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Date : 20140527


Dossier : IMM‑1823‑13

Référence : 2014 CF 510

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 mai 2014

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

MARIO GYULA VARGA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Quelles sont les particularités de la qualité de réfugié? Est‑ce suffisant de démontrer que le demandeur d’asile est un Rom de Hongrie? L’avocate de M. Varga a dangereusement failli avancer cet argument. L’une des raisons pour lesquelles la demande d’asile de M. Varga a été rejetée tenait au fait que, selon la commissaire de la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, la protection offerte par l’État en Hongrie était adéquate. L’avocate soutient que l’analyse de la protection de l’État était déraisonnable. En effet, il me semble que, selon son observation, la seule évaluation raisonnable au sujet de la situation en Hongrie porte sur le fait que chacun de ses 200 000 à 500 000 citoyens d’origine rom craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, et que, selon la prépondérance des probabilités, la vie de chacun de ces citoyens est en péril, ou que chacun de ces citoyens risque des traitements ou peines cruels et inusités.

[2]               S’il en est ainsi, la Hongrie est un État non viable. Or, tel n’est pas le cas.

[3]               La commissaire, qui a instruit la demande de M. Varga, ainsi que les demandes de sa mère et de son demi‑frère, a rejeté sa demande pour deux motifs : la crédibilité et la protection de l’État. Le présent contrôle judiciaire porte sur cette décision.

I.                   Norme de contrôle

[4]               La norme de contrôle applicable n’est pas contestée. Les conclusions de la commissaire quant à la crédibilité et à la protection de l’État font l’objet d’un examen selon la norme du caractère raisonnable. La décision de la commissaire commande donc la déférence, même si un autre commissaire aurait pu arriver à une conclusion différente. Cela ne suffit pas pour rendre la décision contestée déraisonnable.

[5]               La demande de M. Varga a été instruite en même temps que les demandes de sa mère, Agnes Kiss, et de son demi‑frère, Rafael Kiss. Les demandeurs ont invoqué deux motifs. Ils étaient tous victimes de violence familiale de la part du père de M. Varga, qui avait été le conjoint de fait de Mme Kiss jusqu’en 1999. Les demandeurs craignaient également d’être persécutés par la Garde hongroise et ses successeurs, les néonazis et les skinheads.

[6]               Bien que ce ne soit pas mentionné dans le dossier, l’avocate a reconnu que les demandes d’asile de Mme Kiss et de son fils Rafael avaient été accueillies sur le fondement de la violence familiale. La commissaire a conclu que le père de M. Varga n’était pas exposé à un risque sérieux à cause de son père, mais ses conclusions quant à la crédibilité à cet égard ont eu une incidence significative sur ses doutes quant à la véracité des agressions qu’il avait subies du fait de sa race.

[7]               Au cours de l’audience, M. Varga a hésité à préciser la relation avec son père, qui l’a bel et bien aidé à obtenir un passeport. Il a admis qu’ayant désormais atteint l’âge adulte il ne craignait plus son père, mais qu’il craignait plutôt pour la sécurité de sa mère et de son jeune frère.

[8]               L’une des raisons pour lesquelles il ne communiquait plus avec son père était (variation d’un thème bien connu) que son chien avait mangé son téléphone cellulaire où il avait sauvegardé son numéro.

[9]               Quant à la race, la commissaire a conclu, à juste titre, que le récit de M. Varga s’était amélioré au fil du temps. Il a commencé par être victime d’intimidation à l’école. Il a été ensuite agressé et a effectué un séjour à l’hôpital. Il a signalé l’agression aux médecins. Ceux‑ci, ou lui‑même, ont probablement signalé l’incident à la police. Les médecins ont dressé ou non un rapport. Le demandeur soutient que ses efforts pour obtenir une copie du rapport médical se sont avérés vains. Il n’était pas déraisonnable pour la commissaire d’écarter cette allégation.

[10]           La crédibilité de M. Varga était mise en doute à juste titre; il était loisible à la commissaire d’exiger la corroboration (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302, [1979] ACF no 248 (QL); Ahortar c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993) 65 FTR 137, [1993] ACF no 705 (QL).

[11]           La commissaire n’était pas convaincue que les agressions invoquées par M. Varga s’étaient véritablement produites. Par conséquent, rien dans ses antécédents en Hongrie ne permettait d’inférer qu’il serait personnellement exposé à un risque s’il retournait au pays. Sa demande devait se fonder sur des cas de personnes se trouvant dans une situation semblable.

II.                Protection de l’État

[12]           Un incident à signaler porte sur les sévices que le père de M. Varga a fait subir à sa mère quelques années après leur séparation. Elle a porté plainte à la police et le père de M. Varga a fait l’objet d’une accusation criminelle. Il semble que l’affaire n’est pas allée plus loin parce que, même s’il avait été assigné à comparaître, le père de M. Varga ne se pas présenté en cour et qu’il n’était pas possible de le condamner in absentia. Mme Kiss n’a pas été en mesure de fournir aux autorités son adresse. Il s’agit d’un proxénète violent qui passait son temps en Hongrie et dans les pays voisins.

[13]           Même si cette agression n’avait peut‑être pas un caractère raciste, elle sert effectivement de preuve que la police vient en aide aux citoyens roms.

[14]           Dans son ouvrage The Law of Refugee Status, 1991, James C. Hathaway décrit la persécution dans une note liminaire comme [traduction] « la violation soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne révélatrice de l’absence de la protection de l’État ».

[15]           En l’espèce, l’auteur présumé des violences n’est pas l’État mais des factions à l’intérieur du pays. Dans l’arrêt Rajudeen c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1984] ACF no 601 (QL), de la Cour d’appel fédérale, le juge Heald, s’exprimant en son propre nom et en celui du juge Hugessen, s’en est remis aux définitions de la persécution tirées de dictionnaires, puisque la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés était muette à cet égard. Il a affirmé ce qui suit :

Par conséquent, on peut consulter les dictionnaires à cet égard. Le « Living Webster Encyclopedic Dictionary » définit [traduction] « persécuter » ainsi :

[traduction] « Harceler ou tourmenter sans relâche par des traitements cruels ou vexatoires; tourmenter sans répit, tourmenter ou punir en raison d’opinions particulières ou de la pratique d’une croyance ou d’un culte particulier. »

Le « Shorter Oxford English Dictionary » contient, entre autres, les définitions suivantes du mot « persécution » :

[traduction] « Succession de mesures prises systématiquement, pour punir ceux qui professent une (religion) particulière; période pendant laquelle ces mesures sont appliquées; préjudice ou ennuis constants quelle qu’en soit l’origine. »

[16]           Dans des motifs concordants, le juge Stone a déclaré ce qui suit :

Il convient, je pense, de tenir compte de cette formulation de la politique sous‑jacente en matière d’immigration pour déterminer si le statut de réfugié visait à englober un cas particulier. De toute évidence, une personne ne peut être considérée comme un « réfugié au sens de la Convention » seulement parce qu’elle a subi des mauvais traitements de la part de ses concitoyens dans son pays. Selon moi, il faut, pour satisfaire à la définition, que la persécution dont on se plaint ait été commise ou tolérée par l’État lui‑même, et qu’elle se traduise par des actes commis par l’État contre un particulier ou par la tolérance dont l’État fait preuve sciemment à l’égard de la conduite de certains de ses citoyens, ou par son refus de protéger un particulier contre cette conduite, ou son incapacité à le faire.

[17]           La présente affaire repose, comme le dit le juge Stone, sur la question de savoir si la Hongrie refuse de protéger M. Varga ou n’est pas en mesure de le protéger. Voilà qui nous amène à l’arrêt de principe de la Cour suprême, Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, et aux nombreux arrêts qui l’ont suivi. Bon nombre de ces affaires portent sur des tendances actuelles de la jurisprudence, mais la Hongrie est une véritable démocratie et il incombait à M. Varga d’établir de façon convaincante que l’État refusait de le protéger ou n’était pas en mesure de le protéger véritablement.

[18]           L’avocate de M. Varga a cité quatorze décisions récentes où la Cour a fait droit aux demandes de contrôle judiciaire à l’égard de Roms de la Hongrie (Hercegi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 250; Balogh c Canada (Citoyenneté et Immigration), IMM‑1892‑12; Sebok c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1107; Orgona c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1438; Varadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 407; Budai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 552; Majoros c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 421; Muntyan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 422; Beri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 854; Moczo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 734; Gulyas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 254; Ignacz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1164; Horvath c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 95, et Molnar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 296).

[19]           Le ministre n’a pu trouver que cinq décisions récentes ayant rejeté le contrôle judiciaire (Botragyi c Canada (Citoyenneté et Immigration), IMM‑13187‑12; Dudu c Canada (Citoyenneté et Immigration), IMM‑6686‑13; Horvath c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 253; Riczu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 888, et Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004).

[20]           Quelle conclusion pouvons‑nous tirer de ces statistiques? Chaque décision dépend de la situation personnelle de la partie demanderesse, de la preuve, du caractère adéquat de l’analyse effectué par le Tribunal et, en fait, de l’appréciation de la preuve par les différents juges de la Cour (Banya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 313, [2011] ACF no 393 (QL), au par. 4.

[21]           La commissaire a analysé les questions liées à la protection de l’État dans 42 paragraphes bien argumentés. Il n’est pas nécessaire d’examiner chacun des faits qu’elle a cités.

[22]           La commissaire a été critiquée pour l’utilisation des statistiques. Elle a cité un rapport dans lequel l’European Roma Rights (Centre européen de défense des droits des Roms) enregistrait 61 agressions contre des Roms ou contre leurs biens entre janvier 2008 et septembre 2012. La commissaire a reconnu qu’il y a avait peut‑être d’autres cas non rapportés. Il a été avancé que la commissaire aurait dû renvoyer à d’autres documents faisant état de la hausse de la violence. Toutefois, après examen minutieux du dossier, je suis d’avis qu’il n’existe pas une possibilité sérieuse de préjudice.

[23]           La commissaire a noté la hausse de groupes extrémistes, comme la Garde hongroise dissoute, et le discours officiel d’un parti en particulier, Jobbik.

[24]           La commissaire a admis l’existence des problèmes liés au racisme structurel mais aussi des mesures prises par le gouvernement. Son évaluation de la situation en Hongrie est mitigée. Il y avait des manquements à l’échelle régionale dans le maintien efficace de l’ordre, ce qui n’indique cependant pas une absence de la protection de l’État à moins qu’il ne s’agisse d’une tendance plus générale de l’État à être incapable ou à refuser d’offrir une protection. À son avis, il n’y avait aucun élément de preuve convaincant à cet égard.

[25]           Selon les éléments de preuve, la police prenait des mesures pour mettre fin aux manifestations des groupes de justiciers et aux actes de violence raciale.

[26]           La commissaire ne s’est pas uniquement fondée sur les bonnes intentions qui ne s’étaient pas réalisées, mais a conclu objectivement à l’existence, à l’heure actuelle, d’une protection de l’État adéquate.

[27]           Selon l’avocate du ministre, on me demande d’examiner les éléments de preuve. Je suis d’accord.

[28]           Il ne s’agit pas de déterminer si un autre commissaire de la SPR aurait pu arriver à une conclusion différente. Il s’agit de savoir si la décision était raisonnable. J’estime que tel est le cas en l’espèce.

 


JUGEMENT

POUR LES MOTIFS ÉNONCÉS CI‑DESSUS;

LA COUR STATUE comme suit :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Sean Harrington »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1823‑13

 

INTITULÉ :

MARIO GYULA VARGA c MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 MAI 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 27 MAI 2014

 

COMPARUTIONS :

Maureen Silcoff

POUR LE DEMANDEUR

 

Margherita Braccio

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Silcoff, Shacter

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUER LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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