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Date : 20140523


Dossier : T-1028-13

Référence : 2014 CF 488

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), 23 mai 2014

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

MARCUS BRAUER

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le major Marcus Brauer est au service des Forces canadiennes (les FC) depuis 1988. Au cours des 26 années en question, il a été affecté à Sault-Sainte-Marie, à Ottawa, à Saint-Jean-sur-Richelieu, à Petawawa, en Afghanistan, à Borden, à Edmonton et à Halifax. Son épouse et lui ont cinq enfants, âgés de quatre à treize ans. Leur dernier déménagement, à Halifax, s’est soldé par une perte de 88 000 $ pour la famille en raison de la vente de leur maison à Bon Accord, près d’Edmonton. Cette perte été compensée en partie par l’indemnité de 15 000 $ prévue par la Directive du programme de réinstallation intégrée des Forces canadiennes (2009) (Directive du PRIFC). Le major Brauer soutient que le plein montant de la perte subie par la famille devrait lui être remboursé en vertu de la Directive du PRIFC, étant donné que Bon Accord était, lorsqu’ils ont dû vendre leur maison en raison de sa mutation à Halifax, un « secteu[r] où le marché de la vente de maisons est faible » (ou « marché déprimé ») au sens de l’article 8.2.13 de la Directive du PRIFC.

[2]               La Cour est saisie d’une demande, présentée par le major Brauer en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision en date du 17 juillet 2012 par laquelle le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada (le SCT) a refusé de désigner Bon Accord comme un « secteu[r] où le marché de la vente de maisons est faible » et d’autoriser par conséquent le remboursement à la famille de la totalité de ses pertes financières.

[3]               Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie.

I.                   CONTEXTE

[4]               Le demandeur a été muté à la base des Forces canadiennes d’Edmonton en 2007 alors qu’il travaillait à la base des Forces canadiennes de Borden. Cette mutation a eu lieu à la suite de sa promotion au rang de major. À l’époque, le demandeur et sa femme avaient trois enfants et ils en attendaient un autre. Préoccupé par les coûts de logement à Edmonton, le demandeur a écrit à son gestionnaire des carrières pour demander une affectation en Ontario ou sur la côte Est :

[traduction]

« Après avoir procédé à un examen préliminaire des répercussions qu’aurait sur ma famille une affectation à EDMONTON, j’ai relevé plusieurs problèmes qui seraient minimisés s’il était possible d’obtenir une affectation à un endroit plus rapproché. Voici les problèmes que j’ai constatés :

[…]

d. Coûts de logement à EDMONTON : une maison convenable coûtera, au bas mot, entre 400 000 et 450 000 $ pour trois enfants et deux animaux de compagnie, ce qui dépasse de beaucoup nos moyens. Par ailleurs, aucun logement familial n’est présentement disponible (la liste d’attente est longue). Ces contraintes financières exacerberaient une situation déjà stressante.

[5]               On a répondu au major Brauer que, s’il ne déménageait pas en Alberta, il ne pourrait conserver son rang et qu’il serait probablement affecté à la base des Forces canadiennes d’Edmonton de toute façon. En préparation à son déménagement, il a demandé qu’on lui fournisse un logement locatif sur la base, mais il y avait une liste d’attente de deux ans pour les logements familiaux. Par ailleurs, le loyer demandé par des civils pour un appartement était supérieur à une mensualité hypothécaire. Le major Brauer et sa femme ont estimé que leur seule option viable était d’acheter une maison. Le 5 juin 2007, ils ont acheté une maison modeste de deux étages à Bon Accord, en Alberta, pour 405 000 $.

[6]               Bon Accord est situé à 40 kilomètres au nord d’Edmonton. Suivant le témoignage non contredit du major Brauer, [traduction] « la municipalité de Bon Accord compte une population d’environ 1 500 habitants et possède son propre conseil municipal, son propre maire et ses propres services municipaux ».

[7]               En 2010, le major Brauer a été muté à la base des Forces canadiennes d’Halifax. Le 26 avril 2010, la vente de la maison de Bon Accord a été confiée à un agent immobilier et le prix de vente suggéré était de 349 000 $. Ce prix était inférieur de 46 000 $ à celui qu’avait payé la famille. Le 4 mai 2010, le prix de vente a été ramené à 329 000 $. Le major Brauer et son agent immobilier ont expliqué que cette réduction de prix s’expliquait par le fait que le marché immobilier de Bon Accord avait connu une baisse spectaculaire depuis 2008 après qu’on eut annoncé que la mise en chantier de projets industriels de plusieurs milliards de dollars prévus pour la région avait été mise en suspens, peut‑être de façon permanente. La maison a finalement été vendue 317 000 $, ce qui a entraîné une perte de 88 000 $ pour le major Brauer et sa famille. Cette perte a eu des conséquences catastrophiques sur la situation financière de la famille, qui n’avait pas la capacité de l’absorber.

[8]               Le 10 mai 2010, le major Brauer a fait parvenir au Directeur – Rémunération et avantages sociaux (Administration) (le DRASA) des FC une demande de garantie de remboursement de pertes immobilières (GRPI) supérieure au maximum généralement applicable de 15 000 $ prévu par la Directive du PRIFC. Conformément à la Directive du PRIFC (voir l’annexe A ci‑jointe), le major Brauer a joint à sa demande une analyse du marché de Bon Accord préparée par un membre de l’équipe de son agent immobilier, M. Brad Redekopp, qui expliquait que le marché immobilier de Bon Accord avait chuté de 23,11 p. 100 en raison d’une conjoncture propre à cette région. Il a fait observer qu’alors que 30 maisons avaient été vendues à Bon Accord en 2007, et 40 en 2008, seulement six avaient été vendus en date de mai 2010. L’agent immobilier a passé en revue les facteurs économiques locaux qui avaient eu pour effet de fragiliser le marché immobilier de Bon Accord en 2010. Parmi ces facteurs, mentionnons l’annonce du report de la mise en chantier d’un pipeline local et de la construction de l’usine de traitement de Suncore et de Petro-Canada, en raison de la crise mondiale du crédit, du prix du brut, qui était en chute libre, et de l’augmentation générale des coûts.

[9]               Le 1er juin 2010, la demande du major Brauer a été transmise à un arbitre du DRASA. Le 9 juillet 2010, l’arbitre du DRASA a refusé la demande présentée par le major Brauer en vue de se faire rembourser la totalité de sa perte immobilière dans le cadre de la GRPI. L’arbitre du DRASA a fait observer que [traduction] « [...] le SCT a informé le DRASA qu’il n’y a au Canada aucun endroit ayant été désigné comme secteur où le marché de la vente de maisons est faible et qu’il n’y en a jamais eu. La demande présentée par [le plaignant] en vue de se faire rembourser la totalité de sa perte immobilière à partir de son enveloppe de financement de base est par conséquent refusée ».

[10]           Le major Brauer a déposé un grief à l’égard de cette décision auprès du Directeur général - Autorité des griefs des Forces canadiennes (le DGAGFC) le 13 juillet 2010. Il a demandé que la décision du DRASA soit infirmée, en faisant valoir notamment qu’on lui avait opposé un refus général et que sa demande n’avait pas été examinée par le SCT, contrairement à ce que prévoit la Directive du PRIFC.

[11]           Dans une lettre datée du 15 septembre 2010, l’autorité de première instance a fait observer que le Ministère n’avait pas le pouvoir de modifier la Directive du PRIFC ou d’accorder un montant plus élevé que celui qui est prévu, ajoutant qu’aucun endroit n’avait pas été désigné comme secteur où le marché de la vente de maisons est faible en 2010. L’autorité de première instance a également déclaré ce qui suit :

[traduction]

Comme le grief concerne une question prévue par règlement du gouverneur en conseil, le grief est classé sans suite. Il convient d’informer le plaignant qu’une demande visant à modifier une politique ou une décision du SCT doit être présentée par les autorités compétentes en respectant la chaîne de commandement.

[12]           Le 10 octobre 2010, le major Brauer a demandé à l’autorité de dernière instance, en l’occurrence le chef d’état-major de la défense (le CEMD), de trancher la question. Le CEMD a déféré le grief au Comité des griefs des Forces canadiennes ((le Comité ou le CGFC) pour qu’il formule ses conclusions et ses recommandations. Le Comité a demandé des renseignements complémentaires au DRASA, qui a répondu ce qui suit le 11 mars 2011 :

[traduction]

Pour pouvoir payer l’indemnité réclamée, il nous faudrait un document confirmant qu’Edmonton est un secteur où le marché de la vente de maisons est faible. La politique prévoit qu’à moins d’une déclaration contraire, un lieu n’est considéré comme un secteur où le marché de la vente de maisons est faible que si le SCT le désigne ainsi. Le fait qu’il n’existe aucun tel document démontre qu’Edmonton n’est pas un secteur où le marché de la vente de maisons est faible. Nous avons bel et bien demandé au SCT de désigner Edmonton comme un secteur où le marché de la vente de maisons est faible, le SCT a examiné notre demande et, compte tenu du fait que le marché à Edmonton a connu une baisse de moins de 12 p. 100, le SCT a conclu qu’Edmonton n’était pas un secteur où le marché de la vente de maisons est faible. Nous avons été informés de cette décision tant de vie voix que par courriel. Le courriel en question est joint à la présente et nous vous invitons à en prendre connaissance. [Caractères gras dans l’original.]

[13]           Ainsi que le Comité l’a expliqué,

[traduction]

[l]e courriel mentionné par le DRASA 2‑2 est un bref échange entre le DRASA et un fonctionnaire de SCT en date du 21 mai 2009 dans lequel le fonctionnaire du SCT déclare : [traduction] « La région d’Edmonton n’est pas considérée comme une région où le marché de la vente de maisons est faible [...] »

Le DRASA 2-2 a poursuivi en déclarant qu’à la suite du courriel du 21 mai 2009, le SCT l’avait informé de vive voix qu’il n’y avait aucun endroit au Canada ayant été désigné comme un secteur où le marché de la vente de maisons était faible. La date de cette communication « de vive voix » du SCT n’a pas été précisée, mais il convient de signaler que deux années se sont écoulées depuis que ce bref courriel a été transmis au DRASA.

[14]           Le Comité a conclu que ce qui suit :

[traduction]

Le plaignant a monté un dossier solide qu’il a soumis au DRASA en vue de se faire rembourser 100 p. 100 de sa perte immobilière à partir de son enveloppe de financement de base 100 p. 100 plutôt que le montant maximal de 15 000 $ prévu. Il a notamment soumis une analyse fouillée, effectuée par son agent immobilier, au sujet du marché de la vente de maisons (p. 1 à 83). Vu la preuve soumise (p. 1 à 83), je suis convaincu que l’analyse du marché démontre clairement que la communauté de Bon Accord était effectivement un secteur où le marché de la vente des maisons était faible, ce qui correspond précisément au genre de situation visée par la politique relative à la GRPI. La communauté de Bon Accord aurait par conséquent dû être considérée comme un secteur où le marché de la vente des maisons est faible, ce qui aurait permis au plaignant de se faire rembourser la totalité de sa perte.

[…]

Un membre du personnel du Comité a demandé qu’on lui transmette une copie de la déclaration du SCT suivant laquelle la région d’Edmonton n’était pas un secteur où le marché de la vente de maisons était faible en 2010. En réponse, le DRASA 2‑2 a fourni une copie d’un courriel d’un membre du personnel du SCT où il était écrit ceci : [traduction] « La région d’Edmonton n’est pas considérée comme un secteur où le marché de la vente des maisons est faible. Veuillez noter que nous ne désignons pas une rue ou une adresse comme un secteur où le marché de la vente des maisons est faible, et que la désignation vaut pour le secteur et n’a lieu que si le marché a baissé de plus de 20 p. 100 » (p. 202). Je constate que ce courriel du 21 mai 2009 n’est tout simplement pas à jour et qu’il ne peut être invoqué pour confirmer la situation qui existait en 2010. Je prends acte du fait que le DRASA 2‑2 déclare également ceci : [traduction] « Par suite de la note de service susmentionnée, le SCT a informé le DRASA de vive voix qu’il n’y avait aucun endroit au Canada ayant été désigné comme un secteur où le marché de la vente de maisons est faible » (p. 201). Toutefois, cette déclaration verbale ne précise pas l’année à laquelle elle s’applique et, en tout état de cause, une déclaration faite de vive voix par des membres non précisés du personnel du SCT n’a aucune valeur probante, pas plus d’ailleurs, à mon avis, qu’un courriel informel.

[…]

Je suis conscient du fait que le mot « communauté » n’est pas défini par la politique et que le CEMD a reconnu ce fait et a demandé au Directeur général – Rémunération et avantages sociaux (le DGRAS) de travailler en collaboration avec le SCT pour corriger cette lacune. Toutefois, aux fins du présent dossier, Bon Accord constitue certainement une communauté en bonne et due forme; elle compte un maire et 1 500 citoyens, et est située à une quarantaine de kilomètres d’Edmonton. Le plaignant a soumis des arguments convaincants pour expliquer comment les prix avaient chuté de plus de 20 p. 100. À mon avis, le DGRAS n’a pas suivi la politique du SCT dans le cas qui nous occupe. Le dossier aurait dû être soumis au SCT et, compte tenu de la situation du plaignant et de l’ampleur de la perte qu’il a subie, on se serait attendu à ce que le DGRAS défende plus vigoureusement la cause du plaignant.

[…]

En résumé, le plaignant affirme avoir essuyé une perte de plus de 90 000 $, ce qui constitue une somme considérable pour tout membre des FC. Les conséquences catastrophiques que cette perte a eues sur sa famille sont expliquées de façon éloquente et convaincante dans la déclaration relative aux impacts que l’épouse du plaignant a rédigée pour le CEMD (p. 116 à 118). Le demandeur et sa femme étaient sur le point de déclarer faillite et le plaignant a expliqué que si sa demande était finalement rejetée, il ne pourrait continuer à servir au sein des FC malgré son désir sincère de continuer à le faire.

[15]           Le Comité a conclu que le DRASA n’avait pas donné suite au dossier soumis par le major Brauer et par son agent immobilier contrairement à ce qu’exigeait l’article 8.2.13 de la Directive du PRIFC en ne transmettant pas le dossier au SCT pour qu’il l’examine. Le Comité avait déjà traité de demandes de GRPI dans de nombreux dossiers et avait recommandé systématiquement au CEMD qu’il [traduction] « ordonne le réexamen de la politique relative à la GRPI applicable aux membres des FC […] en tenant compte de la situation actuelle du marché en vue de réduire l’impact des pertes [...] ». Le Comité a par conséquent accueilli en partie le grief du major Brauer et a notamment recommandé que la demande de GRPI du major Brauer, qui reçoit le plein appui des FC, soit transmise au SCT conformément à la Directive du PRIFC.

[16]           Le CEMD, le général Walter Natynczyk, a accepté cette recommandation. Dans une lettre datée du 19 septembre 2011, le général Natynczyk a fait partiellement droit au grief du major Brauer. Il a écrit qu’il n’avait pas le pouvoir d’accorder une réparation pour corriger la situation du major Brauer, mais qu’il ordonnerait au DGRAS de transmettre le dossier relatif à la GRPI au SCT conformément à la Directive du PRIFC pour qu’il détermine si la région avait un marché déprimé. Il a également indiqué ce qui suit :

[traduction]

[…] Je constate que le DRASA n’a pas transmis votre demande au SCT pour qu’il l’évalue en faisant valoir que le SCT avait déclaré qu’il n’y avait aucun endroit au Canada ayant été désigné en 2010 comme secteur où le marché de la vente des maisons est faible. J’estime toutefois que vous avez présenté de très bons arguments en faveur d’une déclaration de situation de marché déprimé et qu’il semble que votre communauté de Bon Accord, qui a connu un déclin de 23,11 p. 100 de son marché immobilier, corresponde précisément au type de situation envisagé par la politique relative à la GRPI. Cela étant, je crois également comprendre que le SCT évalue le marché en fonction de « régions », ce qui, dans votre cas, correspond à la région d’Edmonton. En 2009, le SCT a déterminé que le marché immobilier de la région d’Edmonton avait connu une baisse de 12 p. 100, ce qui est loin des 20 p. 100 exigés pour vous donner droit à un plein remboursement en vertu du programme relatif à la GRPI. Hormis l’avis de vive voix du SCT suivant lequel il n’y avait aucun endroit au Canada ayant été désigné en 2010 comme secteur où le marché de la vente des maisons est faible, on ne dispose d’aucune donnée concrète confirmant le déclin du marché pendant cette période. Par conséquent, compte tenu du dossier que vous avez soumis et des exigences prévues par la politique ainsi que de l’incertitude entourant la situation du marché immobilier dans la région d’Edmonton en 2010, je conclus qu’il existe des raisons suffisantes pour justifier le fait que votre dossier aurait dû être transmis au SCT pour qu’il l’évalue, et je vais donc ordonner au DRASA de le faire sans délai. Ce qui m’amène à la question suivante, celle de la définition du terme « communauté » au sens de la politique du PRIFC.

Définition du mot « communauté ». Dans votre document du 22 mars 2011, vous soulignez que Bon Accord n’est pas une banlieue d’Edmonton. Autrement dit, il s’agit d’une communauté en bonne et due forme. Vous avez expliqué que Bon Accord est situé à une quarantaine de kilomètres d’Edmonton, possède son propre maire, ses taxes et ses propres services et qu’elle n’utilise en fait aucun des services d’Edmonton. Toutefois, le SCT considère que Bon Accord fait partie de la région d’Edmonton et que, comme la région d’Edmonton ne semblait pas satisfaire aux critères des 20 p. 100 exigé pour être désigné comme un marché déprimé à l’époque en question, le SCT n’est disposé à conférer ce statut à aucune localité de cette région. Toutefois, comme le CGFC et l’AGFC l’ont déjà fait observer, bien que le PRIFC parle de toute évidence de « communauté » pour l’application du programme relatif à la GRPI, la politique ne définit pas ce terme. En fait, l’application large que le SCT fait du mot « communauté » a fait en sorte que de nombreux membres des FC se trouvant dans une situation semblable à la vôtre ont subi les conséquences qu’il n’avait jamais envisagées. Comme il est précisé dans les conclusions et les recommandations des FCGB, je suis conscient du problème et j’ai demandé au DGRAS de travailler en collaboration avec le SCT pour corriger cette lacune. Par conséquent, compte tenu des directives que j’ai déjà données au sujet de la définition du terme « communauté », je ne vais pas m’attarder davantage sur cette question en réponse à votre grief, mais je vais ordonner au DGRAS de se servir de votre situation pour faciliter ses négociations avec le SCT, étant donné qu’il s’agit d’un autre exemple d’un membre des FC et de sa famille qui se retrouvent dans une situation intenable et qui disposent de peu de recours en raison de la confusion entourant le mot « communauté ».

[17]           Par lettre datée du 24 octobre 2011, le DRASA a demandé au SCT d’approuver le remboursement de la totalité des pertes immobilières subies par le major Brauer conformément à la Directive du PRIFC. Dans sa lettre, le DRASA demandait expressément que Bon Accord soit désigné comme un marché déprimé, ajoutant qu’il serait [traduction] « juste, équitable et conforme à la Directive actuelle du PRIFC de considérer Edmonton comme un secteur où le marché de la vente des maisons est faible ».

II.                DÉCISION À L’EXAMEN

[18]           Le SCT a pris sept mois pour rendre une décision sur la requête soumise par le DRASA. Le SCT a refusé de désigner Bon Accord (Alberta) comme un secteur où la vente de maisons est faible pour 2010 dans une lettre adressée au DRASA le 17 juillet 2012 et signée par Edith Kehoe, Directrice principale, Soutien au Conseil National Mixte et Consultation patronale‑syndicale, Secteur de la rémunération et des relations de travail. Même si la décision était communiquée dans la lettre de Mme Kehoe, elle avait été approuvée par Michelle d’Auray, qui était alors secrétaire du Conseil du Trésor et qui s’était fondée sur une note de service interne provenant d’un analyste des politiques de la Direction générale de Mme Kehoe. Mme d’Auray était la personne à qui revenait la décision finale.

[19]           Dans sa lettre, Mme Kehoe faisait observer que, si la demande avait été accueillie, les CF auraient été autorisées à rembourser le major Brauer, [traduction] « et éventuellement d’autres membres des Forces canadiennes touchés de la même façon que lui, jusqu’à concurrence de la totalité de la perte subie lors de la vente de sa maison en 2010 ». Voici un extrait de la décision contenue dans la lettre en question :

[traduction]

L’analyse de la ville de Bon Accord en vue de sa désignation comme secteur où le marché de la vente des maisons est faible est terminée. Pour les besoins du présent examen, la ville de Bon Accord était considérée comme faisant partie de la région métropolitaine d’Edmonton. [...]

Bien que le major Brauer ait personnellement perdu plus de 20 p. 100 lors de la vente de sa maison, le coût moyen des maisons dans la région de Bon Accord/Edmonton n’a chuté dans l’ensemble que de 2,9 p. 100 entre 2007 et 2010. Cette baisse s’explique par un rajustement d’un marché artificiellement gonflé à un marché plus stable et équilibré. On est donc très loin des 20 p. 100 minimum exigés pour qu’un marché puisse être qualifié de déprimé au sens de la Directive du PRIFC.

L’analyse de toutes les données connues pour la période en question, y compris des indicateurs économiques tels que les statistiques en matière de chômage et la mise en chantier de maisons, indique que l’économie de Bon Accord était stable et que le marché immobilier était équilibré. Par conséquent, le Secrétariat du Conseil du Trésor, en sa qualité d’autorité responsable du Programme de réinstallation intégré, a conclu que la communauté de Bon Accord (Alberta) ne doit pas être désignée comme étant un secteur où le marché de la vente des maisons est faible en 2010.

[20]           Dans une note de service interne datée du 31 mai 2012 du SCT, la demande est résumée et explique le processus suivi pour trancher les demandes de désignation de marché déprimé est expliqué. En voici un extrait :

[traduction]

[…] on examine la région dans sa globalité et non quartier par quartier. Par exemple, Scarborough ne serait pas considérée indépendamment du marché de Toronto.

Il convient de signaler que les membres des FC font l’objet d’un déménagement qui s’apparente à un « déménagement imposé » et qu’ils doivent par conséquent souvent absorber une perte immobilière lors de la vente de leur résidence principale au lieu d’origine.

[Pas de caractères gras dans l’original.]

[21]           Dans la note de service interne, on trouve une analyse de la « situation actuelle » de Bon Accord et voici quelques‑unes des conclusions qui sont tirées :

[traduction]

[…]

Les pièces soumises indiquent que les ventes effectuées dans le cadre du service interagences dans la région sont à la hausse et que le marché immobilier est équilibré. La propriété en question est une maison d’un certain âge contenant cinq chambres à coucher. La maison a été achetée en 2007 au prix de 405 000 $ (le coût moyen des maisons à Bon Accord en 2006 était, selon Statistique Canada, de 179 177 $). Cette maison a été vendue 317 000 $, ce qui est supérieur au prix d’achat moyen de maisons de 275 000 $ pour 2010 dans le cas de Bon Accord. La perte subie par le propriétaire correspond à 21,7 p. 100 du prix d’achat initial, mais le prix moyen des maisons à Edmonton pour la période de 2007 à 2010 n’avait diminué que de 2,9 p. 100 et le pourcentage provincial était encore plus faible, soit 1,4 p. 100.

Bien que le propriétaire en question ait subi une perte légèrement supérieure à 20 p. 100, il ressort à l’évidence des autres facteurs qu’il s’agit d’une exception et que la région d’Edmonton n’était pas un marché déprimé.

III.             QUESTIONS EN LITIGE

[22]           Les parties ne s’entendent ni sur la norme de contrôle applicable ni sur les pièces qui ont été régulièrement versées au dossier et dont la Cour doit tenir compte dans le cadre de la présente demande. Par conséquent, les questions en litige sont les suivantes :

1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

 

2. Quels sont les documents dont la Cour peut tenir compte dans le cadre du présent contrôle judiciaire?

 

3. Le SCT a‑t‑il commis une erreur en décidant que Bon Accord n’était pas un secteur où la vente de maisons est faible?

IV.             ANALYSE

A.                Norme de contrôle

[23]           Le demandeur affirme que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, tandis que le défendeur soutient que c’est plutôt celle de la décision raisonnable. Les deux parties s’entendent pour dire qu’il ne semble pas exister de jurisprudence sur la norme de contrôle applicable aux décisions du SCT. Il ne s’agit donc pas d’un cas pour lequel la jurisprudence a établi de manière satisfaisante le degré de retenue correspondant à une catégorie de questions soulevées dans la demande de contrôle judiciaire. La Cour doit donc « entreprend[re] l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] au paragraphe 62). La Cour suprême a également fait observer, dans l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 64 que « [d]ans bien des cas, il n’est pas nécessaire de tenir compte de tous les facteurs, car certains d’entre eux peuvent, dans une affaire donnée, déterminer l’application de la norme de la décision raisonnable ».

[24]           Selon le défendeur, il convient de faire preuve de déférence envers un tribunal administratif lorsqu’il interprète « sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat » (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 81).

[25]           Un facteur qui milite en faveur de la thèse défendue par le défendeur est le fait que la question de fond soumise à la Cour comporte une question mixte de fait et de droit, ce qui commande habituellement la déférence. Le SCT devait interpréter les termes de la Directive du PRIFC, tenir compte du contexte général dans lequel se situe la Directive du PRIFC et appliquer les faits aux dispositions de cette politique. Il s’agit donc d’une situation dans laquelle « lorsque le droit et les faits s’entrelacent et ne peuvent aisément être dissociés » (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 53). On ne saurait non plus prétendre que l’interprétation de la loi revêt « une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble » (Dunsmuir, aux paragraphes 55 et 60).

[26]           La jurisprudence récente concernant les politiques administratives régissant l’emploi des employés du secteur public appuie la thèse du défendeur suivant laquelle c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique aux décisions « qui interprètent et appliquent des procédures et politiques internes » (Khalid c Canada (Conseil National de Recherches), 2013 CF 438 [Khalid] aux paragraphes 36 à 40; Canada (Procureur général) c Bearss, 2010 CF 299, au paragraphe 21; Backx c Agence canadienne d’inspection des aliments, 2013 CF 139, aux paragraphes 18, 19 et 20). Je constate toutefois qu’à part Khalid, les décisions en question ne concernent pas des situations dans lesquelles la politique en cause faisait partie des conditions d’emploi de l’employé ou y avait été intégrée, comme c’est le cas en l’espèce.

[27]           Le Conseil du Trésor, qui est un comité du Conseil privé de la Reine pour le Canada établi en vertu de la loi, est chargé de la gestion des finances, du personnel et de l’administration du gouvernement du Canada. En vertu de l’article 35 de la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N‑5 [la LDN], le Conseil du Trésor se voit notamment conférer les pleins pouvoirs pour fixer et régir la solde et les indemnités payables aux membres des FC. Aux termes des articles 5 à 13 de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, c F‑11 [la LGFP], le SCT seconde le Conseil du Trésor dans son rôle de gestionnaire. On ne peut affirmer que le SCT est indépendant de son employeur, comme le serait un tribunal administratif. Les membres des FC sont des employés de la Couronne du chef du Canada. Le Conseil agit comme gestionnaire des employés de la Couronne et, avec l’appui du SCT, joue un rôle de gardien des deniers publics.

[28]           On trouve dans la jurisprudence des arguments en faveur de la thèse du demandeur suivant laquelle il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence lorsque l’auteur de la décision n’est pas indépendant de l’employeur (voir, par exemple, Canada (Procureur général) c Assh, 2006 CAF 358 [Assh] aux paragraphes 44, 50 et 51; Appleby-Ostroff c Canada (Procureur général), 2010 CF 479, inf pour d’autres motifs dans 2011 CAF 84, aux paragraphes 52 et 56). Dans le cas qui nous occupe, Mme d’Auray n’était de toute évidence pas indépendante de son employeur, la Couronne. En tant que chef de l’organisme chargé d’appuyer le Comité, elle était chargée d’appliquer les politiques régissant la solde et les indemnités des membres des FC. Ce manque d’indépendance indique que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision correcte.

[29]           On ne trouve ni dans la LDN ni dans la LGFP de clauses privatives concernant la décision du SCT, ce qui permet également de conclure qu’il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence à l’égard de la décision du SCT. La Directive du PRIFC a notamment pour objet de protéger les membres des FC des répercussions financières qu’ils doivent subir par suite des fréquents déménagements qui leur sont imposés, ce qui confirme également qu’il y a lieu de faire preuve d’un degré peu élevé de déférence.

[30]           La Cour est tout aussi bien outillée que le SCT pour trancher cette question. La décision à l’examen implique l’interprétation de la Directive du PRIFC, et notamment la question de savoir si le terme « communauté » s’applique à Bon Accord ou à l’ensemble de la région métropolitaine d’Edmonton. Ainsi que la Cour d’appel fédérale l’a déclaré dans l’arrêt Assh, précité, au paragraphe 42 :

En l’espèce, la question est de savoir si la Cour est aussi compétente que le décideur administratif pour trancher les questions soulevées dans la demande de contrôle judiciaire. Les questions en litige dans le présent appel portent sur l’interprétation et l’application des aspects pertinents du Code régissant les conflits d’intérêts.

[31]           Dans le cas qui nous occupe, aucune question de crédibilité ne se pose en ce qui concerne les témoignages et toutes les pièces portées à la connaissance de la Cour ont été, tout comme devant le SCT, présentées par écrit. Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que, vu le dossier soumis à la Cour, le SCT n’a, comme nous l’avons déjà expliqué, pas démontré qu’il possédait une expertise particulière pour se prononcer sur la question des secteurs où le marché de la vente des maisons est faible ou pour interpréter le terme « communauté », ainsi que le démontre l’analyse peu étoffée qu’a faite le SCT et le peu de documents appuyant sa décision.

[32]           Suivant les directives données par la Cour suprême, lorsque la question tient à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire ou à l’application d’une politique, la déférence est habituellement de mise (Agraira c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] ACS no 36, au paragraphe 50). Pour cette raison, et non sans certains doutes à ce sujet, je conclus que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Je suis quelque peu conforté dans ma conclusion par les déclarations suivantes formulées par les juges majoritaires de la Cour suprême dans l’arrêt McLean c Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67 [McLean], au paragraphe 38 :

Une disposition ne se prête pas toujours à plusieurs interprétations raisonnables. Lorsque les méthodes habituelles d’interprétation législative mènent à une seule interprétation raisonnable et que le décideur administratif en retient une autre, celle‑ci est nécessairement déraisonnable, et nul droit à la déférence ne peut justifier sa confirmation (voir, p. ex., Dunsmuir, par. 75; Mowat, par. 34). Dans ce cas, les « issues raisonnables possibles » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, par. 4) se limitent nécessairement à une seule, que le décideur administratif doit adopter.

B.                 Quels sont les documents dont notre Cour peut tenir compte dans le cadre du présent contrôle judiciaire?

[33]           À titre préliminaire, le défendeur affirme que l’affidavit et la note de service du demandeur reposent en grande partie sur des renseignements qui n’avaient pas été portés à la connaissance du SCT. Notre Cour a jugé qu’il est incorrect de tenir compte d’éléments de preuve dont ne disposait pas l’auteur de la décision (Première Nation d’Ochapowace c Canada (Procureur général), 2007 CF 920, aux paragraphes 9 et 10, conf par 2009 CAF 124, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2009] CSCR no 262).

[34]           Le défendeur soutient en particulier que les pièces B, E, F, G, I et K jointes à l’affidavit du demandeur ne sont pas admissibles en preuve, sauf dans la mesure où elles fournissent des renseignements généraux. La Cour devrait donc ne pas en tenir compte pour déterminer si la décision contestée est raisonnable. Les pièces en question consistent en un document des services de déménagement de Royal LePage intitulé [traduction] « Planifier votre déménagement » (Pièce B); les conclusions et les recommandations du vice‑président du Comité des griefs des FC en date du 29 avril 2011 (pièce E); un article d’un bulletin intitulé « Perspectives » publié par le Comité des griefs et daté de mai 2011 (pièce F); la lettre du 19 septembre 2011 communiquant la décision du CEMD en tant qu’autorité de dernière instance sur le grief (pièce G); une lettre du secrétaire du Conseil du Trésor adressée au député Robert Chisholm et datée du 31 août 2012 (pièce I) et, enfin, une lettre de l’Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes adressée le 10 septembre 2013 au ministre de la Défense nationale (pièce K).

[35]           Il semble que le seul document dont disposait l’auteur de la décision soit la note de service interne accompagnée du bordereau de transmission. Je relève que le défendeur a versé à son dossier des pièces qui ne faisaient pas partie du dossier qui avait été soumis à l’auteur de la décision, mais auquel l’analyste qui a rédigé la note de service a fait allusion ou, dans le cas de certaines notes manuscrites, qui ont été créées par l’analyste en question. J’estime que les notes de l’analyste font partie des motifs de la décision et que les autres pièces sont admissibles en preuve et doivent être considérées comme faisant partie du dossier présenté à l’appui.

[36]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les documents annexés à l’affidavit déposé par le demandeur à l’appui de sa demande n’avaient pas été portés à la connaissance de l’auteur de la décision ou qu’ils sont postérieurs à sa décision et que l’on ne peut pas en tenir compte, sauf dans la mesure où ils fournissent des renseignements généraux susceptibles d’aider la Cour. À cet égard, je considère que les annexes E et G sont utiles en raison des renseignements contextuels qu’elles renferment et j’écarte les autres documents auxquels le défendeur s’est opposé.

C.                 Le SCT a‑t‑il commis une erreur en décidant que Bon Accord n’était pas un secteur où le marché de la vente de maisons est faible?

[37]           Le demandeur affirme que, tant sur le fond que sur la forme, la politique relative à la GRPI appuie sa thèse.

[38]           Citant plusieurs dictionnaires, le demandeur affirme que Bon Accord répond à la définition de « communauté » que l’on trouve dans la politique :

[traduction]

Le Black’s Law Dictionary (9e éd.) (St Paul, Minn, West Publishing Co, 2009), définit comme suit le mot « community » (communauté) : quartier, voisinage ou localité.

L’Oxford Canadian Dictionary définit « communauté » comme une localité déterminée.

Termium Plus [outil de référence du Bureau de la traduction du gouvernement du Canada] définit le mot « community » notamment comme une subdivision administrative « habituellement composée de trois à cinq quartiers ». Partie d’une ville, particulièrement un secteur résidentiel.

[39]           Suivant le demandeur, le membre des FC qui lirait les Directives du PRIFC croirait raisonnablement que Bon Accord serait la « communauté » pertinente aux fins de la GRPI. Si le terme « communauté » est quelque peu ambigu, cette ambiguïté devrait selon lui être résolue contre le Conseil du Trésor, en sa qualité de rédacteur de la Directive du PRIFC. Le Conseil du Trésor aurait pu préciser qu’il y a lieu de tenir compte de l’ensemble de la région métropolitaine dans le cas de bases comme celle d’Edmonton, mais ce n’est pas ce qu’il a choisi de faire lorsqu’il a rédigé cette politique. La politique ne parle pas de « région », contrairement à ce que prétend le défendeur, mais bien de « communauté ». Ainsi que le Comité l’a estimé, Bon Accord [traduction] « correspond précisément au genre de situation visée par la politique relative à la GRPI ».

[40]           Le défendeur affirme que le texte de la Directive du PRIFC confirme qu’il y a lieu d’englober la ville de Bon Accord dans la région d’Edmonton. En particulier, suivant le défendeur, la Directive renferme certaines restrictions bien précises :

1.3.01 Restrictions

Les indemnités précisées dans la présente politique sont toutes globales. Elles visent à offrir une certaine souplesse tout en respectant le but de la politique. Ainsi, les membres des FC pourront faire des choix en fonction de leurs besoins particuliers. Ces choix ne doivent toutefois pas accroître les avantages ou créer des indemnités

[…]

1.3.01 Limitations

The benefits outlined in this policy are all inclusive. It is designed to provide some degree of flexibility while remaining within the intent of the policy. This will allow CF members to make choices based on their specific needs; however, those choices shall not extend benefits or create entitlements.

[…]

[41]           Pour que le membre des FC soit admissible au remboursement de la totalité de la perte immobilière subie à la suite de la vente d’une maison, il faut que sa maison soit située dans un « secteur où la vente de maisons est faible », ce qui est défini comme une « communauté où le marché du logement a baissé de plus de 20 p. 100 ».

[42]           Le lieu de service des membres des FC est défini comme suit à l’article 1.4 de la Directive du PRIFC :

Lieu de service

Endroit où un membre des FC accomplit habituellement ses fonctions militaires ordinaires et qui comprend tout endroit dans les régions géographiques avoisinantes que le Chef d’état-major de la Défense, ou tout autre officier désigné, a déterminé comme faisant partie du lieu en question.

Place of duty

The place at which a CF member usually performs normal military duties and includes any place in the surrounding geographical area that is determined to be part thereof by the Chief of the Defence Staff or such other officer as shall be designated.

 

[43]           Le défendeur fait valoir que, dans le cas qui nous occupe, la preuve démontre clairement que le lieu de service du demandeur était la base des Forces canadiennes d’Edmonton. De plus, rien ne démontre selon lui que le demandeur n’a jamais demandé ou obtenu l’approbation pour habiter à l’extérieur des limites géographiques de la base des Forces canadiennes d’Edmonton. Le défendeur soutient qu’il était raisonnable de considérer que Bon Accord faisait partie des limites géographiques de la base des Forces canadiennes d’Edmonton. Par conséquent, tout examen du marché immobilier en rapport avec le service militaire du demandeur à son lieu de service tiendrait raisonnablement compte de ce facteur. Suivant le défendeur, rien dans les définitions du mot « communauté » données par les dictionnaires n’empêcherait de considérer que Bon Accord fait partie de la région métropolitaine d’Edmonton. Bien que la ville de Bon Accord soit une toute petite ville satellite située à une quarantaine de kilomètres d’un grand centre urbain, elle se présente sur le marché en tablant sur sa proximité avec Edmonton, la région de la capitale de l’Alberta, et sur le fait qu’elle ne se trouve qu’à « quelques minutes » d’Edmonton dans la couronne nord de la ville d’Edmonton.

[44]           Le défendeur affirme en outre qu’il est déraisonnable de tenir compte uniquement des données fournies par des municipalités distinctes pour démontrer la faiblesse du marché de la vente des maisons. L’agent immobilier du demandeur a indiqué, dans son analyse du marché immobilier, que seulement six maisons avaient été vendues à Bon Accord au moment de la rédaction de son rapport en 2010. Avec un échantillon aussi limité, toute variation ne pouvait que créer d’énormes fluctuations dans le prix moyen des maisons. Selon le défendeur, il était donc parfaitement raisonnable de la part du SCT de tenir compte de la conjoncture économique plus large et des données du marché d’une région plus grande.

[45]           Le défendeur fait valoir que, lorsque la question a été soumise au SCT, le DRASA a demandé qu’« Edmonton » soit considérée comme un marché déprimé au sens de la Directive du PRIFC. Le défendeur soutient que le SCT était donc saisi d’une demande directe des FC indiquant leur souhait que l’on tienne compte du marché immobilier de la région d’Edmonton à la lumière des dispositions sur la GRPI.

[46]           Ce dernier argument trahit, à mon sens, une mauvaise interprétation de la demande d’approbation de la demande formulée par le major Brauer en vue d’obtenir le remboursement de la totalité de sa perte au titre de la GRPI, et il est à mon avis mal fondé. La lettre du DRASA est très brève; elle ne contient que trois paragraphes. Bon Accord est mentionné au premier paragraphe suivi de la mention [traduction] « région d’Edmonton » entre parenthèses. Le deuxième paragraphe mentionne que [traduction] « suivant le PRIFC actuel, Edmonton est considéré comme un secteur où le marché de la vente des maisons est faible », mais cela ne vaut que pour la situation qui existait à la fin de 2011. Le troisième et dernier paragraphe indique clairement que la demande porte sur la « désignation de Bon Accord (Alberta) comme secteur où le marché de la vente de maisons est faible ». L’analyste de politiques qui a rédigé la note de service interne devant être soumise à Mme d’Auray en vue d’une décision comprenait de toute évidence que la demande visait à faire désigner Bon Accord, et non Edmonton, comme un secteur où la vente de maisons est faible, du moins lorsque l’analyste a entamé l’étude du dossier.

[47]           Toutefois, l’analyste a considéré que Bon Accord faisait partie d’Edmonton en citant l’exemple de Scarborough : [traduction] « Scarborough ne serait pas considérée indépendamment du marché de Toronto ». Scarborough est évidemment une banlieue de la ville de Toronto. Ses résidents paient des taxes à la ville de Toronto, votent pour le maire de Toronto et utilisent le réseau d’autobus et de métro de Toronto pour se rendre au travail et à l’école. Bien qu’il puisse être raisonnable de ne pas considérer Scarborough indépendamment du marché de Toronto, on ne peut en dire autant de Bon Accord et d’Edmonton. Il s’agit de deux municipalités distinctes. L’exemple donné par l’analyste témoigne, à mon avis, d’une tournure d’esprit qui a orienté le reste de son analyse. Elle considérait implicitement Bon Accord comme une simple banlieue-dortoir d’Edmonton. Or, suivant la preuve soumise par le maire Brauer, cette conclusion n’était pas raisonnable.

[48]           J’estime qu’il est important de tenir compte des conséquences qu’a eues pour le major Brauer et pour sa famille le transfert de la base des Forces canadiennes de Borden, son ancien lieu de service, à la base des Forces canadiennes d’Edmonton. Il ne s’agissait pas d’une mutation vers un endroit similaire. La petite ville de Borden, où se trouve la base, se trouve dans le comté de Simcoe, une région rurale de l’Ontario située à une centaine de kilomètres au nord de Toronto. La ville la plus proche est Barrie, à une vingtaine de minutes en voiture. En revanche, la base des Forces canadiennes d’Edmonton se situe à l’intérieur des limites d’un grand centre urbain.

[49]           Rien au dossier n’indique que le CEMD ou un autre agent nommément désigné avait fixé un lieu précis dans la région géographique entourant la base des Forces canadiennes d’Edmonton où le major Brauer devait remplir ses fonctions militaires. Il a été posté à la base des Forces canadiennes d’Edmonton, mais il devait vivre avec sa famille là où il pouvait trouver un logement à un prix abordable.

[50]           La base des Forces canadiennes d’Edmonton dispose d’une quantité limitée d’unités résidentielles (logements familiaux) pour les membres des FC affectés à cette base. Je crois que la Cour peut prendre connaissance d’office du fait que le gouvernement du Canada a diminué le nombre de ce type de logement un peu partout au Canada depuis plusieurs décennies en vendant les terrains sur lesquels ils étaient situés. La base des Forces canadiennes d’Edmonton ne fait pas exception. Dans ces conditions, les membres des FC n’ont d’autre choix que de se tourner vers le secteur privé pour se trouver un logement pour eux-mêmes et pour leur famille.

[51]           Suivant le témoignage non contredit du major Brauer, il y a une liste d’attente de deux ans pour un logement familial acceptable pour lui et sa famille à Edmonton. Le major Brauer avait donc été muté par son employeur à une base où les seules options qui s’offraient à lui pour loger sa famille en pleine croissance étaient de se trouver une maison à louer sur le marché privé ou d’en acheter une. Suivant son témoignage, là encore non contredit, il en coûtait à l’époque plus cher pour louer une maison à Edmonton que d’assumer un versement hypothécaire sur une maison à Bon Accord.

[52]           Le défendeur ne prétend pas que la décision de la famille d’acheter une maison à Bon Accord en 2007 était irréfléchie ou déraisonnable. Dans son analyse, le SCT laisse toutefois entendre que la famille a acheté une maison qui était évaluée à un prix supérieur au prix de vente moyen des maisons dans cette ville. Il laissait ainsi sous-entendre que le major Brauer avait fait le pari que le marché demeurerait stable ou que la valeur de sa maison augmenterait en payant un prix d’achat plus élevé que le prix moyen des maisons à Bon Accord et qu’il a perdu son pari. Le SCT estime que le major Brauer et sa famille devraient supporter cette perte et qu’ils n’ont droit qu’à l’indemnité de 15 000 $ prévue par la politique relative à la GRPI. Il ressort des éléments de preuve versés au dossier, et notamment de photographies et de descriptions de la maison elle‑même, que rien ne permettait de penser qu’il s’agissait d’autre chose que d’une modeste maison familiale adaptée aux besoins d’une famille en croissance.

[53]           On trouve dans le dossier du défendeur ce qui est qualifié dans son affidavit de « dossier d’enquête » de l’analyste de politiques. On y trouve notamment trois pages de notes manuscrites qui mentionnent entre autres choses le prix moyen des maisons en Alberta, à Edmonton et à Calgary selon un rapport de décembre 2011 de la Banque Scotia. Le rapport n’explique pas en quoi le prix des maisons à Calgary ou en Alberta en général était pertinent. Les notes manuscrites citent brièvement les observations du demandeur et le rapport de son agent immobilier faisant état d’une chute du prix des maisons en 2010. On y trouve également l’affirmation suivante : [traduction] « « Les emplois sont en Alberta. Les taxes sont peu élevées et beaucoup de gens vont s’y installer ».

[54]           Il ressort des notes manuscrites en question que l’analyste a conclu que le marché avait subi une correction à la suite des sommets atteints en 2007 et que, dans le cas d’Edmonton, cette correction du marché s’était traduite, en 2010, par [traduction] « un marché équilibré, et non un marché déprimé ». On trouve également dans ce dossier plusieurs pages téléchargées à partir de sites Internet vantant les vertus de la vie à Edmonton, une copie d’un rapport d’avril 2011 intitulé « Town of Bon Accord – Community Profile » [Profil de la communauté de Bon Accord] téléchargé à partir du site Web de la ville, une page citant un rapport de la SCHL laissant entendre que le prix des maisons à Edmonton connaîtrait une hausse en 2012, la page Internet d’un agent immobilier d’Edmonton téléchargée le 30 décembre 2011 mentionnant les propriétés à vendre et les prix à Edmonton, une page extraite d’une source inconnue et non datée consultée le 3 janvier 2012 faisant état de la [traduction] « bulle immobilière d’Edmonton » et, enfin, un commentaire provenant du blogue d’une agence immobilière d’Edmonton publié le 1er janvier 2010 indiquant que l’on s’attendait à ce que le prix des maisons connaisse une hausse plus tard au cours de l’année.

[55]           Si l’on fait exception du Profil de la communauté de Bon Accord, tous ces documents traitaient du marché immobilier d’Edmonton. Il s’ensuit que l’analyste a axé ses recherches sur le prix des maisons à Edmonton. Rien au dossier ne permet de savoir si elle possédait les compétences nécessaires pour procéder à cette recherche ou pour produire un rapport fouillé et fidèle sur la situation du marché à Bon Accord ou, d’ailleurs, à Edmonton. Il semble qu’elle n’ait pas tenu compte des différences qui existent entre, d’une part, Edmonton, grand centre urbain possédant une économie diversifiée et comptant une population d’environ un million d’habitants, et, d’autre part, Bon Accord, petite ville dépendant de l’industrie pétrolière. Le dossier du défendeur n’indique pas que la communauté à laquelle le major Brauer et sa famille appartenaient était Bon Accord, et non Edmonton.

[56]           Il semble que le SCT n’ait pas tenté de vérifier la raison pour laquelle le prix des maisons avait connu une chute aussi radicale à Bon Accord. Il s’est contenté de signaler que seulement quelques maisons avaient été vendues à Bon Accord en 2010. Dans ces conditions, comment attribuer ce déclin à d’autres raisons qu’à des facteurs économiques locaux qui n’ont eu aucune incidence sérieuse sur le marché d’Edmonton?

[57]           Les renseignements recueillis dans le dossier d’enquête de l’analyste font piètre figure si on les compare aux documents organisés, fouillés et bien ciblés que le major Brauer a soumis et qui portaient directement sur la situation à Bon Accord. À mon avis, le SCT s’est fondé sur des renseignements non pertinents, désuets et non vérifiés. L’impression que donnent à notre Cour les pièces versées au dossier d’enquête et la note de service est que les documents du dossier d’enquête et le mémoire constituent une justification a posteriori et non une évaluation impartiale. On cherchait des raisons pour justifier la conclusion négative déjà tirée. Comme on l’expliqué de vive voix et par courriel au DRASA avant que le major Brauer ne soumette sa demande, le SCT avait déjà déterminé que le marché d’Edmonton n’était pas un marché où la vente de maisons était faible. Dans sa décision, le SCT a appliqué sa conclusion à Bon Accord sans établir de distinction entre Edmonton et Bon Accord alors que le comité des griefs et les conclusions du CEMD l’exhortaient à revenir sur la conclusion qu’il avait déjà tirée.

[58]           Le fait que la note de service de l’analyste soit passée entre les mains de plusieurs fonctionnaires du SCT [traduction] « qui remplissaient leur rôle de critiques » pour reprendre la formule employée dans la preuve du défendeur, pour finalement se retrouver entre les mains de Mme d’Auray n’a pas permis de corriger ces lacunes. Rien dans le dossier ne permet de penser que les fonctionnaires en question ont remis en question la provenance des renseignements sur lesquels l’analyste se fondait ou la qualité de son analyse ou qu’ils aient ajouté quelque chose de valable, se contentant de parapher le bordereau de transmission.

[59]           La note de service dresse un tableau très positif de la conjoncture économique en Alberta en général, et à Edmonton en particulier. Ce constat s’accorde avec les propos précités de l’analyste : [traduction] « Les emplois sont en Alberta. Les taxes sont peu élevées et beaucoup de gens vont s’y installer ». Cela est peut‑être vrai en général, mais cette affirmation n’explique pas ce qui est arrivé à Bon Accord entre 2007 et 2010.

[60]           La note de service se termine comme suit :

[traduction]

Les pièces soumises indiquent que les ventes effectuées dans le cadre du service interagences dans la région sont à la hausse et que le marché immobilier est équilibré. […] La perte subie par le propriétaire correspond à 21,7 p. 100 du prix d’achat initial, mais le prix moyen des maisons à Edmonton pour la période de 2007 à 2010 n’avait diminué que de 2,9 p. 100 et le pourcentage provincial était encore plus faible, soit 1,4 p. 100.

Bien que le propriétaire en question ait subi une perte légèrement supérieure à 20 p. 100, il ressort clairement des autres facteurs qu’il s’agit d’une exception et que la région d’Edmonton n’était pas un marché déprimé.

Recommandation

Il est recommandé que Bon Accord (Alberta), ne soit pas désigné comme un secteur où le marché de la vente des maisons est faible dans le cas des membres du personnel des FC devant se réinstaller.

[61]           Il ressort clairement du dossier que, bien que cette recommandation porte sur la demande de désignation de Bon Accord, le raisonnement suivi s’applique à Edmonton et non à cette petite communauté située à 40 kilomètres au nord. Il n’était pas nécessaire que le SCT considère que Bon Accord faisait partie de la région d’Edmonton. C’est pourtant ce qu’il a décidé de faire pour éviter que Bon Accord soit considéré comme un « secteur où le marché de la vente des maisons est faible » au sens de la politique relative à la GRPI.

[62]           Comme nous l’avons déjà expliqué, la lettre communiquant cette décision au DRASA semble témoigner d’une préoccupation que d’autres membres du personnel militaire assignés à la base des Forces militaires d’Edmonton [traduction] « et éventuellement d’autres membres des Forces canadiennes touchés de la même façon » cherchent à tirer profit d’une décision favorable au major Brauer. Or, rien dans le dossier ne permet de penser que d’autres membres des FC étaient touchés de la même façon que le major Brauer à Bon Accord. La décision du Comité des griefs et la lettre du CEMD font allusion à d’autres membres des FC pouvant se trouver dans des situations semblables ailleurs au Canada. L’extrait de la lettre du SCT donne à penser que la décision était motivée en partie par des considérations indirectes se rapportant à d’éventuelles réclamations présentées par d’autres membres des FC et non par la situation du demandeur à Bon Accord.

[63]           Je suis d’accord pour qualifier de déraisonnable l’interprétation que le SCT a faite du terme « communauté ». La Cour suprême a confirmé qu’il convient d’adopter une méthode téléologique lorsqu’on interprète une loi (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27, aux paragraphes 21 et 22 :

21   Bien que l’interprétation législative ait fait couler beaucoup d’encre (voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci‑après « Construction of Statutes »); Pierre‑André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990)), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit:

 

[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

 

 

Parmi les arrêts récents qui ont cité le passage ci‑dessus en l’approuvant, mentionnons : R. c. Hydro-Québec, [1997] 3 R.C.S. 213; Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411; Verdun c. Banque Toronto‑Dominion, [1996] 3 R.C.S. 550; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103.

 

22  Je m’appuie également sur l’art. 10 de la Loi d’interprétation, L.R.O. 1980, ch. 219, qui prévoit que les lois « sont réputées apporter une solution de droit » et doivent « s’interpréter de la manière la plus équitable et la plus large qui soit pour garantir la réalisation de leur objet selon leurs sens, intention et esprit véritables ».

[64]           La situation du demandeur me semble correspondre précisément à celles que la Directive du PRIFC était censée corriger, comme on peut le constater à la lecture des commentaires formulés par le Comité des griefs et par le CEMD. Toutefois, suivant l’interprétation retenue par le SCT, [traduction] « les membres des FC […] doivent […] absorber une perte immobilière » lorsqu’ils [traduction] « font l’objet d’un déménagement qui s’apparente à un “déménagement imposé” ». Cette interprétation ne saurait traduire la volonté du gouvernement du Canada pour son personnel militaire.

[65]           L’interprétation que le SCT fait du terme « communauté » ne peut être considérée comme raisonnable que si l’on peut démontrer qu’elle ne vide pas la Directive du PRIFC de son sens en la rendant inapplicable dans la totalité des situations, sauf dans certains cas exceptionnels. Il ressort des renseignements fournis à la Cour par le défendeur après l’audience que le SCT n’a jusqu’ici désigné que deux communautés, à deux dates distinctes, comme secteurs où le marché de la vente des maisons est faible en application de la Directive du PRIFC, en l’occurrence, Témiscaminque (Québec), en 2008, et Port Maitland (Nouvelle‑Écosse) (janvier 2010 à décembre 2011). Dans ces deux cas, la désignation ne concluait pas que le marché du logement avait baissé de plus de 20 p. 100. Les désignations en question portaient sur la conjoncture économique des deux communautés en question et la situation personnelle des individus en cause. Il semble donc que le critère exigé dans le cas qui nous occupe – une baisse de plus de 20 p. 100 du marché du logement – n’ait pas été exigé dans les cas en question.

[66]           Selon la définition que l’on trouve dans le Canadian Oxford Dictionary, Toronto, 2001, le terme « community » (communauté) désigne d’abord et avant tout un regroupement de personnes vivant dans un lieu précis. Le mot « communauté » que l’on trouve dans la version française de la politique s’entend d’un « groupe social dont les membres vivent ensemble » (le Nouveau Petit Robert, Paris, 2002). À mon avis, la « communauté/community » dans laquelle vivait le major Brauer était clairement Bon Accord, et non Edmonton. Pour interpréter cette expression, le SCT a choisi d’interpréter le mot « communauté » comme s’il s’agissait du mot « région » et de considérer que cette région correspondait à la région métropolitaine d’Edmonton pour déterminer s’il s’agissait d’un secteur où le marché de la vente des maisons était faible. Peu importe le degré de déférence appliqué, cette interprétation ne saurait se justifier dans le contexte de la présente affaire.

[67]           La mutation du major Brauer à Edmonton et son affectation subséquente à Halifax étaient des décisions opérationnelles des FC au sujet desquelles le major Brauer n’avait pas grand-chose à dire. Il aurait pu refuser son affectation, mais cela aurait été au péril de son avancement et, même alors, il aurait pu être forcé de déménager ou de remettre sa démission. À cet égard, le choix du lieu de vie qui, pour bien d’autres Canadiens, est une évidence appartenait, dans son cas, en grande partie à son employeur. Il était raisonnable de sa part de s’attendre à ce que sa famille et lui soient protégés, lors de leur déménagement, par la politique relative à la GRPI de l’employeur. Or, cette attente s’est avérée vaine. L’employeur s’attend, par l’intermédiaire de son mandataire, le SCT, à ce que la famille supporte la plus grande partie des coûts d’une chute brutale de la valeur marchande de sa maison à la suite d’une réaffectation à une nouvelle base. Ce résultat ne correspond de toute évidence pas à ce que visait la politique conçue par le gouvernement, mais les conséquences de son application dans le cas de la famille Brauer ont été catastrophiques.

[68]           Je conclus que la décision du SCT était déraisonnable, en ce sens qu’elle n’était pas justifiée et qu’elle n’appartenait pas aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit.

[69]           Pour ces motifs, la demande est accueillie. J’estime qu’il est approprié de renvoyer l’affaire au SCT pour qu’il la réexamine en tenant compte du fait que la communauté à examiner pour déterminer si le secteur était une région où le marché de la vente des maisons est faible en 2010 est la communauté de Bon Accord. Compte tenu de l’historique du présent dossier et du temps qu’a dû attendre le demandeur pour tenter d’obtenir une réparation, la Cour lui adjuge ses dépens selon une formule permettant une pleine indemnisation

 


JUGEMENT

LA COUR :

1.      ACCUEILLE la demande;

2.      ANNULE la décision du 17 juillet 2012 du Secrétariat du Conseil du Trésor et RENVOIE l’affaire au Secrétariat pour qu’il la réexamine en tenant compte du fait que la communauté à examiner pour déterminer si le secteur était une région où le marché de la vente des maisons est faible en 2010 est la ville de Bon Accord et non Edmonton;

3.      ADJUGE au demandeur ses dépens selon une formule permettant une pleine indemnisation.

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


ANNEXE A

 

8.2.13 Garantie de remboursement des pertes immobilières

Conformément aux critères de calcul de la garantie de remboursement ci-dessous, les membres des FC qui vendent leur maison à perte ont droit au remboursement d’une portion ou de la totalité de la différence entre le prix d’achat original et le prix de vente, par l’entremise d’une enveloppe de financement spécifique, de la façon indiquée ci-dessous.

Indemnité de base

  Remboursement de 80 p. 100 des pertes jusqu’à concurrence de 15 000 $.

  Remboursement de 100 p. 100 des pertes dans les endroits désignés par le Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT) comme des secteurs où le marché de la vente de maisons est faible.

Indemnité sur mesure

Toute autre perte.

Indemnité personnalisée

Lorsque le financement sur mesure est épuisé.

Critères pour le calcul de la garantie de remboursement des pertes immobilières

  Pour ce qui est des propriétés qui se vendent à moins de 95 p. 100 de la valeur marchande, il faut obtenir l’approbation du DRASA pour être admissible à cette indemnité. La valeur marchande doit être fondée sur l’évaluation fournie par le PRIFC.

  Les améliorations apportées aux immobilisations ne doivent pas entrer dans le calcul de cette garantie, mais leur remboursement peut être demandé séparément en conformité avec l’article 8.2.10.

  Les réductions du prix de vente, le cas échéant, en raison d’un entretien différé ne doivent pas entrer dans le calcul de la garantie de remboursement des pertes immobilières.

  Le prix d’achat original d’une nouvelle construction comprend les coûts :

o   indiqués dans le contrat de construction;

o   de l’aménagement paysager initial qui doit se faire pendant la première année d’occupation de l’habitation (s’ils ne sont pas indiqués dans le contrat de construction).

Le marché déprimé, comme établi par le secrétariat du conseil du trésor (SCT), est défini en tant que communauté où le marché du logement a baissé de plus de 20 %.

La situation de marché déprimé peut être évaluée lorsque :

Un membre des FC et son agent immobilier monte un dossier de demande d’approbation pour situation de marché déprimé et soumettent les documents suivants au coordonnateur des réinstallations des FC pour qu’il les examine et les envoie au DRASA, qui les transmettra ensuite à l’autorité du programme de PRI et au SCT :

1.      Introduction personnelle incluant les grandes lignes des changements évidents survenus dans l’économie locale durant le temps passé au lieu d’origine.

2.      Toute information pertinente à l’achat de la propriété en question, notamment l’offre d’achat initiale, le rapport d’évaluation actuel, la liste des améliorations apportées à la propriété et les frais associés. De plus, la valeur estimative au moment de l’achat initial et toute évaluation faite à la propriété depuis l’achat. En ce qui concerne les coûts de construction, il faut produire les reçus originaux afin de confirmer le prix d’achat initial, si un contrat de construction n’a pas été établi. Les améliorations doivent être appuyées par des reçus originaux seulement.

3.      Information générale et spécifique sur l’emplacement géographique et l’état de l’économie locale, c.-à-d., les événements pouvant survenir dans les secteurs avoisinants tels que la fermeture de moulins, le taux de chômage, la fermeture d’écoles. Joindre les articles de journaux pertinents, les communications, et toute preuve attestant d’un marché en baisse. Inclure également la date de vente, la date de réception de l’offre d’achat, la date d’inscription et le prix demandé, le prix revu à la baisse et toute indemnité pour pertes immobilières reçues.

4.      Information sur le marché immobilier :

a.       lettre de l’agent immobilier donnant son opinion professionnelle sur la baisse du marché depuis le moment de l’achat;

b.      copies de ventes comparables (types de propriétés similaires) conclues dans les six à douze derniers mois;

c.       nombre d’inscriptions actuelles sous différentes échelles de prix et nombre de jours sur le marché;

d.      nombre de ventes (cumulatif de l’année) sous différentes échelles de prix et nombre de jours sur le marché;

e.       nombre de ventes au cours des deux dernières années sous différentes échelles de prix et nombre de jours sur le marché;

f.       nombre de saisies hypothécaires (cumulatif de l’année) ainsi que celles des deux années précédentes; et

g.      le taux d’inoccupation actuel ainsi que celui des deux années précédentes.

NOTA : Tous les documents doivent être indiqués dans une table des matières.

 

The following is section 8.2.13 of the CFIRP Directive:

8.2.13 Home Equity Assistance (HEA)

As per the HEA calculation criteria listed below, CF members who sell their home at a loss are entitled to reimbursement for up to 100 % of the difference between the original purchase price and the sale price from specific funding envelopes as follows:

Core benefit:

  80% of the loss, to a maximum of $15,000; and

  100% of the loss, in places designated as depressed market areas by Treasury Board Secretariat (TBS).

Custom benefit:
In excess of core entitlement.

Personalized benefit:
When all custom funds have been expended.

HEA calculation criteria:

  Properties selling for less than 95 % of the market value require DCBA approval prior to qualifying for this benefit. Market value is to be based on the appraisal provided by CFIRP.

  Capital improvements shall not be included in the calculation of HEA but may be claimed separately as per art 8.2.10.

  Any reductions of the sale price based upon deferred maintenance shall not be included when calculating HEA.

  The original purchase price for new home construction consists of costs:

o   identified in the Building Agreement, and

o   for initial landscaping which occurs within one year of occupancy (when not identified in the Building Agreement).

Depressed market, as established by Treasury Board Secretariat, is defined as a community where the housing market has dropped more than 20 %.

Depressed market status may be evaluated when:

A CF member and the Realtor build a case for depressed market status by submitting the following documentation to DCBA through the CF Relocation Coordinator for review, DCBA will forward it to IRP Program Authority at Treasury Board Secretariat:

1.      Personal introduction including an outline of changes in the local economy evident during the time at origin.

2.      All pertinent information with respect to the purchase of the subject property. This would include the original purchase agreement, the current appraisal report, list of the capital improvements made to the property and the related costs. Also, the appraised value when originally purchased and any property assessments since the time of purchase. Regarding cost of construction, this will require submission of original receipts to confirm the original purchase price, if a building contract was not used. Capital improvements must be supported by original receipts only.

3.      General and specific information on the geographic location and local economic state; i.e. the circumstances that may be happening in the surrounding areas such as mill closures, unemployment rate, school closures. Include relative newspaper articles, memos, and objective evidence of market decline. Also, include sale date, date offer received, listing date list price, lowered list price and any home equity loss paid.

4.      For real estate information:

a.       Letter from Realtor expressing his/her professional opinion of the overall decline in the market since time of purchase;

b.      Copies of comparable sales (similar type homes) that were concluded within the past 6 to 12 months;

c.       Number of current listings in various price ranges and number of days on the market;

d.      Number of sales (year-to-date) in various price ranges and number of days on the market;

e.       Number of sales during previous 2 years in various price ranges and number of days on the market;

f.       Number of foreclosures (year-to-date) and same for previous 2 years; and

g.      Current vacancy rates, and similar information from previous years.

NOTE: All items must be labelled with a table of contents.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1241-13

INTITULÉ :

MARCUS BRAUER c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (nouvelle-écosse)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 AVRIL 2014

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

LE 23 MAI 2014

COMPARUTIONS :

Daniel F. Wallace

PoUR LE DEMANDEUR

Susan L. Inglis

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Daniel F Wallace

McInnes Cooper

Halifax (Nouvelle-Écosse)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

PoUR LE DÉFENDEUR

 

 

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