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Date : 20140530

 


Dossiers :

T‑504‑12

T‑505‑12

 

Référence : 2014 CF 525

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 30 mai 2014

 

En présence de madame la juge Gleason

 

Dossier :

T‑504‑12

 

ENTRE :

 

ALCON CANADA INC., ALCON RESEARCH LTD.,

ALCON PHARMACEUTICALS, LTD.  et KYOWA HAKKO KIRIN CO., LTD.

demanderesses

et

COBALT PHARMACEUTICALS COMPANY

et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

 

Dossier :

T‑505‑12

ET ENTRE :

ALCON CANADA INC., ALCON RESEARCH, LTD., et

KYOWA HAKKO KIRIN CO., LTD.

demanderesses

et

COBALT PHARMACEUTICALS COMPANY ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

(concernant les dépens)

[1]               Les demanderesses [appelées collectivement « Alcon » dans les présents motifs] ont introduit deux demandes visant à faire interdire au ministre de la Santé [le ministre] de délivrer, en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 [le Règlement AC], un avis de conformité à la défenderesse Cobalt Pharmaceuticals Company [Cobalt] pour des gouttes ophtalmiques d’olopatadine à une concentration de 0,1 % et de 0,2 %. La demande relative à la solution à 0,1 % a été présentée dans le dossier T‑505‑12 et celle relative à la solution à 0,2 % a été soumise dans le dossier T‑504‑12.

[2]               Les deux demandes devaient être débattues devant moi pendant cinq jours, du 9 au 13 décembre 2013. Le 4 décembre 2013, Alcon s’est désistée de sa demande dans le dossier T‑505‑12 et a indiqué qu’elle ne se fondait pas sur le brevet canadien no 2195094 [le brevet 094] pour appuyer la demande qu’elle avait présentée dans le dossier T‑504‑12. Dans le jugement que j’ai prononcé le 14 février 2014 dans l’affaire Alcon c Cobalt, 2014 CF 149, j’ai rejeté la demande d’Alcon visant à faire interdire au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Cobalt pour ses gouttes ophtalmiques d’olopatadine à 0,2 % et j’ai invité Alcon et Cobalt à soumettre leurs observations au sujet du montant des dépens à adjuger en rapport avec les deux instances.

[3]               Les présents motifs portent sur les dépens à adjuger dans les deux dossiers.

I.                   Dossier T‑505‑12

[4]               L’avis de demande a été déposé dans ce dossier le 8 mars 2012 et, comme nous l’avons signalé, Alcon s’est désistée de sa demande à peine cinq jours avant la date à laquelle elle devait être entendue.

[5]               Cobalt sollicite dans ce dossier des dépens avocat‑client de 430 000 $ payables immédiatement, ce qui représente selon elle les frais qu’elle a effectivement engagés dans la présente affaire entre le 12 avril 2012 et le 4 décembre 2013, ainsi qu’aux honoraires qu’elle estime avoir à payer en ce qui concerne les observations formulées au sujet des dépens. À titre subsidiaire, Cobalt réclame un montant forfaitaire de 200 000 $ aussi payable immédiatement, correspondant à l’échelon supérieur de la colonne V du tarif B des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles]. Elle soutient que la conduite d’Alcon mérite d’être sanctionnée et qu’Alcon mérite d’être condamnée soit aux dépens avocat‑client, soit à des dépens majorés.

[6]               Les prétentions de Cobalt à cet égard concernent principalement ce qui s’est produit lors du déroulement de l’instance antérieure [le dossier T‑564‑10] portant sur la demande d’interdiction présentée par Alcon contre Apotex Inc. [Apotex] en rapport avec le brevet 094 relatif aux gouttes ophtalmiques d’olopatadine à 0,1% d’Apotex. Cette demande a été instruite par mon collègue, le juge Barnes, qui a mis sa décision sur le fond en délibéré. À l’issue de l’audience, Alcon et Apotex ont conjointement demandé que la décision ne soit pas rendue, étant donné qu’elles étaient en pourparlers en vue de régler l’affaire. De consentement, l’avocat d’Alcon a écrit à la Cour le 30 mars 2012 pour demander au juge Barnes d’attendre au 12 avril 2012, veille de la date d’expiration du sursis prévu par la loi, avant de rendre sa décision. Toutefois, la lettre du 30 mars 2012 de l’avocat n’a pas été portée à l’attention du juge Barnes et celui‑ci a rendu sa décision dans le dossier T‑564‑10 le 11 avril 2012 [le juge Barnes]. Dans cette décision, le juge Barnes rejetait la demande d’interdiction d’Alcon et concluait que le brevet 094 était invalide pour cause d’évidence.

[7]               Presque immédiatement après, l’avocat d’Alcon a écrit à l’avocat d’Apotex pour l’informer qu’il avait reçu instruction de sa cliente de demander à la Cour :

[traduction] […] que, si possible, le jugement de la Cour soit rétracté, parce que : i) les parties avaient demandé qu’il ne soit pas rendu d’ici au 12 avril un règlement étant imminent; (ii) les parties sont depuis parvenues à un accord sur tous les points essentiels et étaient sur le point de demander aujourd’hui à la Cour de proroger la période prévue par la loi d’un mois pour leur permettre de rédiger un accord formel.

[8]               Il ressort de la décision rendue par la juge Mesbur dans l’affaire Alcon Canada Inc c Apotex Inc, 2013 ONSC 4897, sur laquelle nous reviendrons plus loin, que l’avocat d’Apotex a reçu instruction d’accepter cette proposition, et qu’il a téléphoné au greffe de notre Cour le 11 avril pour lui communiquer le message sur lequel l’avocat d’Alcon et lui‑même s’étaient entendus. Toutefois, il semble que le greffe ait dit au juge Barnes qu’Alcon et Apotex demandaient que son jugement soit rétracté parce qu’elles étaient parvenues à un règlement. Par conséquent, le 12 avril 2013, le juge Barnes a donné la directive suivante :

 

[traduction] Après avoir été informée par les parties qu’un règlement complet du présent litige a été négocié par les parties au même moment où la Cour rendait son jugement, la Cour retire par conséquent son jugement, avec le consentement des parties.

[9]               Le lendemain, Alcon a déposé un avis de désistement devant la Cour dans la demande d’interdiction portant sur les solutions contenant de l’olopatadine à 0,1 %.

[10]           Par la suite, Alcon et Apotex ont poursuivi leurs pourparlers, mais n’ont pas réussi à s’entendre sur des documents définitifs de règlement du litige. En octobre 2012, Alcon a saisi la Cour supérieure de justice de l’Ontario d’une demande visant à faire exécuter l’entente qu’elle soutenait avoir conclue avec Apotex.

[11]           Le 22 juillet 2013, la juge Mesbur a rendu sa décision en réponse à la demande présentée par Alcon en vue de faire exécuter le règlement. Elle a conclu qu’aucune entente n’était intervenue, étant donné que, lors de leurs négociations, les deux parties s’étaient entendues pour dire que toute entente à laquelle elles parviendraient ne serait que provisoire et devait être entérinée par leurs dirigeants respectifs. Comme cette approbation n’avait pas été donnée par Apotex (après avoir été mise au courant de la décision du juge Barnes), la juge Mesbur a estimé que la demande d’interdiction présentée au sujet du produit d’Apotex à base d’olopatadine à 0,1 % n’avait pas été réglée. Alcon n’a pas interjeté appel de la décision de la juge Mesbur.

[12]           En août 2013, Apotex a écrit à notre Cour une lettre dans laquelle elle tentait d’invoquer la décision rendue par le juge Barnes en rapport avec une autre instance l’opposant à Alcon et portant sur de l’olopatadine dans laquelle Alcon se fondait en partie sur le brevet 094. Compte tenu des communications ultérieures échangées entre elle et Alcon, Apotex soutenait que la décision que la Cour avait retirée devait être rétablie. Alcon n’était pas de cet avis. Apotex a finalement décidé de ne pas donner suite à sa demande de rétablissement de la décision du juge Barnes.

[13]           En octobre 2013, Cobalt a écrit à notre Cour pour demander elle aussi le rétablissement de la décision du juge Barnes. Dans sa lettre du 22 octobre adressée à la Cour, l’avocat de Cobalt expliquait que sa cliente avait été mise au courant de la teneur de la décision qui a été retirée lorsque la juge Mesbur a rendu sa décision en juillet 2013. Il ressort toutefois des pièces déposées par Cobalt à l’appui de sa demande de dépens dans la présente affaire que l’avocat de Cobalt avait examinée, en avril 2012, les inscriptions consignées dans le dossier de notre Cour en rapport avec la demande d’interdiction concernant Alcon et Apotex. Or, il appert de celles‑ci qu’un jugement a été rendu le 11 avril 2012 et a été retiré de consentement le lendemain à la suite d’une entente intervenue entre les parties. Toutefois, il n’était pas fait mention du résultat auquel était parvenu le juge dans le jugement ayant été retiré. Ainsi, en avril 2012, Cobalt avait été informée uniquement du fait que le juge Barnes avait retiré sa décision, mais n’avait été mis au courant qu’en juillet 2013 du résultat auquel le juge Barnes était parvenu.

[14]           Le 3 décembre 2013, le juge Barnes a présidé une audience au cours de laquelle il a examiné la demande présentée par Cobalt en vue de faire rétablir sa décision et contestée par Alcon.

[15]           Le juge Barnes a rendu à l’audience une décision faisant droit à la requête de Cobalt. Il a déclaré que sa décision prenait effet rétroactivement au 11 avril 2012 et il a condamné Alcon à payer à Cobalt des dépens fixés à 10 000 $ relativement à la requête en rétablissement. Dans sa décision, le juge Barnes a critiqué la conduite d’Alcon (et d’Apotex), déclarant, à la page 5 de son ordonnance qu’il était :

[traduction] en désaccord avec l’argument d’Alcon suivant lequel le dépôt de l’avis de désistement avait eu pour effet de priver la Cour de compétence pour accorder une réparation. Il n’est pas loisible à une partie d’obtenir une ordonnance sur la foi d’un problème de communication ou de la mauvaise compréhension par la Cour de la situation et d’ensuite préserver la validité de l’ordonnance en se désistant de façon unilatérale de la procédure. Cela va particulièrement de soi lorsque les intérêts de tiers peuvent être en cause. Permettre un tel résultat serait un abus de procédure [...]

[16]           Suivant Cobalt, le fait qu’Alcon ait déposé un avis de désistement et ensuite fait défaut d’informer le juge Barnes que l’affaire n’avait pas été réglée lorsqu’il est devenu évident qu’Apotex refusait de parachever l’entente de règlement justifie l’octroi de dépens avocat‑client ou de dépens majorés parce que, en raison des agissements d’Alcon, Cobalt a dû engager des frais importants, parfaitement inutiles. Cobalt affirme à cet égard que la décision du juge Barnes obligeait Alcon à se désister de sa demande d’interdiction contre Cobalt dans le dossier T‑505‑12, étant donné que les mêmes questions avaient déjà été tranchées par le juge Barnes dans la demande introduite contre Cobalt et qu’Alcon se serait rendue coupable d’un abus de procédure en plaidant de nouveau les mêmes questions (Sanofi‑Aventis Canada Inc c Novopharm Limited, 2007 CAF 163 [Sanofi‑Aventis]).

[17]           Alcon, en revanche, affirme que les dépens de la présente affaire devraient être taxés selon l’échelon médian de la colonne III du tarif B. Elle invoque cinq arguments à l’appui de sa position. Elle soutient tout d’abord que Cobalt était au courant en avril 2012 du retrait de la décision du juge Barnes, mais qu’elle a attendu jusqu’en octobre 2013 pour faire rétablir cette décision, ce qui a prolongé d’autant la demande portant sur l’avis de conformité relatif au produit à base d’olopatadine à 0,1 %. Deuxièmement, Alcon affirme qu’elle a agi de bonne foi en cherchant à faire en sorte que l’entente de règlement soit maintenue et que, à tout le moins pour la période précédant la date à laquelle la juge Mesbur a rendu sa décision, rien ne justifie l’adjudication de dépens majorés. Troisièmement, elle soutient que, même après la décision de la juge Mesbur, elle a agi de façon raisonnable, si l’on tient compte du fait qu’il n’existe aucun précédent sur la façon de se comporter en pareil cas et qu’il n’était donc pas évident qu’elle devait se désister de sa demande contre Cobalt ou informer la Cour de ce qui s’était produit dans l’instance ontarienne. Quatrièmement, Alcon soutient que la jurisprudence invoquée par Cobalt pour justifier une condamnation à des dépens majorés concerne des situations différentes et a trait à des actes beaucoup plus répréhensibles, par exemple le mépris constant et délibéré des droits que confère une marque de commerce à une demanderesse et de la jurisprudence antérieure (Louis Vuitton c Lin Pi‑Chu Yang, 2007 CF 1179 [Louis Vuitton]) ou encore des tentatives délibérées et inutiles de plaider de nouveau les mêmes questions contre la même partie (Apotex c Merck, 2005 CAF 24 [Apotex c Merck], et Benisti Import‑Export Inc c Modes Txt Cardon Inc, 2002 CFPI 810 [Benisti]). Enfin, Alcon a affirmé qu’elle n’aurait pas commis un abus de procédure en plaidant de nouveau la validité du brevet 094 dans le cadre de la demande visant à faire interdire au ministre de délivrer un avis de conformité à Cobalt pour sa solution d’olopatadine à 1,0 %, laissant entendre qu’on ne retrouve dans la demande visant Cobalt aucune des allégations en litige dans la demande présentée par Apotex.

[18]           Je ne suis pas d’accord avec cette dernière affirmation et j’estime qu’Alcon aurait commis un abus de procédure si elle avait maintenu sa demande contre Cobalt relativement au brevet 094 après que la décision du juge Barnes eut été rétablie parce que la même question était soulevée par Cobalt. Comme je l’ai déjà fait observer, le juge Barnes a rejeté la demande d’interdiction présentée contre Apotex parce qu’il estimait que le brevet 094 était invalide pour cause d’évidence. Cobalt a formulé des allégations très similaires au sujet de l’évidence dans le dossier T‑505‑12. Ainsi, le jugement Sanofi‑Aventis tranche le débat : il prévoit que constitue un abus de procédure, au sens de l’alinéa 6(5)b) du Règlement, le fait pour un innovateur de tenter de soulever de nouveau les mêmes allégations que celles qui ont déjà été tranchées dans le cadre d’une demande d’interdiction antérieure à laquelle était partie un autre fabricant de médicaments génériques, et ce, même si les allégations sont formulées différemment dans les avis d’allégation déposés dans les deux dossiers, ou même si l’innovateur tente de produire des éléments de preuve différents dans le second dossier.

[19]           La décision Nycomed Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 541 [Nycomed], sur laquelle Alcon se fonde pour justifier une conclusion différente, ne lui est d’aucun secours, étant donné que cette affaire portait sur une situation complètement différente de celle qui nous occupe en l’espèce. Dans l’affaire Nycomed, le débat portait sur la question de savoir si un fabricant de médicaments génériques avait contrefait le brevet d’un innovateur fondé sur l’usage. Dans une affaire antérieure, la Cour avait rejeté une poursuite en contrefaçon similaire présentée contre un autre fabricant de médicaments génériques. Dans l’affaire Nycomed, la protonotaire Tabib a estimé qu’il convenait d’établir une distinction entre la situation qui était soumise à son examen et celle en cause dans l’affaire Sanofi‑Aventis (ajoutant qu’il ne s’agissait pas d’une tentative visant à saisir à nouveau la Cour d’une question déjà tranchée, ce qui constituerait un abus de procédure au sens de l’alinéa 6(5)b) du Règlement), parce que dans les deux affaires en question le litige portait sur des situations différentes en ce qu’il s’agissait de déterminer si les actes de deux fabricants de médicaments génériques différents constituaient de la contrefaçon. Dans l’affaire Sanofi‑Aventis, en revanche, les deux affaires en cause portaient sur la validité du brevet pour défaut de prédire valablement son utilité. La question en litige était identique dans les deux cas, et découlait directement du brevet lui‑même.

[20]           Pour les motifs que j’ai déjà exposés, la présente affaire et la décision déjà rendue par le juge Barnes au sujet de l’évidence du brevet 094 concernent toutes les deux la même allégation et, par conséquent, la décision Sanofi‑Aventis s’applique, de sorte qu’Alcon aurait commis un abus de procédure en soulevant de nouveau la question de la validité du brevet 094 contre Cobalt. D’ailleurs, ainsi que Cobalt le signale à juste titre, le fait qu’Alcon se soit désistée de sa demande contre elle le lendemain de la date à laquelle le jugement du juge Barnes a été rétabli le démontre de façon éloquente.

[21]           Quant aux autres moyens invoqués par Alcon, contrairement à ce qu’elle prétend, je ne crois pas qu’elle a agi de façon raisonnable tout au long de la procédure. J’abonde plutôt dans le sens du juge Barnes, suivant lequel, surtout après que la juge Mesbur eut décidé qu’il n’y avait pas, entre Alcon et Apotex, d’entente de règlement de la demande d’interdiction à laquelle Apotex était partie, il incombait à Alcon – et d’ailleurs à Apotex – d’informer notre Cour de cette décision pour donner la possibilité au juge Barnes de rétablir sa décision. L’omission de le faire a eu des incidences sur des tiers, et notamment sur Cobalt. Cobalt devait poursuivre la préparation de sa défense en réponse à la demande d’interdiction dans le dossier T‑505‑12 (et de faire valoir ses arguments au sujet du brevet 094 dans le dossier T‑504‑12). De plus, la version générique des gouttes ophtalmiques d’olopatadine à 0,1 % de Cobalt a été tenue à l’écart du marché pendant environ six autres mois, ce qui a probablement causé à Cobalt des pertes et peut‑être privé une partie de la population canadienne de son produit pendant cette période.

[22]           Je ne suis par ailleurs pas d’accord avec Alcon lorsqu’elle avance que Cobalt n’a pas fait preuve de diligence et a tardé à soulever la question du « statut » de la décision qui avait été retirée. Elle n’a été mise au courant de cette décision qu’en juillet 2013, lorsque la juge Mesbur a rendu sa décision dans l’instance ontarienne. Ignorant ce fait, Cobalt n’avait aucune raison de demander le rétablissement de la décision du juge Barnes, étant donné qu’une décision faisant droit à la demande n’aurait pas nécessairement été opposable à Cobalt (voir Apotex Inc c Janssen‑Ortho Inc et al, 2009 CAF 212). De plus, pour ce qui est des trois mois qui se sont écoulés entre le moment où Cobalt a été mise au courant de la décision de la juge Mesbur et la date à laquelle elle a déposé sa demande visant à faire rétablir la décision du juge Barnes, je n’estime pas que Cobalt a tardé de façon déraisonnable à agir, et ce, pour deux raisons. En premier lieu − et surtout −, comme le juge Barnes l’a décidé, c’est d’abord et avant tout à Alcon et à Apotex qu’il incombait de corriger le dossier devant notre Cour et non à Cobalt. En second lieu, Apotex avait elle‑même soulevé la question du « statut » de la décision retirée en s’adressant à la Cour dès août 2013, de sorte que le temps que Cobalt a mis à soulever la question ne portait pas à conséquence.

[23]           Dans ces conditions, j’estime qu’il est justifié d’accorder des dépens avocat‑client pour une partie de la période pour laquelle Cobalt les sollicite. Les dépens avocat‑client ne doivent être accordés que dans des circonstances exceptionnelles et seulement lorsqu’une partie se livre à des agissements qui méritent une sanction, c’est‑à‑dire, lorsqu’elle adopte une conduite qui a souvent qualifiée de « répréhensible, scandaleuse ou outrageante » (voir Young c Young, [1993] 4 RCS 3, au paragraphe 66; Louis Vuitton, au paragraphe 55; Chrétien c Gomery, 2011 CAF 53, au paragraphe 3). Dans le cas qui nous occupe, j’estime que la conduite adoptée par Alcon pour chercher à se soustraire aux conséquences de la décision du juge Barnes après qu’il soit devenu évident qu’il n’y avait pas d’entente de règlement, et en donnant suite à sa demande contre Cobalt jusqu’à la toute dernière minute alors qu’il était clair que la décision retirée ferait en sorte que sa conduite serait considérée comme un abus de procédure, est grave au point de justifier qu’elle soit condamnée à verser des dépens avocat‑client. Sa conduite à cet égard est analogue à celle des parties ayant succombé dans les affaires Apotex c Merck et Benisti, dans lesquelles, au lieu de chercher à interjeter appel, ces dernières avaient tenté de plaider à nouveau les questions en litige. Tout comme une adjudication de dépens avocat‑client convenait dans ces affaires, cette mesure est appropriée en l’espèce parce que, tout comme les parties n’ayant pas eu gain de cause dans les affaires Apotex c Merck et Benisti, Alcon a obligé Cobalt à engager des dépenses parfaitement inutiles.

[24]           Cela étant, je ne suis pas convaincue que l’adjudication de dépens avocat‑client pour toute la période pour laquelle Cobalt les réclame soit justifiée. Je crois qu’Alcon n’a pas tort d’affirmer qu’elle a agi de façon raisonnable avant juillet 2003 alors qu’elle cherchait à faire exécuter le règlement qu’elle croyait avoir conclu, et ce, d’autant plus que c’est Apotex – et non Alcon – qui est revenue sur l’entente de principe qu’elle et Apotex avaient conclue après avoir appris que le juge Barnes avait rejeté la demande d’interdiction dans le jugement qui a été par la suite retiré. Ce n’est que lorsque la juge Mesbur a conclu à l’absence de règlement, que la conduite d’Alcon est devenue répréhensible au point de justifier l’adjudication de dépens avocat‑client.

[25]           Cobalt a donc droit aux dépens avocat‑client dans la présente affaire seulement pour la période comprise entre le 23 juillet 2013 (lendemain de la date de la décision de la juge Mesbur) et le 4 décembre 2013 (date à laquelle Alcon s’est désistée de sa demande dans le dossier T‑505‑12), inclusivement. Les dépens ainsi adjugés comprennent tous les honoraires effectivement payés ou payables par Cobalt pour le travail effectué au cours de cette période, y compris le montant intégral des débours qu’elle a engagés au cours de cette période.

[26]           Pour la période précédant le 23 juillet 2013 et celle suivant le 4 décembre 2013 – et en ce qui concerne la préparation de ses arguments au sujet des dépens – Cobalt n’a droit qu’aux dépens prévus au tarif normalement applicable aux demandes de cette nature. Bien que la jurisprudence ne soit pas fixée en ce qui concerne le barème applicable, plusieurs décisions justifient de s’en remettre à l’échelon médian de la colonne 3 du tarif B des Règles et de prendre en compte la présence de deux avocats à l’audience (voir, par ex., Novartis Pharmaceuticals Canada Inc c Cobalt Pharmaceuticals Co, 2013 CF 985, au paragraphe 112 [Novartis]; Astrazeneca Canada Inc c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2011 CF 1023, au paragraphe 231; Novo Nordisk Canada Inc c Cobalt Pharmaceuticals Inc, 2010 CF 746, au paragraphe 370; Pfizer Canada Inc c Ratiopharm Inc, 2010 CF 612, au paragraphe 178; Lundbeck Canada Inc c Ratiopharm Inc, 2009 CF 1102, au paragraphe 403). J’estime raisonnable de fixer les honoraires de cette manière pour toutes les périodes précédant le 23 juillet 2013 et suivant le 4 décembre 2013, compte tenu de l’ampleur des questions en jeu dans le présent dossier. J’estime également que Cobalt a droit à ses débours raisonnables ce qui, pour les périodes en question comprendraient (le cas échéant) le prix d’un billet d’avion en classe affaires pour des vols transatlantiques pour assurer la présence d’un avocat aux contre‑interrogatoires, conformément à ce qui a été décidé dans d’autres affaires (voir, par ex., Novartis, au paragraphe 112; Bayer Inc c Cobalt Pharmaceuticals Co, 2013 CF 1061, au paragraphe 164).

[27]           J’estime qu’il convient d’attribuer au dossier T‑505‑12 tout le travail effectué par Cobalt relativement au brevet 094 (et donc que les frais associés au dossier T‑504‑12 ne concernent que ceux qui ont été engagés en ce qui a trait au brevet 224). Cette mesure résulte du fait qu’indépendamment de la question de savoir si le travail qu’a effectué Cobalt en ce qui concerne le brevet 094 concerne l’un ou l’autre dossier, il s’agit néanmoins de travail que Cobalt a dû effectuer en raison de la tentative d’Alcon de plaider de nouveau la question de la validité du brevet 094. Par ailleurs, Cobalt n’a pas droit à une double indemnisation pour le même travail effectué en rapport avec deux dossiers distincts. D’ailleurs, dans les observations qu’elle a soumises au sujet des dépens relatifs au dossier T‑504‑12, Cobalt n’a rien demandé en ce qui a trait au brevet 094.

[28]           Une partie du travail effectué par Cobalt ne concernait de toute évidence que le brevet 094 ou le brevet 924. Le travail effectué pour préparer le témoignage des Drs Lightman, Stephan, Yanni, Lieberman et Irani ne concernait que le brevet 094. La préparation du témoignage du Dr Laskar ne concernait que le brevet 924.

[29]           Toutefois à plusieurs autres égards, il n’est pas aussi aisé de déterminer si le travail effectué par Cobalt concerne l’un ou l’autre brevet. John Lucas, qui a souscrit à un affidavit au nom de Cobalt, déclare au paragraphe 7 de son affidavit qu’il a été informé que 10 p. 100 du témoignage de M. Bodmeier concernait le brevet 094 et 90 p. 100 de celui-ci le brevet 924, et que les débours connexes se répartissaient de la même façon. De plus, John Lucas a expliqué que les données relatives à la consignation du temps consacré à une partie importante du travail effectué par Cobalt n’étaient [traduction] « pas assez claires pour permettre de savoir à quel brevet le travail se rapportait », de sorte qu’il avait réparti à parts égales entre les brevets 094 et 924 le travail effectué par cette dernière (au paragraphe 10 de son affidavit). Bien qu’il soit regrettable que Cobalt n’ait pas consigné avec plus d’exactitude le travail effectué dans les dossiers en question, le partage à 10/90 p. 100 pour le travail effectué pour préparer le témoignage de M. Bodmeier et à 50/50 pour le temps dont la consignation est imprécise me semble raisonnable.

[30]           Il aurait été préférable que je puisse déterminer le montant global des dépens au vu des conclusions précédentes, mais, malheureusement, les pièces déposées par Cobalt à l’appui de sa demande de dépens ne me permettent pas de le faire. Ainsi qu’Alcon le fait observer à juste titre dans ses arguments, seuls des renseignements fragmentaires ont été soumis au sujet des débours demandés, aucune facture n’ayant été produite et aucune justification n’ayant été présentée à l’égard de certains des éléments visés par la demande. Il n’y a également aucun affidavit attestant le caractère raisonnable des dépenses comme l’exige normalement le paragraphe 1(4) du tarif B des Règles. De plus, on relève des contradictions dans les données inscrites dans les registres du temps consacré au dossier produits par Cobalt et on constate que des montants sont demandés pour du temps ayant fait l’objet d’une adjudication de dépens par le juge Barnes dans sa décision sur la requête visant à faire rétablir sa décision. Cobalt ne peut être indemnisée deux fois pour le même travail. Enfin, les pièces versées au dossier ne permettent pas de répartir les honoraires demandés en fonction des dépens attribués sur la base avocat‑client et ceux qui sont attribués selon l’échelon médian de la colonne 3 du tarif B des Règles. Je me suis donc abstenue d’accorder un montant forfaitaire en l’espèce et laisse aux parties le soin de calculer les dépens. J’espère qu’à l’aide des présents motifs, elles seront en mesure de mieux régler la question elles‑mêmes. Dans le cas contraire, elles pourront demander à un officier taxateur de procéder au calcul définitif des sommes payables par Alcon à Cobalt pour le dossier T‑505‑12.

II.                Dossier T‑504‑12

[31]           Les questions relatives aux dépens dans ce dossier sont beaucoup plus simples, étant donné que Cobalt demande que des dépens entre parties lui soient accordés et qu’Alcon convient qu’elle est tenue de les payer; elle diverge toutefois d’opinion quant à la façon de les calculer. Elle n’est pas non plus d’accord pour dire qu’un montant forfaitaire devrait être adjugé, et fait observer que le temps censé avoir été consacré à certaines tâches est excessif et que l’importante somme réclamée pour les débours n’a pas été suffisamment justifiée.

[32]           Pour les mêmes motifs que ceux que j’ai formulés au sujet du dossier T‑505‑12, j’ai décidé que les dépens devaient être adjugés selon l’échelon médian de la colonne IV du tarif B des Règles, que Cobalt a le droit d’être indemnisée pour la présence de deux avocats à l’audience et qu’il est raisonnable de tenir compte dans le calcul des débours du prix d’un billet d’avion transatlantique en classe affaires pour permettre à un avocat de participer aux contre‑interrogatoires. Toutefois, comme Cobalt n’a pas déposé d’éléments de preuve pour démontrer que le montant qu’elle sollicite au titre des débours était raisonnable, je refuse d’accorder un montant forfaitaire, comme la juge Snider a refusé de le faire pour essentiellement les mêmes raisons dans la décision Sanofi‑Aventis Canada Inc c Novopharm Limited, 2009 CF 1139, au paragraphe 6.

[33]           Comme je l’ai déjà expliqué, seul le travail effectué en rapport avec le brevet 924 doit, aux fins de l’adjudication des dépens, être considéré comme du travail effectué dans le dossier T‑504‑12. Lorsqu’il est impossible de déterminer avec certitude si le travail concernait le brevet 094 ou le brevet 924, les parties devront tenter de s’entendre sur la répartition. Comme je l’ai déjà signalé, il me semble raisonnable d’attribuer 90 p. 100 du témoignage du Dr Bodmeier au brevet 924 et de répartir à parts égales le temps dont la consignation est imprécise. Là encore, j’espère qu’avec les directives données dans les présents motifs, les parties réussissent à s’entendre sur le montant des dépens payables dans le présent dossier. Toutefois, advenant le cas où elles n’y parviendraient pas, elles pourront s’adresser à un agent taxateur.

[34]           Enfin, pour ce qui est de l’argument d’Alcon suivant lequel les observations présentées en réponse par Cobalt constituent un fractionnement inacceptable du dossier, j’estime qu’à une exception près, ce n’est pas le cas. Cette exception concerne la demande faite par Cobalt en vue d’être autorisée à verser des pièces complémentaires pour combler les lacunes de son mémoire initial. Je ne suis pas disposée à l’autoriser, pour éviter un fractionnement de la cause et parce que cette mesure déclencherait un nouvel échange interminable d’arguments. Dans la mesure où Cobalt estime nécessaire de soumettre d’autres pièces justificatives, elle pourra le faire devant l’agent taxateur. Toutefois, je répète mon souhait que les parties puissent réussir à s’entendre sur le montant des dépens payables, maintenant que j’en ai établi les paramètres dans les présents motifs.

 


ORDONNANCE

LA COUR :

1.      Dans le dossier T‑505‑12, Alcon est condamné à payer à Cobalt :

a.       les dépens calculés selon l’échelon médian de la colonne IV du tarif B des Règles pour ce qui est des honoraires et débours raisonnables engagés avant le 23 juillet 2013;

b.      les dépens avocat‑client, soit les honoraires et débours effectivement engagés au cours de la période du 23 juillet 2013 au 4 décembre 2013 inclusivement;

c.       les dépens calculés selon l’échelon médian de la colonne IV du tarif B des Règles en ce qui concerne les frais et débours raisonnables engagés après le 4 décembre 2013.

2.      Dans le cas du dossier T‑504‑12, Alcon est condamnée à payer à Cobalt les dépens calculés selon l’échelon médian de la colonne IV du tarif B, au titre des honoraires et débours raisonnables engagés par Cobalt.

3.      Les directives suivantes s’appliquent aux deux dossiers, en ce qui concerne les dépens calculés selon l’échelon médian de la colonne IV :

a.       sont inclus dans les honoraires raisonnables les honoraires liés à la présence d’un deuxième avocat à l’audience;

b.      les honoraires d’experts sont accordés, mais ceux‑ci ne peuvent excéder les honoraires habituels d’un avocat principal pour le même nombre d’heures;

c.       les frais ou les débours afférents à la participation à des contre‑interrogatoires se limitent à ceux d’un seul avocat et comprennent ses frais de déplacement;

d.      le cas échéant, les frais de déplacement en classe affaires sont raisonnables, mais uniquement pour les vols transatlantiques.

4.      Les parties devront tenter de s’entendre sur les montants des dépens dans les dossiers T‑505‑12 et T‑504‑12 en se fondant sur les présents motifs. Advenant le cas où les parties n’arriveraient pas à s’entendre, elles pourront s’adresser à un officier taxateur.

« Mary J.L. Gleason »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIERS :

T‑504‑12 et T‑505‑12

 

DOSSIER :

T‑504‑12

 

INTITULÉ :

ALCON CANADA INC., ALCON RESEARCH, LTD., ALCON PHARMACEUTICALS, LTD. ET KYOWA HAKKO KIRIN CO., LTD. c COBALT PHARMACEUTICALS COMPANY ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

ET DOSSIER :

T‑505‑12

 

INTITULÉ :

ALCON CANADA INC., ALCON RESEARCH, LTD., ET KYOWA HAKKO KIRIN CO., LTD. c COBALT PHARMACEUTICALS COMPANY ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

ORDONNANCE ET MOTIFS

(CONCERNANT LES DÉPENS)

LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 MAI 2014

 

 

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Belmore Neidrauer LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Deeth Williams Wall LLP

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE,

COBALT PHARMACEUTICAL COMPANY

 

 

 

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