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Date : 20140526


Dossier :

IMM-2130-13

Référence : 2014 CF 497

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 26 mai 2014

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

ATTILANE DJUBOK

JOZSEF VARADI, REPRÉSENTÉ PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE ATTILANE DJUBOK

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Attilane Djubok et son fils, Jozsef Varadi, demandent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté leur demande d’asile au motif qu’une protection de l’État adéquate leur était offerte en Hongrie.

[2]               Je conviens avec les demandeurs que la Commission a commis une erreur en ne prenant pas dûment en considération le risque auquel Mme Djubok était exposée en Hongrie en raison de sa qualité de femme rom victime de violence familiale grave. Je conclus également que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte du risque auquel était exposé Jozsef, en tant que citoyen rom de la Hongrie souffrant d’un retard de développement.

[3]               Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

I.                   Faits

[4]               Mme Djubok a commencé à fréquenter Jozsef Varadi père en 1996. La relation est rapidement devenue violente, et la Commission semble avoir retenu que Mme Djubok avait été soumise pendant quelque 15 années à une horrible violence physique, sexuelle et psychologique aux mains de son ex‑conjoint.

[5]               À la suite d’actes de violence commis par M. Varadi, Mme Djubok a dû être hospitalisée en 1998. Elle a dénoncé M. Varadi à la police, et son agresseur a été inculpé et gardé en détention pendant sept ou huit jours.

[6]               Mme Djubok a fini par laisser tomber les accusations contre M. Varadi à cause des menaces et de l’intimidation dont elle était victime : M. Varadi et sa famille menaçaient de brûler sa maison avec ses enfants à l’intérieur. Après que Mme Djubok eut retiré les accusations, M. Varadi a été libéré et est revenu vivre avec Mme Djubok et ses enfants. Mme Djubok affirme que la violence s’est aggravée après cet épisode.

[7]               Après que Mme Djubok eut retiré ses accusations contre M. Varadi, elle a été elle-même accusée d’entrave à la justice par la police et mise en probation pendant 80 jours. Mme Djubok dit qu’après cet incident, elle craignait que la police ne prenne pas au sérieux ses plaintes de violence familiale et elle n’a donc plus cherché à obtenir l’aide de la police.

[8]               Mme Djubok, M. Varadi et Jozsef sont venus au Canada en 2011. Ils ont ensuite demandé l’asile en se fondant sur la persécution alléguée qu’ils subissaient en Hongrie en raison de leur origine ethnique rom.

[9]               Mme Djubok espérait que la situation s’améliorerait au Canada, mais M. Varadi a continué de l’agresser. Il a également commencé à agresser Jozsef – ce qui, de toute évidence, ne se produisait pas quand la famille vivait en Hongrie.

[10]           En janvier 2012, M. Varadi a frappé Jozsef au cours d’une querelle. C’est évidemment la goutte qui a fait déborder le vase pour Mme Djubok, qui a quitté la demeure familiale en emmenant Jozsef. M. Varadi a été accusé de voies de fait, et une ordonnance de non‑communication a été rendue contre lui. Depuis, M. Varadi a communiqué au moins une fois avec Mme Djubok et lui a proféré des menaces, tentant de la persuader de retirer les accusations à son endroit. Il semble que les accusations criminelles portées contre M. Varadi soient toujours en instance.

[11]           Après sa séparation, Mme Djubok a dissocié sa demande d’asile et celle de son fils de celle de M. Varadi. Devant la Commission, Mme Djubok a fondé sa demande sur la crainte d’être exposée encore à la violence familiale et aux représailles de M. Varadi et de sa famille.

[12]           Mme Djubok a également affirmé que Jozsef courait un risque aux mains de son père et qu’il était aussi exposé à la persécution en Hongrie en tant que Rom souffrant d’un retard de développement. À l’appui de ce dernier aspect de la demande, des éléments de preuve ont été produits relativement à la marginalisation dont Jozsef faisait l’objet dans une école pour élèves ayant des « besoins particuliers » en Hongrie, et l’intimidation dont il était victime en tant qu’élève rom souffrant d’un retard de développement.

II.                Décision de la Commission

[13]           La Commission n’a pas remis en question la crédibilité du récit de Mme Djubok, et semble avoir retenu que celle‑ci avait bel et bien été longtemps victime de violence familiale grave aux mains de M. Varadi. La question déterminante pour la Commission était la protection de l’État que Mme Djubok et Jozsef pouvaient obtenir en Hongrie.

[14]           Après avoir examiné les renseignements sur la situation en Hongrie pour les Roms et les victimes de violence familiale, la Commission a conclu qu’une protection de l’État adéquate serait offerte tant à Mme Djubok qu’à Jozsef en Hongrie.

III.             Appréciation de la demande d’asile de Mme Djubok

[15]           La Commission a fait une longue analyse de la situation en Hongrie et de la disponibilité de la protection de l’État pour la population rom de ce pays. C’était en quelque sorte une analyse faite à la chaîne ou préfabriquée, comme le confirme l’utilisation répétée du pronom masculin par la Commission pour désigner Mme Djubok.

[16]           Bien qu’elle ait reconnu que la situation était sombre pour les Roms, et que certains Roms étaient bel et bien persécutés en Hongrie, la Commission a conclu en définitive que la protection de l’État était disponible pour la population rom de la Hongrie.

[17]           La Commission a également examiné la disponibilité de la protection de l’État en Hongrie pour les victimes de violence familiale. Elle a fait observer que la loi hongroise ne prohibait pas expressément la violence familiale, et qu’aucun protocole n’était en place ni aucune formation offerte pour aider les policiers hongrois à traiter les cas de violence familiale. La Commission a jouté que le gouvernement avait récemment réduit le nombre de refuges pour les victimes de violence familiale financés par l’État. La Commission a néanmoins conclu qu’une protection de l’État adéquate était offerte aux victimes de violence familiale en Hongrie.

[18]           La difficulté que pose l’appréciation de la Commission tient à ce que les divers aspects du profil de risque de Mme Djubok semblent avoir été abordés isolément par la Commission, qui n’a jamais examiné comment, le cas échéant, les divers facteurs de risque se recoupaient ou se combinaient d’une manière qui pouvait influer sur le niveau de risque de Mme Djubok. La Commission a examiné le risque auquel Mme Djubok était exposée en tant que Rom et le risque auquel elle était exposée en tant que victime de violence familiale, mais n’a jamais vraiment pris en considération ni apprécié le risque auquel Mme Djubok était exposée en Hongrie en tant que femme rom victime de violence familiale grave.

[19]           Bien qu’elle ait accepté et retenu l’argument de l’avocat selon lequel les facteurs de risque devaient être examinés cumulativement en l’espèce, la Commission n’a pas vraiment procédé de cette façon. Le défaut d’aborder l’intersectionnalité des facteurs de risque de Mme Djubok constitue une erreur : voir Gorzsas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 458, au paragraphe 36, 346 F.T.R. 169.

[20]           Le défaut de la Commission de tenir compte de la nature interreliée des facteurs de risque constitue un vrai problème en l’espèce, car les éléments de preuve qui ont été présentés à la Commission démontrent que les femmes roms victimes de violence familiale forment un groupe particulièrement vulnérable ayant un profil de risque distinct en Hongrie.

[21]           En fait, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a préparé une Réponse à la demande d’information (RDI) portant expressément sur la vulnérabilité particulière de ce groupe. Ce document indique que la violence familiale est considérée comme une pratique socialement acceptable dans bon nombre de communautés roms, et que les femmes qui se plaignent de subir de la violence familiale risquent fort d’êtres méprisées et punies par leur propre communauté.

[22]           Selon la RDI, seulement 21 p. 100 des femmes roms victimes de violence familiale demandent l’aide de la police. Le même rapport révèle que, parfois, la police ne répond pas aux appels en provenance des communautés roms. En outre, quand la police répond à un appel à l’aide, elle peut mettre beaucoup de temps à intervenir.

[23]           Chose encore plus importante en l’espèce, la RDI révèle que la police hongroise intervient efficacement dans un cas sur sept seulement de violence familiale contre les femmes roms, une statistique reprise dans d’autres renseignements sur la situation en Hongrie présentés à la Commission.

[24]           Il est vrai que la Commission n’a pas à mentionner chaque élément de preuve au dossier, et qu’elle sera présumée avoir pris en considération tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés : voir, par exemple, l’arrêt Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317, [1992] A.C.F. no 946 (CAF). Cela étant dit, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée ni analysée expressément dans les motifs de la Commission est importante, plus une cour de justice sera disposée à inférer que la Commission a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments de preuve : voir la décision Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, aux paragraphes 14 à 17, [1998] A.C.F. n1425.

[25]           En l’espèce, les éléments de preuve en question concernaient directement la question centrale de l’affaire et contredisaient directement la conclusion de la Commission selon laquelle une protection de l’État adéquate serait offerte en Hongrie à une femme ayant le profil de risque particulier de Mme Djubok. Dans ces circonstances, la Commission avait l’obligation de se pencher sur ces éléments de preuve, et le défaut de le faire constitue une erreur susceptible de contrôle.

IV.             Appréciation de la demande d’asile de Jozsef

[26]           La Commission a reproduit cette erreur dans son appréciation de la demande d’asile de Jozsef. Non seulement la Commission a omis d’examiner si une protection de l’État adéquate serait offerte en Hongrie à un enfant rom victime de mauvais traitements, elle a également omis de tenir compte du risque auquel Jozsef était exposé en tant citoyen rom de la Hongrie souffrant d’un retard de développement.

V.                Conclusion

[27]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Je conviens avec les parties que l’affaire ne soulève pas de question aux fins de certification.

 


JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un tribunal constitué différemment pour qu’une nouvelle décision soit rendue conformément aux présents motifs.

« Anne L. Mactavish »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2130-13

 

INTITULÉ :

ATTILANE DJUBOK, JOZSEF VARADI REPRÉSENTÉ PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE ATTILANE DJUBOK c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 MAI 2014

 

jugEment ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 MAI 2014

 

COMPARUTIONS :

Aadil Mangalji

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Leanne Briscoe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Long Mangali LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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