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Date : 20140526


Dossier : IMM-5287-13

Référence : 2014 CF 496

Ottawa (Ontario), le 26 mai 2014

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

ONKAR SINGH SANGHA

demandeur

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               CONSIDÉRANT la demande de contrôle judiciaire faite de la décision rendue de la Section d’appel de l’immigration [SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié le 22 juillet 2013 ;

[2]               CONSIDÉRANT que la SAI avait rejeté l’appel d’une mesure d’expulsion prise contre M. Sangha le 2 septembre 2010 en raison d’interdiction de territoire basée sur grande criminalité aux termes de l’alinéa 36(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi];

[3]               CONSIDÉRANT qu’il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire faite en vertu de l’article 72 de la Loi;

[4]               CONSIDÉRANT les plaidoiries des parties et après avoir examiné le dossier, la Cour a conclu que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée pour les raisons qui suivent.

[5]               Le demandeur est devenu résident permanent du Canada le 4 avril 1998 alors qu’il était âgé de 23 ans. En février 2003, il a parrainé une demande de visa de résidence permanente. Celle-ci a été refusée en mai 2004 quand l’agent des visas a conclu qu’il s’était marié, à des fins d’immigration, avec l’épouse de son frère. Une fois parrainée au Canada, elle aurait alors parrainé le frère du demandeur.

[6]               L’infraction donnant ouverture à l’application de l’alinéa 36(1)b) de la Loi a eu lieu en mai 2004. Le demandeur a conduit un camion semi-remorque aux États-Unis avec une cargaison de marijuana. Cette cargaison pesait 264 livres et le demandeur avait fait au moins une livraison avant son interception par la police. Relâché sous une caution de 28 000 $, vers le 8 juillet 2004, en attendant de comparaître en cour aux États-Unis, il est revenu au Canada.

[7]               Quelques mois après son retour au Canada, et alors qu’il n’était qu’en liberté provisoire en attendant son procès aux États-Unis, le demandeur s’est marié, le 11 décembre 2004. Le couple s’est acheté une maison en 2005. Ils ont eu une première fille en 2005 et une seconde en 2011 après son incarcération aux États-Unis. En effet, ayant fait défaut de se présenter aux États-Unis, le demandeur a été arrêté au Canada en vertu d’un mandat d’extradition. Libéré de nouveau sur un cautionnement de 100 000 $ le 13 septembre 2007, il a été ré-arrêté vers le 23 octobre 2007 et détenu pour extradition. Celle-ci a été complétée en avril 2008. En janvier 2009, il a plaidé coupable aux États-Unis à deux chefs d’accusation relatifs aux stupéfiants. Il a purgé 24 mois d’une sentence de 28 mois (il a été aussi sous probation pour quatre ans) et il a été déporté au Canada en mai 2010.

[8]               Ainsi le demandeur aura été détenu pour les périodes suivantes depuis son arrestation en mai 2004 :

                     Juillet à septembre 2007, et octobre 2007 à avril 2008 : extradition vers les États-Unis;

                     Avril 2008 à avril 2010 : purge sentence d’emprisonnement.

La détention totale aura été de 32 mois.

[9]               La conséquence naturelle de la condamnation aux États-Unis s’est concrétisée le 2 septembre 2010 alors que le demandeur a été interdit de territoire par la Section de l’immigration aux termes de l’alinéa 36(1)b) de la Loi qui se lit ainsi :

Grande criminalité

Serious criminality

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

[…]

[…]

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

[10]           Cette décision a fait l’objet d’un appel devant la SAI en vertu de l’article 63 de la Loi. Le demandeur cherche à se prévaloir de la disposition salvatrice de l’article 67 et il se réclame de l’alinéa 67(1)c) qui se lit :

Fondement de l’appel

Appeal allowed

67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

[…]

[…]

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

[11]           La question en litige est de savoir si la décision du SAI, qu’il n’existait pas suffisamment de motifs humanitaires, compte tenu de l’intérêt des enfants touchés par la décision, pour justifier la prise d’une mesure spéciale, est raisonnable.

[12]           En effet, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable. L’arrêt de principe en l’espèce est Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12; [2009] 1 RCS 339 [Khosa], où la Cour suprême devait déterminer quelle est la norme de contrôle, sur demande de contrôle judiciaire, de la décision de la SAI relative à l’application de l’alinéa 67(1)c) de la Loi, exactement la situation qui se présente ici. Après une longue analyse, la Cour a conclu que la norme de la raisonnabilité devait être appliquée. Ce sera donc le cas dans notre espèce.

[13]           Le rôle du juge en contrôle judiciaire n’est pas de substituer sa vision des faits, mais plutôt de voir à ce que la décision rendue soit raisonnable. Ainsi, cette décision doit avoir les apanages de la raisonnabilité au sens de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir] :

Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

(Para 47)

[14]           La sympathie ne suffit pas. C’est d’une démonstration qu’une décision hautement discrétionnaire était déraisonnable dont le demandeur a besoin. Cette démonstration n’a pas été faite.

[15]           Il n’est pas contesté que l’exercice du pouvoir discrétionnaire se fait à l’aide de la liste non exhaustive de facteurs à considérer énoncée dans la décision Ribic c Canada (MEI), [1985] IABD no 4 (QL) et confirmée par la Cour suprême dans Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CSC 3; [2002] 1 RCS 84 et Khosa :

                     la gravité des infractions;

                     la possibilité de réadaptation;

                     la période passée au Canada et le degré d’établissement;

                     les conséquences pour la famille au Canada;

                     le soutien par la collectivité;

                     les difficultés que connaîtrait la personne dans le pays où il était renvoyé ;

                     et toutes autres circonstances pertinentes en l’espèce.

[16]           Je ne puis qu’être frappé par la décision dans Khosa. Les faits qui à mon avis étaient sensiblement plus sympathiques que dans le cas sous étude ont tout de même produit un refus d’appliquer les dispositions de l’alinéa 67(1)c) de la Loi. M. Khosa, un citoyen de l’Inde, était âgé de 18 ans au moment où il a participé à une course de rue qui s’est soldée par une condamnation pour négligence criminelle ayant causé la mort. La Cour d’appel de Colombie-Britannique aura conclu que les possibilités de réadaptation sont bonnes, les remords sont réels et M. Khosa n’avait commis aucune infraction avant cette condamnation. La Cour suprême a respecté l’analyse faite par la SAI qui avait rejeté l’appel de M. Khosa. Le poids à donner aux différents facteurs doit faire l’objet de déférence.

[17]           La SAI doit bien sûr faire sa propre analyse car chaque affaire a ses particularités. Et cette analyse a été bien articulée. En notre espèce, je ne vois pas comment faire reproche à la SAI de donner un poids important aux infractions commises et aux circonstances ayant entouré la condamnation éventuelle. Non seulement les quantités de marijuana étaient-elles considérables, mais le demandeur a fait défaut à ses obligations, devenant un fugitif dont on aura été forcé d’ordonner l’extradition aux États-Unis.

[18]           La SAI s’est montrée inquiète quant aux possibilités de réadaptation. Alors même qu’on examinait son interdiction de territoire, le demandeur continuait à prétendre avoir ignoré que la marijuana est illégale aux États-Unis. Plutôt étonnant. De fait, une telle attitude diminue le poids relatif des remords dont le demandeur dit être conscient. C’est à se demander s’il ne s’agit plutôt de confusion entre remords et regrets, regrets d’avoir risqué autant pour un gain financier. Le demandeur aura perdu plusieurs de ses actifs, il a purgé 24 mois en prison en plus d’une détention préventive de huit mois et il fait maintenant face à une déportation.

[19]           S’il est des aspects positifs, ils sont davantage du côté des conséquences que la déportation pourrait avoir sur sa famille. Ce n’est pas négligeable. Et les conséquences sont évidentes.

[20]           Mais ces conséquences découlent naturellement du crime commis en mai 2004, de la fuite du demandeur durant les trois années qui ont suivi et, par la suite, des trois années passées en détention. Qu’il cherche à démontrer un haut niveau d’établissement au Canada depuis sa déportation au milieu de 2010, alors qu’il se sait sous le coup d’une déportation du Canada vu son interdiction de territoire, est certes positif, mais on voit mal comment cela pourrait avoir plus de poids que les autres facteurs examinés.

[21]           La SAI a aussi examiné les difficultés alléguées si le demandeur est retourné en Inde et le fait que le demandeur a tenté de frauder la Loi en 2003. L’allégation de danger pour un chauffeur de camion en Inde était peu sérieuse et la fraude à la Loi n’était certes pas un facteur positif, d’autant que d’autres accusations criminelles pesaient contre le demandeur au moment de la décision de la SAI.

[22]           Cependant, ces facteurs me semblaient avoir été discutés davantage aux fins d’exhaustivité que pour leur donner un poids considérable. Une fraude à la Loi vieille de 10 ans et des accusations au sujet desquelles la présomption d’innocence s’applique portent peu de poids par rapport à la gravité des infractions commises aux États-Unis et une attitude qui ne démontre que peu de remords.

[23]           Le demandeur a failli à son fardeau de démontrer que le poids donné aux différents facteurs répertoriés n’était pas raisonnable, rendant la décision déraisonnable au sens de Dunsmuir.

[24]           Le processus décisionnel était transparent et intelligible et l’issue était possible et acceptable. Les prétentions du demandeur visent une réévaluation des faits -« the IAD did not assign the necessary weight to the following factors » écrivait le demandeur- ce qui n’est pas le rôle de cette Cour dans un contrôle judiciaire. Le SAI est un tribunal spécialisé dont l’une des tâches est d’évaluer ce type de dossiers; elle a appliqué le test correct, et son raisonnement était clair et justifiable.

[25]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont pas suggéré de question grave de portée générale et il n’y a pas de question à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.

« Yvan Roy »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5287-13

 

INTITULÉ :

ONKAR SINGH SANGHA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 mai 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 mai 2014

 

COMPARUTIONS :

Me Claude Whalen

 

Pour le demandeur

 

Me Jocelyne Murphy

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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