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Date : 20140522


Dossier : IMM-11574-12

Référence : 2014 CF 484

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 mai 2014

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

MONICA DEL PILAR PLATIN VARGAS, LUIS ALEJANDRO PLATIN RIANO, MARIA DEL PILAR VARGAS DE PLATIN, JUAN CARLOS RODRIGUEZ CUMACO, PAULA ANDREA RODRIGUEZ PLATIN (REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE, JUAN CARLOS RODRIGUEZ CUMACO), ET MARIA ALEJANDRA RODRIGUEZ PLATIN (REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE, JUAN CARLOS RODRIGUEZ CUMACO)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La demanderesse principale, Monica del Pilar Platin Vargas, son époux, Juan Carlos Rodriguez Cuamaco, leurs filles jumelles, Paula Andrea Rodriguez Platin et Maria Alejandra Rodriguez Platin, et les parents de la demanderesse principale, Maria del Pilar Vargas de Platin et Luis Alejandra Platin Riano, sollicitent le contrôle judiciaire de la décision en date du 17 octobre 2012 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

Les faits

[2]               Les demandeurs sont originaires de la Colombie. Ils affirment craindre d’être persécutés par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC). Selon la demanderesse principale, sa mère et elle étaient chefs de communauté et militantes à Bogotá. Ses parents ont déménagé plus tard à Boyaca, mais ils ont été forcés de quitter leur ferme en raison des menaces proférées par les FARC. En 2002, sa mère et elle ont appuyé Alvaro Uribe au cours des élections présidentielles et, par conséquent, ont reçu des appels de menaces. En 2005, sa mère a fait l’objet d’une tentative d’enlèvement lorsqu’elle quittait une réunion politique. En août 2005 sont nées les jumelles. En 2006, des menaces ont été reçues sous la forme d’une note de condoléances pour la mère de la demanderesse principale. En mai 2006, le père de la demanderesse principale s’est enfui aux États‑Unis où il a été rejoint par la mère de la demanderesse principale en juillet de la même année. Ils ont présenté une demande d’asile qui a été rejetée.

[3]               En août 2007, la demanderesse principale a repris ses activités politiques. Elle soutient avoir reçu en conséquence des appels de menaces de la part des FARC et ajoute que, le 18 juin 2009, elle a reçu à son appartement un dépliant qui contenait des menaces à son égard et à l’égard de toute sa famille. En août 2009, elle a reçu un appel sur son téléphone cellulaire; la personne qui l’appelait lui a dit qu’elle serait la prochaine à être prise pour cible. Peu de temps après, alors qu’elle était en route pour aller chercher ses filles à l’école maternelle, la demanderesse s’est rendu compte qu’elle était suivie par un véhicule qui l’a dépassée et lui a bloqué la route. Elle a évité la voiture, mais elle a entendu des coups de feu tirés en sa direction lorsqu’elle s’est enfuie. Elle et son époux ont décidé de quitter la Colombie. Elle est partie aux États‑Unis avec ses enfants le 12 août 2009. Son époux a quitté le pays en avril 2010. Ils sont arrivés au Canada le 25 avril 2010 et ont demandé l’asile le jour suivant. Ses parents sont arrivés au Canada le 8 juin 2010 et ont eux aussi demandé l’asile le jour suivant.

[4]               La SPR a rejeté leurs demandes. Essentiellement, le tribunal a conclu que la demanderesse principale n’était pas crédible et qu’elle n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État.

La décision contestée

[5]               En ce qui concerne la crédibilité, la SPR a souligné que, selon la demanderesse principale, une balle tirée lors de l’incident survenu en août 2009 a fait un trou dans sa voiture. Or, la demanderesse n’a pas mentionné cet incident dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) ni n’a fourni de photo du trou en question ou de facture de la réparation. Elle n’a aucunement expliqué l’omission dans le FRP. La demanderesse principale a déclaré que son époux avait fait réparer la voiture et avait signalé l’incident à la police. Toutefois, il a porté plainte huit mois plus tard, soit le 9 avril 2010. La SPR a pris acte de la lettre de Luz Castellanos, le directeur des études à l’école des enfants, indiquant que la demanderesse principale était arrivée à l’école dans un état de détresse et avait dit que quelqu’un lui avait tiré dessus. La SPR a toutefois estimé que les déclarations du directeur constituaient du ouï‑dire. La SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que l’incident n’était jamais survenu. Même si l’accident était survenu, il n’existait aucun élément de preuve convaincant de la participation des FARC. De plus, l’époux de la demanderesse principale n’a signalé l’incident à police que le jour précédant son départ de la Colombie. La SPR n’a pas retenu l’explication que celui‑ci a donnée, à savoir qu’il avait porté plainte ce jour‑là pour conserver une trace de l’incident, mais a plutôt conclu que la plainte visait à appuyer une demande d’asile. Pour cette raison, la SPR n’a accordé aucun poids à cet élément. L’exposé circonstancié de la demanderesse principale contenu dans son FRP était le seul pour toute la famille.

[6]               En ce qui concerne la tentative d’enlèvement, la mère de la demanderesse principale a déclaré qu’ils ne l’ont pas immédiatement signalée à la police parce qu’ils craignaient les FARC qui les avaient menacés de mort. Elle n’a pas non plus signalé un autre appel de la part des FARC reçu en juin 2006. Lorsque la SPR a relevé que la demanderesse principale n’avait fait aucune mention de la tentative d’enlèvement dans son FRP, sa mère a expliqué que personne ne lui avait dit, car, à ce moment‑là, sa santé était fragile. L’incident lui a été révélé un an et demi après qu’elle eut rédigé son FRP. La SPR a noté que la demanderesse principale n’avait apporté aucune modification à son FRP, même lorsqu’elle a appris la tentative d’enlèvement. La SPR a également souligné que la demanderesse principale a fourni une déclaration sous serment dans les demandes d’asile présentées aux États‑Unis par ses parents, faisant référence aux menaces et aux tentatives d’enlèvement constantes depuis décembre 2005. Malgré les contradictions et les omissions, la SPR a conclu que la tentative d’enlèvement figure dans les demandes d’asile présentées par les parents de la demanderesse principale et a donc accepté qu’un incident soit survenu en décembre 2005.

[7]               Bien que le père de la demanderesse principale ait déclaré qu’ils ont été forcés de quitter leur ferme dont se sont emparés les FARC, la SPR a conclu que les demandes d’asile présentées aux États‑Unis ne faisaient pas référence à cette histoire. Le père a déclaré avoir signalé le vol du bétail et les menaces de mort à la police en 1998 ou en 1999, mais qu’il n’avait pas de copies des rapports de la police parce qu’ils avaient été laissés à la ferme. En 1998, il a reçu un petit bout de papier confirmant sa présence au poste de police. Le père a affirmé que des policiers se sont rendus à la ferme pour constater les dommages causés à la clôture et que leur enquête s’est arrêtée là.

[8]               Quant à la protection de l’État, la SPR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État. La SPR a noté que les demandeurs n’ont pas signalé l’incident qui serait survenu en décembre 2005. De plus, il n’y a aucun élément de preuve démontrant que la police n’a pas réagi de façon appropriée lorsqu’elle a été mise au courant des menaces proférées contre la mère de la demanderesse principale. La SPR a conclu que les policiers avaient fait enquête sur les problèmes survenus à la ferme. Aucune plainte n’a été faite de la part de la demanderesse ou de sa famille au sujet de la présumée fusillade avant qu’elle ne quitte le pays. La SPR a examiné la preuve documentaire et a conclu que la prépondérance de la preuve objective concernant les conditions actuelles dans le pays porte à croire que l’État offre une protection adéquate, bien qu’imparfaite, aux victimes d’actes criminels en Colombie.

La norme de contrôle applicable

[9]               La norme de contrôle applicable aux conclusions sur la crédibilité, qui sont essentiellement de pures conclusions de fait, est celle de la décision raisonnable (Zhou c Canada (Mnistre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 619, au par. 26; Rodriguez Ramirez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 261, au par. 32; Wu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 929, aux par. 17 et 18; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CA) [Aguebor]). Cette norme s’applique également aux conclusions relatives à la protection de l’État (Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, au par. 38; Orellana Ortega c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 611, au par. 7). Le caractère raisonnable d’une décision tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au par. 47).

[10]           Lorqu’il s’agit d’examiner une conclusion sur la crédibilité, il faut garder à l’esprit qu’un tribunal administratif est dans une position avantageuse pour évaluer la crédibilité des témoins, ce qui implique donc que la Cour doit faire preuve de déférence lorsqu’elle révise ce genre de conclusions (RKL c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] ACF no 162 (1re inst.), aux par. 7 à 9). La Cour n’interviendra à l’égard d’une conclusion sur la crédibilité que si le décideur a rendu une décision fondée sur « une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose » (Aguebor, précitée).

Analyse

[11]           À mon avis, la conclusion défavorable tirée par la SPR sur la crédibilité était raisonnable. La SPR a clairement expliqué pourquoi elle avait conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles et pourquoi elle doutait de la véracité de leur récit. Il ressort de la décision dans son ensemble que la SPR a formulé une conclusion générale défavorable sur la crédibilité parce qu’elle doutait que la fusillade soit survenue et en raison des contradictions et des omissions relevées dans la preuve.

[12]           À cet égard, la SPR a noté que, bien que la mère de la demanderesse principale ait affirmé que sa fille n’avait été mise au courant de la tentative d’enlèvement survenue en 2005 qu’après avoir soumis le FRP, elle avait en fait fourni une déclaration sous serment dans la demande d’asile présentée par ses parents aux États‑Unis faisant référence aux [traduction] « menaces et [aux] tentatives d’enlèvement constantes depuis décembre 2005 ». La SPR a également noté que la tentative d’enlèvement survenue en 2005 n’avait été signalée à la police qu’en avril 2006 et que les menaces de la part des FARC qui ont amené les demandeurs à quitter la ferme n’ont pas été mentionnées dans la demande d’asile présentée par les parents de la demanderesse principale aux États‑Unis ni dans les demandes d’asile présentées par les demandeurs au Canada. Cette question a été plutôt soulevée au cours de l’audience. Enfin, la SPR a souligné que, même si l’époux de la demanderesse principale avait affirmé que son épouse et lui avaient reçu des appels de menaces, il a également déclaré qu’il n’était pas directement visé.

[13]           La demanderesse principale a déclaré avoir trouvé un trou de balle dans sa voiture après l’incident qui serait survenu en août 2009. Or, elle n’a pas mentionné cet incident dans son FRP ni n’a modifié son FRP avant l’audience. Il est loisible à la SPR de comparer le FRP de la demanderesse à son témoignage et de fonder ses conclusions concernant la crédibilité sur des contradictions et des omissions (Pineda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 889, aux par. 14 et 15; Shatirishvili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 407, au par. 29). Quand on lui a demandé pourquoi elle n’avait pas fait mention de cet incident dans son FRP, elle a dit qu’elle ne se souvenait pas et n’a offert aucune explication pour cette omission. La SPR a aussi raisonnablement tenu compte du fait que l’incident en question avait été signalé à la police avec huit mois de retard, tout juste avant que l’époux de la demanderesse principale quitte la Colombie pour rejoindre sa famille. 

[14]           Les demandeurs font également valoir que la SPR a écarté, sans motif, l’explication de la demanderesse principale quant à la raison pour laquelle l’incident lié au trou de balle n’avait pas été documenté ni mentionné dans le FRP, ainsi que les éléments de preuve corroborants correspondant à la lettre du directeur des études de l’école de ses filles. Interrogée quant à la raison pour laquelle elle n’avait pas pris des photos des dommages causés, la demanderesse principale a répondu qu’elle craignait les FARC. Elle a ajouté qu’elle n’avait pas de copie de la facture parce que c’était son époux qui l’avait reçue. La SPR a demandé pourquoi son époux et elle n’avaient pas fourni une copie de la facture parmi les éléments de preuve présentés. La demanderesse principale a répondu que c’était parce qu’elle avait quitté le pays deux jours après l’incident. Comme l’époux de la demanderesse principale a témoigné qu’il avait signalé l’incident à la police pour conserver une trace du départ de la famille qui était attribuable aux menaces des FARC, il est raisonnable d’inférer que celui‑ci aurait documenté l’incident lié au trou de balle dans leur voiture, pour la même raison, et qu’il aurait gardé la facture de la réparation. Cela est d’autant plus vrai, vu qu’il n’a quitté la Columbie que huit mois après le départ de son épouse et de ses enfants et qu’il savait qu’ils demanderaient l’asile au Canada.

[15]           La SPR n’a pas accepté l’explication de la demanderesse et n’était pas tenue de le faire (Houshan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 650, au par. 19). En l’espèce, il est évident que le rejet reposait sur la crédibilité, vu que l’explication donnée était invraisemblable dans les circonstances.

[16]           La SPR a retenu la lettre du directeur des études et l’a prise en considération dans ses motifs, mais a estimé qu’elle constituait du ouï‑dire. Ainsi, même si la SPR a admis cette lettre en preuve, elle lui a accordé peu de poids. Il est loisible à la Commission d’attribuer un poids accru ou réduit à la preuve en fonction de sa source et de l’existence de corroboration (Shah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 280, au par. 19). Bien que je m’interroge quant à l’importance réduite que la SPR a accordée à cet élément de preuve du seul fait qu’elle constituait du ouï‑dire, compte tenu de la décision dans son ensemble, il est manifeste que la SPR n’était pas convaincue que l’incident en question s’était produit, vu les contradictions et les omissions dans la preuve. La SPR était donc en droit d’évaluer la lettre en conséquence. La SPR avait également demandé des éléments de preuve corroborants, notamment en ce qui concerne le trou de balle et la réparation de la voiture, documents que les demandeurs auraient raisonnablement pu se procurer, mais qu’ils n’avaient pas fournis; les demandeurs n’avaient pas non plus justifié raisonnablement l’absence de ces documents. Par conséquent, j’estime que la SPR a tenu compte de toutes les observations, qu’elle a rejeté avec raison l’explication quant à l’absence d’éléments de preuve souvent corroborants et qu’elle a évalué la preuve en conséquence.

[17]           En ce qui concerne la prétention des demandeurs selon laquelle la SPR ne pouvait pas rejeter leur demande d’asile en se fondant uniquement sur l’absence d’une preuve corroborante, il en va de même si la crédibilité n’est pas mise en question (Dundar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1026, aux par. 19 à 22; Ahortor c Canada (Ministe de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 65 FTR 137 (1re inst.), au par. 45). Or, en l’espèce, la Commission n’a pas fondé sa conclusion quant à la crédibilité uniquement sur l’absence de documents corroborants, mais aussi sur les omissions et les contradictions relevées dans la preuve. Les doutes concernant la crédibilité « influent sur l’appréciation de la preuve documentaire ou de l’absence de celle‑ci. La nécessité que la preuve soit corroborée est encore plus importante lorsque la crédibilité est en cause » (Rosales c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 323, au par. 19 [Rosales]).

[18]           En somme, la Commission était la mieux placée pour évaluer la crédibilité et sa décision appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Rosales, précitée, au par. 20). 

[19]           En ce qui concerne la protection de l’État, les demandeurs affirment que la SPR ne peut se fonder sur certains éléments de preuve documentaire sans procéder à une analyse raisonnée pour expliquer sa préférence à cet égard. En l’espèce, la SPR s’est appuyée sur des éléments de preuve faisant état des modifications récentes apportées à la législation et aux services de sécurité en Colombie, mais qui démontrent manifestement que les risques sont loin d’être écartés. Selon les demandeurs, rien n’indique que la SPR était au fait de la situation en Colombie. Les demandeurs d’asile n’ont pas à s’adresser à l’État pour obtenir sa protection dans les cas où il est raisonnable qu’ils l’obtiennent; une demande d’asile ne saurait être rejetée du seul fait que les demandeurs ne se sont pas adressés aux autorités de l’État dans le passé. Les demandeurs ajoutent que les conclusions relatives à la protection de l’État ne sauraient être déterminantes lorsque les conclusions sur la crédibilité sont entachées d’erreur. De plus, la SPR doit analyser correctement la preuve et fournir des motifs pour justifier ses conclusions, ce qui n’a pas été fait en l’espèce.

[20]           Le défendeur fait essentiellement valoir que, d’après les faits de l’espèce, les demandeurs ne se sont pas acquittés de leur obligation de démontrer par une preuve claire et convaincante que la protection de l’État était inefficace et inadéquate. Il ne suffit pas de se fonder uniquement sur la preuve documentaire relevant des failles dans le système si les demandeurs ne se sont pas prévalus de la protection offerte par l’État. En l’espèce, les demandeurs tentent d’invoquer la preuve documentaire en l’absence de leur propre omission de solliciter la protection de l’État de manière uniforme et diligente.

[21]           Pour réfuter la présomption de la protection de l’État, le demandeur « doit produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État en question est insuffisante » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Flores Carillo, 2008 CAF 9, au par. 30). La protection offerte par l’État n’a pas à être parfaite, mais elle doit être suffisante; « l’omission du demandeur de s’adresser à l’État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas où la protection de l’État [traduction] "aurait pu raisonnablement être assurée" » (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, au par. 49, 103 DLR (4th) 1; Da Souza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1279, aux par. 15, 18). Une protection suffisante offerte par l’État nécessite davantage que de « sérieux efforts » pour régler des problèmes et protéger ses citoyens (Garcia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 79, au par. 16). La SPR doit plutôt tenir compte de la situation réelle au pays, soit des efforts ayant, dans les faits, véritablement engendré une protection adéquate de l’État, et non de ce que l’État a entrepris de mettre en place (Hercegi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 250, aux par. 5 et 6; Majoros c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 421, au par. 12).

[22]           La SPR n’a pas besoin de référer à chacun des éléments de preuve présentés; toutefois, la décision sera probablement considérée comme étant déraisonnable si la SPR omet de référer à un élément de preuve important (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (1re inst.); Vargas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 543, au par. 16).

[23]           À mon avis, d’après le dossier dont elle était saisie, y compris le FRP de la demanderesse principale et le témoignage des autres demandeurs, la SPR a conclu de manière raisonnable que les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption de protection de l’État. La SPR a formulé plusieurs conclusions qui sont raisonnables, compte tenu du dossier, notamment que les demandeurs n’ont signalé l’incident qui serait survenu en décembre 2005 à la police qu’en 2006, qu’il n’y avait aucun élément de preuve démontrant que les autorités n’avaient pas réagi de façon appropriée lorsqu’elles avaient été mises au courant des menaces proférées contre la mère de la demanderesse principale, que les policiers ont enquêté sur les incidents survenus à la ferme et que les demandeurs n’ont déposé aucune plainte avant que la demanderesse principale ne quitte le pays, et que son mari est parti le lendemain du signalement.

[24]           En ce qui a trait au dernier point, il était raisonnable pour la SPR de conclure que la présentation d’une dénonciation et le départ subséquent de la Colombie, alors que la procédure était en cours, ne constituaient pas une preuve claire et convaincante de l’incapacité de la Colombie de protéger la demanderesse principale. Une conclusion semblable a été formulée dans Montemayor Romero c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 977, au par. 24, et dans Romero Davila c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1116, au par. 39.

[25]           Les demandeurs soutiennent que la SPR a fait abstraction des documents faisant état de la situation au pays qui contredisaient ses conclusions. Or, la SPR n’est pas tenue de mentionner chaque élément de preuve sur lequel elle se fonde dans sa décision, et, plus précisément, comme l’a déclaré la Cour dans la décision MDGD c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 855, au par. 17 (MDGD) (sub nom. De Lourdes Gonzalez Duran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)) :

[17]      […] le tribunal n’est pas tenu de mentionner chaque élément de preuve sur lequel il se fonde dans sa décision, surtout lorsqu’il appert clairement des motifs qu’il a tenu compte de l’ensemble de la preuve pertinente dans laquelle la faiblesse du régime de protection de l’État au Mexique est reconnue et dans laquelle les failles sont relevées, de même que les améliorations que le gouvernement a apportées.

[26]           En l’espèce, la SPR a reconnu l’existence en Colombie des violations des droits de la personne, de la corruption et de l’impunité. La SPR a également reconnu que la Colombie a de la difficulté à lutter contre la criminalité et la corruption qui existent au sein de ses forces de sécurité. La SPR a reconnu qu’il y avait quelques incohérences dans la preuve, mais a conclu que la prépondérance de la preuve objective porte à croire que l’État offre une protection adéquate, bien qu’imparfaite, aux victimes d’actes criminels en Colombie. La SPR a examiné les mesures prises par la Colombie et ses progrès dans la lutte contre les FARC et n’a pas fait abstraction des éléments de preuve contradictoires.

[27]           Quoi qu’il en soit, la preuve documentaire n’est d’aucun secours aux demandeurs, étant donné que la SPR a conclu que ceux‑ci n’ont pris aucune mesure pour se prévaloir de la protection de l’État en Colombie (MDGD, précitée, au par. 16), et vu l’absence d’éléments de preuve personnels permettant de réfuter la présomption de protection de l’État. De plus, la conclusion relative à la protection de l’État n’est pas déterminante, compte tenu de la conclusion de la SPR quant à la crédibilité (Gonzalez Ventura c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 10, au par. 62; Argueta Calderon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 229, au par. 5).

[28]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE comme suit :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Les parties n’ont proposé aucune question d’importance générale à certifier et aucune question ne se pose en l’espèce.

 

 

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-11574-12

INTITULÉ :

MONICA DEL PILAR PLATIN VARGAS, LUIS ALEJANDRO PLATIN RIANO, MARIA DEL PILAR VARGAS DE PLATIN, JUAN CARLOS RODRIGUEZ CUMACO, PAULA ANDREA RODRIGUEZ PLATIN (REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE, JUAN CARLOS RODRIGUEZ CUMACO), ET MARIA ALEJANDRA RODRIGUEZ PLATIN (REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE, JUAN CARLOS RODRIGUEZ CUMACO) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 DÉCEMBRE 2013

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE STRICKLAND

DATE DES MOTIFS :

LE 22 MAI 2014

COMPARUTIONS :

Sarah L. Boyd

POUR LES DEMANDEURs

Nimanthika Kaneira

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Nazami et associés

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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