les honoraires d’un avocat principal et d’un avocat adjoint sont accordés pour l’instruction;
  • les honoraires sont accordés pour un seul avocat par contre‑interrogatoire, selon ce qui est prévu pour un avocat principal.

« Roger T. Hughes »

Juge

Toronto (Ontario)

Le 7 mai 2014

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

S. Tasset


COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1579‑12

 

 

INTITULÉ :

BAYER INC ET BAYER PHARMA AKTIENGESELLSCHAFT c
APOTEX INC ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

les 28 et 29 avril 2014

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT :

LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :

le 7 mai 2014

COMPARUTIONS :

 

Peter Wilcox

Lindsay Neidrauer

Ariel Neuer

 

 

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

 

Andrew Brodkin

Jenene Roberts

POUR LA DÉFENDERESSE APOTEX INC

 

 

 

Aucune comparution

POUR LE DÉFENDEUR MINISTRE DE LA SANTÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bellmore Neidrauer LLP

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDERESSES

 

 

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE APOTEX

 

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

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